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L’ouvrage collectif dirigé par Anne Gillet et Diane-Gabrielle Tremblay porte sur les recherches partenariales et collaboratives. Les seize contributions de l’ouvrage explorent les pratiques de recherche qui font entrer en interrelation des acteurs professionnels de la recherche et des acteurs praticiens non professionnels, sous différents angles et perspectives. Les auteur(e)s apportent ainsi des regards complémentaires sur les pratiques de recherches partenariales, à partir du point de vue des professionnels de la recherche qui pratiquent les recherches partenariales et collaboratives (RPC). Le développement et la pratique des recherches partenariales et collaboratives posent de nombreuses questions cruciales d’ordre épistémologique et méthodologique, mais également théorique, que l’ouvrage dans sa diversité entend traiter.

Les RPC, des méthodes et des objets de recherche

Le grand mérite de l’ouvrage est en premier lieu de montrer la diversité des pratiques de recherches en collaboration avec les acteurs et les praticiens.

La première partie de l’ouvrage s’attache ainsi à caractériser les différentes modalités de l’association entre action et recherche (chapitre 1) et le rôle des contextes institutionnels, sociaux et économiques qui façonnent la nature de ces relations en Suisse, en France et au Québec (chapitres 2, 3 et 4). Les recherches collaboratives et partenariales sont en effet appréhendées dans cet ouvrage sous des angles différents, en fonction des contextes institutionnels, des disciplines, mais aussi des courants théoriques.

Considérées comme de véritables objets de recherche particulièrement riches et complexes, les recherches partenariales sont appréhendées comme des dispositifs d’action complexes entre des acteurs aux logiques d’action et aux temporalités bien différentes voire divergentes, donc comme des objets de recherche.

Y. Bonny dans le premier chapitre dresse une typologie des formes de ces recherches autour de quatre catégories particulièrement utiles et stimulantes : la recherche collaborative, la recherche action-intervention, la recherche-intervention et la recherche action coopérative. Pour cela, l’auteur s’appuie sur des références et des expériences significatives de travaux et de recherches originales, comme en France et au Québec. Ces quatre formes de recherches participatives sont décrites en premier lieu en considérant particulièrement la nature de l’engagement du praticien dans la recherche : cochercheur dans la recherche action coopérative, prescripteur et bénéficiaire de la recherche, dans les recherches action collaborative ou intervention. D’autre part, ces recherches se distinguent par la place accordée à la dimension cognitive de l’activité scientifique. Le chercheur impliqué dans la relation à la pratique des acteurs intervient en sa qualité exclusive de producteur de connaissances, mais il peut également se muer en accompagnateur et formateur, car son travail de recherche permet de rendre explicite le savoir des praticiens incorporé dans l’action. Enfin, le chercheur peut s’intégrer au milieu qu’il appréhende en devenant à la fois le sujet et l’objet de ces recherches, les identités étant alors mêlées et difficilement dissociables. Enfin, l’auteur différencie bien la façon, dont les temps de la pratique et de la production de connaissances s’articulent. Ainsi, le chercheur peut s’immerger un temps dans le champ de la pratique, par intégration, et produisant des connaissances dans un temps distinct. Les activités de recherche et de pratique peuvent également être difficilement négociables.

Plusieurs contributions mobilisent les concepts d’espaces hybrides (Fontan et al., 2013[1]), mais également de communautés de pratique comme le montrent D.-G. Tremblay et J. Rochman notamment. Dans ces espaces ou communautés, les relations entre acteurs comme tout espace social sont traversées par des tensions et des rapports de force dans lequel le chercheur est amené à jouer différents rôles. Plusieurs chapitres développent alors des analyses fondées sur des approches théoriques différentes pour rendre compte de la nature des relations entre acteurs hétérogènes et considérer la place et le rôle du chercheur : analyse du travail de recherche dans le contexte suisse pour L. Seferdjeli et K. Stroumza, approche clinique pour F. Blondel, sociologie de l’action stratégie et organisée pour C. Bourgeois et A. Gillet et sociologie de la traduction pour C. Audoux.

Des RPC qui déstabilisent les modes de production des connaissances et réinterrogent le rapport entre science et société

L’ouvrage apporte en second lieu une contribution intéressante en interrogeant les partenariats entre chercheurs « professionnels » salariés et acteurs sous l’angle épistémologique, c’est-à-dire de la nature et du statut des connaissances qui sont produites et de la différence avec les dispositifs de recherche plus classiques. Les perspectives partenariales proposent à de nombreux égards une conception alternative de la production scientifique en ce sens que les professionnels de la recherche sont associés de façon plus ou moins étroite avec des praticiens dans des relations partenariales. Elles viennent questionner le modèle de génération et de diffusion des connaissances scientifiques qui se fonde sur une position centrale et unique du chercheur professionnel et sur un temps et un espace de production de la connaissance, distinct et séparé des autres sphères de la vie sociale et économique. De même, les connaissances coconstruites en lien avec les praticiens et/ou les usagers auraient le mérite à la fois de résoudre une problématique scientifique, mais également de répondre au problème social, économique que se pose la société. Non seulement la connaissance produite serait utile pour résoudre le problème formulé par les acteurs, mais le processus enclenché par la recherche partenariale contribuerait lui-même à l’enclenchement d’un processus de démocratisation des savoirs, de résolution du problème et de transformation sociale.

Quelles sont les conditions de production de connaissances scientifiques quand ce sont les acteurs directement concernés qui y participent ? Les acteurs qui éprouvent l’expérience sont-ils légitimes pour produire des connaissances scientifiques ? Comment la RPC peut-elle être un moyen pour produire des connaissances menant à la transformation sociale ? Le développement des recherches partenariales et collaboratives réactualise sans nul doute les débats et les questionnements sur la neutralité de la science en général et des sciences sociales en particulier, et précisément sur la question de la distanciation entre le chercheur et son objet. Loin de proposer des réponses affirmatives et univoques, l’ouvrage propose des réponses variées, s’appuyant sur des expériences et des cadres théoriques différents.

Un ouvrage indispensable pour appréhender les dynamiques contemporaines de la recherche en sciences sociales … sans les sciences de gestion

En offrant des regards riches et diversifiés, l’ouvrage coordonné par A. Gillet et D.-G. Tremblay est donc précieux pour appréhender les dynamiques contemporaines de la recherche en sciences sociales. L’ouvrage, issu d’un long travail de coopération entre les contributeurs à travers des séminaires, est très riche, mais également très dispersé. Sa lecture et son utilisation auraient sans doute été plus aisées si le travail de l’édition avait permis une meilleure organisation en parties distinctes et en évitant les répétitions.

De façon plus fondamentale, l’ouvrage laisse ouvertes trois questions fondamentales qui se posent particulièrement aux chercheurs en sciences de gestion qui s’intéressent particulièrement aux petites et moyennes entreprises (PME).

En premier lieu, l’ouvrage a pour objet d’interroger les liens entre la science et la société, en s’intéressant aux recherches partenariales et collaboratives. De nombreuses contributions de l’ouvrage s’appuient ainsi sur un idéal-type de la production scientifique, déconnecté de la société et des acteurs qui nous semble quelquefois excessif. Précisément, il n’est pas sûr que la recherche académique soit si déconnectée des acteurs sociaux et économiques. Ce sont peut-être d’autres médiations et liens sociaux, sans doute moins directs et moins visibles qui sont en jeu.

En second lieu, l’ensemble des contributions est fortement ancré dans le champ des sciences sociales et particulièrement de la sociologie. Cette spécificité disciplinaire amène à considérer tout particulièrement la demande sociale qui émane de groupes sociaux plus ou moins constitués. En revanche, les organisations plus formelles comme les entreprises et les PME sont plus ignorées. Plus largement, les contributions des sciences de gestion, dont l’objet constitue précisément dans la production de connaissances actionnables, ne sont pas du tout évoquées. À cet égard, il nous semblerait tout à fait fructueux de prolonger la contribution de cet ouvrage sur la spécificité et les enjeux des dispositifs de recherche participatifs en sciences de gestion et en entrepreneuriat avec les PME.

Enfin, de nombreuses contributions évoquent la question de la légitimité des connaissances produites en partenariat et en collaboration avec des acteurs praticiens, dans le champ de la recherche académique. Effectivement, les chercheurs impliqués dans ce type de recherche peuvent trouver des difficultés à valoriser les résultats de la recherche, par exemple dans les revues académiques et plus largement dans les espaces de la recherche académique « pure ».

De fait, le développement des RPC ouvre de nombreuses questions sur le format et les modalités de valorisation des recherches dans le champ académique : dans quelle mesure le développement de ce type de recherche vient-il questionner les critères purs de la valorisation scientifique ? Comment valoriser scientifiquement des résultats de recherche coproduits avec les acteurs ? Comment écrire un article, dont les connaissances ne visent pas seulement à expliquer le monde, mais également à le transformer ?