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Aujourd’hui, les entreprises évoluent dans un environnement mondialisé et extrêmement compétitif. La globalisation des marchés, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la libération des échanges et la pression exercée par les actionnaires, ont fait des opérations de fusion-acquisition la pierre angulaire des stratégies de croissance. Le phénomène des fusions-acquisitions n’est point une problématique récente. Ce mode de croissance fait l’objet d’attention particulière depuis la fin des années 1960 comme le remarquent Meier et Schier (2009).

Afin d’annoncer la naissance d’une nouvelle entité post fusion-acquisition, nombreuses sont les entreprises qui recourent au « rebranding » comme un moyen pour communiquer la nouvelle identité d’entreprise (Lambkin et Muzellec, 2010). Si ce changement de nom de marque est un sujet largement étudié dans le domaine du marketing (Daly et Moloney, 2004; Merrilees et Miller, 2008; Mogos Descotes et Pauwels-Delassus, 2015), il le demeure moins dans le domaine de gestion des ressources humaines (Stuart, 2012; Edwards et Edwards, 2013; Pauwels-Delassus et al., 2014). De surcroit, hormis quelques rares recherches francophones (Gagné 2012; Pauwels Delassus et al., 2014), la littérature traitant des attitudes et des comportements des employés suite à un rebranding demeure majoritairement anglo-saxonne.

Par ailleurs, comme le soulignent Pauwels-Delassus et al. (2014, p.46) « la littérature sur la résistance au changement est riche mais n’a pas été abordée dans le champ des marques ». Partant de là, notre étude vise à traiter le sujet du rebranding post fusion-acquisition sous l’angle de la résistance au changement, en tentant d’appréhender ses éventuelles répercussions au travail. Dans cette visée, l’intention de départ des salariés nous semble de loin la conséquence la plus préoccupante pour les gestionnaires des ressources humaines. Cet intérêt est légitimé, en grande partie, par les coûts exorbitants liés à un taux de roulement élevé. A cet égard, la relation entre la résistance au changement et l’intention de quitter a été validée par diverses recherches (Lapointe et Rivard, 2005; Oreg, 2006; Neves, 2009). Toutefois, le défi est de démontrer que cet impact demeure encore très réel pour le rebranding post fusion-acquisition, qui reste une forme particulière de changement organisationnel. Par ailleurs, bien que l’effet de la résistance à un changement sur les intentions de quitter ait été validé empiriquement par nombreuses études, il demeure que nous en savons peu sur les processus par lesquels un tel effet est produit. En effet, il est impératif de comprendre les mécanismes au travers desquels la résistance au rebranding post fusion-acquisition pousserait les employés à songer à quitter leur entreprise. L’examen de la littérature spécialisée révèle que la question des mécanismes intermédiaires demeure entière (Rafferty et Restubog, 2010). Toutefois, les auteurs sont peu unanimes quant aux variables organisationnelles et individuelles susceptibles de décomposer l’effet de l’opposition au rebranding sur l’intention de quitter en un ensemble de liens indirects. De plus amples éclairages doivent, à notre sens, être apportés quant aux effets de ces mécanismes intermédiaires.

Au regard de ce « gap », notre présente recherche vise à élucider comment une réaction individuelle face à un rebranding post fusion-acquisition contribue à expliquer les intentions de quitter. Plus spécifiquement, notre étude tente d’examiner les mécanismes intermédiaires du processus au travers duquel la résistance au rebranding post fusion-acquisition affecterait l’intention de départ volontaire. Pour répondre à cette interrogation, nous avons mené une revue de la littérature spécialisée qui nous a permis d’esquisser un modèle dans lequel l’engagement affectif envers le changement et l’engagement organisationnel affectif seraient des variables médiatrices séquentielles (en série).

Nous commencerons par brosser, dans une première partie, le cadre théorique et les hypothèses de recherche. La seconde partie de cet article sera consacrée à la méthodologie et aux résultats d’une étude que nous avons menée auprès d’un échantillon de 107 salariés travaillant dans une entreprise tunisienne de télécommunication qui a connu un rebranding post fusion-acquisition en 2014. Nous terminerons par une discussion des résultats de notre enquête et la proposition de pistes pour de futures recherches.

Cadre théorique et hypothèses

Le rebranding post fusion-acquisition : une forme particulière de changement

Selon Muzellec et Lambkin (2006), le rebranding est un néologisme composé de deux termes : « re » et « brand ». Le préfixe « re » signifie usuellement une nouvelle action. Quant au mot « brand », il correspond à la traduction anglaise du terme « marque » qu’on peut définir comme étant un concept permettant de distinguer un produit ou service de ceux de la concurrence. Le rebranding est donc la création d’un nouveau nom ou d’un nouveau symbole, ou une combinaison entre eux afin de créer une nouvelle position différenciée dans l’esprit des différentes parties prenantes de l’organisation. Daly et Moloney (2004) expliquent que le rebranding consiste non seulement à changer une partie ou la totalité des éléments physiques ou tangibles de l’image; mais aussi, les éléments incorporels, intangibles comme les valeurs, l’identité, voire les sentiments formant les éléments de la marque. En d’autres termes, le rebranding n’est pas réduit à la modification de l’identité visuelle de l’organisation; il induit plutôt un changement plus approfondi qui toucherait aussi à l’identité organisationnelle (Hankinson et Lomax, 2006).

Généralement, une décision de changement de nom accompagne, dans la majorité des cas, les opérations de fusion-acquisition pour représenter l’entité combinée (Lambkin et Muzellec, 2010; Goi et Goi, 2011). Dans ce cas, l’acquéreur se trouve face à un double défi : d’une part, il doit maintenir le capital existant voire l’améliorer. D’autre part, il doit adopter la meilleure manière pour communiquer le changement de nom afin de gagner plus de parties prenantes, et préserver ainsi la valeur de la marque.

Le changement de nom de marque, dans le cas d’une fusion-acquisition n’est pas un objectif en soi, bien plutôt c’est une décision stratégique et collective. Lambkin et Muzellec (2008) estiment que, suite à une opération de fusion, la décision de rebranding doit être bien réfléchie car le changement de la marque peut s’avérer risqué. L’organisation doit faire attention à tous les éléments susceptibles d’être touchés par la procédure de changement de la marque. Dans cette perspective, Muzellec et Lambkin (2006) expliquent que la faute la plus grave serait de focaliser sur les clients et négliger les employés qui sont pourtant des éléments centraux de la marque pouvant soit renforcer soit affaiblir sa valeur (Harris et De Chernatony, 2001). Dans la même veine, Gotsi et Andriopoulos (2007, p.346) mettent en garde contre une ‘myopie des stakeholders’, où certaines parties prenantes, en l’occurrence les salariés, se trouvent marginalisées lors d’un rebranding. En effet, le rebranding, notamment suite à une fusion-acquisition, implique forcément des changements dans différents aspects, et les organisations doivent s’appuyer de plus en plus sur leurs employés pour mieux s’y adapter. Or, il arrive souvent que ces derniers résistent au changement et cette résistance est susceptible d’entraver le processus de transition vers la nouvelle marque.

La résistance : principale réaction suite au changement

Plusieurs études montrent que le changement organisationnel est une expérience stressante pour les employés (Oreg et al., 2011; Paillé, 2012). Comme tout changement, une fusion-acquisition accompagnée d’un rebranding même si elle est bien planifiée, demeure un sujet d’inquiétude voire d’anxiété (Meier et Schier, 2005; Pauwels-Delassus et al., 2014). Pour autant, ce sentiment de stress et d’anxiété reste légitime dans un contexte de changement, dans la mesure où l’individu passe vers l’inconnu (Bovey et Hede, 2001; Agboola et Salawu, 2011).

Comme l’explique Paillé (2012, p.73), « le rejet du changement découle d’une évaluation négative. Dans ce cas, qu’il soit lié à l’incompréhension des objectifs poursuivis ou une perception négative de ses enjeux, le contexte de transition organisationnelle engendre des résistances d’intensité variable ». La revue de littérature fait ressortir différentes formes de manifestations de cette résistance. Herscovitch et Meyer (2002) proposent une distinction entre la résistance active, où l’employé s’engage ouvertement dans des comportements visant à entraver le changement (exemple : sabotage), et la résistance passive, qui correspond plutôt aux comportements dissimulés et subtils dans le but de nuire au changement (exemple : rétention de l’information). Piderit (2000) et Oreg et al. (2011) suggèrent, quant à eux, la nécessité de distinguer trois composantes réactionnelles, à savoir : affective, cognitive et comportementale. La dimension affective désigne les sentiments suscités par le changement. La composante cognitive renvoie quant à elle au jugement ou évaluation du changement par l’individu, tandis que la composante comportementale fait référence aux actions et intentions d’agir en réponse au changement (Piderit, 2000). Même si ces trois composantes de la résistance restent liées entre elles, il n’est pas rare de constater une certaine ambivalence entre les émotions, les cognitions et les comportements d’une personne touchée par un changement (Piderit, 2000). A titre d’exemple, un employé pourrait entretenir des émotions et des cognitions négatives envers le changement, et émettre en revanche peu de comportements de résistance (Meunier, 2010).

Boilard (2014, p.10) explique que « La résistance au changement découlerait donc davantage de la perception de ce qui risque d’être menacé et déséquilibré par le changement, plutôt que par le changement en tant que tel ». En fait, Meier et Schier (2005) soutiennent que les employés se soucient essentiellement des incidences du changement sur eux-mêmes et sur leur poste de travail. Ils s’interrogent sur le maintien de leur emploi et sur les conséquences du changement, leur pouvoir, leurs rôles et responsabilités, leur statut, ainsi que leur réseau social.

L’engagement au coeur du changement

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le rebranding n’est pas une simple modification de nom, mais plutôt un changement davantage profond qui toucherait l’identité, les valeurs et les symboles de la marque. Ce changement peut déranger les employés et bouleverser leurs habitudes, repères ainsi que le lien affectif qu’ils ont construit avec la marque (Mogos Descotes et Pauwels-Delassus, 2015). En conséquence, avant d’entreprendre un changement, les organisations doivent tout d’abord miser sur le niveau de l’engagement et d’implication des employés. Des recherches récentes recommandent vivement l’intégration de deux niveaux distincts d’engagement, à savoir : l’engagement envers le changement et l’engagement organisationnel (Fedor et al., 2006).

L’engagement affectif envers le changement

Conner (1992, p.147) définit l’engagement au changement comme « la colle qui fournit le lien essentiel entre les personnes et les buts du changement ». Il stipule que l’engagement au changement reflète l’internalisation d’un programme de changement correspondant à la dernière phase d’un processus en trois étapes qui commence par une prise de conscience suivie d’une acceptation de la nécessité de l’initiative de changement. Herscovitch et Meyer (2002) reprennent les notions de lien psychologique et d’implantation d’un changement avancées par Conner (1992) en y ajoutant la notion d’action. Ils définissent ainsi l’engagement au changement comme « une force (la mentalité) qui lie un individu à un plan d’action considérée nécessaire pour la mise en oeuvre réussie d’une initiative de changement. » (p. 475). En d’autres termes, Herscovitch et Meyer (2002) considèrent cette forme d’engagement comme le désir d’un individu de fournir son soutien à l’implantation du changement, basé sur la croyance que ce changement apportera des avantages. Les auteurs expliquent qu’un employé soutient un changement parce qu’il le désire (forme affective) ou se sent obligé de le faire (forme normative) ou désire éviter les conséquences négatives associées à sa résistance au changement (forme calculée).

Les résultats rapportés par Herscovitch et Meyer (2002) ainsi que Meyer et al. (2007) démontrent la supériorité du pouvoir prédictif de la composante affective de l’engagement envers le changement qui renvoie à l’attachement psychologique d’un individu envers les buts du changement. Plusieurs études ont démontré ses liens avec une panoplie de comportements sollicités par les organisations suite à un changement, à l’instar de l’apprentissage individuel, l’amélioration du rendement, l’adoption de comportements visant à promouvoir le changement ainsi que l’intention de rester dans l’organisation (Cunningham, 2006; Chen et Wang, 2007; Meyer et al., 2007; Parish, et al., 2008; Neves, 2009). Pour cette raison et à l’instar de précédentes recherches (Bélanger, 2012; Abrell-Vogel et Rowold, 2014), seule la composante affective de l’engagement envers le changement sera considérée dans le cadre de cette recherche. Nous retiendrons la définition de Turmel (2008, p.17) « l’attachement émotif d’un employé envers les objectifs et les valeurs des changements survenus ou en cours dans son organisation ».

L’engagement organisationnel affectif

D’un autre côté, la littérature managériale met l’accent sur le rôle de l’engagement organisationnel dans un contexte de changement. Allen et Meyer (1996, p.252) définissent cet engagement comme étant « un lien psychologique entre l’employé et son organisation qui rend moins probable son départ volontaire de l’organisation ». Ces auteurs expliquent qu’un employé décide de rester dans l’organisation parce qu’il ressent un attachement émotionnel envers elle (forme affective) ou se sent obligé de le faire par devoir moral (forme normative) ou désire éviter la perte de certains acquis (forme calculée).

A ce titre, nombreux auteurs indiquent que l’engagement organisationnel, notamment affectif, joue un rôle important dans l’acceptation du changement par l’employé et la diminution de la résistance (Darwish, 2000; Meyer et al., 2002; Peccei et al., 2011). Iverson (1996) a même considéré l’engagement organisationnel comme le deuxième facteur le plus important après l’adhésion syndicale lors de son étude sur les attitudes à l’égard du changement organisationnel. Lau et Woodman (1995) ont, quant à eux, fait valoir qu’un employé très engagé est plus disposé à accepter le changement organisationnel s’il est perçu comme bénéfique. Plus récemment, Peccei et al. (2011) ont montré que l’engagement organisationnel affectif était un antécédent à la résistance au changement. Les employés dont l’engagement organisationnel est élevé semblent plus disposés à déployer davantage d’efforts dans un projet de changement et, par conséquent, ils sont plus susceptibles de développer des attitudes positives à l’égard du changement organisationnel (Iverson, 1996).

En plus d’être un antécédent facilitant l’acception du changement, Oreg et al. (2011) ont révélé, suite à une recension des travaux, que l’engagement organisationnel est aussi la conséquence du changement la plus fréquemment étudiée. En fait, les individus sont habitués à travailler au sein d’une entreprise qu’ils ont pour la plupart choisie. Un changement brutal de la situation (fusion-acquisition, rebranding…) peut créer des tensions critiques qui toucheraient leurs sentiments d’attachement et d’appartenance (Meier et Schier, 2005; Ullrich et al., 2005). A ce titre, les changements réalisés lors d’une fusion-acquisition et de rebranding peuvent conduire à un sentiment de perte d’identité et d’appartenance d’où une rupture affective (Amiot et al., 2006, Lakhdhar et Zaddem, 2008, Gagné et Josserand, 2012).

Comme l’expliquent De Roeck et Swaen (2009), la problématique identitaire devient plus saillante dans un contexte de fusion-acquisition puisque l’une des deux organisations va inéluctablement adapter son identité à celle de la nouvelle entité, voire l’abandonner. En changeant les frontières organisationnelles, ces opérations altèrent sensiblement le lien entre l’employé et son organisation et donc son identification organisationnelle et en conséquence son engagement vis-à vis d’elle.

Si les chercheurs ont eu recours à un large éventail de conceptualisations des réponses au changement organisationnel, Oreg et al. (2011) déplorent cependant le manque de cohérence dans les termes utilisés et leurs définitions. Ils considèrent que la question est de savoir si l’objectif d’une recherche est d’évaluer l’engagement en tant que contexte interne, c’est-à-dire en tant qu’antécédent, ou en tant que conséquence d’un changement. Nous tenons donc, à préciser que cette recherche envisage l’étude de l’engagement en tant que conséquence d’un changement, plus précisément celui d’un rebranding post fusion-acquisition.

Génération des hypothèses

Nombreuses recherches établissent un lien entre la résistance au changement et l’intention de quitter l’organisation (Wanberg et Banas, 2000; Chawla et Kelloway, 2004; Lapointe et Rivard, 2005; Oreg, 2006; Neves, 2009). En effet, les employés qui développent des attitudes d’opposition envers le changement semblent plus enclins à songer au départ volontaire. Ce lien présumé entre les deux concepts pourrait être expliqué par la rupture du contrat psychologique en cas de changement, notamment d’une opération de fusion-acquisition et de rebranding. En effet, le choc d’un changement réside dans la rupture du contrat psychologique liant l’individu à son organisation. Ce contrat reflète la relation informelle entre l’employé et son organisation (D’Annunzio-Green et Francis, 2005). C’est un accord initial entre les deux parties afin de coopérer conjointement, et qui s’est développé au cours du temps. Une opération de changement risque de profondément remettre en question le choix initial de l’individu. Morrison et Robinson (1997) expliquent que lorsqu’un changement organisationnel est favorable à l’employé, il est perçu comme un investissement traduisant, à ses yeux, le respect des obligations de la part de son employeur. A contrario, il résiste au changement perçu comme une violation des termes du contrat psychologique, légitimant ainsi ses intentions de quitter.

Ceci nous permet d’avancer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1 : la résistance au rebranding post fusion-acquisition est positivement liée aux intentions de départ.

Plusieurs recherches antérieures ayant étudié la relation entre la résistance au changement et l’engagement envers le changement ont mis en évidence de fortes corrélations négatives entre ces deux variables. A titre d’exemple, Orth (2002) a relevé des corrélations variant entre -,43 et -,59 entre la résistance au changement et l’engagement affectif envers le changement.

Le travail de Stjernen (2009) a montré que les employés qui se plaignaient du changement et qui cherchaient à le saboter en persuadant leurs collègues qu’il est mauvais étaient moins coopératifs et engagés. En d’autres termes, la résistance comportementale au changement serait à l’origine d’un faible engagement envers le changement. La résistance cognitive était aussi négativement liée à l’engagement affectif envers le changement. En fait, plus l’employé rejette le changement suite à des évaluations négatives, moins il s’y engagera. Un travail plus récent de Battistelli et al. (2014) va aussi dans ce sens. Si l’employé éprouve un fort sentiment d’inconfort, qu’il soit dû à son incapacité à s’adapter au changement ou aux impacts négatifs perçus de ce changement sur son travail, il sera moins susceptible de participer à l’initiative de changement. En particulier, les inquiétudes et la crainte à l’égard du changement pourraient être négativement liées au désir de l’employé de soutenir le changement; en d’autres termes de s’y engager affectivement (Battistelli et al., 2014, p.955-956).

Par ailleurs, les recherches montrent l’existence d’un lien négatif entre l’engagement envers le changement et les comportements de retrait face à l’emploi, notamment au niveau des intentions de quitter (Cunningham, 2006; Neves, 2009; Rafferty et Restubog, 2010). Selon Cunningham (2006), les employés qui soutiennent le changement en raison de sa valeur perçue (c’est-à-dire qui y sont affectivement engagés) sont moins enclins à quitter l’organisation suite au changement. Ainsi, plus un individu s’engage envers le changement, moins il aura l’intention de quitter son organisation.

Dans ce sens, nous proposons que :

Hypothèse 2 : L’engagement affectif envers le changement agit comme une variable médiatrice entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de départ.

Comme le soulignent plusieurs auteurs, la perception que se fait l’employé du changement affecte son niveau d’engagement organisationnel (Schalk et Freese, 1997; Chênevert et al., 2007). Ainsi, si ce changement est perçu comme respectant les termes du contrat psychologique, il exercerait un effet positif sur le niveau de l’engagement vis-à-vis de l’organisation. En revanche, si l’employé n’accepte pas le changement et y résiste, son engagement organisationnel en serait négativement affecté. A titre d’exemple, lors d’une enquête menée dans une entreprise qui a mis en place un nouveau système d’informations, Laumer et al. (2012) ont montré que les attitudes négatives envers ce changement (à l’instar de la résistance) ont généré une diminution de l’engagement organisationnel des employés. Plus récemment, Jones et Van de Ven (2014) ont eux aussi trouvé que la résistance au changement est négativement liée à l’engagement organisationnel. D’ailleurs, cette relation semble s’intensifier avec le temps laissant suggérer que les effets négatifs de la résistance augmenteraient au fil du temps.

Par ailleurs, l’engagement organisationnel est généralement perçu comme étant une variable intervenant dans le processus de turnover. En effet, que ce dernier soit estimé par le biais du départ réel ou des intentions de quitter, les résultats de nombreuses recherches font ressortir une corrélation négative entre ce dernier et l’engagement affectif (Allen et Meyer, 1996; Cohen, 2000; Meyer et al., 2002). D’ailleurs, dans leur méta-analyse, Mathieu et Zajac (1990) ont relevé une corrélation moyenne de (-,46) entre l’engagement affectif et l’intention de départ, et de (-,28) entre l’engagement affectif et le départ réel. Ces résultats ont été corroborés par d’autres méta-analyses qui ont conclu que l’engagement affectif était l’un des meilleurs prédicteurs du roulement de personnel (Griffeth et al., 2000; Lee et al., 2000).

Dans cet ordre d’idées, nous émettons l’hypothèse suivante :

Hypothèse 3 : L’engagement organisationnel affectif agit comme une variable médiatrice entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de départ.

El Akremi (in Roussel et Wacheux, 2005, p.327) explique qu’un effet médiateur élémentaire représente « une séquence ‘causale’ hypothétique dans laquelle une première variable indépendante influe sur une seconde variable intermédiaire qui influe à son tour sur une variable dépendante. La variable médiatrice permet-elle ainsi d’expliquer comment s’opère la relation entre la variable indépendante et dépendante, en décomposant cette relation en effet direct et en effet indirect médiatisé ». Récemment, les chercheurs en management commencent à remettre en cause les modèles de médiation simple en leur privilégiant les modèles de médiations séquentielles qui permettent de mieux appréhender la complexité. Ainsi, la variable indépendante (X) influence une première variable médiatrice (M1), qui en influence, à son tour, une seconde (M2), et ainsi de suite, jusqu’à la variable dépendante (Y) (Taylor et al., 2008).

Dans cette perspective, nous intégrons deux modèles de médiations simples. Le premier modèle est relatif au rôle médiateur de l’engagement affectif envers le changement entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de départ (hypothèse 2). Le second modèle est relatif au rôle médiateur de l’engagement organisationnel affectif entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de départ (hypothèse 3).

En outre, de nombreuses études montrent que ces deux formes d’engagement sont fortement intercorrélées (Fedor et al., 2006; Meyer et al., 2007; Rashid et Zhao, 2010). Nous basant sur le modèle proposé par Oreg et al. (2011), nous considérons l’engagement envers le rebranding comme une réaction explicite au changement ayant comme conséquence postérieure au changement un niveau d’engagement organisationnel. En effet, Jaros (2010) estime que l’engagement envers le changement est susceptible d’influencer l’engagement organisationnel. A titre d’exemple, si un employé connaît un faible niveau d’engagement organisationnel parce qu’il se sent aliéné ou qu’il manque d’enthousiasme pour la mission et les buts actuels de son organisation, la mise en place d’un changement est susceptible de le rendre plus enthousiaste. En effet, son engagement élevé envers ce changement pourrait avoir une influence positive sur son engagement organisationnel affectif, dans la mesure où l’organisation après le changement serait plus attrayante pour lui (Jaros, 2010, p.97). Comme les individus ayant un engagement affectif envers le changement élevé sont en accord avec les buts du rebranding post fusion-acquisition et s’identifient à ses objectifs, ils seraient davantage en mesure d’intérioriser les valeurs de la nouvelle marque et s’engager affectivement envers l’organisation.

Sur la base de ces développements, nous présumons une association positive entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de quitter par l’entremise successive de l’engagement affectif envers le changement et de l’engagement organisationnel affectif, d’où l’hypothèse suivante :

Hypothèse 4 : L’engagement affectif envers le changement et l’engagement organisationnel affectif agissent séquentiellement et successivement comme des variables médiatrices entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de départ.

La figure 1 représente une modélisation des hypothèses formulées.

FIGURE 1

Modèle conceptuel de la recherche

Modèle conceptuel de la recherche

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Méthodologie

Population et échantillon

Cette recherche a été effectuée auprès d’un opérateur privé de télécommunications en Tunisie qui a vécu, en 2014, une expérience de rebranding suite à une opération de fusion-acquisition. Cet opérateur, créé en 2002 a connu une première cession d’actions finalisée en 2011 par une filiale détenue par le groupe qatari Qtel. Le 26 juillet 2012, le gouvernement tunisien annonce son intention de céder sa part de 25 % du capital, décision concrétisée pour 15 % du capital par un accord de principe avec Qtel. Le principal fournisseur de services télécom au Qatar détient désormais 90 % du capital de l’opérateur tunisien. Le 25 février 2013, Qtel Group change d’identité et devient Ooredoo Groupe. Ce rebranding sera progressivement appliqué à l’ensemble des opérateurs du Groupe. Ainsi, le 24 avril 2014, Tunisiana est à son tour devenue Ooredoo.

Nous avons opté pour un échantillon de convenance non probabiliste. L’enquête menée entre Avril et Juin 2015 a permis de collecter 107 questionnaires exploitables sur les 250 distribués, soit un taux de participation de 42.8 %. Soulignons que le choix de la durée qui sépare le rebranding post fusion-acquisition de la collecte de nos données n’est pas arbitraire. En effet, en étudiant un rebranding dans une entreprise française de télécoms (changement de marque de France Télécom en Orange), Gagné (2012) a constaté que l’identification à la marque nouvellement déployée était immédiatement forte pour la majorité des salariés. Ce n’est qu’au bout d’une année que le problème de l’engagement des employés a surgi.

Notre échantillon comprend 57 hommes et 50 femmes. L’âge moyen des répondants est de 34,12 ans. Leur ancienneté varie entre moins de 2 ans et plus de 20 ans avec une concentration partagée entre [10-5] et [20-10] représentant respectivement 47,7 % et 29,9 %.

Instruments de mesure

L’existence d’échelles de mesure dont la fiabilité et la validité ont été préalablement testées par des études antérieures ont permis, à notre sens, de construire un questionnaire ayant des soubassements théoriques assez solides. La population recensée étant francophone, nous avons mobilisé la méthode de la traduction inversée (back translation) très sollicitée et défendue dans la littérature (Igalens et Roussel, 1998). Les répondants ont été invités à évaluer leurs perceptions sur une échelle de Likert en 5 points (1 = pas du tout d’accord, 5 = tout à fait d’accord). La liste exhaustive des items utilisés est fournie en annexe.

La mesure de la résistance au rebranding post fusion-acquisition

Dans le cadre de cette recherche, nous avons adopté l’échelle de mesure développée et utilisée par Velikova et Todorova (2012). En plus d’être intelligible et facilement compréhensible par les répondants, cette échelle présente de bonnes qualités psychométriques (α = 0,73) (Ex : « Je n’aime pas les changements qui ont résulté du rebranding »).

La mesure des intentions de départ

Pour mesurer les intentions de départ, notre choix s’est porté sur l’échelle développée et utilisée par Perrot (2004). Cette échelle comprend quatre items inspirés du Michigan Organizational Assessment Questionnaire. En plus de bénéficier d’une fiabilité prouvée (α = 0,87), cette échelle permet, selon Perrot, l’obtention d’une réponse exempte d’éléments contextuels externes, à l’instar de la situation du marché de l’emploi (Ex : « J’aimerais bien quitter ce travail rapidement »).

La mesure de l’engagement organisationnel affectif

Pour mesurer l’engagement organisationnel affectif, notre choix s’est porté sur l’échelle de Meyer et al. (1993). En plus d’être la plus répandue, elle présente de bonnes qualités psychométriques. En effet, Allen et Meyer (1996) ont rapporté plus de 30 coefficients de fiabilité obtenus pour cette échelle de l’engagement affectif avec des coefficients allant 0,74 à 0,89 et une fiabilité médiane de 0,85 (Ex : « Je passerais bien volontiers le reste de ma vie professionnelle dans cette entreprise »).

La mesure de l’engagement au changement affectif

Pour mesurer l’engagement au changement, nous avons opté pour l’échelle développée par Herscovitch et Meyer (2002). La version originale comporte 18 items dont 6 pour chaque dimension : affective, calculée et normative. Dans notre travail, nous mobilisons uniquement la composante affective se référant à l’attachement émotionnel au changement. Prenant en considération le critère de la longueur, nous avons opté pour une version réduite de cette échelle (4 items) déjà utilisée par Meyer et al. (2007) et Neves et Caetano (2009) avec un α respectivement de 0,87 et 0,86 (Ex : « Je crois fortement en la valeur de ce changement »).

La mesure des variables de contrôle

Les études réalisées à l’égard des intentions de départ suggèrent qu’un certain nombre de variables sociodémographiques sont susceptibles de les influencer. Nous avons donc pris soin d’intégrer l’âge, le genre, le niveau d’études, l’ancienneté dans l’organisation et l’expérience sur le marché du travail comme variables de contrôle. L’âge a été mesuré à l’aide d’une variable continue, le genre a été codé 1 = femme et 0 = homme. Les répondants devaient également indiquer leur niveau d’instruction correspondant aux catégories : 1 = bac ou moins à 5 = bac+6 ou plus. En ce qui concerne l’ancienneté dans l’organisation ainsi que l’expérience sur le marché de l’emploi, elles correspondent à des variables catégorielles : 1 =  moins de 2 ans à 5 = 20 ans et plus.

Analyse des données

Afin d’analyser les données de cette étude, diverses méthodes sont mobilisées grâce à deux logiciels, à savoir SPSS et AMOS. D’abord, le logiciel SPSS est utilisé pour mener des analyses en composantes principales, calculer les statistiques descriptives, la matrice des corrélations entre les variables du modèle ainsi que certains indices de la qualité psychométrique des instruments de mesure (KMO, alpha de Cronbach). Ensuite, la méthode par équations structurelles est mobilisée grâce au logiciel AMOS pour tester les hypothèses de la recherche et au préalable, calculer certaines valeurs de fiabilité et de validité des échelles de mesure (rhô de Jöreskog, variance extraite moyenne ou AVE)[2].

Résultats

Dans cette section, nous présentons d’abord les statistiques descriptives, puis la qualité psychométrique des instruments de mesure, et enfin, le résultat des tests des hypothèses.

Statistiques descriptives

Le tableau 1 présente les moyennes, les écarts-types, ainsi que les corrélations entre les variables du modèle à l’étude. L’examen de ce tableau révèle qu’il ne semble pas exister de problèmes de multicollinéarité puisque il n’y a pas de corrélations supérieures à 0.60 entre les variables de notre recherche.

Qualité psychométrique des instruments de mesure

La qualité psychométrique des instruments de mesure a été examinée à travers deux propriétés, à savoir la fiabilité et la validité.

Les résultats relatifs à la fiabilité des échelles purifiées sont consignés dans le tableau 2. Nous constatons que toutes les valeurs dépassent les limites recommandées de 0.70. Ainsi, les coefficients alpha de Cronbach varient de 0.773 (résistance au rebranding post fusion-acquisition) à 0.890 (intentions de départ); tandis que les coefficients rhô de Jöreskog entre 0.790 (résistance au rebranding post fusion-acquisition) et 0.894 (intentions de départ).

La validité convergente a été évaluée par la mesure Kaiser-Meyer-Olkin (KMO) ainsi que par la variance moyenne extraite ou average variance extracted (AVE). Comme le montre le tableau 2, toutes les mesures du KMO sont supérieures au seuil de 0.50 variant de 0.675 (résistance au rebranding post fusion-acquisition) à 0.854 (engagement organisationnel affectif). Par ailleurs, le seuil de 0.5 pour la variance moyenne extraite est satisfait par l’ensemble des construits à l’exception de la résistance au rebranding post fusion-acquisition (AVE=0.493). Toutefois, nous estimons que la validité convergente de ce construit peut être acceptée notamment au regard des contributions factorielles des items de ce dernier.

Quant à la validité discriminante, le tableau 3 montre que chacune des variances extraites moyennes (AVE) dépasse chacun des carrés des corrélations inter-construits. Ce résultat indique que la variance partagée entre le construit et ses items est supérieure à celle partagée avec les autres construits, suggérant ainsi que les conditions de validité discriminante sont bien remplies.

Vérification des hypothèses

Les résultats des tests des hypothèses sont regroupés schématiquement dans la figure 2. L’ajustement du modèle global est acceptable. En effet, à l’exception du RMSEA qui dépasse légèrement la norme établie (0.12), les indicateurs incrémentaux (NFI = 0.941; CFI = 0.962; TLI = 0.948) dépassent la norme de 0.9 et le Chi-deux normé, captant la parcimonie du modèle, demeure inférieur au seuil critique de 3 (χ²/dd l = 2.666).

L’ajustement du modèle étant satisfaisant, nous pouvons à présent retenir les estimations des coefficients de régression et les pourcentages de variance expliquée pour les variables dépendantes de notre modèle (SMC). Ces résultats figurent dans le tableau 4.

L’analyse des SMC nous apprend que le modèle explique 43.0 % de l’engagement affectif envers le changement, 27.0 % de l’engagement organisationnel affectif et 48.3 % des intentions de quitter.

Afin de tester nos hypothèses de médiation simple (H2 et H3), nos analyses se sont basées sur la démarche en pas à pas de Baron et Kenny (1986). Quant à l’hypothèse de médiation séquentielle (H4), elle a été testée comme le préconisent Taylor et al. (2008) à l’aide du test de significativité jointe. Suivant la recommandation de MacKinnon et al. (2002), ces analyses ont été complétées par le test de Sobel des effets indirects dont les résultats sont consignés dans le tableau 5.

TABLEAU 1

Statistiques descriptives et matrice de corrélations

Statistiques descriptives et matrice de corrélations

Note : N = 107, ** p<0.01; * p<0.05

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TABLEAU 2

Fiabilité et validité convergente des variables

Fiabilité et validité convergente des variables

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TABLEAU 3

Validité discriminante des variables

Validité discriminante des variables

Note : Les AVE sont présentés dans la diagonale, les autres valeurs correspondent aux carrés des corrélations inter-construits.

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FIGURE 2

Les résultats du modèle structurel

Les résultats du modèle structurel

Note : les coefficients sont standardisés. Les flèches en pointillés représentent les liens non significatifs. **p<0.01; * p<0.05.

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Nous avons émis l’hypothèse 1 selon laquelle la résistance au rebranding post fusion-acquisition est positivement liée aux intentions de départ. Les résultats font ressortir un effet positif significatif (β =,485, p<.001) expliquant 23.6 % de la variance des intentions de quitter. L’hypothèse 1 est donc vérifiée.

L’hypothèse 2 stipule que l’engagement affectif envers le changement médiatise l’impact indirect de la résistance au rebranding post fusion-acquisition sur les intentions de départ. La résistance au rebranding post fusion-acquisition est reliée négativement et significativement à l’engagement affectif envers le changement (β = -,656, p<.001). Cet engagement a également un impact négatif sur l’intention de quitter (β = -,135) mais non significatif (p>.05). La troisième condition de Baron & Kenny (1986) n’est donc pas remplie. En outre, le résultat du test de Sobel n’est pas significatif. (z = 1.035, p>.05). L’hypothèse 2 n’est ainsi pas vérifiée.

Selon l’hypothèse 3, l’engagement organisationnel affectif médiatise la relation entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de départ. Le lien entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et l’engagement organisationnel affectif est négatif mais non significatif (β = -,141, p>.05); La seconde condition de Baron & Kenny (1986) n’est ainsi pas vérifiée. L’engagement organisationnel affectif n’exercerait ici donc pas de rôle de médiateur. Le test de Sobel confirme l’absence de médiation (z = 0.938, p>.05). L’hypothèse 3 n’est donc pas vérifiée.

Les résultats du test de l’hypothèse 4 révèlent que la résistance au rebranding post fusion-acquisition est reliée négativement et significativement à l’engagement affectif envers le changement (β = -,656, p<.001). Ce dernier a également un impact positif sur l’engagement organisationnel affectif (β =,416); lequel est négativement et significativement sur l’intention de quitter (β = -,474, p<.001). Les résultats indiquent que la double médiation en série, par l’engagement affectif envers le changement tout d’abord, puis par l’engagement organisationnel affectif, entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de quitter est validée. Ce résultat est aussi confirmé par le test de Sobel (Ζ = 2.16, p<.05). L’hypothèse 4 est donc vérifiée. Ainsi, plus la résistance au changement est forte, moins l’engagement affectif envers le changement est fort, et moins l’engagement organisationnel affectif est alors élevé, menant ainsi à une intention plus forte de quitter l’organisation.

Notons qu’il s’agit ici d’une médiation totale dans la mesure où l’impact de la relation entre la variable indépendante (à savoir la résistance au rebranding post fusion-acquisition) et la variable dépendante (intentions de quitter) devient non significatif lorsque les deux variables médiatrices (à savoir l’engagement affectif envers le changement et l’engagement organisationnel affectif) sont introduites successivement dans le modèle (β diminue de 0.485 à 0.222 et la p-valeur augmente de 0.001 à 0.072).

Discussion

L’objectif central de notre recherche consiste à construire et à tester un modèle capable d’expliquer comment la résistance au rebranding post fusion-acquisition influe-t-elle sur les intentions de départ volontaire. Les résultats de notre investigation empirique établissent un lien direct positif entre la résistance au changement et l’intention de quitter l’organisation. Aussi, nos résultats vont-ils dans le sens de ceux rapportés par plusieurs recherches (Wanberg et Banas, 2000; Chawla et Kelloway, 2004; Lapointe et Rivard, 2005; Oreg, 2006; Neves, 2009). En effet, la résistance d’un employé face au rebranding post fusion-acquisition peut conduire à un déclin de sa loyauté envers l’organisation. Ce résultat peut s’expliquer par le fait que ce dernier estime que son contrat psychologique a fait l’objet d’une brèche, ce qui le pousserait à s’engager dans des comportements de recherche d’un autre emploi.

TABLEAU 4

Résultats du modèle structurel

Résultats du modèle structurel

Note : N = 107. Coefficients standardisés.

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TABLEAU 5

Résultats des effets indirects

Résultats des effets indirects

Note : les coefficients sont non standardisés. * p<0.05. (ns) non significatif.

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Par ailleurs, la thèse défendue, dans cet article, est que le lien entre la résistance au rebranding post fusion-acquisition et les intentions de quitter est davantage indirect. A partir de cette assertion, nous avons proposé deux variables médiatrices à savoir l’engagement affectif envers le changement et l’engagement organisationnel affectif. À cet égard, nous avons postulé que les réactions individuelles face à un rebranding post fusion-acquisition affecteraient ces deux formes d’engagement. Et que ces dernières influenceraient de leur côté l’intention de départ volontaire.

Les résultats de notre investigation empirique vont partiellement dans le sens de cette thèse en suggérant que la résistance au rebranding post fusion-acquisition a un lien négatif significatif avec l’engagement affectif envers le changement. Ce résultat rejoint celui de la recherche menée par Orth (2002). En revanche, notre étude empirique ne suggère aucun rapport direct significatif entre la dimension affective de l’engagement envers le changement et les intentions de quitter. Ce résultat va dans le sens contraire des études antérieures qui stipulent que plus un individu s’engage affectivement envers le changement, moins il aura l’intention de quitter son organisation (Cunningham, 2006; Neves, 2009; Rafferty et Restubog, 2010). Ce résultat peut s’expliquer par le fait que l’engagement organisationnel affectif est un meilleur prédicteur des intentions de départ. En effet, lors d’une revue critique de la littérature sur l’engagement envers le changement, Jaros (2010) suggère qu’il aurait été intéressant pour les recherches précitées, notamment de Cunningham (2006) et Neves (2009) d’inclure l’engagement organisationnel comme variable de contrôle. Jaros (2010) explique que théoriquement, on s’attend à ce que l’engagement organisationnel prédise les intentions de quitter mieux que l’engagement envers le changement. Ceci est corroboré par les résultats de notre enquête dans la mesure où seul l’engagement affectif envers l’organisation s’avère significativement lié à l’intention de quitter. Ce résultat est en concordance avec ceux d’autres études empiriques (Vandenberghe et al., 2014).

Les employés qui se plaignent du rebranding post fusion-acquisition et rejettent ce changement ne désirent pas fournir leur soutien à son implantation et ont donc tendance à moins s’y engager. Par la suite, comme ces employés éprouvant un faible engagement affectif envers le changement ne sont pas en accord avec les buts du rebranding post fusion-acquisition, ils ont du mal à intérioriser les valeurs de la nouvelle marque et s’engager affectivement envers leur entreprise. Enfin, c’est ce faible niveau de l’engagement organisationnel affectif qui explique leurs intentions de départ.

Implications

D’un point de vue théorique, notre recherche a permis de dégager un apport principal. Ce dernier réside dans la construction d’un modèle de recherche mettant en relation la résistance au rebranding post fusion-acquisition et l’intention de quitter. Ce modèle qui intègre deux variables médiatrices a permis de valider la thèse selon laquelle les réactions d’opposition à un rebranding post fusion-acquisition n’affectent pas directement les intentions de départ volontaire. Une médiation en série de cet effet est validée. En fait, le niveau de la résistance au rebranding post fusion-acquisition agit négativement sur l’engagement affectif envers le changement qui, lui, agit, favorablement sur l’engagement organisationnel affectif, ce dernier ayant lui-même un effet négatif sur les intentions de départ. Pour diminuer le turnover du personnel, il y a donc lieu d’agir sur ces deux formes d’engagement. Ainsi, notre étude constitue une contribution à la compréhension du processus explicatif de l’effet de la résistance au rebranding post fusion-acquisition sur les intentions de départ.

Outre cet apport théorique, la recherche a permis de faire ressortir aussi des contributions managériales. D’abord, les managers sont appelés à jouer un rôle moteur dans l’acception du changement. Lorsqu’ils organisent une opération de fusion/acquisition, ils doivent anticiper ce qui pourrait causer des réactions négatives et tenter de les limiter le plus possible. Lors d’une fusion-acquisition, notamment accompagnée de rebranding, les employés accorderont une importante primordiale à la communication et accepteront mieux une décision lorsqu’ils participent dans le processus de sa prise.

De plus, les managers ont tout intérêt à considérer le rôle important que joue l’engagement affectif envers le changement dans le contexte d’un rebranding post fusion-acquisition. Ils doivent impérativement mettre en oeuvre les pratiques idoines le favorisant. Aussi, l’engagement organisationnel affectif doit-il être la priorité des responsables des ressources humaines. En effet, ces derniers sont censés mettre le focus sur cette dimension afin de limiter les départs volontaires suite à une opération de fusion/acquisition. Pour ce faire, nous pensons que les organisations doivent considérer la capacité des pratiques de gestion des ressources humaines à créer et renforcer l’engagement organisationnel affectif. Nous recommandons donc aux managers de se recentrer sur les besoins particuliers des employés lors d’un rebranding post fusion-acquisition pour les satisfaire. Cette action permet de favoriser l’attachement des employés à leur organisation et susciter par conséquent davantage de loyauté en songeant moins aux départs volontaires.

Limites et avenues de recherche

En dépit des éclairages apportés par les résultats de notre étude et des implications managériales qui en découlent, certaines limites sont à signaler.

Sur un plan théorique, cette étude ne prétend pas avoir apporté des réponses exhaustives à la problématique soulevée. En effet, les variables médiatrices retenues, à savoir les deux formes d’engagement affectif (envers l’organisation et envers le changement) ne sont de toute évidence pas les seules à expliquer les intentions de départ. Il conviendrait donc d’introduire au modèle d’autres variables complémentaires telles que, par exemple, l’implication dans le changement ou la compréhension des raisons du changement.

Par ailleurs, notre modèle de recherche pèche par son caractère statique puisqu’il n’envisage pas l’évolution des niveaux d’engagement en deux temps : un temps pré-rebranding et un temps post-rebranding. Or, l’explication des intentions de quitter s’inscrit dans une dynamique temporelle, en d’autres termes, une logique processuelle. L’employé a un niveau d’engagement organisationnel affectif initial; survient alors une opération de fusion-acquisition, suivie à court ou moyen terme par un rebranding. Cet engagement pré-rebranding exercerait au tout début un effet sur la résistance de l’employé au changement qui affecterait, au fil du temps son engagement affectif envers le changement et engendrerait par la suite une modification de son niveau d’engagement organisationnel affectif. Enfin, cet engagement organisationnel post-rebranding déterminerait, en partie, ses intentions de départ.

Sur un plan méthodologique, il est à noter que nous avons opté pour une échelle de la résistance au changement qui ne prend pas en compte l’éventuelle tridimensionnalité de ce construit défendue par Piderit (2000). En plus, bien que nous ayons pris des précautions aussi bien en matière de fiabilité que de validité interne des mesures, la validité externe de nos résultats ne peut être assurée. Ceci incombe essentiellement aux problèmes de représentativité de l’échantillon et aux délimitations contextuelles de notre investigation. Nos données ont été recueillies dans un contexte organisationnel et culturel bien particulier, à savoir une acquisition horizontale, transnationale et amicale en Tunisie. Donc, elles ne permettent pas d’inférer des conclusions généralisables et vraies dans tous les contextes.

En dépit de ces limites, notre étude permet d’ouvrir le champ du possible et autorise le développement de nouvelles voies de recherche comme l’approfondissement de l’étude de liens suggérés et que l’investigation empirique a infirmés, tel que le lien entre l’engagement affectif envers le changement et les intentions de quitter. Il serait intéressant de mettre au clair les raisons à même d’expliquer l’inexistence d’effets significatifs entre ces variables.

En outre, nous pensons qu’il serait intéressant d’examiner notre modèle de recherche dans d’autres secteurs. Cet examen permettra de mettre en lumière l’effet du contexte sur le choix des pratiques et de faire ressortir les spécificités du secteur. Par ailleurs, il serait opportun de répliquer l’étude dans plusieurs organisations concernées par différentes formes d’opérations de fusion-acquisition, notamment hostiles, nationales et verticales.

Un autre axe de recherche consiste à mener une étude longitudinale. En effet, les liens démontrés ne nous permettent pas de nous assurer de l’antériorité des causes sur les effets. Dans cette visée, il convient d’administrer notre questionnaire au même échantillon et à différentes périodes (idéalement avant, pendant et après un rebranding lié à une fusion-acquisition). Enfin, il serait intéressant de mener, dans le futur, des études qualitatives confirmatoires susceptibles de mieux compléter les données quantitatives.