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La littérature universitaire consacrée à l’histoire du sport dans le cadre canadien et québécois étant, à ce jour, lacunaire à plusieurs égards, c’est avec un enthousiasme certain que les chercheurs spécialisés dans ce champ d’études accueilleront The Same But Different : Hockey in Quebec. En effet, voilà un ouvrage collectif qui entend jeter un peu de lumière sur ce que représente le hockey au Québec qui, bien qu’étant identique sur le plan technique au hockey pratiqué dans le Rest of Canada (ROC), revêt des significations différentes en plus d’être aussi considéré comme le « sport national » alors que l’idée même de nation diffère qu’on soit québécois ou canadien (p. 4-5). Ainsi, ce sont dix chapitres rédigés par autant de spécialistes qui offrent chacun une étude sur un aspect particulier du hockey illustrant le caractère distinct du Québec dans son rapport à ce sport.

Sans surprise, dans un ouvrage consacré au hockey au Québec, le Canadien de Montréal occupe une place de choix. Ce ne sont pas moins de six des dix chapitres qui traitent de la prestigieuse équipe montréalaise ou qui s’intéressent à l’un de ses joueurs. Ainsi, Emmanuel Lapierre aborde la question du nationalisme culturel qui serait au coeur des représentations que le Club de Hockey Canadien, dirigé par des anglophones, tente de mettre en place et celles auxquelles a adhéré le public canadien-français qui a fait du Canadien de Montréal un des symboles durables de son identité. Selon Lapierre, le Canadien aurait ignoré le nationalisme culturel des francophones à travers ses communications et ses diverses commémorations qui n’auraient eu d’autres buts que d’imposer une forme de colonialisme culturel à un public majoritairement composé de francophones qui se trouverait ainsi confronté à deux formes « incompatibles » de représentation de l’identité collective, canadienne d’un côté et québécoise de l’autre (p. 62-84).

Fannie Valois-Nadeau se penche sur l’implication philanthropique et sociale développée par le Canadien à travers sa Fondation pour enfants, implication qui aurait permis au club de hockey de concrétiser l’attachement symbolique de la société québécoise à son endroit intervenant financièrement au sein de la communauté (p. 85-102). Dans un chapitre ultérieur, c’est l’intense rivalité entre le Canadien et les Nordiques de Québec, en grande partie construite par les médias, du moins en regard de la guerre linguistique que les deux équipes se seraient livrée à l’arrivée des Nordiques dans la LNH, qui est finement analysée par Terry Vaios Gitersos (p. 103-124).

Julie Peronne, quant à elle, s’intéresse au Forum de Montréal où le Canadien a joué de 1924 à 1996. Cet endroit serait devenu, au moment de sa fermeture, un « lieu de mémoire », concept développé par Pierre Nora. Elle constate que la fermeture du Forum au profit d’un nouvel amphithéâtre, soit le Centre Molson (aujourd’hui le Centre Bell), a permis l’expression de souvenirs et de mémoires à propos d’un lieu qui a soudainement pris une valeur symbolique nouvelle (p. 125-142).

On doit à Paul Martin un chapitre consacré à l’autobiographie de l’ancien « policier » du Canadien, Georges Laraque. Martin s’attache à démontrer que les différences culturelles entre le Québec et le ROC sont si importantes qu’elles se reflètent dans la traduction d’un livre dont les auteurs seraient les mêmes, soit Georges Laraque et son coauteur. Ainsi, du titre aux informations qu’on retrouve en quatrième de couverture en passant par les représentations de Laraque sur lesquelles l’accent est mis, les différences entre les versions anglaise et française du même livre sont si grandes qu’elles donnent lieu à une autre expérience de lecture (p. 209-235).

Que serait un ouvrage sur l’importance du hockey pour la société québécoise sans un chapitre où l’on traite de Maurice Richard ? Celui-ci a ceci de particulier qu’il est le seul hockeyeur à faire autant partie des imaginaires canadien et québécois dans la littérature consacrée au hockey, bien qu’il revête une importance sociale et politique plus grande au Québec. C’est ce que démontre Jason Blake dans un chapitre qui voit dans l’usage du hockey dans la littérature une façon de transcender les divergences de point de vue pour ensuite mettre l’accent sur les liens unissant les Canadiens et les Québécois sans toutefois y voir uniquement un symbole de l’unité canadienne (p. 185-202).

Délaissant le Canadien, les chapitres d’Amy Ransom et de Frazer Andrews analysent également les rapports entre hockey et fiction pour jeter un regard sur certains aspects de la société québécoise. La première s’intéresse notamment aux représentations de la masculinité et de la féminité par le biais du langage dans la très populaire télésérie Lance et compte qui, dans ses diverses déclinaisons, a occupé un espace télévisuel durant environ trente ans, ce qui a le mérite d’illustrer l’évolution des rapports entre les hommes et les femmes au sein de la société québécoise. Amy Ransom en vient à la conclusion que malgré quelques personnages féminins forts, il n’en demeure pas moins que les stéréotypes de genre essentialisant les hommes et les femmes sont omniprésents (p. 149-168). Andrews, pour sa part, démontre en quoi le hockey sert de métaphore illustrant les singularités du parcours historique des Canadiens français devenus Québécois à la faveur de la Révolution tranquille dans les pièces de théâtre Les chemins du roi et Les Canadiens (p. 169-184).

Enfin, Michel Vigneault retrace les débuts du hockey francophone au tournant du XXe siècle, rappelant entre autres combien les Irlandais ont joué un rôle crucial dans le développement du hockey, notamment dans les collèges catholiques (p. 36-61). Tandis que Andrew C. Holman, codirecteur de l’ouvrage, a l’honneur d’ouvrir la réflexion sur les significations du hockey au sein de la société québécoise en s’intéressant à un phénomène somme toute assez peu étudié : les ligues d’anciens joueurs ou « old-timers ». Plus particulièrement, il livre une étude sur la Ligue Dépression et les représentations de la masculinité par le biais des joueurs qui ont évolué au sein de cette ligue qui a existé de 1932 à 1960. Selon l’auteur, tout au long de son existence, la ligue a offert un modèle masculin « idéal » à toute une génération d’hommes francophones issus de la classe moyenne des villes ; un modèle qui mettait l’accent sur le mariage, l’importance de l’institution familiale et de la procréation et l’implication de l’homme au sein de sa communauté afin de participer au bien-être collectif (p. 14-35).

En somme, si le hockey est à juste titre perçu comme un élément de culture contribuant à la mise en place d’une identité canadienne, The Same But Different réussit à démontrer que le même hockey est aussi le lieu d’une identité québécoise qui diffère à de nombreux égards. Et le grand mérite de cet ouvrage est de permettre à un public anglophone de prendre connaissance de ce fait social à la lecture des dix études qui font de ce livre un incontournable pour quiconque s’intéresse au sport, et plus particulièrement au hockey, en tant qu’élément culturel constitutif des identités tant nationale que sociale.