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Présentation

L’ouvrage dirigé par H. Knoerr, A. Weinberg et A. Gohard-Radenkovic aborde, comme son titre l’indique très justement, des dimensions politiques et pédagogiques de l’immersion française à l’université. L’approche immersive, qui consiste à acquérir une «langue seconde par l’entremise des matières enseignées» (p. 5), est apparue au Canada dans les années 1960, s’est répandue au primaire et au secondaire dans les décennies suivantes, puis, plus récemment, au niveau universitaire sous diverses formes. Pourtant, comme le font remarquer les auteures, il n’existait à ce jour aucun ouvrage de référence sur l’immersion en français au niveau universitaire (p. 2).

En la matière, l’Université d’Ottawa fait figure de chef de file, comme cet ouvrage l’atteste. Cette université bilingue a instauré un «Régime d’immersion française» (RIF) dès 2006. Depuis, divers acteurs du régime ont procédé à son évaluation, de manière à en tirer diverses recommandations pour faciliter sa pérennité et en dégager les conditions d’un «modèle gagnant» (p. xvii et p. 467) d’immersion en langue seconde au niveau universitaire. Ce livre se veut donc, pour sa majeure partie, une analyse et une réflexion sur le RIF de l’Université d’Ottawa, dans l’intention qu’il serve «de cadre de référence pour d’autres établissements au Canada et dans le monde» (p. 15). Un élargissement de la réflexion à d’autres contextes est présent dans quelques chapitres.

L’ouvrage s’ouvre sur une préface de Graham Fraser, commissaire aux langues officielles du Canada, et sur une introduction signée par l’équipe de direction éditoriale qui, ensemble, situent le contexte socio-historico-politique de l’immersion française au Canada et les objectifs de l’ouvrage, à savoir:

  1. Faire un état des lieux des politiques linguistiques et des aménagements par le gouvernement canadien en ce qui concerne l’immersion en français au palier universitaire;

  2. recenser les dispositifs d’immersion en français au niveau postsecondaire dans les universités canadiennes et plus particulièrement à l’Université d’Ottawa;

  3. présenter un recueil de témoignages des divers acteurs de l’immersion, soit les étudiants, les professeurs de langue et de discipline, et les administrateurs, relativement à leur expérience du dispositif d’immersion à l’Université d’Ottawa (p. 12-13).

Les contributions sont ainsi regroupées en trois parties, allant du niveau macro au niveau micro. La première partie, sur les politiques linguistiques et les aménagements institutionnels pour l’immersion, contient cinq chapitres. Ceux-ci couvrent divers aspects macro: une description du cadre législatif fédéral, du contexte démographique et de la participation à différents programmes de français langue seconde dans les écoles de langue anglaise au Canada (chapitre 1); l’instauration du RIF, qui est la «réponse de l’Université d’Ottawa» (p. 46) aux défis politiques et linguistiques dans ce contexte (chapitre 2); quelques ancrages théoriques et didactiques de l’immersion (chapitre 3); un survol historique de différents modèles de l’immersion: informels et en contextes formels universitaires en Europe, aux États-Unis et à Ottawa (chapitre 4); trois formes de l’immersion française postsecondaire dans trois provinces canadiennes (chapitre 5).

Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage décrivent et analysent exclusivement le RIF de l’Université d’Ottawa, mettant en évidence ses forces et ses limites en les contextualisant.

La deuxième partie s’attarde au niveau méso, celui de la mise en oeuvre sur le terrain (dispositifs, démarches et lieux) des décisions politiques et institutionnelles. L’Université d’Ottawa a engagé diverses ressources administratives, humaines et financières en matière de recrutement, d’évaluation des compétences linguistiques et d’encadrement des étudiants du RIF (chapitre 6). Les modalités d’apprentissage de la langue seconde en immersion sont typifiées selon trois axes (formel, semi-formel et informel) et les espaces d’apprentissage vont de la classe aux espaces virtuels, en passant par les niveaux universitaire, communautaire et international (chapitre 7). Les caractéristiques méthodologiques et didactiques de ce modèle immersif sont détaillées, avec un accent sur les cours d’encadrement linguistique, qui consistent en un accompagnement linguistique spécifique, par un professeur de langue, associé à un cours de discipline (chapitre 8). Cette partie du livre aborde enfin les pratiques collaboratives entre étudiants et les collaborations entre professeurs de langue et professeurs de discipline (chapitre 9); les modalités d’évaluation à l’admission, durant le cheminement et à la fin des études (chapitre 10); les dispositifs et outils de formation des acteurs de l’immersion (chapitre 11).

La dernière partie «s’intéresse à l’immersion de l’intérieur, telle qu’elle est vécue au quotidien par ses différents acteurs» (p. 13) à l’Université d’Ottawa, soulignant les tensions et les défis quotidiens du régime, tout en étendant l’analyse à des dimensions biographiques, socio-anthropologiques ou psycho-organisationnelles. Les récits de vie et l’expérience d’administrateurs du régime (chapitre 12), l’expérience de professeurs de langue (chapitre 13), de professeurs de discipline (chapitre 14) et d’étudiants (chapitres 15 et 16) sont relatés et interprétés sur la base de données surtout qualitatives, s’appuyant sur des cadres théoriques divers. Les questions identitaires, la notion de mobilité et le contexte sociopolitique propre aux relations entre groupes linguistiques au Canada sont des thèmes récurrents de cette troisième partie de l’ouvrage.

Point de vue

Comme l’indiquent Weinberg et Hope, le RIF «constitue une expérience complète qui peut servir de cadre à quiconque souhaite mettre en place un tel dispositif dans son établissement et en réaliser le suivi» (p. 308). L’ouvrage fait effectivement un tour d’horizon fort complet du dispositif qu’est le RIF à l’Université d’Ottawa.

À ce titre, il intéressera assurément les décideurs et administrateurs de programmes au sein d’institutions postsecondaires, qui devront bien entendu transposer les défis et les facteurs de succès du RIF aux «paramètres contextuels, institutionnels, universitaires, individuels» (p. 476) spécifiques à leur milieu. Les étudiants en didactique des langues, didacticiens chercheurs et professeurs – de langue seconde ou professeurs qui enseignent à des étudiants en immersion – y trouveront des éléments d’intérêt notamment dans les première et deuxième parties. La troisième partie concernera notamment les étudiants et chercheurs des sciences humaines qui s’intéressent aux dimensions socio-anthropologiques de la didactique des langues secondes et même à la psychologie organisationnelle en milieu universitaire.

Certains chapitres ou passages pourraient par ailleurs s’adresser à l’administration de l’Université d’Ottawa, en particulier les défis et les recommandations formulées en plusieurs endroits pour favoriser la pérennité du RIF.

Nous relevons un équilibre général entre, d’une part, la présentation du contexte ou, le cas échéant, du cadre théorique, et d’autre part des données et analyses utiles à la mise en place ou à l’amélioration d’un tel régime d’immersion au niveau postsecondaire. La cohérence d’ensemble est aussi à souligner, facilitée par le fait que plusieurs contributeurs signent plus d’un chapitre. Si la lecture de l’ensemble fait apparaître des répétitions, celles-ci sont justifiées par le fait que chaque chapitre est autonome.

L’une des faiblesses de l’ouvrage, peut-être, réside dans le traitement plutôt sommaire d’autres modèles de l’immersion universitaire, ce qui pourrait laisser sur sa faim le lecteur cherchant à recenser «les» dispositifs d’immersion en français au niveau postsecondaire dans les universités canadiennes (première partie de l’objectif 2). À cet égard, la présentation de quelques formes d’immersion dans trois provinces et le survol des contextes états-unien et européen ne semblent pas atteindre totalement l’objectif. Par exemple, nous nous sommes étonnée de ce que les «démarches didactiques immersives» (p. 107) en France soient explorées, mais non les démarches semblables dans les universités du Québec.

Hormis cette réserve, il nous semble que les objectifs que se sont donnés les directrices sont en grande partie atteints et que la consultation de cet ouvrage s’avère incontournable pour toute personne qui se penche sur ce champ en construction qu’est l’immersion en français à l’université.