Corps de l’article

La famille est présentée comme le premier lieu d’apprentissage, de solidarité et d’intégration sociale des jeunes enfants. Il est généralement attendu que les parents prennent soin d’eux, leur apportent sécurité affective et matérielle et assurent, avec le soutien de la communauté, leur éducation et leur bien-être (Bachmann, Gaberel et Modak, 2016). La présence d’un handicap, d’un problème de santé mentale ou d’une condition neurologique chez l’enfant modifie le contexte dans lequel les parents exercent leurs rôles familiaux et sociaux. Depuis les dernières années, l’autisme ou le trouble du spectre de l’autisme (TSA) se présente comme une réalité qui touche de plus en plus de familles. L’autisme est défini comme une condition neurodéveloppementale qui se caractérise par des difficultés dans les domaines de la communication, des interactions sociales ou des comportements, activités et intérêts restreints ou répétitifs (American Psychiatric Association, 2013). Aux États-Unis, sa prévalence aurait atteint 1 enfant sur 68 (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, 2016). Au Canada, des estimations à partir de données recueillies de 2003 à 2010 auprès des services de santé (Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard et dans le sud-est de l’Ontario) indiquent que cette condition touchait un individu sur 94 chez les enfants âgés de six à neuf ans (Ouellette-Kuntz et coll., 2014). Au Québec, il représenterait le handicap le plus répandu chez les enfants qui fréquentent l’école primaire (Noiseux, 2014).

La présence du TSA engendre des besoins variés au sein de la famille :  services spécialisés, accompagnement, aide à la vie domestique et aux devoirs, besoin d’information, de formation, de gardiennage ou de répit. La grande hétérogénéité des caractéristiques des enfants (ex. âge, difficultés, aptitudes, présence d’autres diagnostics associés ou de problèmes de santé) et les caractéristiques des familles (ex. recomposées, monoparentales, issues d’une immigration récente au pays) engendrent des besoins de soutiens d’intensité variée (Home et Webster, 2006). Par ailleurs, les recherches dressent un portrait préoccupant de la qualité de vie des parents d’enfants présentant un TSA, ces derniers étant particulièrement à risque de développer un problème de santé, de vivre de la précarité financière et des difficultés dans l’articulation de leurs responsabilités professionnelles et familiales (Courcy et des Rivières-Pigeon, 2013; Dillon-Wallace, McDonagh et Fordham, 2016; Eisenhower, Blacher et Baker, 2013; Hayes et Watson, 2013; Matthews, Booth, Taylor et Martin, 2011).

Réseau social, soutien social et rôle protecteur pour les familles

Les réseaux de soutien formel et informel occupent un rôle protecteur de premier plan pour les parents d’enfants autistes ou qui présentent un TSA (voir entre autres Hall, 2012; Home et Webster, 2006; Siklos et Kerns, 2006; Smith, Greenberg et Seltzer, 2012). Les conditions objectives de vie et la présence de soutien social adéquat et efficace influencent la santé et la qualité de vie des membres de la famille, tout comme leur capacité à faire face aux défis rencontrés (ex. Bekhet, Johnson et Zauszniewski, 2012; Corcoran, Berry et Hill, 2015; Greeff et van der Walt, 2010). Le soutien social peut être défini comme un processus interactif dans lequel de l’aide est obtenue à partir du réseau social de la personne (Caplan, 1976; Beauregard et Dumont, 1996; Shumaker et Brownell, 1984). Barrera (1981) distingue cinq types de soutien :  1) le soutien instrumental (ex. besoin de meubles, d’argent, de vêtements, de nourriture, de répit, de gardiennage, d’aide à la vie domestique); 2) le soutien émotif (ex. pouvoir se confier à quelqu’un, lui parler de choses intimes et personnelles); 3) le soutien informatif (ex. recevoir de l’information, des conseils ou être guidé dans une situation quelconque), 4) le soutien approbatif (ex. sentir ou de se faire dire que l’on a de bonnes idées, que l’on a bien fait d’agir comme on l’a fait) et 5) le soutien récréatif (ex. pouvoir faire des activités permettant de sortir, jaser, faire du sport ou de se changer les idées) (Barrera, 1981). Deux principales sources de soutien peuvent également être distinguées :  les sources formelles et les sources informelles. Les soutiens informels peuvent par exemple provenir de la famille, des amis ou des voisins. Les sources formelles proviennent plutôt des organisations formelles et des établissements professionnels comme ceux issus du système de soin, des services sociaux ou du système d’éducation.

Les formes de solidarités dans le réseau social

La famille est présentée comme une actrice incontournable de l’intégration sociale des personnes vivant une situation de handicap (Conseil de la famille et de l’enfance, 2007). Auparavant considérée comme l’origine de plusieurs problématiques de santé mentale, la famille est devenue, dans la foulée du mouvement de désinstitutionnalisation, un espace de soutien social et de solidarité (Carpentier, 2001; Théry, 2011; Van Pevenage, 2010). Les solidarités représentent une panoplie de réponses aux besoins de protection partagée et de reconnaissance mutuelle que nous éprouvons en tant qu’êtres sociaux (Fraser, 2011; Honneth, 2002; Paugam, 2011). La solidarité revêt différentes significations, se distingue par sa provenance (privée ou publique) et sa fonction (protection ou insertion des individus) (Van Pevenage, 2010). Les solidarités peuvent référer 1) à la solidarité sociale et nationale; 2) aux solidarités familiales et 3) à l’aide volontaire et aux solidarités de proximité (Théry, 2011). La solidarité sociale et nationale renvoie au droit social et regroupe les politiques d’assistance et de protection sociale comme celles à l’égard des familles d’enfants vivant une situation de handicap. Les solidarités familiales découlent de liens statutaires comme l’alliance et la filiation. Elles regroupent un ensemble d’échanges, de transferts ou de services dont la caractéristique majeure est d’être basée sur un statut civil qui place la personne dans un système de parenté. Les solidarités familiales comportent donc des échanges et des transferts très différents, certains relevant d’obligations et de responsabilités (ex. les règles de l’héritage ou les responsabilités parentales) et d’autres qui ne le sont pas (ex. garder son petit-fils les fins de semaine). Enfin, l’aide volontaire et les solidarités de proximité constituent une aide ou une entraide fondée sur les principes du don, de la générosité ou de la charité et qui réfère au fait que des individus viennent en aide de façon absolument volontaire, sans que leur initiative soit liée à une obligation ou un statut. Comme les solidarités familiales, l’aide volontaire et les solidarités de proximité sont polyvalentes et fonctionnent le plus souvent sur le principe de la gratuité (Dandurand et Saillant, 2005; Théry, 2011; Van Pevenage, 2010). Les solidarités prennent donc plusieurs formes au sein des différentes sphères où se tissent les liens sociaux.

Dans le contexte où l’enfant vit une situation de handicap, un problème de santé mentale ou présente une condition neurologique comme l’autisme, les formes de solidarité dans le réseau familial sont surtout analysées à partir des soutiens obtenus de la part des professionnels ou des membres de la famille. Peu de choses sont connues sur les formes précises que prennent l’aide volontaire et les solidarités de proximité qui peuvent surgir de la communauté ou d’autres sphères de vie (ex. emploi, voisinage, médias sociaux). Cet article a pour objectifs a) d’analyser l’aide volontaire et les solidarités de proximité mobilisées par treize familles d’enfants présentant un TSA au Québec et b) de mieux comprendre la place accordée par les parents à ces formes de soutien dans leur vie avec l’enfant. Dans une visée plus large, cet article veut contribuer aux connaissances sur les réseaux de soutien extrafamiliaux des familles afin d’améliorer les pratiques d’intervention et d’accompagnement dans le contexte où l’enfant présente un TSA.

Méthodologie

Cet article s’inscrit dans une recherche plus vaste portant sur l’évolution des réseaux de soutien et des échanges d’argent au sein de familles d’enfants présentant un TSA au Québec (des Rivières-Pigeon, Belleau et White, 2015-2017). Le présent article porte, de façon spécifique, sur les formes de soutien que sont l’aide et les solidarités de proximité mobilisées par ces familles. L’analyse de l’évolution et des variations dans le temps des réseaux de soutien et des contenus précis que comportent ces échanges (ex. argent, services domestiques, services formels d’intervention spécialisée) sera abordée dans d’autres articles.

Recrutement et familles participantes

Le recrutement des familles a été réalisé suivant deux stratégies successives. Dans un premier temps, six familles d’enfants autistes ont été recrutées à partir d’une banque de noms composée dans une recherche antérieure et à laquelle les parents n’avaient pu participer (Courcy, des Rivières-Pigeon, Modak, 2016). Six des dix parents invités par courriel ont participé à la présente recherche. Dans un second temps, l’appel de participation à la recherche a été diffusé à trois groupes de parents sur les médias sociaux. L’évaluation et l’approbation éthiques nécessaires à la réalisation de la recherche ont été effectuées par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université du Québec à Montréal.

Treize familles d’enfants âgés entre 4 ans et demi et 10 ans ont participé à la recherche. Il s’agit d’un petit échantillon de convenance constitué sur une base volontaire. Les familles provenaient de six régions administratives du Québec (Montérégie, Montréal, Laurentides, Laval, Outaouais, Capitale-Nationale et Chaudière-Appalaches). La majorité des familles comptaient deux enfants ou plus (n = 10). Les enfants ayant reçu un diagnostic de TSA, 11 garçons et 2 filles étaient âgés de 4 ans et demi à 10 ans (moyenne :  7). La majorité des familles (n = 10) étaient composées des deux parents de l’enfant. L’échantillon présentait également une famille recomposée et deux familles monoparentales. Dans quatre familles, l’un des parents avait vécu une expérience d’immigration au pays dans les dix dernières années (2 mères et 2 pères). La grande majorité des parents avaient obtenu un diplôme d’études collégiales (6 mères et 4 pères) ou un diplôme universitaire (5 mères et 5 pères). Seules deux mères occupaient un emploi à temps plein alors qu’il en était le cas pour onze pères. Quatre mères et un père demeuraient à la maison pour s’occuper des enfants. La plupart des familles présentaient un revenu familial annuel brut[1] de plus de 75 000 $ par année :  3 familles avaient gagné entre 35 000 $ et 45 000 $ dans la dernière année; 5 familles avaient touché entre 75 000 $ et 99 999 $ et 5 autres plus de 100 000 $.

Entretiens semi-dirigés

Des entretiens individuels semi-dirigés d’environ une à deux heures ont été effectués. Des 24 parents composant les 13 familles participantes, 18 parents ont participé aux entrevues (11 mères, 1 belle-mère et 6 pères). La grille d’entrevue était basée sur un générateur de nom. Les parents étaient appelés à identifier les personnes ou les organismes qui leur avaient offert (ou non) de l’aide ou du soutien au cours de trois périodes de la vie avec l’enfant :  avant les premières inquiétudes quant à son développement, autour du diagnostic et dans la dernière année. Quatre sphères de vie des parents ont été abordées :  1) les intervenants et les professionnels de la santé, des services sociaux ou de l’éducation, 2) la famille (immédiate et élargie), 3) les collègues de travail et 4) les amis, le voisinage et les autres connaissances. Pour chacune des personnes mentionnées, les participantes et les participants étaient questionnés sur le soutien (reçu ou demandé) et leur lien avec cette personne (ex. nature de la relation, appréciation du soutien reçu). En raison des objectifs poursuivis dans cet article, l’ensemble du contenu des entrevues a été analysé en portant une attention particulière aux formes d’entraide et de solidarité de proximité.

Analyse des données

Les entrevues ont été transcrites et une analyse qualitative de contenu a été effectuée. Pour l’analyse présentée dans cet article, une grille de codage a été développée à partir des différents types de solidarités proposés par Théry (2011). Sur la base de ce premier codage, nous avons procédé à un deuxième niveau d’analyse en nous inspirant de la théorisation ancrée, que l’on peut qualifier de méthode d’analyse progressive et itérative de données qualitatives (Paillé, 1994). Cette deuxième analyse visait à relever les perceptions des parents et le sens qu’ils accordaient aux différents types de solidarités mobilisées. Nous avons comparé les occurrences relatives puis opéré à l’intégration, par accumulation, des catégories et de leurs propriétés (Glaser, 1965; Urquhart, 2012). Cela a consisté à relever les ressemblances dans les composantes dégagées, mais également celles qui pouvaient être contradictoires. La catégorisation des différents éléments a été développée par la première auteure puis comparée et débattue avec celle effectuée par la deuxième auteure et son équipe de recherche. Dans le cas d’interprétation ou de codage divergent, les auteures ont discuté jusqu’à consensus. Le traitement des données a été soutenu par l’utilisation du logiciel N’Vivo (QSR International, 2017). La mise en relation des catégories et l’intégration des données ont ainsi été effectuées dans un processus itératif entre le corpus et les discussions d’équipe afin d’assurer la validité, la fiabilité et la cohérence des thèmes dégagés (Morse, Barrett, Mayan, Olson et Spiers, 2002).

Résultats

Les résultats des analyses seront présentés en deux temps, les premiers servant d’éclairage aux suivants. Un portrait global des services formels, des prestations reçues et des formes de solidarités familiales mentionnées par les parents sera d’abord présenté. À la lumière de ces premiers résultats, nous présenterons l’aide volontaire et les solidarités de proximité mobilisées par les familles. Cette séquence nous permettra de mettre en relief la place accordée par les parents à ce dernier type de solidarité dans leur vie avec l’enfant. Les résultats seront étayés par des extraits d’entretiens. Les noms et les autres données potentiellement identifiantes ont été supprimés ou remplacés[2].

Portrait des services formels, des prestations reçues et des formes de solidarités familiales

Des services absents ou insuffisants. D’entrée de jeu, les services offerts dans le Réseau de la santé et des services sociaux et dans le système d’éducation se caractérisaient souvent par leur absence ou leur insuffisance. Tous les parents déploraient le manque de services spécialisés, d’accompagnement à l’école et de répit offerts dans le secteur public. Plusieurs partageaient le sentiment d’« être laissés à [eux-]mêmes » (M12). Les parents décrivaient les services formels comme difficiles d’accès et insuffisants. « C’est beaucoup d’attente […] et tu sens que c’est limité en termes de ressources », soulignait une mère (M2). Cette situation était perçue par les parents comme ayant un impact négatif sur le développement de l’enfant, mais aussi sur leur bien-être. Dans six familles, l’un des parents ou les deux avaient ou vivaient un problème de santé psychologique ayant nécessité un arrêt en emploi. Une mère racontait avec émotion : 

On n’a eu aucune aide. […]. J’appelais en larmes. Je ne savais pas quoi faire. J’étais en détresse. En mode panique. Je passais mes journées à pleurer et j’étais incapable de ne rien faire. […]. Il a vraiment fallu qu’on se débrouille tout seuls.

M6

Face à ces lacunes, douze des treize familles avaient consulté des professionnels dans le secteur privé. La moitié des familles avaient eu recours au secteur privé pour l’évaluation diagnostique, malgré des frais de plus de 1000 $. Des parents avaient également consulté dans le secteur privé en raison des listes d’attente pour les services d’intervention comportementale intensive. La plupart avaient contracté des services d’ergothérapeute, d’orthophoniste et d’orthopédagogue, n’ayant pas accès à l’équivalent dans le secteur public. « L’ergothérapie c’est 100 $ par semaine, donc 5200 $ par année... C’est beaucoup d’argent », confiait une mère (M10). La presque totalité des parents ont rapporté vivre des préoccupations financières importantes. Deux familles avaient reçu de l’aide d’une fondation privée et une mère avait elle-même organisé une collecte de fonds pour payer les coûts associés aux interventions destinées à son fils.

Des prestations dont ne bénéficient pas toutes les familles. En ce qui a trait aux prestations pour les familles d’enfants vivant une situation de handicap au Canada et au Québec, ce ne sont pas toutes les familles de l’échantillon qui bénéficiaient de ces mesures d’aide financière. En effet, outre les déductions et le crédit d’impôt du Canada pour les personnes handicapées, peu de familles touchaient la Prestation pour enfants handicapés du Canada (réservée aux familles ayant un revenu faible ou modeste). Plusieurs ne touchaient pas non plus le Supplément pour enfants handicapés de la Régie des rentes du Québec puisque le handicap de l’enfant n’était pas jugé « assez important » (M9) selon les critères en vigueur. Quatre familles avaient bénéficié des allocations pour l’intégration d’un enfant en garderie. Enfin, six familles avaient bénéficié du programme provincial de soutien à la famille qui prévoit une somme d’argent pour payer du répit. Les familles rencontrées bénéficiaient donc à des degrés très variables des mesures d’aide financière gouvernementales. Par ailleurs, tous soulignaient le manque d’information à leur égard. Des parents ont confié avoir découvert les subventions et les prestations pour enfants handicapés plusieurs années après le diagnostic de l’enfant. Le plus souvent, les parents en avaient été informés par d’autres parents ayant déjà effectué ses démarches. Une mère exprimait à cet égard : 

Je pense que j’ai été chanceuse d’avoir une amie qui a pu me dire des ressources. Ils [les professionnels] devraient plus nous outiller. Même juste la subvention [en garderie], si tu ne le sais pas, tu ne la prends pas, mais ça peut tellement aider. Les ressources devraient vraiment être plus claires.

M5

Des solidarités familiales limitées. Les formes de solidarités familiales mentionnées par les parents concernaient surtout l’aide financière ou matérielle, le soutien domestique, le soutien émotif ou approbatif et le soutien informatif. Dans l’ensemble, au moment des entrevues et en faisant référence à la dernière année, les parents recevaient très peu d’aide financière de la part des autres membres de leur famille ou de leur belle-famille. Ce soutien, surtout présent dans deux familles de classe plus aisée, était sous la forme d’héritage ou de cadeau tel que l’achat de mobilier ou d’électroménager. Le soutien domestique, surtout échangé entre femmes (il était question de la grand-mère de l’enfant ou de la soeur de la mère), variait d’une famille à l’autre. Il pouvait s’agir de garder les enfants ou de donner un coup de main à l’entretien de la maison. Ce type de soutien était somme toute modeste. Plusieurs familles ne résidaient pas dans la même région que leurs proches, ce qui réduisait les possibilités d’échange de « petits » services (M8). Des parents ont également confié être en froid avec un ou plusieurs membres de leur famille. Enfin, d’autres déploraient que leurs proches ne comprennent pas les difficultés et les besoins particuliers de l’enfant, faisant en sorte qu’ils hésitaient à le garder ou à venir le chercher pour faire des sorties.

À la frontière des solidarités familiales et de proximité :  « ceux qui savent ce que c’est »

La plupart des parents percevaient de l’incompréhension de la part de leurs proches à l’égard de leur réalité familiale, des difficultés de l’enfant et de l’autisme en général. Comme d’autres, ce père soulignait que plusieurs de ses proches étaient « en déni face au diagnostic » (P6) de l’enfant, ce qui limitait la portée de leur soutien. Des parents confiaient également ressentir du jugement quant à leurs compétences parentales. « Ils ne tiennent pas compte du diagnostic et disent qu’il faut qu’on le discipline un peu plus », soulignait un père à l’égard de ses beaux-parents (P2). À contrario, d’autres personnes du réseau familial étaient décrites comme offrant un soutien émotif et informatif fort apprécié. Ces personnes avaient en commun de posséder une formation professionnelle (ex. une cousine psychologue), d’occuper un emploi en lien avec l’autisme ou la santé mentale (ex. une grand-maman enseignante) ou d’être elles-mêmes parents d’un enfant autiste. Par exemple, un père faisait part du soutien que lui apportait la conjointe de son cousin qui avait aussi un garçon autiste :  « On parle beaucoup ensemble. Ça aide de lui en parler, elle nous piste sur les choses à faire et nous rassure sur ce que l’on voit chez mon fils. On vit des choses similaires » (P8). Ces échanges laissaient parfois place au développement inattendu de certaines relations. Par exemple, une mère confiait s’être rapprochée de la nouvelle conjointe de son ex-conjoint :  « Je me suis rapprochée de la nouvelle blonde de mon ex-chum, chose que je n’aurais pas nécessairement pensé possible avant. Elle est travailleuse sociale avec des personnes autistes adultes. Elle m’écoute sans jugement » (M5). Ces personnes présentaient ainsi une inscription double, à la fois dans la famille élargie des parents rencontrés et dans un réseau plus large informé sur l’autisme. Ces formes de solidarités, inscrites dans le réseau familial, mais relevant davantage des caractéristiques de l’entraide et des solidarités de proximité, étaient basées sur une expérience commune :  celle d’être un proche et de côtoyer quotidiennement un enfant autiste.

L’aide volontaire et les solidarités de proximité :  « ceux qui sont passés par là »

De la même façon, les parents parlaient d’un clivage au sein de leurs amis, collègues de travail et autres personnes de leur voisinage. D’une part, des parents confiaient être déçus des commentaires ou de l’attitude d’amis quant à leur réalité familiale et les comportements de l’enfant. Une mère soulignait en ce sens : 

Je les vois moins. Vient un moment où on est down, on ne sait pas comment on va s’en sortir et avec ces gens-là [amis qui n’ont pas d’enfants autistes], on n’est comme pas capable d’en parler. On se sent cheap !

M1

À contrario, les parents disaient compter sur le soutien de leurs amis ou de leurs collègues de travail qui étaient « passés par là » (M6, P6, M8, P7, P8, M11, M13) parce que leur enfant avait été diagnostiqué avec un TSA ou vivait une situation de handicap. À leur égard, les parents confiaient se sentir « réellement compris-e » par eux, comme l’illustrent les extraits suivants : 

Ma meilleure amie m’a beaucoup épaulée. La journée où j’ai reçu le diagnostic, elle m’a appelée et est débarquée chez moi. Elle m’a prise dans ses bras et elle a dit :  « je comprends ». Elle est passée par là, elle sait ce que c’est.

M11

J’ai beaucoup de collègues de travail qui connaissent un enfant autiste ou ayant un TDAH. C’est facilitant. Ils comprennent quand j’arrive en retard le matin et toute cernée…

M6

L’expérience commune d’être parent d’un enfant autiste donnait également lieu à des liens d’entraide. « Les voisins ont un enfant autiste. Il y a un lien qui s’est établi à cause de ça », soulignait un père (P3). Autre exemple, un participant avait fait la connaissance d’un père dans une salle d’attente à l’hôpital et disait le compter aujourd’hui comme un ami très proche : 

C’est une amitié [...], une connexion où chacun comprend ce que l’autre vit. C’est simple. Son enfant aussi a un niveau de fonctionnement différent. Il comprend et nous oriente dans nos démarches [de service]. Il est passé par là.

P7

En plus de partager une expérience commune, l’ancrage affinitaire, voire identitaire, d’ « être parent d’un enfant autiste », était décrit comme un soutien inestimable qui permettait de briser l’isolement. Une mère exprimait en ce sens :  « Je participe aux activités organisées par l’Association. Ça me permet de jaser avec d’autres mamans sur les services ou les autres ressources que je ne connais pas. Ça me permet de voir qu’il y a d’autres familles comme nous » (M13).

S’informer « entre parents » sur les médias sociaux. Les liens d’entraide entre parents d’enfants autistes pouvaient être initiés par l’entremise d’associations communautaires, mais l’étaient le plus souvent par l’entremise de groupes de parents sur les médias sociaux. Au sein des familles rencontrées, au moins un des deux parents était abonné à un ou plusieurs de ces groupes. Seulement deux pères et une mère disaient les éviter en raison des sentiments de découragement ou de tristesse que leur générait la lecture des propos échangés sur ces sites. Deux pères soulignaient à cet effet : 

Je fuis ces groupes. Les messages me replongent dans un état dans lequel je ne veux pas retourner. Je les ignore avec plaisir.

P7

Je ne vais pas dans les groupes de parents où c’est du défoulement. Et quand je compare, je suis découragé pour les autres parents.

P13

Dans l’ensemble, les mères étaient plus enclines à écrire, poster des messages et à nous décrire ces plateformes comme des lieux d’entraide. Par ailleurs, leur investissement était très variable, allant de la simple consultation à la rédaction de messages personnels en passant par l’organisation et la maintenance d’un groupe. La grande majorité des participantes ont dit chercher des conseils et des « trucs » pour interagir avec l’enfant, partager les témoignages d’autres parents et relayer des informations susceptibles d’intéresser le groupe. Près de la moitié des participantes disait interagir avec d’autres parents. Plusieurs, comme cette mère, décrivaient la plus-value du soutien obtenu par ces liens en les comparant avec leurs autres relations avec les personnes de leur entourage : 

Mes amitiés avec ces gens-là sont plus profondes qu’avec les gens que je pourrais considérer comme mes amis et qui sont à l’extérieur [des médias sociaux]. Il n’y a pas autant de connexion, car on ne vit pas nécessairement les mêmes choses. Mais avec ces gens-là, il y a quelque chose qui s’installe.

M7

Ces échanges entre parents (qui n’auraient pu se rencontrer aussi facilement en raison de leur éloignement géographique) étaient une source d’informations inédites sur les façons d’accéder à des services. Une participante expliquait : 

Il y a des renseignements que j’ai obtenus à force de lire des gens qui avaient écrit des expériences. Des choses qu’on ne saurait pas autrement qu’en passant par là. […]. Ça rend l’information simple parce qu’on a l’exemple d’un autre parent qui est passé par là et qui donne le renseignement. […]. Peu importe le service au public, il faut que tu te battes ! […]. Alors tu poses une question et il y a quelqu’un quelque part qui l’a vécu et qui a été capable de contourner, pour ne pas avoir à se battre, ou qui va t’aider dans ta bataille.

M8

Paradoxalement, le manque de services d’accompagnement et d’intervention participait à la volonté exprimée par certaines d’aider à leur tour d’autres parents. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’une mère avait mis sur pied un groupe de parents en ligne : 

J’ai rencontré Annie[3] et on a parti le groupe ensemble. [...] J’ai commencé comme ça à donner de l’aide. Encore aujourd’hui, quand il y a des trucs qui me boguent, je demande à mon groupe. […] Nous on s’entraide. Tu sais [les services du] CLSC[4], c’est une légende urbaine, ça n’existe pratiquement pas, alors on a pris en charge de créer ce groupe-là.

M7

Ces plateformes étaient également décrites par les parents comme des espaces de mobilisation pour agir collectivement, que ce soit pour signifier leur désaccord quant à des décisions politiques, pour signer des pétitions ou participer à des campagnes de sensibilisation sur la réalité des personnes ou des parents d’enfants autistes. Une participante soulignait à ce propos :  « [Je fais partie] d’une mobilisation panquébécoise. Nous sommes beaucoup de mamans organisatrices. Ça nous permet de poser des gestes comme envoyer des lettres au ministre » (M13). Dans certains cas, les liens établis par l’entremise d’Internet avaient donné lieu à des rencontres de façon présentielle, comme cette mère qui racontait qu’une autre était venue à son domicile pour apprendre à son enfant à pointer.

Discussion

Cet article a pour objectif d’analyser l’aide volontaire et les solidarités de proximité mobilisées par treize familles d’enfants présentant un TSA au Québec et de mieux comprendre la place que les parents accordent à ces formes de soutien dans leur vie avec l’enfant. Pour bien situer le contexte dans lequel se créent et sont mobilisés ces liens d’entraide, nous avons dressé un portrait général des autres formes de solidarités reçues ou demandées par les parents. Trois principaux éléments ressortent :  a) les familles participantes étaient confrontées à des manques de services spécialisés dans le réseau public; (b) elles ne bénéficiaient pas toutes des prestations gouvernementales qui sont offertes aux familles d’enfant vivant une situation de handicap et (c) la plupart recevaient un soutien perçu comme inadéquat, et pour certaines très limité, de la part des personnes du contexte familial élargi. Ces constats, également retrouvés dans d’autres recherches (Myers, Mackintosh et Goin-Kochel, 2009; Schaaf, Toth-Cohen, Johnson, Outten et Benevides, 2011; Siklos et Kerns, 2006), soulèvent un enjeu central :  celui du partage des responsabilités et des ressources entre membres de la famille, l’État et les milieux communautaires ou associatifs dans la réponse aux besoins des enfants autistes ou présentant un TSA. Depuis les dernières décennies, les solidarités familiales et les solidarités de proximité sont fortement sollicitées pour répondre aux besoins des familles, à défaut de soutien de la part des solidarités publiques (Kempeneers, Battaglini et Van Pevenage, 2015). Les résultats de cette recherche montrent bien en quoi le contexte particulier du TSA met en exergue cet enjeu central des solidarités contemporaines. D’une part, les besoins de soutien des parents et le fardeau financier des familles sont accrus par le coût des interventions et les conséquences constatées en emploi, particulièrement pour les mères (Courcy, 2014; Matthews et coll., 2011). D’autre part, les particularités de l’enfant rendent plus difficile l’adéquation entre les besoins des parents, ceux de l’enfant et les soutiens non spécialisés qui sont « généralement » échangés dans les réseaux de solidarités familiales (Coenen-Huther, Kellerhals et von Allmen, 1994; Dandurand et Saillant, 2005). Malgré le fait que la famille élargie puisse offrir une protection contre les risques et les difficultés rencontrées par les parents (Bekhet et coll., 2012; Corcoran et coll., 2015; Greeff et van der Walt, 2010; Hall, 2012; Home et Webster, 2006; Siklos et Kerns, 2006; Smith et coll., 2012), la présence d’un tel réseau ne garantit pas une réponse adéquate au besoin, en plus de la distance géographique dont ont fait part plusieurs participants. Ceci soulève l’importance des ressources alternatives provenant des solidarités publiques, de l’aide volontaire et des solidarités de proximité pour ces familles.

À ce propos, les résultats mettent de l’avant l’émergence de nouvelles formes d’entraide partagées entre pairs. D’une part, il pouvait s’agir de l’activation de liens d’interconnaissance avec des personnes de l’entourage détenant un savoir professionnel ou expérientiel en lien avec l’autisme et la santé mentale (ex. membre de la famille élargie, ami-e-s collègue de travail, voisin-e-s). D’autre part, il pouvait s’agir de nouvelles connaissances faites par l’entremise d’associations communautaires ou de groupes de parents sur les médias sociaux. Ces formes d’entraide, plus ou moins proximales ou distantes sur les plans spatial et relationnel (l’aide de sa soeur versus le témoignage d’une mère sur Internet), sont apparues enracinées dans l’appartenance à un « nous » et dans l’identité commune d’être un parent d’enfant autiste. Cette reconnaissance mutuelle était perçue comme l’assurance d’être réellement compris-e et donnait lieu à un partage d’informations hautement valorisées par les parents. Comme l’ont observé Lawton, Roberts et Gibb (2005) dans une recherche menée auprès de parents d’enfant vivant avec une maladie chronique, les parents utilisent également Internet pour partager l’expertise qu’ils ont développée dans leur parcours de vie avec l’enfant. La valeur accordée par les parents à ces formes d’entraide était également liée au fait qu’ils soient aidés ou qu’ils viennent à leur tour en aide à d’autres parents de façon volontaire, sans que leur initiative soit liée à une obligation professionnelle ou un statut filial. Par ailleurs, plusieurs mères exprimaient un fort sentiment d’engagement à l’égard des autres parents d’enfants autistes ainsi que le besoin d’aider à leur tour. Ces relations de solidarités, favorisant l’émergence d’un lien identitaire, pouvaient également constituer un tremplin à la mobilisation sociale (Swanke, Zeman et Doktor, 2009). L’aide volontaire et les solidarités de proximité médiatisées par Internet peuvent donc être interprétées comme une réponse à l’isolement vécu par les parents et à leur besoin accru d’information sur l’accès aux différents services. Ces résultats interpellent la notion de solidarité participative telle qu’évoquée par Paugam (2011, p. xvi) à propos de la responsabilisation de plus en plus grande des individus face à leur bien-être et à celui de leur proche dans la société contemporaine. Par ailleurs, bien que ces relations soient porteuses d’information et de soutien pour les parents, elles ne pouvaient combler les besoins de l’enfant en matière d’interventions spécialisés ou réduire les contraintes financières des familles. Rappelons également que ce n’est pas tous les parents qui percevaient ces espaces de façon positive et qui les fréquentaient.

En ce qui a trait aux limites de l’étude, soulignons que les résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des familles d’enfant ayant un TSA, notamment en raison de la taille et du mode de constitution de l’échantillon. En plus de la composition volontaire de l’échantillon, la méthode de recrutement employée (appel de recherche sur les médias sociaux) peut avoir favorisé une surreprésentation des parents qui bénéficient des formes de solidarité sur les médias sociaux. De plus, il est possible que des parents d’enfants autistes ayant un profil différent puissent bénéficier d’autres formes de solidarités de proximité qui ne sont pas apparues dans cette recherche. Enfin, nous ne pouvons pas exclure la possibilité d’un biais de désirabilité sociale lors des entretiens.

Implications

Dans les contextes familiaux où l’enfant présente un diagnostic de TSA, le mandat des intervenants et des travailleurs sociaux vise entre autres à évaluer les besoins (de l’enfant et ceux de la famille) et à accompagner les familles dans leur recherche de soutien et de services d’interventions spécialisées pour l’enfant (Casey et Elswick, 2011; Kahn, 2014; Stoddart, 1998). Dans l’approche écosystémique, la dynamique de la famille est considérée à la lumière de ces interconnexions avec les autres sous-systèmes, eux aussi interconnectés (Van Bergeijk et Shtayermman, 2005). Il s’avère donc important de prendre en compte les besoins des familles ainsi que les ressources disponibles (ou non) dans chacun des espaces sociaux investis par les familles (ex. famille élargie, établissement scolaire, voisinage, communauté, médias sociaux). À cet égard, les résultats montrent que ce ne sont pas toutes les familles qui ont eu accès à des services spécialisés. Plusieurs parents signifiaient également des besoins d’information quant aux différentes prestations et subventions disponibles pour les enfants handicapés. Ces résultats mettent de l’avant l’importance des pratiques de défense des droits (advocacy) dans le rôle des intervenants et des travailleurs sociaux. Ces pratiques impliquent de soutenir les parents et de les outiller afin qu’ils puissent défendre leurs droits ainsi que ceux de leur enfant (Casey et Elswick, 2011; Kahn, 2014). Les résultats de cette recherche nous invitent également à ne pas tenir pour acquis ou surévaluer les solidarités familiales et le soutien que les parents d’enfants autistes peuvent retirer de leur famille immédiate (Herpin et Déchaux, 2004).

Une autre question soulevée par les résultats de cette recherche est celle de la place de l’intervention sociale dans la recomposition de ces nouvelles solidarités médiatisées par le numérique. La mise sur pied d’espaces copensés qui visent l’élaboration de liens entre pairs et le partage de savoirs expérientiels et professionnels sur une base horizontale pourrait se révéler une piste intéressante. Par ailleurs, bien qu’Internet ouvre vers de nouvelles possibilités, il semblerait que ce soit surtout les mères dans le début de la trentaine et issues des classes moyennes qui recherchent et partagent de l’information sur la santé et l’éducation sur le Web (Plantin et Daneback, 2009). De plus, l’accès à un ordinateur et aux informations présentes sur Internet demeure traversé par les inégalités sociales. D’autres recherches devront être conduites afin de voir de quelles façons l’intervention sociale peut, et avec quelles contraintes, accompagner ces solidarités de proximité et apprendre des savoirs expérientiels qui y sont échangés.