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Cette recherche s’appuie sur l’étude des tensions organisationnelles au sein d’une Société Coopérative d’Intérêt Collectif[1] (SCIC), engagée sur la problématique du logement très social aux côtés de populations défavorisées.

Les SCIC sont des sociétés commerciales. Elles sont soumises, de ce fait, à des impératifs de bonne gestion et d’innovation. Ce sont également des coopératives, fondées sur l’association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels. Il s’agit d’ entreprises dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement. Ces coopératives ont pour particularité de se fonder sur le multisociétariat, qui permet de faire accéder au statut d’associé une diversité d’acteurs se distinguant par leur rapport à l’activité (salarié, bénévole, usager, financeur) et leur nature (personnes physiques ou morales, organisations publiques ou privées). Enfin, la SCIC poursuit, à travers sa dynamique multisociétaire, un intérêt collectif qui permet aux différentes parties prenantes de se retrouver autour d’un objet commun, possédant un caractère d’utilité sociale. Le statut de SCIC est la dernière innovation juridique coopérative en France (Sibille, 2012). Elle s’intègre dans le modèle plus international des coopératives multisociétaires à vocation sociale (CMSVS) (Munkner, 2004) qui comprennent au moins deux catégories de membres.

De par leurs caractéristiques, les SCIC répondent aux critères de l’entreprise sociale[2] (Emin et Guibert, 2009). Or, comme le soulignent Nwankwo, Tracey et Phillips (2007, p. 267), le conflit est une caractéristique centrale des entreprises sociales. Les recherches récentes sur ces organisations montrent l’importance des tensions qui s’exercent en leur sein. Les tensions peuvent être définies comme des inconforts résultant de conflits d’idées, de principes ou d’actions (Michaud, 2013). Un certain nombre de chercheurs articulent la question des tensions et l’analyse des entreprises sociales d’un point de vue théorique (Smith et al., 2013; Nwankwo, Tracey et Phillips, 2007). Ces travaux soulignent un manque de recherches empiriques, pourtant nécessaires à une meilleure compréhension des tensions, au sein des entreprises sociales (Smith et al., 2013). Les tensions, dans ces organisations, trouvent leur source dans la coexistence des finalités sociales et économiques (Smith et al. 2013, p. 409) qui juxtaposent des identités, des buts, des logiques et des pratiques divergents. L’article de Smith et al. (2013) propose un état de l’art de la manière dont les tensions se manifestent dans les entreprises sociales. Dans la lignée de cette étude, et en réponse à leur agenda de recherche, nous souhaitons contribuer au courant théorique des tensions. Cette contribution s’appuie sur l’exploration empirique d’une entreprise sociale, permettant de caractériser les tensions propres à ces organisations, ainsi que leurs modalités de gestion. Parmi la diversité d’entreprises sociales, l’analyse porte ici plus spécifiquement sur les CMSVS. Dès lors, l’objectif de cette recherche est d’explorer la nature et la gestion des tensions au sein d’une CMSVS, à savoir une SCIC implantée en région Ile-de-France. Pour ce faire, nous revenons tout d’abord sur les tensions organisationnelles auxquelles sont soumises les CMSVS (1.). Par la suite, la démarche méthodologique déployée est exposée (2.) et les résultats relatifs à la caractérisation et à la gestion des tensions existantes sont présentés (3.) et discutés (4.).

Les tensions organisationnelles dans les CMSVS

Les coopératives sont des formes organisationnelles fondées sur une tension fondamentale entre leurs missions économiques et sociales. Les finalités et objectifs divergents sont articulés par différents groupes organisationnels qui disposent d’un pouvoir partagé (Denis et al., 2007). Les tensions constituent donc un thème de gestion central pour les coopératives qui acceptent, a priori, les tensions et les embrassent (Michaud, 2011).

Définition et enjeux organisationnels des tensions

Les tensions sont des inconforts résultant de conflits d’idées, de principes ou d’actions (Michaud, 2013). Elles sont la conséquence des contradictions et de leur tentative de résolution (Guedri, Zied et al., 2014), les contradictions étant définies comme des principes ayant des effets opposés qui coexistent (Ford et Ford, 1994). Les tensions naissent ainsi d’une opposition entre forces, valeurs, objectifs et principes ainsi que de confrontations entre acteurs organisationnels (Guedri, Zied et al., 2014; Château Terrisse, 2013). Si elles peuvent être potentiellement déstabilisatrices pour les organisations (Jay, 2013), les tensions ne sont pas systématiquement négatives (Lewis, 2000). Elles peuvent tout autant encourager ou entraver les dynamiques organisationnelles. L’organisation peut, sous certaines conditions, tirer des bénéfices de l’entretien et de la conservation de tensions (Battilana et al., 2015). En effet, elles ont comme vertu de pousser l’organisation et ses acteurs à évoluer et à se dépasser, elles révèlent de nouvelles représentations et perceptions. Les tensions suscitent la controverse et sont utiles pour penser des options alternatives et favoriser la co-construction autour d’outils et de visions partagés (Battilana et al., 2015).

Dans le cas des CMSVS, les tensions sont indispensables au bon fonctionnement de l’organisation, dans la mesure où elles permettent d’atteindre des objectifs stratégiques multiples (Ashcraft et Trethewey, 2004; Malo et al., 2013). Elles constituent donc une nécessité vitale, en engendrant des forces opposées mais complémentaires et en dialogue (Bovais, 2014). C’est de la mise en relation de ces différentes forces, de leur articulation spécifique et démocratique, que va naître une gestion plurielle qui évite le déclin identitaire coopératif. Les acteurs organisationnels doivent fournir un travail actif, continu et quotidien, pour gérer les tensions (Bjerregaard et Jonasson, 2014). Poole et Van de Ven (1989) identifient trois modalités de gestion : la séparation, dans le temps ou dans l’espace, des événements ou principes à l’origine de la tension; l’acceptation, qui passe par un équilibrage des forces en présence; la transcendance, qui vise à synthétiser et ainsi à résoudre la tension. La gestion des tensions dans les entreprises sociales induit une multiplicité de réponses, dépendantes du type de tensions. Comprendre le traitement des tensions et leurs incidences, passe par une caractérisation de leur nature et une analyse détaillée de leur manifestation.

La nature des tensions dans les CMSVS

Smith et al.(2013) proposent une typologie des tensions dans les entreprises sociales, sur laquelle nous avons choisi de baser nos travaux[3]. Les auteurs reprennent tout d’abord le modèle de Smith et Lewis (2011), qui proposent une typologie construite autour de quatre types de tensions : les tensions organisationnelles, de performance, d’appartenance et d’apprentissage. Ils déclinent ensuite ces catégories dans les entreprises sociales en analysant les tensions à l’aune de la double dimension économique et sociale. Les auteurs mettent ainsi l’accent sur la diversité de ces tensions et révèlent les principaux défis engendrés par leur manifestation. Cette typologie décline la tension liée à la double finalité, en quatre sous-tensions que nous adaptons aux spécificités des CMSVS.

Les tensions de performance (performing tensions) sont liées à la multiplicité des définitions du succès organisationnel par les différentes parties prenantes (Smith et Lewis, 2011). Cette pluralité des acceptions de la performance se décline dans les critères, démarches et outils d’évaluation visant à mesurer les résultats des missions économiques et sociales. L’évaluation des impacts sociaux implique des démarches méthodologiques non standardisées, ainsi que la construction d’indicateurs qualitatifs parfois ambigus. La dimension économique est, quant à elle, évaluée à travers des méthodes quantitatives standardisées, plus classiques et plus lisibles pour les propriétaires et investisseurs (Ebrahim et al., 2014). Par exemple, une SCIC de circuit court de production alimentaire vise à faire vivre des agriculteurs (dimension économique, mesurable à travers des indicateurs quantitatifs). Elle permet également de sensibiliser les usagers à des moyens alternatifs de produire et de se nourrir ou encore à tisser du lien entre zone urbaine et zone rurale (dimension sociale plus difficilement mesurable et relevant d’une démarche qualitative) (Maignan, 2016). Lorsque l’une des deux démarches évaluatives est privilégiée, elle risque de mettre à mal la mission qui n’est pas évaluée (Battilana et al., 2015).

Tableau 1

Les tensions des entreprises sociales appliquées aux coopératives multi sociétaires

Les tensions des entreprises sociales appliquées aux coopératives multi sociétaires
Source : Auteurs, adapté de Smith et al. (2013, p. 410)

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Les tensions de performance apparaissent quand les organisations cherchent à atteindre des buts variés et en conflit, ou lorsqu’elles essaient de répondre à des attentes incohérentes formulées par des parties prenantes multiples. Dans une SCIC, entreprise commerciale caractérisée par un objet social d’intérêt collectif et par le multisociétariat[4], ces contradictions risquent d’être particulièrement visibles et fortes. La SCIC se différencie ainsi des coopératives classiques, puisque l’homogénéité des membres n’est pas respectée (Borzaga et Spear, 2004), et que les collectivités publiques peuvent entrer au capital[5]. Le défi managérial principal consiste à gérer les attentes potentiellement contradictoires des parties prenantes et à effectuer la synthèse des deux finalités, en particulier quand l’atteinte de l’une des performances se fait au détriment de l’autre.

Les tensions organisationnelles (organizing tensions) résultent, quant à elles, de la coexistence de structures, cultures, pratiques et processus organisationnels contradictoires et en compétition (Smith et al., 2013, p. 410). Ces tensions sont issues de la promotion simultanée, à l’intérieur des organisations, de la collaboration et de la compétition, de l’autonomie et du contrôle (Smith et Lewis, 2011, p. 383). Au niveau des ressources humaines, des tensions peuvent émerger entre les salariés recrutés pour contribuer à la mission sociale et ceux qui participent en priorité à la mission économique (Battilana et Doraro, 2010). Margado (2005) met par ailleurs en avant la nécessité de former les dirigeants de SCIC, soit sur la dimension sociale soit sur la dimension économique, en fonction de leur profil, afin d’acquérir des compétences intégratrices de ces deux dimensions. Enfin, les tensions organisationnelles apparaissent dans le choix du statut juridique de l’entreprise. Certaines formes d’entreprises et de coopération favorisent plus la mission sociale (association), d’autres la mission économique (Société Anonyme par exemple). Ainsi, les défis de la gestion de ces tensions portent essentiellement sur le recrutement et la socialisation des employés ainsi que sur le choix du statut, intégrant ou non les missions de l’entreprise sociale. Le statut de SCIC constitue, pour sa part, un modèle intégrateur. Il convient cependant de se demander si le statut seul suffit à résoudre les tensions organisationnelles ou si au contraire, elles persistent dans les pratiques.

Les tensions d’appartenance (belonging tensions) reposent sur des conflits entre des identités plurielles. Ces identités définissent les perceptions des acteurs sur ce qu’ils sont et ce qu’ils font en tant que membres de l’organisation (Smith et al., 2013). La diversité des identités fait émerger des tensions entre les individus, entre des valeurs et des rôles qui sont en compétition au sein de l’organisation (Smith et al., 2011). Smith et al. (2013, pp. 412-413) soulignent que les tensions identitaires peuvent émerger à deux niveaux. Elles peuvent apparaître entre les sous-groupes qui constituent l’organisation, certains sous-groupes privilégiant la dimension sociale et d’autres la dimension économique. Elles peuvent également être inhérentes au fait qu’un sous-groupe ne se reconnaît pas dans l’identité de l’organisation. Ces tensions sont particulièrement observables dans les organes de gouvernance et lors de la prise de décisions stratégiques (Smith et al., 2011). En effet, ces organes représentent la multiplicité et la diversité des parties prenantes qui peuvent s’exprimer et prennent position sur ce que devraient être les missions et buts de l’organisation.

Les CMSVS font coexister de nombreux sous-groupes (Foreman et Whitten, 2002) qui sont susceptibles d’entrer en conflit dans l’organisation. Dans les SCIC, le multisociétariat et la gouvernance démocratique entrainent une exacerbation de ces tensions d’appartenance (Munkner, 2004). La SCIC réunit des acteurs multiples, ayant chacun un lien différent avec l’organisation, et qui doivent travailler ensemble autour de la définition d’un intérêt collectif (Manoury et Burrini, 2001). Dans une gouvernance multisociétaire, les écarts de logiques entre acteurs privés et publics, ou encore entre investisseurs issus de l’univers de la finance et militants, peuvent être importants. Les incompréhensions entre sous-groupes d’associés sont exacerbées par rapport à une structure coopérative classique (Emin et Guibert, 2009; Munkner, 2004). Dans une SCIC, les tensions seront donc attendues et fortes pour arriver à faire converger les buts et intérêts des sous-groupes (Margado, 2005). Sibille affirme ainsi que « pour la première fois, des logiques d’intérêt qui peuvent être parfois contradictoires, celles des usagers, celles des salariés, celles de la communauté locale(…), se retrouvent dans la gouvernance même de l’entreprise » (2012, p. 116). La gouvernance démocratique veille, quant à elle, à préserver des équilibres entre les sous-groupes et à favoriser l’expression de leurs divergences. Dès lors, la domination ou le pouvoir donné à certains sous-groupes ne peuvent pas s’exercer librement et la gestion des tensions d’identité est rendue complexe. Certaines recherches montrent cependant, que malgré ce principe démocratique, les SCIC n’échappent pas à un risque de domination de la part d’un groupe de parties prenantes en termes de contrôle de l’information ou de compétences (Becuwe et al., 2014). Enfin, l’identité des SCIC est toujours en construction (Margado, 2005) et n’a pas encore trouvé une place spécifique à côté des autres formes juridiques telles que les associations, mutuelles et coopératives « classiques ».

Le défi propre à ce type de tension tient à la construction d’une identité organisationnelle cohérente, à la fois pour les parties prenantes internes et externes. L’entreprise sociale doit ainsi gérer les attentes divergentes entre les sous-groupes et construire une identité hybride en tant qu’entreprise commerciale à finalité sociale vis-à-vis des parties prenantes externes. Dans les CMSVS, la convergence des intérêts entre les différents groupes d’associés demande une régulation spéciale des droits de votes, des représentants dans les organes de gouvernance et du pouvoir (Munkner, 2004).

Enfin, les tensions d’apprentissage (learning tensions) sont liées aux efforts mis en oeuvre pour s’ajuster, se renouveler, changer ou innover (Smith et Lewis, 2011). L’organisation doit se développer et se pérenniser tout en recherchant la stabilité. Ainsi, dans les organisations sociales, le contraste entre les résultats financiers, orientés vers le court terme, et les missions sociales, de long terme, engendre des décisions stratégiques potentiellement contradictoires dans le temps (Smith et al., 2013). En outre, la recherche d’une taille critique peut mettre en péril la mission sociale : l’ancrage local, la confiance, la stabilité des valeurs et l’éthique des fondateurs peuvent être difficiles à conserver lorsque l’organisation croît (Foreman et Whitten, 2002). Dans la SCIC, les résultats financiers sont contraints par une lucrativité limitée, le partage des excédents étant strictement encadré (Margado, 2002). L’enrichissement personnel des associés et investisseurs via la SCIC est donc exclu. Ces contraintes limitent le financement des SCIC et donc leur croissance et leur développement. D’autres recherches mentionnent des problèmes de croissance, la concentration sur le développement économique mettant en péril la dimension sociale (Pallas Saltiel et al., 2013).

Les défis auxquels fait face le management pour répondre à ces tensions d’apprentissage sont nombreux. Il s’agit, d’une part, de gérer à la fois le court terme et le long terme, ce qui conduit à des injonctions stratégiques contradictoires (par exemple, limiter les coûts à court terme alors que l’investissement est nécessaire au développement de l’organisation sur le long terme). Il s’agit, d’autre part, de grandir sans perdre son âme, de tenter de préserver les valeurs et les liens aux communautés locales lors des changements d’échelle, et de gérer la gouvernance participative lorsque l’organisation croît.

Nous proposons de confronter cette typologie à l’étude d’une CMSVS afin d’étudier la manière dont les tensions s’y manifestent et quelles sont les problématiques managériales associées.

Une approche qualitative permettant de révéler les tensions au sein d’Habitats Solidaires

L’approche méthodologique mobilisée dans le cadre de cette recherche est exposée de façon exhaustive dans la section suivante. Cette dernière est suivie d’un récit présentant le cas.

Recueil, condensation et analyse des données recueillies

Cette contribution scientifique s’inscrit dans le cadre du projet PICRI PAP-SCIC[6] (Partenariat Institutions-Citoyens pour la Recherche et l’Innovation, portant sur le Pilotage Alternatif de la Performance au sein des Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif). L’objectif global de ce programme est de proposer une approche plurielle de la performance, en appréhendant les modes de gestion des SCIC. Pour ce faire, l’équipe de recherche a réalisé plusieurs études de cas.

Nous nous appuyons sur l’étude du cas de la SCIC Habitats Solidaires. Cette méthodologie est particulièrement pertinente, dans la mesure où les entreprises sociales constituent un champ de recherche récent, et que les SCIC sont des objets d’étude tout à fait contemporains. Smith et Lewis (2011) encouragent d’ailleurs cette méthodologie afin de mettre en lumière la richesse contextuelle de l’étude des tensions et de parvenir à la production d’idées nuancées. Il s’agit ainsi d’une étude de cas instrumentale (Stake, 1995), qui permet d’analyser les tensions constitutives des CMSVS. En cela, le cas permet d’illustrer et de discuter les tensions préalablement définies dans le modèle théorique.

Le cas d’Habitats Solidaires a été étudié au regard d’une triangulation de données secondaires (site internet, données internes, données publiques) et de données primaires (entretiens semi-directifs). La conduite d’entretiens participe d’une co-construction, entre le chercheur et les personnes interrogées, de la compréhension des éléments vécus par ces dernières. Celles-ci, de par leur fonction, leur spécialité ou leur expérience, vont éclairer le chercheur et lui permettre de mieux appréhender le problème posé (Mishler, 1986). De type semi-directif, les entretiens réalisés s’appuient sur des guides construits autour de grandes thématiques, issues du programme de recherche PICRI PAP SCIC. Ils questionnent le management, la performance plurielle et l’innovation sociale au sein des SCIC : profil et trajectoire de la personne interrogée; dimension historique de la structure; dimension stratégique de l’organisation (analyse stratégique, business model, modèle de développement); dimension organisationnelle (fonctionnement, outils de gestion, critères de performance) et gouvernance externe. Vingt-quatre personnes, appartenant aux différentes catégories de sociétaires membres de la SCIC étudiée, ont été interrogées.

Tableau 2

Personnes interrogées

Personnes interrogées
Source : Auteurs

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La démarche engagée relève d’une exploration hybride, c’est-à-dire une démarche analytique qui invite le chercheur à « procéder par aller-retour entre des observations et des connaissances théoriques tout au long de la recherche » (Charreire-Petit et Durieux, 2007, p. 72). En effet, « c’est à travers une démarche abductive que le chercheur va constamment mêler les caractéristiques de son cas, celles d’autres situations comparables, ainsi que différentes constructions théoriques, faisant ainsi progressivement émerger de multiples raisonnements heuristiques » (De La Ville, 2000, p. 80). Ainsi, c’est après une analyse approfondie de l’organisation et des entretiens réalisés que les tensions organisationnelles sont apparues comme un élément central à étudier, même si cette catégorie d’analyse ne figurait pas initialement dans nos guides d’entretiens.

Le traitement des entretiens passe par une analyse de contenu thématique manuelle[7]. Dans une acception large, l’analyse de contenu est définie comme un ensemble de techniques de recherche utilisées pour décrire et analyser, de manière systématique, différents types de contenu (Vogt, 1999). Dans le cadre de cette recherche, nous mobilisons l’analyse de contenu textuel qui s’applique aux textes et aux transcriptions (Roberts, 1997) et vise à la description compréhensive de l’objet d’étude (Mucchielli, 2006). Il s’agit d’une stratégie méthodologique qui permet d’identifier les tensions, ces dernières étant construites socialement et reconnaissables dans les paroles des acteurs exprimant des contradictions. L’analyse de contenu s’organise autour de trois phases chronologiques : la pré-analyse, l’exploitation du matériel ainsi que le traitement des résultats, l’inférence et l’interprétation (Wanlin, 2007, p. 249). Le choix s’est porté sur une analyse thématique du contenu des entretiens réalisés. « Les codes thématiques sont des codes explicatifs ou inférentiels, qui identifient un thème, un pattern ou une explication émergents suggérés à l’analyste par le site » (Miles et Huberman, 2003, p. 133). Le principe consiste à regrouper des unités de texte issues du corpus au sein de catégories thématiques. Le premier codage des données, exploratoire, a été réalisé sur la base des thèmes du PICRI et notamment autour des dimensions de l’innovation sociale. Cette étape a permis de faire émerger les tensions comme l’une des thématiques d’analyse. Un retour sur la littérature a favorisé l’ancrage de la recherche dans la lignée des travaux de Smith et al. (2011). Partant des différents types de tensions proposés dans la littérature existante, nous avons laissé place à l’émergence de codes de niveaux inférieurs ainsi qu’à de potentiels nouveaux types de tensions jusqu’à stabiliser notre grille de codage.

Récit de vie d’Habitats Solidaires

La compréhension de la création ainsi que de la trajectoire d’Habitats Solidaires s’inscrivent dans l’histoire du secteur du logement social en France, marquée par un déficit chronique de logements et par un rôle central des organisations de l’Economie Sociale et Solidaire.

Habitats Solidaires oeuvre afin de répondre à la demande de logements très sociaux[8]. Elle agit à la fois pour produire des logements accessibles à des populations défavorisées (via la construction, le rachat ou la réhabilitation de logements) et pour accompagner les personnes dans l’insertion par le logement. La SCIC a été créée en janvier 2003 par quatre associations fondatrices : Pour Loger, Solidarités Nouvelles pour le Logement, Bail pour Tous et Médiation Sociale Immobilière. Ces quatre associations, qui oeuvraient alors depuis plus de 10 ans sur la région Ile-de-France à la résolution du mal logement et du mal vivre ensemble[9], se sont réunies afin de s’emparer d’un enjeu de société, l’habitat pour tous, et d’hybrider des compétences et des ressources autour de cet enjeu afin d’innover socialement. « Habitats Solidaires existe depuis 2003. Il a été à l’initiative de plusieurs associations, qui ont voulu créer une structure différente des leurs, qui puisse apporter une idée nouvelle. Au départ c’était pour cela, c’était l’insertion par le logement, dans le logement » (Sal3).

Le projet collectif est né au cours de l’été 2001 sur la volonté du Secrétariat d’Etat au Logement de proposer à quelques structures repérées, la création de SA HLM spécifiques[10]. Pour Loger, qui s’est fait connaître lors des relogements de grands squats parisiens, est sollicitée et engage d’autres associations dans ce projet. Après des incertitudes quant au statut à adopter, le choix du statut de Société Coopérative d’Intérêt Collectif s’est finalement imposé. Habitats Solidaires se définit comme « une entreprise fraternelle d’économie solidaire mixte » dont l’objet est de développer, en partenariat avec la société civile, « le redressement de copropriétés en dérive sociale lourde; le dialogue social, la solidarité et la participation sur les quartiers sensibles; l’habitat très social de proximité; l’habitat coopératif solidaire; les projets associatifs d’accueil de ménages en détresse[11] ». L’action d’Habitats Solidaires vise à lutter contre le « mal logement » et « les marchands de sommeil », grâce à la réinsertion sociale par l’habitat et l’accession à la propriété. Elle s’adresse en particulier aux populations précaires et exclues du secteur du logement social, pour pallier un manque et répondre à une demande sociale. Ses bénéficiaires sont des personnes et ménages exclus de l’accès au logement ou du maintien sur place pour des raisons économiques et sociales en région Ile-de-France. Il s’agit de créer « une structure qui fasse lobby sur le monde HLM pour dire : les populations les plus pauvres vous ne les prenez plus en compte maintenant et cela pose question. » (MFD2).

L’action d’Habitats Solidaires se concentre sur la maîtrise d’ouvrage très sociale de petites opérations. Chacune des structures fondatrices est restée autonome tout en participant initialement au développement de l’organisation. Les actions d’Habitats Solidaires devaient toutefois, dès le lancement du projet, se différencier des actions des organisations fondatrices, en proposant une activité de maîtrise d’ouvrage à destination d’associations ne disposant pas de compétences ni d’agréments dans ce domaine. « Elle produit en petite quantité du logement à caractère très social et réalise du portage de lots dans des copropriétés en difficulté, en vue de permettre un redressement sans exclusion des habitants[12] ». L’activité de portage de lot, complémentaire de la maîtrise d’ouvrage, consiste à acheter des logements à des propriétaires surendettés. La SCIC a aujourd’hui diversifié ses activités et développe également des projets d’auto écoconstruction ou encore d’habitat participatif. Elle co-construit par ailleurs un outil de financement du logement très social (la SCIC Cofinançons notre habitat).

La SCIC Habitats Solidaires s’est aujourd’hui complètement autonomisée vis-à-vis de ses associations fondatrices. Son activité demande toutefois des capitaux propres importants et stables. Son autonomie et sa mission sociale sont ainsi fortement dépendantes de sa capacité à lever des fonds. Habitats Solidaires, dans ses activités, répond à une demande sociale et propose de mettre son savoir-faire au service de projets locaux, portés ou initiés par le tissu associatif, par des collectifs informels ou des collectivités locales. Pour associer à son développement des investisseurs solidaires privés (individuels ou structurés), des investisseurs institutionnels et des collectivités territoriales, elle s’est orientée vers un statut de SCIC. Le choix de ce statut permet une hybridation des ressources, aussi bien humaines que financières, qui favorise les démarches d’innovation sociale fondées sur un ancrage fort dans le territoire. Concernant les ressources humaines, l’équipe salariée s’occupe de la gestion opérationnelle, alors que les grandes orientations stratégiques sont validées par des administrateurs bénévoles lors des conseils d’administration.

Habitats Solidaires est ainsi un cas emblématique d’organisation portant une double finalité économique et sociale, visant la réponse à un besoin social non satisfait, dans un secteur nécessitant des investissements importants. Précurseur dans l’habitat participatif, très active dans les copropriétés dégradées et la lutte contre les marchands de sommeil[13], cette organisation s’adresse à des usagers particulièrement défavorisés.

Les tensions et leur gestion au sein d’Habitats Solidaires

Nous présentons dans cette section les tensions observées au sein d’Habitats Solidaires ainsi que leur gestion. Nous nous concentrons sur les tensions qui découlent des deux caractéristiques propres aux CMSVS, à savoir la double finalité économique et sociale, ainsi que le multisociétariat.

Les résultats sont structurés autour de cinq grandes questions managériales qui sont apparues comme cristallisant les tensions au sein des CMSVS : Comment piloter une CMSVS ? Qui prend les décisions ? Comment travaille-t-on au sein des CMSVS ? Quel est le développement souhaité de l’organisation ? Quelle est la cohérence entre fins et moyens ?

Comment piloter une CMSVS ?

Le premier enjeu managérial porte sur la définition d’une performance plurielle et de ses modalités d’évaluation. De par les caractéristiques du secteur du logement social ainsi que des missions sur lesquelles se positionne Habitats Solidaires, l’atteinte de sa mission sociale met en péril sa pérennité économique : « Si on n’avait pas d’impayés, cela serait…cela voudrait dire qu’on ne ferait pas notre mission » (MFD5). En intervenant auprès de populations souvent insolvables, la SCIC réalise sa mission sociale mais engage sa survie économique. Habitats Solidaires donne ainsi la priorité à sa mission sociale, sous contrainte économique (réaliser des montages financiers afin de mener à bien des projets de production de logements et assurer la pérennité de l’organisation). Les choix stratégiques et la prise de décision chez Habitats Solidaires sont guidés par l’urgence sociale et l’exigence morale, entraînant une prise de risque économique. « Par le militantisme d’une part, de par les difficultés de financement d’autre part,Habitats Solidaires se trouve tout le temps en train de travailler sur des sujets (...) dont toute personne avisée en termes financiers devrait se détourner. Donc c’est toujours extrêmement borderline » (MACT2). La viabilité économique du projet n’apparaît pas comme un critère de décision, mais comme une contrainte à laquelle la SCIC se propose de répondre dans un second temps. On a ici une tension de pilotage qui se maintient dans la durée et est gérée par une séparation temporelle des pôles social et économique. « Il faut être efficace dans la maîtrise de la dépense. Il faut être sélectif, il faut avoir analysé les projets avant d’y aller (…). Mais c’est vrai qu’on est dans une situation où la légitimité de l’activité est telle que, on part du principe qu’il y aura toujours quelqu’un pour faire le chèque dont on a besoin... à la fin. Donc on vit un peu sur cela. Donc c’est un modèle qui n’est pas totalement économique. On est à cheval entre l’économique et le caritatif » (IS4). Le pari sur la capacité à lever des fonds et le déni sur les difficultés économiques de l’organisation nuisent toutefois au développement des activités à plus-value sociale (nombre de logements produits, qualité de l’accompagnement des usagers) et menacent, à terme, de la mettre en danger. « Malheureusement… nous n’avons pas assez de logements à proposer. On n’a pas assez de logements mais on ne peut pas s’étendre plus, sinon ce serait trop. Parce que ce n’est pas que du contrat et de l’édition de quittances et de l’encaissement. C’est trop, trop large » (Sal3).

Tableau 3

Activités menées par Habitats Solidaires

Activités menées par Habitats Solidaires
Source : Auteurs

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Tableau 4

Caractérisation des tensions et de leur gestion à l’aune de grands questionnements managériaux

Caractérisation des tensions et de leur gestion à l’aune de grands questionnements managériaux

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Pour gérer ces tensions de performance, la SCIC a récemment choisi de renforcer sa viabilité économique afin de soutenir sa mission sociale. « Il faut continuer sur cette ligne sociale, très morale, etc. mais en se donnant les moyens de la pérenniser, en appuyant les arrières sur le financement des projets, sur la qualité de la gestion, sur la performance en fait » (IS4). Cette démarche se traduit par la création de deux postes pour améliorer la gestion des impayés (Directeur Administratif et Financier et assistante sociale). Le renforcement de la viabilité économique passe également par le choix des activités stratégiques de la coopérative. Ainsi, le développement de l’habitat participatif[14] permet de mettre en place des projets à la fois viables économiquement et conformes aux valeurs d’Habitats Solidaires. « Et du coup, cela nous a axés, je dirais, beaucoup plus vers l’habitat participatif pour simplement des motifs de survie. (...) On est arrivé un peu en retard mais on a apporté quelques solutions et on est parmi les seuls à réussir » (MFD2). Une autre réponse apportée par la SCIC est la création d’outils et de modalités d’action innovants, permettant de répondre à des situations atypiques et aux contraintes du secteur. « Oui, tout ce qu’on fait ce sont des moutons à cinq pattes. Cela n’existe pas, quelqu’un qui sait faire ce qu’on fait » (MACT3). Habitats Solidaires apparaît comme un « noeud qui permet la réalisation de produits hors normes » (MACT3), à travers le développement d’outils innovants de nature financière, technique et sociale.

« Et puis, il y a la problématique de projets qui sortent justement des cases, et là, à chaque fois c’est du sur-mesure, je pense. Donc il y a une question qui va… enfin, à chaque fois, on se pose la question de comment financer. Mais là il va falloir, à chaque fois, trouver la bonne solution adaptée au projet et c’est aussi l’avantage (…) d’être réactif, de savoir-faire du sur mesure, de savoir inventer, de ne pas avoir peur de la spécificité »

Sal9

La création d’une SCIC de financement de l’habitat participatif, la conception et la construction de maisons écologiques en kit à destination de populations roms et des gens du voyage, l’introduction du logement très social dans les projets d’habitat participatif illustrent cette dimension innovante.

La tension de pilotage est renforcée par la place accordée à l’évaluation des performances au sein de la SCIC. Habitats Solidaires ne dispose pas de référentiel d’évaluation et produit très peu de données formalisées. D’une part, on identifie une préférence claire pour l’action, au détriment de l’évaluation. « Moi, je préfère l’action personnellement donc cela ne me choque pas. (...) La quantification d’impacts, (…) cela peut prendre… une part très importante des forces de travail si on voulait le faire de façon professionnelle. Donc je trouve que cela serait au détriment de l’activité. (...) L’utilité sociale, elle est évidente » (IS4). D’autre part, une évaluation de la performance sociale des projets nécessiterait la prise en compte de critères d’impact social complexes et difficiles à évaluer, tels que l’impact de la localisation du logement, la mixité sociale ou l’insertion des usagers dans le tissu local. Enfin, le fait d’intervenir sur des projets originaux, sans étapes de déroulement standardisées[15], dont la durée et l’évolution sont souvent incertaines, ajoute à la difficulté d’évaluation. Dans ce contexte, l’arrivée du DAF vise à mettre en place des démarches évaluatives et à renforcer les outils. La création de référentiels d’évaluation est par conséquent en cours, mais demande d’importantes ressources et engendre des difficultés pour créer le consensus autour d’une norme commune.

Qui prend les décisions au sein de la CMSVS ?

Cette question renvoie directement à la réalité du management des multiples parties prenantes, propre à toute coopérative multisociétaire.

Tout d’abord, l’on constate que la participation des usagers finaux (locataires ou propriétaires) dans les processus de décision est très limitée. Cela pose la question d’une réelle représentation au sein de la coopérative. Le collège des usagers est ainsi exclusivement composé d’acteurs institutionnels (associations bénéficiaires), et non d’usagers locataires ou propriétaires. « Là où le bât blesse dans cette SCIC, c’est que les usagers ne sont pas représentés, ou quasiment pas, dans la mesure où il n’y a que les institutionnels qui (le) sont » (Sal6). Les membres interrogés justifient ce défaut de participation par la difficulté à mobiliser des publics en situation de grande précarité, cumulant difficultés sociales et économiques, et dont l’implication dans la gouvernance nécessiterait un effort pédagogique important. Cet état de fait participe d’un manque de cohérence dans l’identité de l’organisation vis-à-vis du groupe des usagers et génère ainsi des tensions d’appartenance. Face à ce défaut de participation des usagers, la SCIC adopte une stratégie d’innovation sociale en proposant des modalités de participation non-statutaires, informelles qui visent à impliquer les usagers dans la conception et la construction des logements.

On identifie également une tension d’appartenance entre deux groupes d’acteurs au sein du CA. Ces deux groupes sont caractérisés par des identités divergentes, le premier défendant l’engagement moral de la SCIC, alors que le second privilégie la prise en compte des risques juridiques et financiers dans la prise de décision. « On sent bien, si vous voulez, qu’il y a un pseudo clivage, à mon avis, entre les militants purs et durs et puis d’autres qui voudraient bien qu’un minimum de considération, je dirais juridique ou financière, orthodoxe, puisse être mise en avant » (MACT2). Le groupe militant revendique une proximité vis-à-vis des réalités du terrain et est prêt à prendre des risques pour mener à bien la mission sociale. Inversement, le groupe institutionnel, plus prudent, opère comme garde-fou juridique et financier à travers sa culture plus bureaucratique et son aversion au risque. « Quand on essaie de jouer son rôle d’administrateur on se retrouve un peu comme celui qui aurait demandé à Mère Térésa de mettre des issues de secours aux normes dans ses camps. Et donc, c’est une question qui est difficilement tenable » (IS4). Cette tension est illustrée par le foyer des Sorins (squat à Montreuil) qui constitue un cas emblématique des divergences entre les deux groupes.

Cette tension tend à s’accentuer avec le temps. La taille croissante de l’organisation, le recrutement de nouveaux administrateurs institutionnels, le départ des membres fondateurs, créent un éloignement vis-à-vis des valeurs initiales et un rééquilibrage en faveur du groupe institutionnel. La tension entre les groupes militant et institutionnel est acceptée car elle participe à la pérennisation de la SCIC, en favorisant la prise en compte de la double finalité dans les prises de décisions du CA. On constate, sur le long terme, une tendance à renforcer le groupe institutionnel afin de rééquilibrer les forces au sein du CA et d’introduire une logique gestionnaire qui contrebalance la logique militante. Le récent recrutement du DAF, qui participe également au CA, témoigne de cette volonté.

Comment travaille-t-on au sein de l’organisation et avec les partenaires ?

En interne, tout d’abord, les salariés sont confrontés à une double mission d’accompagnement social des usagers et de maintien de l’équilibre économique de la SCIC, via le recouvrement des loyers. « Il y a une dame qui est malade dont la résiliation du bail a été décidée au tribunal mais qui n’a jamais été expulsée, (la décision) n’a jamais été exécutée parce qu’elle est dans un mauvais état de santé. Bon, ça c’est la politique très humaine et très sociale d’Habitats Solidaires. Mais bon, on se retrouve aujourd’hui avec 26 000 € de dettes sur ce logement-là » (Sal9). Par ailleurs, lors de la création de la SCIC, les recrutements ont été effectués sur des critères d’insertion par l’activité économique ou de militantisme, plus que sur des critères de compétences. « C’est lié à son histoire [Habitats Solidaires] et c’est lié au fait qu’ils ont recruté des gens en grande difficulté, mais qu’ils n’étaient pas équipés pour les animer » (MACT3). Enfin, chez Habitats Solidaires, le militantisme est développé chez certains salariés mais n’est pas une caractéristique homogène et commune. Ainsi, la coopération entre salariés est rendue complexe par un référentiel de valeurs hétérogènes qui créé une tension d’appartenance entre deux sous-groupes identitaires. Ces différents choix managériaux créent des tensions organisationnelles que la SCIC tente de résoudre à travers une gestion par la synthèse. En effet, les derniers recrutements ont visé des profils plus expérimentés, combinant des compétences économiques et techniques reconnues et une sensibilité sociale. Ils intègrent ainsi dans leur identité professionnelle la double finalité de la SCIC. « J’ai fait une école de commerce d’abord et j’ai fait un Master en solidarité internationale, donc je suis partie à l’étranger ensuite, en Côte d’Ivoire essentiellement, où j’ai passé un peu plus d’un an, où j’ai travaillé pour un ministère d’Etat là-bas. Donc, je suis revenue. J’ai entamé cette formation d’assistante sociale et... voilà. Mon premier poste, en la matière, depuis septembre 2012 » (Sal6).

Quant au choix des partenaires pour la production de logements, il est fortement marqué par la tension de performance. La SCIC choisit des partenaires engagés dans l’insertion par l’activité économique. Ce choix implique des délais de réalisation plus longs, un besoin d’accompagnement plus important, des risques sur la production, mais renforce la dimension sociale et territoriale du projet.

Quel développement pour la CMSVS ?

Une première tension est liée à la taille critique de l’organisation. La petite taille d’Habitats Solidaires limite sa capacité de réponse à la demande sociale et son accès aux financements. La SCIC a tendance à attirer de petits financeurs et a longtemps eu une attractivité limitée pour des investisseurs plus importants. En outre, sa petite taille ne permet pas à la coopérative d’être associée aux projets de grande ampleur portés par l’Etat dans le secteur du logement social. Pourtant, le capital de la SCIC augmente régulièrement, et avec lui la notoriété de l’organisation, de plus en plus souvent sollicitée. Cette croissance nécessaire risque cependant de réduire son agilité et sa capacité d’adaptation et d’innovation. Elle tend à l’écarter de ses valeurs initiales, du fait de l’éloignement ou du départ des membres fondateurs et de l’institutionnalisation qui diminue la liberté d’action et la prise de risques. « On a eu un CA qui a beaucoup changé là, ces dernières années, peut-être un peu trop vite, ce qui fait qu’on a manqué un peu d’harmonie dans les choix politiques de la SCIC. C’est un peu le danger du fait d’avoir grandi un peu vite quoi, enfin (en termes de) capital » (MFD4).

Par ailleurs, l’on observe une tension liée aux différentes temporalités (court terme/long terme). Les décisions stratégiques sont prises en fonction de l’urgence sociale ou dans une logique de survie à court terme de l’organisation. Cette immédiateté conduit à un manque de visibilité, notamment en termes financiers, qui entre en contradiction avec la nécessité d’engager des investissements sur plusieurs décennies.

« En interne c’est une conception des flux et de la gestion des comptes financiers. C’est toujours l’arbitrage entre investissements et fonctionnement sauf que, je dirais, la partie investissements est très prégnante puisqu’on est dans le dur, on est dans la durée. Cela veut dire qu’on est dans la contradiction permanente de l’immédiateté de l’entreprise et de la survie de l’entreprise qui est sur des cycles courts en règle générale et les investissements qui sont à 30, 40 et 50 ans, en termes d’amortissement »

IS5

La gestion de ces tensions passe par une sécurisation des ressources financières via un travail sur les outils de financement : création d’une SCIC de financement de l’habitat participatif, projet de fondation, augmentation de la part des capitaux publics dans la SCIC. Ces différents outils visent à sécuriser les fonds propres et à les conserver dans la durée en jouant sur le prolongement et le renouvellement des avantages fiscaux associés à l’investissement solidaire. « Nous, ce qu’on veut faire c’est un circuit court. C’est-à-dire que [...] on utilise deux outils qui sont la SCIC « Cofinançons [ notre habitat ] » et on essaie de finaliser la création d’une (…) fondation autonome, une fondation reconnue d’utilité publique. Avec cela, on a tous les outils qui peuvent exister dans la finance pour capter des donateurs, des mécènes et des investisseurs » (MACT3). La gestion relève ici à la fois d’une stratégie d’innovation ainsi que d’une gestion par la transcendance avec la création d’une SCIC de financement (circuit de financement social et solidaire).

Quelle cohérence entre les moyens déployés et les fins recherchées ?

Cette dernière question managériale nous amène à présenter une catégorie de tensions qui émerge dans les discours des acteurs et vient compléter la typologie initiale de Smith et al. (2013). Il s’agit des tensions relatives à l’articulation entre moyens et fins. Si elles ne font pas l’objet d’une identification dans la typologie initiale, elles sont cependant évoquées dans Smith et al. (2011) comme résultant de l’interaction entre les tensions de performance et les tensions organisationnelles. Comme le suggère le principe d’équifinalité, une même finalité peut être atteinte par une multitude de moyens et de processus (Hrebiniak et Joyce, 1985, p. 338). Dans le cas des CMSVS, une tension éthique peut apparaître lorsqu’une finalité sociale, i.e. non instrumentale, est poursuivie en contradiction avec les moyens mobilisés. Autrement dit, l’éthique de l’organisation se résume-t-elle à sa finalité, ou doit-elle s’étendre aux moyens mobilisés ? La tension éthique apparaît dès lors que cette question pose des difficultés dans les choix stratégiques et opérationnels de l’organisation. Pour exemple, elle apparaît autour du choix des investisseurs et financeurs de la SCIC. Elle est associée à l’origine des ressources financières (éthique des circuits de financement) et à l’authenticité des valeurs portées par les investisseurs (finalité sociale versus retour sur investissement). Cette tension n’apparaît pas dans le lien aux institutions publiques, qui partagent la mission sociale d’Habitats Solidaires, mais dans le lien aux investisseurs privés institutionnels (banques, fonds d’investissement), y compris ceux se réclamant d’une démarche éthique ou solidaire. « Et c’est pour cela que dans le Conseil d’Administration, il y a des financeurs, des gens qui ont une activité classique de banque et qui, par ailleurs, j’allais dire, se donnent bonne conscience en donnant de temps en temps trois sous aux pauvres gens » (MACT2). La tension éthique s’exprime également dans le décalage entre des finalités associées au modèle coopératif et les moyens mis en oeuvre au sein de la SCIC. En effet, le manque d’accompagnement et d’intégration des salariés ne reflète pas les valeurs affirmées de solidarité et de lien social. De même, l’absence d’un management participatif est en contradiction avec le positionnement alternatif de l’organisation. Par ailleurs, le manque de représentativité de certains collèges témoigne des limites de la gouvernance démocratique. « Dans l’équipe, enfin, dans le fonctionnement interne à Habitats Solidaires, (…) on n’est pas dans un fonctionnement coopératif » (Sal4). Enfin, la mise en avant de la finalité sociale peut légitimer des pratiques discutables. « Et donc, ce sentiment de la légitimité fondamentale de ce qu’on fait, qui finalement pourrait justifier une certaine légèreté dans la manière de faire, me semble un mauvais positionnement. Et pour moi c’est une des fragilités (…) du fonctionnement actuel d’Habitats Solidaires (…) en tout cas de son Directeur » (IS4).

La construction d’outils et d’un réseau de financement alternatif et l’internalisation des circuits de financement permettent d’augmenter la part de la finance solidaire dans les projets de l’organisation. La SCIC adopte en parallèle un discours pragmatique : il s’agit de créer des structures de financement pour favoriser des effets de levier sur les fonds levés et développer les projets sociaux. « Un outil financier éthique cela voulait dire plusieurs choses : c’est que son objet social ne devait pas être discutable et l’immobilier social n’est pas discutable; mais il doit également rapporter de l’argent aux gens qui souscrivent des parts. Et, ce n’est pas parce qu’on capte de l’épargne généreuse qu’elle doit être maltraitée » (IS2). Concernant les autres dimensions de la tension entre finalités et moyens, Habitats Solidaires n’a pas encore pu apporter de solution managériale.

Discussion et conclusion autour des résultats

Après avoir développé les différents types de tensions et la manière dont l’organisation étudiée les gère, une discussion est engagée sur deux axes. Le premier vise à étudier les spécificités du statut de SCIC dans l’analyse des tensions et dans le cadre plus global des CMSVS. Le deuxième porte sur l’intérêt de représenter les entreprises sociales comme des noeuds de tensions pour les praticiens et les chercheurs.

La SCIC comme statut juridique intégrateur des tensions

La SCIC est une forme récente d’entreprise sociale qui intègre les missions sociale et économique (Ebrahim et al., 2014). Elle devrait ainsi aboutir à l’acceptation, voire au dépassement, des tensions provoquées par cette double mission. Contrairement à la vision des auteurs sus-cités, nous montrons que le statut seul ne suffit pas à équilibrer les missions, à clarifier les enjeux de gouvernance et à transcender les tensions. En effet, si le statut est un garde-fou pour éviter que la mission économique ne phagocyte la mission sociale (Arnaud et al., 2016), il doit être traduit dans les pratiques de gestion afin de garantir la double finalité à long terme (Girard, 2010). Parfois même, le statut peut exacerber les tensions. Pour exemple, en limitant les gains financiers, il restreint les financements et met en danger la mission économique. La SCIC peine ainsi à dépasser les difficultés de financement rencontrées de manière historique par les coopératives (Desroche, 1976). De plus, le statut de SCIC projette des principes fortement contradictoires au sein des organisations. Plus qu’un statut associatif, celui de coopérative valorise la mission économique et oblige à une pérennisation de l’activité, due à la présence de salariés, de partenaires financiers et à une autonomie plus large vis-à-vis des subventions publiques.

En partageant le pouvoir, la gouvernance engendre des décisions fondées sur le compromis, plus longues à formuler et plus instables. Le multisociétariat garantit un équilibre entre les deux finalités à travers les modalités de gouvernance et l’existence de groupes organisationnels qui portent prioritairement les finalités économique ou sociale. Il renforce néanmoins les tensions identitaires et n’aide pas à clarifier l’organisation du sociétariat, parfois même il la complexifie. Respecter formellement les votes par collèges ainsi que leur représentativité est une gageure ici non tenue. La multitude d’intérêts divergents en présence doit pourtant converger vers la définition d’un intérêt collectif et d’objectifs partagés (Manoury et Burrini, 2001). Les écarts de logiques entre les acteurs peuvent, ainsi, amener des incompréhensions paralysantes et plus fortes que dans une structure coopérative classique, composée d’une seule catégorie de membres (Girard, 2010).

Enfin, le statut est peu reconnu et, étant intégré, il peine à construire sa légitimité auprès des pouvoirs publics pour la partie sociale et auprès des banques et investisseurs pour la partie économique. L’intégration est peu lisible et nécessite un combat, de la communication et de la pédagogie pour être compréhensible et acceptée par les parties prenantes.

Finalement, le statut intégrateur de SCIC n’est pas favorable à une gestion des tensions par exclusion et oblige à les accepter ou les transcender. Il forme un cadre contraignant qui force les acteurs à considérer à la fois la mission sociale et la mission économique, sans pour autant donner les moyens organisationnels et opérationnels de les transcender. Par ailleurs, nous avons vu émerger une forme complémentaire de gestion des tensions par l’innovation, qu’elle soit sociale, technique ou encore organisationnelle. Le statut SCIC, en favorisant l’hybridation des ressources et des compétences, favorise ainsi, dans le cas étudié, l’émergence de l’innovation ainsi qu’une capacité d’adaptation face aux situations inhabituelles. Toutefois, au-delà de la phase d’innovation, une réflexion sur les principes de management retenus est indispensable pour gérer les tensions organisationnelles et les tensions de cycle de vie. Le statut sous-tend l’acceptation des deux finalités mais ne dit rien sur la manière de les gérer dans l’organisation quotidienne et dans le temps. En cela, une co-construction par les acteurs de solutions innovantes ou intégratrices est requise.

Cette recherche contribue également aux recherches sur les CMSVS en tentant d’en montrer et saisir la complexité, comme le demande Girard (2010). Les résultats invitent à mener des études de cas comparées à l’international sur la problématique des tensions organisationnelles et permettent ainsi d’enrichir ce courant de recherche, en mettant en exergue un enjeu managérial prégnant pour ces organisations. En identifiant les tensions, nous montrons comment une CMSVS cherche à concilier des intérêts d’acteurs variés, enjeu majeur de sa gestion. Quand les tensions sont connues et gérées, les acteurs sont disposés et habitués à travailler sur des contradictions et ne cherchent pas nécessairement à les réprimer. Ainsi, les conflits se manifestent moins car les tensions sont prises pour acquises et sont travaillées au quotidien.

Une nouvelle métaphore : le noeud de tensions pour représenter les CMSVS

Cette recherche met en évidence l’importance des tensions au sein des CMSVS. La tension principale de finalités est persistante car elle est constitutive du statut et irrigue l’organisation de tensions reliées et interdépendantes. Elle se décline tout d’abord dans les tensions de performance qui peuvent fragiliser l’organisation, mais aussi stimuler l’innovation. Cette tension centrale est également constitutive des tensions organisationnelles qui mettent en oeuvre la double finalité dans des pratiques qui peuvent être ambiguës et contradictoires. Les tensions d’appartenance, quant à elles, confrontent des groupes organisationnels hétérogènes défendant principalement soit l’une ou l’autre des finalités. Les tensions d’apprentissage, également, surgissent dans le temps, lorsque la coopérative se développe et qu’elle valorise l’une ou l’autre des missions. Enfin, la cette tension de finalité centrale se traduit dans les tensions éthiques, qui posent la question de l’articulation entre moyens et fins. Ces tensions sont imbriquées, entremêlées et reposent sur des contradictions engendrées par la recherche simultanée des finalités. Cette centralité du thème des tensions dans la gestion des CMSVS nous conduit à proposer une nouvelle représentation organisationnelle, celle d’un noeud de tensions.

Morgan (2006) propose plusieurs images de l’organisation. Il la définit tour à tour comme une machine, un organisme, un cerveau ou encore comme un système de flux en transformation permanente. Mais force est de constater que la métaphore dominante pour les économistes, les financiers et les juristes (voire les gestionnaires) est celle de noeuds de contrats (Coriat et Weinstein, 2010). De ce point de vue, la firme n’est rien d’autre qu’une fiction ou qu’une entité agrégative qui se matérialise par un noeud spécifique de relations contractuelles entre des personnes physiques. En cela, l’entreprise est avant tout une continuité du marché. Les acteurs n’existent donc qu’au regard de contrats supposés libres (Chassagnon, 2012). Cette conception vise à affirmer la prééminence du marché comme forme fondamentale d’organisation sociale et conduit à promouvoir l’entreprise capitaliste comme la forme d’organisation la plus efficiente, alors que l’entreprise publique et la firme autogérée sont supposées inefficientes (Coriat et Weinstein, 2010).

Cette image nous semble peu adaptée pour représenter les entreprises sociales et les coopératives. En effet, celles-ci ne mettent pas en oeuvre des mécanismes exclusivement marchands ou contractuels et ne résument pas leur finalité à sa dimension économique. L’importance des tensions au sein des CMSVS nous amène à considérer que ces organisations sont le résultat d’interactions entre individus qui évoluent en permanence sous la contrainte de la double finalité. Les tensions et leur prise en compte constituent le mécanisme clé de coordination dans l’organisation. A l’instar des recherches qui considèrent que la communication est le facteur constitutif de l’organisation (Cooren et al. 2011; Fairhust et al. 2016), nous proposons de retenir les tensions comme facteur constitutif des CMSVS. Nous répondons ainsi à l’appel de Putnam et al. (2016) à considérer les contradictions comme une méta-perspective et à en faire une dimension constitutive des organisations. Les CMSVS sont ainsi constituées de tensions et s’organisent à travers elles. Ces coopératives ne sont pas simplement des entités soumises aux tensions, au contraire, les tensions les produisent et les structurent. Les tensions sont le moyen central par lequel les organisations sociales et les CMSVS naissent et perdurent. Les tensions sont ainsi l’élément clé, vital et constitutif des CMSVS et plus largement des entreprises sociales. Le noeud de tensions décrit la nature profonde de ces organisations qui visent à réunir des dimensions contradictoires. Chaque CMSVS est, dès lors, un ensemble singulier de tensions, ce qui rapproche cette représentation des théories évolutionnistes qui expliquent la diversité des formes organisationnelles par les routines et leur processus de résolution de problèmes (Coriat et Weinstein, 2010). Cependant, cette représentation s’en éloigne par le fait qu’il n’y a pas d’automatisation dans la résolution des tensions et que l’organisation, conçue comme noeud de tensions, reconnaît les conflits entre acteurs comme des éléments moteurs de la vie organisationnelle et non comme une simple dissonance cognitive.

La force de la métaphore est de provoquer un raisonnement analogique créatif (Schoeneborn et al., 2016). Le noeud solidifie, stabilise et coordonne des éléments entre eux. Les types de noeuds sont multiples, complexes, ils mobilisent des compétences pour les nouer et les dénouer. Ainsi, la CMSVS est fondée sur le noeud fondamental imbriquant l’économique et le social qui se décline ensuite en sous-noeuds. Ce noeud principal liant les finalités économiques et sociales est indénouable : son existence est la garantie que la CMSVS assure simultanément ses missions et ne délaisse pas l’une d’elles en vue de simplifier sa gestion. Il est constitutif des CMSVS et permet de les distinguer des entreprises aux statuts classiques, fondées sur des finalités économiques pures, ou encore des associations ou des organisations à buts philanthropiques, fondées sur des finalités sociales. Cependant, chaque CMSVS est un système particulier de noeuds de tensions. Si le noeud de finalités est constitutif et est donc nécessairement présent dans ce type d’organisation, il est décliné en sous noeuds évolutifs qui sont spécifiques au secteur et aux caractéristiques de chaque organisation. Cette métaphore permet ainsi de montrer la pluralité des tensions, leurs niveaux multiples et inter-reliés (Putnam et al., 2016).

Pour les praticiens et les chercheurs, cette métaphore a le mérite de mettre en lumière les tensions comme élément constitutif, explicatif et structurel d’une entreprise d’économie sociale. Les tensions se manifestent en effet dans ces organisations, elles expliquent leur fonctionnement et leur mode de coordination et elles structurent les relations et les actions. Cette représentation souligne les dangers mais également les aspects positifs des tensions. Un noeud peut étrangler et mettre en péril l’objet qu’il enserre mais il peut également le solidifier et aider à sa maîtrise. Les tensions et leur gestion peuvent alors générer de l’innovation sociale, encourager les actions qui lient l’économique et le social, développer des alternatives et aider à construire une vision commune et partagée. Nous invitons les chercheurs à s’emparer de la métaphore du noeud de tensions. De futures contributions empiriques mettraient cette métaphore à l’épreuve des réalités multiples des CMSVS. Ces recherches contribueraient ainsi à analyser plus avant la nature des entreprises sociales au regard des tensions qui leur sont constitutives. Enrichies par la littérature sur les paradoxes ou la dialectique, ces recherches permettraient d’affiner la caractérisation des tensions et de leur gestion.