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Introduction

Les petites et moyennes entreprises (PME) contribuent fortement, en volume et en valeur, au dynamisme économique mondial (Bruque et Moyano, 2007 ; Forsman, 2011 ; Zeng, Xie et Tam, 2010). Dans cet environnement mondialisé, hyperconcurrentiel et dynamique, l’innovation est devenue un enjeu majeur de survie pour les PME (Adams, Bessant et Phelps, 2006). Cependant, son impact sur la performance des PME n’est pas clairement établi dans la littérature (Rosenbusch, Brinckmann et Bausch, 2011). D’un côté, l’innovation est perçue positivement comme une source de différenciation et de développement pour les PME (Lee et Chen, 2009 ; Terziovcki, 2010). D’un autre côté, elle apparaît comme destructrice de valeur pour les PME (Coad, Segarra et Teruel, 2016 ; Vermeulen, De Jong et O’Shaughnessy, 2005). Cette controverse peut s’expliquer par des choix divergents en termes de niveaux d’analyse et de types de performance étudiés (Ajzen, Rondeaux, Pichault et Taskin, 2016 ; Rosenbusch, Brinckmann et Bausch, 2011). Parmi les différents types de performance, la performance en innovation retient notre attention, car elle mesure la capacité de la PME à innover (Boly, Morel, N’Doli et Camargo, 2014 ; Pullen, Weerd-Nederhof, Groen, Song et Fisscher, 2009). Cependant, elle ne permet pas de comprendre les raisons qui encouragent ou freinent le processus d’innovation (Adams, Bessant et Phelps, 2006 ; Boly et al., 2014). Or, 70 à 80 % des projets innovants échouent partiellement ou totalement (Carr, 1996 ; Cozijnsen, Vraking et Van Ijzerloo, 2000), et seulement 20 à 30 % des projets innovants ont un retour positif sur les investissements réalisés (Garel et Berteau, 2015). Il semble donc essentiel de comprendre les facteurs pouvant favoriser le succès ou l’échec des projets d’innovation des PME.

Pour ce faire, le concept de capacité d’innovation est utilisé. La capacité d’innovation est définie comme la mobilisation et l’amélioration continue des ressources, compétences et capacités, dont une entreprise dispose pour explorer et exploiter des opportunités de développement de nouveaux produits, rencontrant les besoins du marché (Boly et al., 2014 ; Forsman, 2011 ; Szetto, 2001). L’amélioration continue en est une dimension clé (Szetto, 2001) et repose sur des capacités dynamiques (CD) qui permettent aux entreprises de mettre à jour et maintenir leur capacité d’innovation (Breznik et Hisrich, 2014 ; Teece, 2007). Les recherches antérieures se sont attachées à définir les CD, à montrer leur intérêt et à analyser leurs micro-fondations (Teece, 2007). Or, peu d’études empiriques explorent les CD nécessaires au maintien de la capacité d’innovation des PME (Wu, 2010 ; Lee et Kelley, 2008). Cette question est pourtant essentielle. Comme le soulignent certains auteurs, il est nécessaire d’étudier les CD dans différents contextes en raison de leur caractère idiosyncrasique (Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Wu, 2010). Dans cette perspective et en accord avec les travaux sur la spécificité des PME (Julien, 1990), la capacité d’innovation devrait être analysée en fonction de leurs spécificités (Gronum, Verreynne et Kastelle, 2012 ; Motwani, Dandridge, Jiang et Soderquist, 1999 ; Terziovcki, 2010).

Notre recherche vise à combler le gap théorique à propos des capacités dynamiques et de leur influence sur la capacité d’innovation des PME dans le temps. Nous questionnons ainsi le rôle et l’influence des CD sur la capacité d’innovation, élément déterminant de la performance en innovation des PME.

Pour répondre à cette question, une démarche exploratoire est adoptée. Une méthode qualitative de type étude de cas approfondie est réalisée sur un cas d’échec de PME innovante. L’échec est entendu comme le déclin de la performance en innovation de la PME. Cette approche par l’échec vise à mettre en évidence l’influence de l’absence de CD sur le déclin de la capacité d’innovation des PME. Les résultats obtenus présentent plusieurs contributions. Premièrement, ils suggèrent que l’absence de CD pourrait conduire à l’échec de l’innovation en PME. Deuxièmement, ils contribuent à la littérature sur la capacité d’innovation en montrant le lien entre CD et capacité d’innovation. Ils identifient également les micro-fondations de ces CD dans un contexte de PME. Troisièmement, les résultats participent au débat sur les spécificités des PME qui semblent influencer les facteurs favorisant ou limitant la capacité d’innovation des PME.

1. Revue de littérature

1.1. L’innovation comme terrain d’analyse de l’échec

La définition de l’échec d’une entreprise fait l’objet de débat dans le monde académique, comme en témoigne la diversité des termes utilisés (Levratto, 2012 ; Ropega, 2011). Certains l’utilisent comme synonyme de cessation d’activité ou d’une faillite alors que pour d’autres, il traduit un phénomène de déclin (De Hoe et Janssen, 2015 ; Khelil, Smida et Zouaoui, 2012). Face à ce manque de consensus, les recherches vont se concentrer sur l’analyse du processus d’échec plutôt que sur sa définition stricto sensu. L’objectif est d’en comprendre les causes plutôt que les conséquences qui sont souvent mesurées par des échelles binaires (Khelil, Smida et Zouaoui, 2012 ; Ropega, 2011). Les mesures binaires simplifient sa perception et limitent l’analyse de ses causes. À titre d’exemple, la faillite, longtemps synonyme d’échec, ne représente que 15 % des cas de disparition d’entreprises alors que 85 % sont expliqués par d’autres facteurs, plus diffus (De Hoe et Janssen, 2015 ; De Koning, 1999).

Cependant, les facteurs d’échec sont particulièrement difficiles à analyser, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, leur perception est influencée par le contexte dans lequel il se produit. Deuxièmement, les données le concernant sont souvent cachées ou occultées par les entreprises et donc difficilement accessibles (Van Caillie, 2000). Par conséquent, l’étude du processus d’échec est essentielle pour comprendre les facteurs (ou combinaisons de facteurs) qui en sont la cause (Crutzen et Van Caillie, 2009, 2010 ; Ropega, 2011). Dans cette logique, l’échec peut être assimilé à un processus de déclin, c’est-à-dire à un écart négatif entre les performances passées et les performances actuelles (Chowdhury et Lang, 1993). Ce déclin serait causé par une accumulation de difficultés mineures entraînant ensuite des difficultés majeures dans le temps (Cyert et March, 1963 ; Daubie et Meskens, 2002). La capacité d’innovation offre une grille de lecture intéressante pour analyser le déclin de la performance en innovation d’une PME.

L’innovation est définie par le manuel d’Oslo comme « la mise en oeuvre d’un produit (bien ou service) ou d’un procédé (de production) nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques d’une entreprise, l’organisation du lieu de travail ou les relations extérieures » (OCDE, 2005, p. 46). Le terme comprend donc l’extrant – l’innovation et ses différents types – et le processus permettant de produire cet extrant (Gronum, Verreyne et Kastelle, 2012). L’extrant, représenté par le résultat du processus est mesuré au travers la performance en innovation (Boly et al., 2014 ; Pullen et al., 2009). Il n’existe pas de consensus sur la mesure de cette performance (Zeng, Xie et Tam, 2010), mais plusieurs indicateurs qualitatifs et quantitatifs sont plébiscités pour la caractériser : le nombre d’innovations produites et/ou mises sur le marché (De Jong et Marsili, 2006 ; Pullen et al., 2009), la part de l’activité et du chiffre d’affaires due à ces innovations (Laursen et Salter, 2006 ; Sofka et Grimpe, 2010), le dépôt de brevet (Hagedoorn et Cloodt, 2003 ; Souitaris, 2002) et le degré de radicalité de ces innovations (Prajogo et Ahmed, 2006 ; Romijn et Albaladejo, 2002 ; Zeng, Xie et Tam, 2010). Le processus et les facteurs utilisés pour produire ces innovations constituent eux la capacité d’innovation de la firme (Boly et al., 2014). En raison de cette dualité, l’innovation constitue un cadre d’analyse particulièrement intéressant pour comprendre l’échec (Crutzen et Van Caillie, 2009, 2010 ; Ropega, 2011). Il est entendu comme le déclin de la performance en innovation et le concept de capacité d’innovation permet d’en comprendre les facteurs.

1.2. Les capacités dynamiques au coeur de la capacité d’innovation

La capacité d’innovation est définie comme la mobilisation et l’amélioration continue des ressources, compétences et capacités, dont une entreprise dispose pour explorer et exploiter des opportunités de développement de nouveaux produits en fonction des besoins du marché (Boly et al., 2014 ; Forsman, 2011 ; Szetto, 2001). Elle permet de « générer de nouvelles idées, identifier de nouvelles opportunités de marché et lancer des innovations en s’appuyant sur des ressources et capacités existantes » (Hii et Neely, 2000, p. 5 dans Breznik et Hisrich, 2014). La capacité d’innovation comprend ainsi différents facteurs qui permettent à l’entreprise d’innover et de rester innovante dans le temps. Elle devient ainsi l’une des capacités les plus importantes de l’entreprise (Birchall et Tovstiga, 2005).

L’amélioration continue est une dimension clé de la capacité d’innovation (Szetto, 2001). Il s’agit de la consolidation de l’ensemble des ressources, compétences et capacités nécessaires à la viabilité et au maintien de la capacité d’innovation dans le temps (Forsman, 2011). Breznik et Hisrich (2014) envisagent les capacités dynamiques comme des composantes clés de la capacité d’innovation (Boly, 2014 ; Forsman, 2011). Elles facilitent l’adaptation au changement (Hill et Rothaermel, 2003) et influencent la capacité de la firme à maintenir, à améliorer, à reconfigurer ses actifs et à en créer de nouveaux (Ambrosini et Bowman, 2009 ; Fallon-Byrne et Harney, 2017 ; Teece, 2007). Les capacités dynamiques sont donc des dimensions déterminantes de la capacité d’innovation. Elles conditionnent son existence et son maintien au sein d’environnements dynamiques (Breznik et Hisrich, 2014 ; Teece, 2007, p. 1344). En ce sens, les capacités d’adaptation et d’évolution sont importantes, notamment pour les PME qui évoluent dans un environnement particulièrement incertain (Felin, Foss, Heimeriks et Madsen, 2012 ; O’Connor, 2008). Cependant, les recherches antérieures montrent des difficultés pour définir et caractériser les micro-fondations de ces CD (Baretto, 2010 ; Dixon, Meyer et Day, 2014 ; Fallon-Byrne et Harney, 2017 ; Wang, Senaratne et Rafiq, 2015) tout comme elles ne proposent pas de consensus sur la nature précise du lien entre capacité d’innovation et CD (Breznik et Hisrich, 2014). Il n’existe pas dans la littérature de définition ou de caractérisation des micro-fondations des CD qui influencent la capacité d’innovation des PME (Fallon-Byrne et Harney, 2017 ; Teece, 2007 ; Wu, 2010). La question se pose alors de savoir comment caractériser les CD et leur lien avec la capacité d’innovation. De plus, s’agit-il de CD génériques ou spécifiques aux PME ? Cette recherche vise à proposer des éléments de réponse à ces questions.

À ce sujet, la littérature ne propose pas de consensus (Öberg, Adams et Alexander, 2014). Pour certains auteurs, la capacité d’innovation et les capacités qui la déterminent peuvent être analysées de manière générique en utilisant un ensemble de best practices (Lawson et Samson, 2001). Pour d’autres auteurs, chaque contexte est spécifique et il est important de prendre en compte ces spécificités pour comprendre le processus d’innovation (Tidd, 2001). En interne, le type d’innovation recherchée influence le développement des capacités nécessaires à la réussite des projets d’innovation (O’Connor, 2008 ; Tidd, 2001 ; Garcia et Calantone, 2002). En externe, ce sont les caractéristiques environnementales qui influencent le développement des capacités nécessaires à l’innovation (Damanpour et Wischnevsky, 2006 ; Persaud, 2005). Les deux approches, générique ou spécifique, conduisent à des modèles différents (Pierre et Fernandez, 2017). Par conséquent, les capacités ou combinaisons de CD influençant la capacité d’innovation restent insuffisamment comprises, notamment en fonction des différents contextes (Adams, Bessant et Phelps, 2006 ; Breznik et Hisrich, 2014 ; Fallon-Byrne et Harney, 2017 ; Morel, Camargo et Boly, 2012 ; Wu, 2010). Il est donc nécessaire de conduire de nouvelles recherches pour comprendre les CD déterminant la capacité d’innovation des PME.

1.3. Les spécificités des PME et leur impact sur la capacité d’innovation

Les PME présentent des caractéristiques structurelles et comportementales spécifiques qui influencent particulièrement l’innovation (Gronum, Verreyne et Kastelle, 2012 ; Keizer, Dijkstra et Halman, 2001 ; Motwani et al., 1999). Par conséquent, l’étude des capacités dynamiques qui déterminent la capacité d’innovation doit tenir compte des spécificités des PME. Bien qu’une grande diversité de spécificités existe (Julien, 1993 ; Gueguen, 2009), notre attention se concentre sur les trois spécificités les plus influentes sur la capacité d’innovation : le rôle prépondérant du propriétaire-dirigeant et son influence personnelle sur le développement de l’entreprise, le manque structurel de ressources, l’informalité et la flexibilité des structures organisationnelles.

Premièrement, l’activité d’innovation de la PME est fortement influencée par le dirigeant[1] (Julien et Carrier, 2002 ; Madrid-Guijarro, Garcia et Auken, 2009). Il est perçu comme le moteur principal de l’activité. L’impulsion créative et la gestion du processus dépendent de sa vision et de ses objectifs (Chanut-Guieu et Guieu, 2014 ; O’Regan, Ghobadian et Gallear, 2005 ; Teirlinck et Spithoven, 2013). Les caractéristiques du dirigeant tendent donc à conditionner l’entreprise et son activité d’innovation (Hyvärinen, 1990 ; Lefebvre, Masson et Lefebvre, 1997). Trois caractéristiques du dirigeant influencent plus particulièrement cette activité : (1) ses expériences personnelles ; (2) les habitudes et le comportement du dirigeant ; (3) le style de management. Les compétences et capacités développées par le dirigeant au cours d’expériences personnelles et professionnelles influencent par transfert l’activité d’innovation de la PME (Birchall, Chanaron et Soderquist, 1997 ; De Jong, 2013). Ces comportements récurrents expliquent pourquoi certains dirigeants sont plus enclins à favoriser et à mettre en place des activités d’innovation (Ahlin, Drnovšek et Hisrich, 2014 ; Khedhaouria, Gurău et Torrès, 2015 ; Miller et Toulouse, 1986 ; Lefebvre, Masson et Lefebvre, 1997). En fonction de leurs habitudes, les dirigeants accepteront par exemple de prendre des risques ou au contraire limiteront la prise de risque au détriment de la capacité d’innovation (Hausman, 2005 ; Khedhaouria, Gurău et Torrès, 2015 ; Rothwell et Zegveld, 1982). Enfin, alors que certains dirigeants privilégient l’ouverture avec les parties prenantes (Kickul et Gundry, 2002), d’autres adoptent un management plus défensif (Lefebvre, Masson et Lefebvre, 1997 ; Thom, 1990). Le style de management est également influencé par la personnalité du dirigeant.

Deuxièmement, alors que le manque de ressources est contextuel pour les grandes entreprises, il est structurel pour les PME, ce qui représente une difficulté majeure pour l’innovation (Hausman, 2005 ; Hewitt-Dundas, 2006 ; Madrid-Guijarro, Garcia et Auken, 2009). Le manque de ressources varie en fonction de l’entreprise et de son environnement (Hadjimanolis, 2000 ; Madrid-Guijarro, Garcia et Auken, 2009 ; Rothwell, 1989). Pour y remédier, les PME ont deux possibilités. La première consiste à développer des collaborations interorganisationnelles pour accéder aux ressources manquantes (Gronum, Verreyne et Kastelle 2012 ; Huet, 2006 ; Konsti-Laakso et Pihkala, 2012 ; Lasagni, 2012 ; Lin et Lin, 2016). Pour bénéficier de ces partenariats, les PME doivent être dotées de capacités d’apprentissage (Huet, 2006). La seconde possibilité consiste à développer les ressources manquantes en interne (Love, Roper et Du, 2009 ; Mohannak, 2007). L’optimisation de leur utilisation devient un enjeu essentiel (Wolff et Prett, 2006). Pour ce faire, il convient de mettre en oeuvre des principes et des outils de management appropriés (Motwani et al., 1999 ; Sebora, Hartman et Tower, 1994).

Troisièmement, l’informalité et la flexibilité des PME sont souvent présentées comme des facteurs d’adaptation et de créativité (Qian et Li, 2003 ; Wolff et Prett, 2006). L’informalité et la flexibilité peuvent pallier le manque structurel de ressources des PME, envisagées comme des organisations simples, avec peu de niveaux hiérarchiques et un pouvoir décisionnaire centralisé. D’une part ces structures simplifiées permettent d’intégrer et de réagir aux évolutions des technologies et des besoins du marché (Julien et Carrier, 2002 ; Lee et Chen, 2009 ; Qian et Li, 2003). Les structures organisationnelles peu formalisées, peu hiérarchiques avec un processus de décision rapide ont une meilleure capacité de changement que les structures formelles et hiérarchiques pour qui le changement est long et coûteux (Julien et Carrier, 2002 ; Mazzarol, Reboud et Soutar, 2009). Mais d’autre part, les structures simples et informelles peuvent créer des processus d’innovation chaotiques et non maîtrisés. La structure des PME peut entraîner des difficultés pour le pilotage des projets et une gestion sous- optimale des ressources. Les capacités des PME à innover et à valoriser leurs innovations pourraient en être limitées (Hadjimanolis, 1999, 2000). Au contraire, la formalisation de l’activité permettrait d’améliorer leur processus d’innovation (Fréchet et Goy, 2017 ; Terziovcki, 2010).

Dans le prolongement des spécificités, la littérature propose un débat concernant l’influence de l’agilité sur la capacité d’innovation des PME. Pour certains auteurs, elle permet aux PME de développer des activités d’innovation plus facilement et plus efficacement que les grandes entreprises (Motwani et al., 1999 ; Vossen, 1998). Il serait donc contre nature de structurer et formaliser ces activités (Fiegenbaum et Karnani, 1991 ; Appiah-Adu et Singh, 1998 ; Qian et Li, 2003). Au contraire, pour d’autres auteurs, le manque de ressources structurelles des PME représente un frein à l’innovation (Hitt, Hoskinsson et Ireland, 1990) et leur accès représente un enjeu majeur (Julien et Carrier, 2002 ; Torrès, 1998). La formalisation des processus d’innovation serait donc nécessaire pour optimiser l’utilisation des ressources et pour améliorer la capacité de détection et d’intégration des ressources extérieures (Motwani et al., 1999 ; Prakash et Gupta, 2008). L’amélioration de la performance en innovation des PME reposerait alors sur une augmentation de la formalisation de la PME sans nuire ni à sa flexibilité ni à sa créativité.

Dans cette recherche, nous explorons les capacités dynamiques, comme un possible déterminant de la capacité d’innovation des PME. L’objectif est de répondre aux questions suivantes : (a) En quoi les spécificités des PME influencent-elles la nature des CD et donc leur capacité d’innovation ? (b) Comment l’absence de CD peut-elle influencer la capacité d’innovation des PME ? (c) Quelles CD peuvent par leur absence expliquer l’échec du processus d’innovation d’une PME ? Pour répondre à ces questions, un cadre d’analyse des capacités dynamiques comme déterminant de la capacité d’innovation des PME est proposé.

2. Cadre d’analyse

Les capacités dynamiques permettent de créer, d’étendre, d’améliorer, de protéger et de mettre à jour le stock de ressources, de compétences et de capacités de la firme (Teece, 2007). Dans un environnement évolutif, les CD apparaissent comme un facteur de changement, à l’origine d’une possible reconfiguration des actifs et des processus (Eisenhardt et Martin, 2000 ; Zahra, Sapienza et Davidsson, 2006 ; Zollo et Winter, 2002). Ces reconfigurations jouent un rôle essentiel dans le maintien de la compétitivité des firmes au sein d’environnements dynamiques (Wu, 2010). Les CD sont donc perçues comme un avantage pour les entreprises impliquées dans une démarche d’innovation (Breznik et Hisrich, 2014 ; Fallon-Byrne et Harney, 2017). Elles reflètent les mécanismes d’adaptation aux évolutions technologiques et concurrentielles de l’environnement (Felin et al., 2012 ; Lee et Kelley, 2008 ; O’Connor, 2008).

Malgré les difficultés à proposer de réelles définitions opérationnelles des CD (Prévot, Brulhart, Guieu et Maltese, 2010), certains auteurs suggèrent de les identifier à partir de bonnes pratiques (best practices) (Eisenhardt et Martin, 2000). La pluralité des typologies recensées dans la littérature témoigne d’un manque de consensus et d’une grande variété de CD (Ambrosini et Bowman, 2009 ; Denford, 2013 ; Einsehardt et Martin, 2000 ; Wang et Ahmed, 2007 ; Teece, 2007). Nous appuyons notre analyse sur la typologie de Teece (2007). Elle présente l’intérêt de les opérationnaliser à partir de leurs micro-fondations et distingue trois types de CD ; les CD qui permettent de détecter les signaux d’évolution de l’environnement ; les CD qui permettent de saisir et d’utiliser ces évolutions ; les CD qui permettent de mettre en place le changement.

Les micro-fondations des CD apportent une vision plus tangible et plus opérationnelle des CD (Barney et Felin, 2013 ; Fallon-Byrne et Harney, 2017). Ces micro-fondations intègrent les actions des individus (Eisenhardt, Furr et Bingham, 2010) et les capacités organisationnelles de la firme (Barney et Felin, 2013). L’analyse des micro-fondations permet alors une meilleure identification des compétences et des processus constituant les capacités dynamiques (Fallon-Byrne et Harney, 2017 ; Eisenhardt et Martin, 2000). Leur caractérisation reste toutefois limitée et la principale raison réside dans la nécessité de proposer une analyse contextualisée des CD pour parvenir à en proposer une vision empirique et opérationnelle (Wu, 2010). Cette observation est d’autant plus valable au regard du contexte d’activité d’innovation, proposant une complexité supérieure et induisant de fait une attention particulière à la mise en place du contexte et des frontières de l’analyse (Chadwick, Way, Kerr et Thacker, 2014 ; Fallon-Byrne et Harney, 2017). Comme précisé par l’auteur sur sa proposition, « l’effort ici n’est pas conçu pour être complet, l’objectif est d’intégrer la littérature sur la stratégie et l’innovation afin de fournir un cadre théorique qui met en lumière les besoins les plus critiques en matière de gestion des capacités afin de maintenir l’aptitude évolutive et entrepreneuriale de l’entreprise » (Teece, 2007, p. 1322)[2]. La recherche s’inscrit dans cette approche. Elle vise à analyser les CD qui peuvent, par leur absence, nuire à la capacité d’innovation et in fine à la performance en innovation des PME. C’est pourquoi, en nous appuyant sur la typologie de Teece (2007), nous proposons le cadre d’analyse suivant (Figure 1).

Figure 1

Cadre d’analyse

Cadre d’analyse

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3. Méthode

3.1. Recherche qualitative de type étude de cas

L’objectif de cette recherche est de comprendre les facteurs du déclin de la capacité d’innovation de la PME et de son échec. Ils sont appréhendés au travers du concept de capacités dynamiques et de la typologie proposée par Teece, Pisano et Shuen (1997) et Teece (2007). Conformément aux recommandations de la littérature, une analyse in vivo du processus d’innovation et des facteurs d’échec est réalisée (Crutzen et Van Caillie, 2009, 2010 ; Ropega, 2011).

Une étude qualitative de type étude de cas est recommandée compte tenu du caractère exploratoire et compréhensif de la recherche (Langley et Royer, 2006). Il ne s’agit pas de proposer une théorie per se ni de tester une théorie, mais plutôt de comprendre l’influence des CD sur la capacité d’innovation. Plus particulièrement nous souhaitons étudier l’influence de l’absence de CD sur le déclin de la capacité d’innovation et in fine de la performance en innovation de la PME.

3.2. Collecte des données

L’étude de cas approfondie est réalisée à partir de données primaires et secondaires (Yin, 2014). Les données primaires sont principalement issues de l’accompagnement d’une PME sur une période de douze mois. L’accompagnement s’articule autour de trois étapes. Premièrement, un audit de l’ensemble des salariés impliqués directement dans le processus d’innovation est réalisé. Vingt et un entretiens semi-directifs sont effectués : quatre avec les membres du comité de direction (CODIR), treize avec les équipes techniques et quatre avec les équipes commerciales et marketing. La seconde étape est consacrée à la restitution avec les équipes. L’objectif de cette restitution est de confronter l’analyse du chercheur avec la vision des personnes impliquées sur le terrain. Il s’agit de profiter de leurs retours pour compléter ou questionner l’analyse afin d’en améliorer la validité. Trois restitutions sont réalisées : une auprès du dirigeant, une autre auprès du dirigeant accompagné du CODIR, et une dernière à la direction au CODIR et aux équipes R&D. Ces restitutions permettent de rédiger une feuille de route en accord avec la direction. Troisièmement, l’entreprise est accompagnée pour lui permettre d’optimiser son processus d’innovation. Cet accompagnement donne lieu à six rencontres : deux avec l’équipe dirigeante, trois avec la direction, le CODIR et les équipes R&D, une avec les équipes R&D et deux avec le directeur R&D. Pour chaque rencontre, une prise de note détaillée et des observations sont réalisées. Les comptes rendus des rencontres sont systématiquement présentés à la direction et validés. Les données primaires sont confrontées à des données secondaires à des fins de triangulation (Tableau 1).

Tableau 1

Le matériau empirique

Le matériau empirique

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3.3. Présentation du cas

3.3.1. L’entreprise Alpha

L’étude porte sur la structuration de l’activité d’innovation d’une PME appelée entreprise « Alpha » pour des raisons de confidentialité. Alpha est une PME industrielle de conception et de production d’outils et systèmes de traitement de l’eau. Elle compte une cinquantaine de salariés, réalise un chiffre d’affaires d’environ 10 millions d’euros en 2015, et affiche une croissance soutenue de 2010 à 2013. Elle est composée d’un service R&D interne, d’un service production responsable de l’industrialisation, d’un service commercial responsable des ventes et de la veille de marché et d’un service marketing en cours de structuration. Le service R&D se compose de quatre ingénieurs et d’un directeur R&D indépendant. Chaque service a un manager qui fait également partie du comité de direction. Le comité de direction est composé des directeurs de service, du directeur administratif et financier et du dirigeant.

3.3.2. L’innovation et la manifestation de l’échec pour Alpha

En 2010, Alpha dépose un brevet à partir duquel elle commercialise toute une gamme de produits technologiquement différenciés de ceux de ses concurrents directs. Grâce à ce brevet, l’activité d’innovation d’Alpha connaît une forte croissance. Cependant, Alpha se trouve aujourd’hui dans une situation difficile. Elle semble incapable de proposer des produits nouveaux sur un marché qui lui ne cesse d’évoluer. Les efforts sont concentrés sur l’ergonomie des produits, mais pas sur les fonctionnalités, contrairement à la tendance du marché. Sur les treize projets en cours au sein du pôle R&D (Annexe 1), dix projets sont focalisés sur la personnalisation de produits existants ou l’ajout de fonctionnalités mineures. Les trois projets restants sont dotés d’un fort potentiel d’innovation et représentent une source de différentiation majeure pour l’entreprise. Cependant, ces projets sont lancés depuis plus d’un an, mais n’aboutissent pas ou ont été arrêtés avant leur terme, générant des pertes importantes, comme en témoigne la direction (Annexe 1). Il n’y a pas eu d’autre brevet depuis 2010. Jusqu’à présent, Alpha arrivait à lutter contre la concurrence avec une démarche d’innovation de continuité, mais aujourd’hui, des PME innovantes émergentes proposent une offre innovante ciblée concurrente directe de l’offre d’Alpha.

Conformément aux recommandations de la littérature (Chowdhury et Lang, 1993 ; Daubie et Meskens, 2002), il est possible de considérer le cas Alpha comme un cas d’échec d’innovation d’une PME. L’échec est envisagé comme le déclin de la performance en innovation d’Alpha. Il est mesuré par deux indicateurs : le nombre de brevets déposés (Hagedoorn et Cloodt, 2003) et le nombre d’innovations mises sur le marché au cours des trois dernières années (De Jong et Marsili, 2006 ; Romijn et Albaladejo, 2002). Suivant ces deux indicateurs, Alpha n’a proposé aucun éxtrant au cours des trois dernières années. Elle peut donc être considérée comme non performante en innovation.

En raison de l’évolution de son activité d’innovation, Alpha représente un cadre d’étude particulièrement intéressant pour comprendre le déclin de la performance en innovation d’une PME. Après une phase de croissance soutenue obtenue grâce à une rupture technologique et le dépôt d’un brevet, Alpha continue d’investir et constitue une équipe entière dédiée à la R&D. Cependant, ces investissements ne parviennent pas à produire les résultats escomptés. L’étude du processus de déclin permet de comprendre les déterminants de l’échec. Il s’agit d’analyser les CD manquantes à l’entreprise pour maintenir sa capacité d’innovation. Nous proposons une exploration originale des CD et de leur influence sur la survie et le développement d’une PME. Les résultats obtenus contribuent ainsi à la littérature sur les causes d’échec pour les PME (Crutzen et Van Caillie, 2009, 2010 ; Ropega, 2011).

3.4. Analyse des données

Le matériau empirique composé de données primaires et secondaires a fait l’objet d’une analyse thématique de contenu. Conformément aux recommandations de Miles et Huberman (2003), l’analyse repose sur un codage des données réalisé en deux phases successives à partir du logiciel NVivo. La première phase de codage est descriptive. Le codage s’articule autour des trois dimensions des CD conformément aux travaux de Teece et al. (1997) et Teece (2007). La deuxième phase de codage est interprétative. Elle consiste à analyser les résultats descriptifs pour en faire émerger des groupements thématiques. Ces groupements thématiques sont des dimensions émergentes de la capacité d’innovation. L’absence de CD génère des difficultés que nous interprétons comme des facteurs pouvant expliquer le déclin de la performance en innovation de la PME. L’arborescence de codes obtenue permet ainsi d’identifier les principales capacités dynamiques manquantes, pouvant expliquer le déclin. Des verbatim sont utilisés pour illustrer notre analyse. Les résultats de l’analyse ont bénéficié d’une validation externe. Ils ont été présentés à la direction d’Alpha en deux temps : à la fin de la première partie d’audit et à la fin de la partie d’accompagnement terrain. Suite à cette validation, la direction d’Alpha a sollicité un accompagnement pour l’aider à remédier à cette situation d’échec.

4. Résultats

Les résultats de l’étude de cas mettent en évidence l’influence de l’absence de certaines CD sur le maintien de la capacité d’innovation et in fine sur la performance en innovation d’une PME. L’analyse des données réalisée en deux phases permet de présenter les résultats finaux sous la forme des thématiques émergentes. Nous présentons successivement les cinq dimensions de la capacité d’innovation impactées par l’absence de CD.

4.1. Des incertitudes autour de la stratégie d’innovation

Les salariés et le dirigeant s’accordent pour présenter le dirigeant comme l’unique décideur de la stratégie d’innovation. En fonction de sa perception du marché, des informations qu’il détient, de sa vision de l’entreprise et des capacités présentes, c’est lui qui définit la stratégie d’innovation de la PME. Les salariés soulignent un manque de clarté dans la définition des choix stratégiques du dirigeant. Les orientations stratégiques ne sont pas clairement présentées et communiquées aux salariés (Verbatim 1, Annexe 2). Les salariés reprochent également un manque de stabilité et un manque d’opérationnalisation de ses choix. Ils ne comprennent pas la vision du dirigeant ni les objectifs qui leur sont fixés. Le dirigeant présente sa vision stratégique au travers d’objectifs quantitatifs. Ces objectifs quantitatifs sont disproportionnés et contradictoires avec le discours informel tenu aux salariés. Alors que le dirigeant pense que cette communication permet d’augmenter la motivation de ses collaborateurs (Verbatim 2, Annexe 2), elle produit des effets contraires tels que du découragement et du stress.

La stratégie est ensuite présentée comme un enchaînement de projets à court terme, sans cohérence et sans vision à long terme. Par conséquent, la stratégie d’innovation n’est pas clairement comprise par les salariés. Ils remettent en question l’existence d’une telle stratégie pour Alpha. Dépourvus de vision stratégique, les projets sont définis par opportunisme en fonction des demandes des clients (Verbatim 3, Annexe 2). En conséquence, les salariés n’osent plus proposer de nouvelles idées ou de nouveaux projets. Les salariés et en particulier l’équipe R&D ne se sentent plus suffisamment écoutés et informés pour participer à la démarche d’innovation. Ils se sentent exclus et agissent comme de simples exécutants. Ils ne font plus preuve de proactivité (Verbatim 4, Annexe 2). Les capacités de détection et d’utilisation qui permettent de définir et de réévaluer la stratégie sont détenues par le dirigeant. Cette centralisation pose des difficultés pour définir les évolutions technologiques et les orientations à prendre pour rester compétitif. Les experts ne sont pas sollicités (Verbatim 5, Annexe 3).

Les capacités nécessaires à l’implémentation sont absentes. Les membres de l’organisation ne comprennent pas les orientations choisies par le dirigeant. Un sentiment d’exclusion les pousse à réduire leur implication dans le processus. La participation des collaborateurs à la définition et à la réévaluation de la stratégie est ainsi limitée. La centralisation de la stratégie autour de la personne du dirigeant est risquée. Elle réduit la motivation des collaborateurs et leur implication. Par conséquent, elle limite la capacité de la firme à évoluer suivant une stratégie d’innovation claire et opérationnelle.

4.2. Le manque de fluidité du processus et de la communication multipôles

L’organisation et le fonctionnement interne d’Alpha sont décrits comme « hermétiques ». Le pôle R&D est décrit à plusieurs reprises comme une entité à part, coupée du reste de l’entreprise (Verbatim 6, Annexe 2). Ce cloisonnement réduit les échanges entre les services et nuit à la cohésion interne de l’entreprise. Deux raisons expliquent le phénomène. Premièrement, les rituels de communication favorisant le transfert d’informations entre les services sont absents. Aucune réunion ni aucun moment d’échange ne sont organisés pour transmettre les informations entre le pôle R&D, le pôle commercial et le pôle production. (Verbatim 7 et 8, Annexe 2). L’information reste donc cloisonnée au sein de chaque pôle. Deuxièmement, cette absence de formalisation des communications pourrait être compensée par la communication informelle. Or, comme l’expliquent les salariés, ce n’est pas le cas. La communication informelle est peu présente et limitée aux affects personnels entre les individus. Le responsable de la production et de l’industrialisation décrit des situations extrêmes où il est obligé de solliciter le service R&D pour obtenir le plan de montage de la dernière machine, car elle ne lui a jamais été présentée ni au début ni à la fin du développement (Verbatim 7, Annexe 2). La majorité des membres de l’organisation, notamment le directeur commercial, partagent cette vision critique de la communication.

Cependant, l’équipe de direction ne dispose d’aucun outil ni d’aucun indicateur pour évaluer la performance de la communication interne. Par conséquent, la direction n’a pas connaissance des dysfonctionnements et ne peut pas faire évoluer la structure de l’organisation. Face à ces difficultés, les salariés se découragent, perdent leur esprit d’initiative et le climat social se détériore par manque de cohésion (Verbatim 9, Annexe 2).

Le manque de formalisation des échanges entre les services entraîne une communication insuffisante, mais la direction ne parvient pas à détecter ce problème qui perdure et s’accentue avec la croissance des effectifs.

4.3. Les limites de l’intégration des utilisateurs et de l’ouverture aux compétences externes

L’ouverture à l’environnement dépend exclusivement du dirigeant. C’est lui qui détecte et gère l’ensemble des relations avec les parties prenantes externes. L’intégration des clients est importante dans l’organisation d’Alpha. La majorité des projets proviennent des demandes des clients. Les demandes sont sélectionnées en fonction de leur intérêt, de leur potentiel commercial et de l’importance du client pour Alpha. Cependant, cette évaluation est intégralement réalisée par le dirigeant (Verbatim 10, Annexe 2). Or, le dirigeant et le directeur R&D ont des visions différentes de ces projets. Ces différences se traduisent par des incompréhensions en termes de résultats attendus.

Les collaborations avec d’autres acteurs externes, publics ou privés sont limitées. La direction craint un transfert et une imitation des résultats. Elle perçoit le risque de pillage comme supérieur au bénéfice attendu. Pour la direction, les collaborations doivent rester des exceptions, réservées au cas où Alpha aurait besoin d’une compétence clé qui ne serait pas disponible en interne (Verbatim 11, Annexe 2), mais cela ne s’est jamais produit. La direction préfère développer les compétences manquantes en interne plutôt que de s’allier avec un partenaire externe pour accéder à cette compétence. La direction souhaite maîtriser intégralement la propriété du savoir tout en limitant sa diffusion. En conséquence, une fermeture à toute proposition de collaboration interorganisationnelle s’installe progressivement, ce qui est difficilement accepté par les partenaires potentiels. En refusant de collaborer, la direction exclut progressivement l’entreprise de son écosystème national et régional.

La capacité de détection d’Alpha est centralisée par le directeur. Cette capacité de détection semble efficace pour les clients. Cependant, la centralisation de la capacité présente quelques limites. Les attentes des clients ne sont évaluées que par le dirigeant. De plus, la centralisation de la capacité de détection pose des difficultés pour développer des collaborations. La position réfractaire du directeur exclut progressivement la firme de son réseau, ce qui nuit à la capacité d’innovation de la firme.

4.4. La gestion dynamique des projets

Deux difficultés majeures apparaissent dans la gestion de projets d’Alpha. Premièrement, les projets sont gérés au cas par cas, sans hiérarchisation ni priorisation. Comme pour la stratégie, la direction ne présente pas de management global de tous les projets. La règle de décision est l’urgence (Verbatim 12, Annexe 2). Les projets de court terme sont privilégiés et laissent peu de temps aux équipes pour travailler sur des projets stratégiques de développement à long terme. Le manque de hiérarchisation et de priorisation montre l’absence de capacité à gérer un portefeuille de projets. Les projets à fort potentiel et source de différentiation pour Alpha ne sont pas développés ou le sont uniquement s’il existe un creux dans les projets « alimentaires » (Verbatim 13, Annexe 2). Alpha n’arrive plus à relancer des cycles d’innovation et reste focalisée sur le développement d’une gamme de produits personnalisés. Les produits reposent sur des innovations anciennes, datant de plusieurs années. Le conditionnement a été amélioré, mais la technologie reste la même. Alpha se retrouve en position de prétendant face à des concurrents très innovants. C’est déjà le cas sur un type d’alimentation. Alpha n’a pas encore réussi à développer cette technologie (Annexe 1, P2) alors qu’un concurrent la commercialise déjà.

Deuxièmement, Alpha n’organise pas de suivi ni d’évaluation systématique des projets en cours. Quelques réunions sont décidées au dernier moment, dans l’urgence, ce qui limite leur intérêt et réduit l’assiduité. Soit les différents services compétents ne sont pas conviés, soit ils ne sont pas disponibles. Le pôle R&D est responsable du suivi, mais ne dispose pas des informations nécessaires issues des équipes commerciales et de production. Il ne parvient plus à animer ce suivi (Verbatim 14, 15 et 16, Annexe 2). L’absence de gestion des projets crée des difficultés pour intégrer les attentes du marché en termes de délais et de qualité. Le pôle R&D ne dispose pas des études de faisabilité réglementaire pour les produits. Les équipes de production ne connaissent pas les caractéristiques des produits et ne participent pas à la réalisation des cahiers des charges ce qui réduit leur efficacité.

Les projets voués à l’échec sont abandonnés tardivement par manque de ressources. Un projet jugé prioritaire pour l’entreprise a été abandonné au bout de deux ans alors qu’une analyse en amont du projet aurait permis de détecter son manque de faisabilité technique (Annexe 1, P11). Alpha a finalement préféré acheter la technologie pour équiper ses machines (Verbatim 17, Annexe 2) après deux ans d’investissements en R&D inutiles.

Alpha souffre d’un manque de gestion efficace de son portefeuille de projets. Il existe bien une capacité de détection, mais la gestion des projets reste concentrée au sein de chaque pôle, empêchant une gestion efficace globale des projets. Le dirigeant et le directeur R&D assurent seuls la gestion informelle des projets en cours, mais compte tenu du nombre de projets en cours, cette gestion informelle devient insuffisante. La centralisation de la gestion par le dirigeant et par le directeur R&D crée un manque de coordination, de collaboration et de communication entre les différents services (Annexe 3). La rétention d’information est parfois volontaire, ce qui nuit également à l’efficacité de la gestion de projets. Les équipes dirigeantes perçoivent difficilement ces difficultés et ne sont pas parvenues à mettre en place une organisation capable de gérer un portefeuille de projets innovants. Alpha semble donc incapable d’allouer son temps et ses ressources efficacement aux différents projets suivant une stratégie d’innovation préalablement définie. De ce fait, la R&D reste focalisée sur des projets secondaires, d’exploitation de technologies obsolètes, sans parvenir à explorer.

4.5. Le management des connaissances et savoirs internes

L’organisation au sein de l’entreprise semble limiter la capacité d’intégration, de stockage et de diffusion des connaissances acquises par les salariés. Les seuls partages existants reposent sur les capacités des individus à échanger entre eux de manière informelle. Il n’existe pas de processus incitatif ni d’outil collaboratif pour partager les connaissances au sein de l’entreprise (Verbatim 18, Annexe 2). Les connaissances sont donc cloisonnées dans les différents services et le partage repose sur la volonté des salariés.

En cas de départ d’un salarié, les connaissances sont perdues. Le fonctionnement et l’efficacité de son équipe s’en trouvent perturbés. Le départ d’un ingénieur a créé un flottement important sur tous les projets dans lesquels il était impliqué. Son successeur a éprouvé de grandes difficultés en raison de cette absence de stockage et de partage de connaissances internes (Verbatim 19, Annexe 2). Les résultats de l’étude montrent l’absence de capacité pour détecter et analyser les désirs de mobilité des salariés. Le management des ressources humaines est focalisé sur la rémunération et néglige les autres facteurs de motivations tels que l’environnement de travail, l’autonomie, la confiance et les perspectives d’évolution (Verbatim 20, Annexe 2). Cette vision est confirmée par la direction (Verbatim 21, Annexe 2). Les entretiens individuels sont les seuls moments d’échange entre la direction et les salariés. Or, ces entretiens sont utilisés dans une logique descendante pour fixer les objectifs aux salariés. Alpha est donc incapable de détecter et d’évaluer le potentiel de ses ressources. La direction ne perçoit pas le management des connaissances comme une priorité. Elle n’a pas détecté les difficultés liées à cette activité ni leur impact sur la capacité d’innovation.

La croissance intense et rapide d’Alpha est à l’origine des difficultés rencontrées. La direction et les salariés se sont retrouvés dépassés par cette évolution. Le manque de formalisation de l’organisation, le manque de communication interne et le manque de relations avec l’environnement expliquent les difficultés rencontrées pour maintenir la stratégie d’innovation. L’organisation informelle qui était une force aux débuts est devenue une source de rigidité. Elle empêche Alpha de s’adapter aux évolutions de l’environnement. La structure de l’organisation n’a pas suivi son développement économique. Grâce à ses offres personnalisées, Alpha maintient une situation financière équilibrée, mais cette situation ne peut pas être durable compte tenu de l’accroissement de la concurrence et des évolutions du marché. Le tableau 2 résume les micro-fondations des CD absentes chez Alpha, qui peuvent expliquer le déclin de sa capacité d’innovation.

Tableau 2

Micro-fondations des CD absentes chez Alpha

Micro-fondations des CD absentes chez Alpha

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5. Discussion

Les résultats obtenus apportent un éclairage nouveau sur plusieurs points. Premièrement, ils illustrent l’absence de certaines capacités dynamiques pouvant conduire à l’échec du processus d’innovation d’une PME. Ils proposent ainsi une illustration in vivo des causes pouvant favoriser l’échec. Ce qui est présenté comme un enjeu majeur dans la littérature (Van Caillie, 2000). Deuxièmement, ils précisent le lien entre capacité d’innovation et capacités dynamiques. Ils éclairent notamment les micro-fondations de ces capacités propres aux PME (Eisenhardt et Martin, 2000 ; Teece, 2007 ; Wu, 2010). Troisièmement, les résultats participent au débat sur les spécificités des PME (Torrès, 1998 ; Volery et Mazzarol, 2015) en particulier sur l’impact des spécificités sur les facteurs déterminants de la performance en innovation des PME (Motwani et al., 1999 ; Salerno, De Vasconcelos, Oliveira Da Silva, Bagno et Teixeira, 2014 ; Terziovcki, 2010).

5.1. L’absence de capacités dynamiques comme possible cause d’échec de l’activité d’innovation en PME

L’étude montre l’influence de l’absence de certaines capacités dynamiques dans le maintien de la capacité d’innovation de la PME. L’absence de ces CD apparaît comme un des facteurs possibles de son échec. L’organisation qui ne maîtrise plus ces CD clés, ne parvient plus à détecter et à utiliser les signaux internes et externes. Elle devient alors incapable de s’adapter. Le cas Alpha, montre que le manque de communication interne et le manque d’ouverture expliquent sa rigidité et son immobilisme. L’absence de capacités dynamiques est particulièrement critique lors des phases d’utilisation et d’implémentation, car elle empêche l’évolution des processus internes au sein de l’entreprise. La stratégie reste focalisée sur l’exploitation d’actifs existants et l’entreprise se retrouve menacée par les nouvelles offres des concurrents. Ces difficultés ne sont pas détectées par la direction. Elle n’arrive pas à évaluer ni à faire évoluer les ressources et les processus internes provoquant ainsi le déclin de la capacité d’innovation. L’intervention d’un acteur tiers a été nécessaire pour pallier ces difficultés.

L’absence de certaines CD semble déterminante pour maintenir la performance en innovation de la firme. Ce résultat prolonge les travaux antérieurs qui illustrent le rôle des CD dans la démarche d’innovation et le maintien de la compétitivité des firmes (Teece, 2007 ; Helfat et Peteraf, 2003). Les CD semblent particulièrement importantes pour les PME, car elles leur permettent de s’adapter à l’environnement en reconfigurant leurs ressources et compétences internes (Helfat et Peteraf, 2003). En ce sens, la flexibilité et l’agilité traditionnellement présentées comme des facteurs clés du succès des PME (Julien, 2002) sont insuffisantes pour Alpha. L’absence de CD peut ainsi expliquer le déclin de la capacité d’innovation et à plus long terme, le déclin de la performance en innovation.

Nous suggérons que les PME doivent faire évoluer leur capacité d’innovation pour préserver leur avantage concurrentiel. Nous prolongeons ainsi les recherches antérieures (Eisenhardt et Martin, 2000 ; Teece, 2007 ; Wang et Ahmed, 2007), en traitant le cas spécifique des PME. La capacité d’innovation statique, basée uniquement sur l’exploitation des ressources et des capacités existantes, sans capacités dynamiques lui permettant d’évoluer, serait donc un frein à la poursuite d’une stratégie d’innovation performante. Elle serait en ce sens une cause d’échec des PME innovantes. Cette conclusion s’inscrit dans la perspective des travaux d’Helfat et Peteraf (2003). Le cas étudié illustre la nécessité pour les PME de faire évoluer leurs ressources et capacités pour maintenir leur performance en innovation.

En accord avec les recherches antérieures, les résultats confirment l’influence des capacités dynamiques managériales sur la PME (Adner et Helfat, 2003). Le dirigeant joue un rôle essentiel dans la stratégie d’innovation de la PME. Les habitudes et les capacités individuelles du dirigeant représentent des facteurs déterminants de l’évolution de la PME. Ces observations sont en lien avec les recherches qui traitent de l’influence de l’entrepreneur et de l’équipe managériale sur les facteurs d’échec (Bradley et Moore, 2000 ; Ropega, 2011).

Enfin, l’absence de CD apparaît comme un facteur susceptible d’impacter négativement l’activité d’innovation d’une PME. L’illustration du processus et des facteurs pouvant conduire à l’échec (Crutzen et Van Caillie, 2009, 2010 ; Ropega, 2011), représente une analyse originale des facteurs d’échec de l’innovation en PME.

5.2. Les micro-fondations des capacités dynamiques comme antécédents de la capacité d’innovation des PME

Au travers de cette recherche, nous proposons une analyse des micro-fondations des capacités dynamiques dans un contexte d’innovation en PME (Wu, 2010 ; Teece, 2007). Ils s’inscrivent dans la perspective des travaux portant sur les liens entre capacités dynamiques et capacité d’innovation (Breznik et Hisrich, 2014).

Premièrement, les trois dimensions des CD et leurs micro-fondations sont importantes (Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Teece, 2007) dans le contexte de PME innovantes (Figure 2). Elles sont complémentaires de sorte que l’absence d’une dimension compromet la totalité du processus d’innovation. Ainsi, l’absence de capacités de détection ou la non-utilisation de connaissances place l’entreprise et sa direction dans une situation d’ignorance passive, dépourvue de capacité à détecter les signaux d’évolution de l’environnement. Cette ignorance passive empêche ensuite la saisie et l’utilisation des évolutions détectées pour implémenter le changement. Ces répercussions amènent progressivement à une situation d’échec. Le cas Alpha montre l’impact du manque de capacité de détection, de saisie et d’implémentation sur l’évolution de l’entreprise.

Deuxièmement, nous illustrons le lien entre capacité d’innovation et capacités dynamiques dans le cadre des PME (Breznik et Hisrich, 2014). Comme le montre la figure 2, cinq dimensions de la capacité d’innovation, émergentes du cas Alpha, semblent impactées par l’absence de CD : la stratégie d’innovation, la culture organisationnelle et la structure, les réseaux, l’opérationnalisation du processus et le management des connaissances. Pour chaque dimension, l’absence de plusieurs capacités dynamiques émergentes et leurs micro-fondations sont présentées comme des possibles déterminants de l’échec de la capacité d’innovation des PME.

Nous caractérisons les capacités dynamiques et leur micro-fondations comme des antécédents de la capacité d’innovation (Breznik et Hisrich, 2014 ; Hill et Rothaermel, 2003). Nous prolongeons les travaux qui discutent la relation entre CD et capacité d’innovation. Ainsi, la capacité d’innovation ne serait pas un synonyme de capacité dynamique (Breznik et Hisrich, 2014 ; Helfat et al., 2007) ni une simple composante des capacités dynamiques (Wang et Ahmed, 2007). Au contraire, la capacité d’innovation serait une capacité dite substantive déterminée par les CD, elles-mêmes responsables de la constitution et du maintien de la capacité d’innovation. Par conséquent, nous invitons à considérer l’absence de CD comme déterminante du déclin de la capacité d’innovation. Enfin, les résultats illustrent les micro-fondations de ces capacités dynamiques dans le contexte particulier de l’innovation en PME (Wu, 2010 ; Teece, 2007).

Figure 2

Micro-fondations des capacités dynamiques influençant par leur absence la capacité d’innovation

Micro-fondations des capacités dynamiques influençant par leur absence la capacité d’innovation

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5.3. Capacité d’innovation, capacités dynamiques et spécificité des PME

Nous participons au débat sur les spécificités des PME et leur influence sur la capacité d’innovation. La littérature dominante envisage les PME comme des organisations dotées de caractéristiques communes et les étudie en opposition aux grandes entreprises (Torrès et Julien, 2005 ; Volery et Mazzarol, 2015). Selon ces auteurs, la PME représente un objet de recherche spécifique.

Parmi les caractéristiques spécifiques, la personnalité, les habitudes et le parcours du dirigeant sont reconnus comme ayant un impact déterminant sur la gestion et les orientations stratégiques de la PME (Julien et Carrier, 2002 ; O’Regan, Ghobadian et Gallear, 2005 ; Teirlinck et Spithoven, 2013). Les compétences, l’expérience, et le profil comportemental et psychologique du dirigeant (Birchall, Chanaron et Soderquist, 1997 ; De Jong, 2013 ; Lefebvre, Masson et Lefebvre, 1997 ; Romijn et Albaladejo, 2002) influencent directement la stratégie d’innovation de l’entreprise (Ahlin, Drnovšek et Hisrich, 2014 ; Miller et Toulouse, 1986 ; Khedhaouria, Gurău et Torrès, 2015 ; Lefebvre, Masson et Lefebvre, 1997). Le cas étudié confirme et illustre l’influence du dirigeant sur les capacités dynamiques qui permettent le maintien de la capacité d’innovation. Il montre l’impact des heuristiques et de la rigidité du dirigeant qui rendent le fonctionnement de l’entreprise obsolète et inefficace. La vision négative du dirigeant vis-à-vis des collaborations interorganisationnelles prive ainsi la PME de nouvelles ressources. De même, le fonctionnement et les compétences du dirigeant limitent la capacité de la firme à détecter et à intégrer les évolutions de l’environnement. La PME se retrouve alors incapable d’évoluer à son tour. Il est à noter que ces freins sont apparus avec l’évolution de l’entreprise. Aux débuts d’Alpha, la personnalité et les caractéristiques du dirigeant étaient apparues comme les sources principales de sa croissance. Le développement de l’entreprise reposait notamment sur sa capacité à mobiliser et à fidéliser un réseau de clients.

Alpha témoigne de l’impact que le dirigeant peut avoir sur les facteurs déterminants la capacité d’innovation de la PME. Il est un personnage central qui influence directement le développement de capacités dynamiques nécessaires à l’évolution de la firme. Nos observations prolongent les travaux récents qui intègrent l’individu et le groupe dans les micro-fondations des capacités dynamiques (Barney et Felin, 2013 ; Eisenhardt, Furr et Bingham, 2010). Ils confirment l’importance de l’individu et du groupe comme micro-fondations des capacités dynamiques nécessaires au maintien de la capacité d’innovation des PME. Les capacités dynamiques managériales et la position centrale du dirigeant jouent un rôle déterminant dans le maintien de la capacité d’innovation des PME. Ces conclusions s’inscrivent dans la perspective des recherches antérieures (Adner et Helfat, 2003).

Le manque structurel de ressources des PME (Julien et Carrier, 2002 ; Torrès, 1998) encourage le développement des ressources internes et l’ouverture pour accéder à des ressources externes (Motwani et al., 1999 ; Wolff et Prett, 2006). L’ouverture serait notamment facilitée par l’agilité et la capacité d’adaptation de la PME (Gronum, Verreyne et Kastelle, 2012 ; Pittaway, Robertson, Munir, Denyer et Neely, 2004 ; Rosenbusch, Brinckmann et Bausch, 2011). Notre recherche apporte une vision plus nuancée de ces caractéristiques. Le manque de ressources n’est pas compensé par une agilité exacerbée. Au contraire, l’équipe de direction et le fonctionnement de l’entreprise placent l’entreprise dans un certain immobilisme managérial. L’évolution de l’environnement n’a pas entraîné de modification significative de la structure de l’entreprise ou de ses mécanismes de gestion. Le développement de connaissances internes n’a pas été favorisé par un management interne des connaissances. Le cas montre que le manque de ressources structurel n’a pas incité la direction à développer des connaissances internes ni à développer des coopérations. Le manque de capacité de détection entraîne l’incapacité à intégrer des ressources extérieures et à reconfigurer l’organisation. L’effet de l’absence de capacités dynamiques sur le maintien de la capacité d’innovation apparaît particulièrement au travers de la saturation de l’utilisation des ressources.

Enfin, l’informalité, l’agilité et la flexibilité sont traditionnellement présentées comme un avantage pour l’innovation en PME. Elles permettent de développer la créativité, de s’adapter rapidement aux évolutions technologiques et encouragent la dynamique d’innovation (Chanaron, 1991 ; Motwani et al., 1999 ; Rosenbusch, Brinckmann et Bausch, 2011). Suivant ce raisonnement, l’organisation informelle d’Alpha devrait lui permettre d’innover de manière continue et de préserver son avantage concurrentiel. Or, l’analyse montre que le manque de structure et de formalisation contribue précisément à freiner la performance en innovation de la firme. Les résultats obtenus questionnent les travaux antérieurs sur la capacité d’innovation des PME (Forsman, 2011 ; Julien et Carrier, 2002 ; Motwani et al., 1999 ; Qian et Li, 2003 ; Wolff et Prett, 2006). Si la flexibilité et l’informalité ont permis le développement de la firme à ses débuts, elles sont rapidement devenues un frein à son développement. Le manque de formalisation freine la capacité d’adaptation et donc la capacité à faire évoluer le processus d’innovation d’Alpha. Ces conclusions sont particulièrement intéressantes pour analyser les capacités dynamiques des PME. Alpha souffre de difficultés dues à son incapacité à organiser et à structurer son évolution. L’entreprise ne dispose pas des capacités de détection suffisantes qui lui permettraient de saisir ses propres évolutions. L’informalité et l’agilité propres aux PME ne semblent pas suffisantes pour compenser l’absence de capacités dynamiques nécessaires au maintien de la capacité d’innovation.

Nous invitons à considérer la PME comme une organisation agile, mais qui doit également organiser et structurer son activité d’innovation. Ils sont en accord avec l’approche de Fréchet et Goy (2017) qui présente les effets positifs de la formalisation de la stratégie et des processus sur l’innovation des PME. La formalisation peut être facilitée par la détention de certaines capacités dynamiques qui permettraient de reconfigurer la capacité d’innovation. Agilité et formalisation devraient donc coexister au sein de la PME pour lui permettre d’adapter sa politique d’innovation aux évolutions de l’environnement.

L’analyse de la capacité d’innovation des PME et des facteurs qui la composent montre l’importance de la dimension temporelle. Ce résultat s’inscrit dans le courant de la contingence (De Jong et Marsili, 2006 ; Torrès et Julien, 2005). Selon ces auteurs, les PME s’adaptent aux évolutions du contexte et de l’environnement. Elles ne sont pas considérées comme des entreprises dotées de caractéristiques communes, mais plutôt comme des organisations capables de se « dénaturer » pour répondre à des contextes différents (Le Roy et Yami, 2007 ; Torrès et Julien, 2005 ; Torrès et Gueguen, 2008). La PME évolue donc à l’inverse de son comportement « habituel » ou « naturel » (Torrès et Julien, 2005). Le cas Alpha illustre bien cette approche théorique. Le manque de structuration pourrait expliquer le déclin de l’activité d’innovation alors qu’il a été décrit comme un facteur de performance spécifique aux PME (Julien, 2000).

Conclusion

La recherche s’intéresse au rôle des capacités dynamiques dans le maintien de la capacité d’innovation des PME. La question est abordée au travers de la notion d’échec entendue comme un déclin de la performance en innovation de la firme. Une étude de cas approfondie d’une entreprise innovante en situation d’échec a été réalisée. L’analyse permet d’expliquer en partie le déclin de la firme par l’absence de capacités dynamiques. Les résultats présentent trois contributions à la littérature sur l’innovation en PME et les capacités dynamiques.

Premièrement, ils montrent l’influence de l’absence de CD sur le maintien de la capacité d’innovation des PME. Ils mettent en évidence les difficultés susceptibles d’apparaître en cas d’absence de certaines CD. Le manque de CD semble entraîner des difficultés au sein de la PME pour détecter, intégrer les évolutions de l’environnement et s’adapter à ces évolutions. L’absence de CD paraît donc limiter la capacité d’innovation et peut être envisagée comme un facteur d’échec de l’activité d’innovation des PME.

Deuxièmement, ils contribuent à la littérature sur les capacités dynamiques en précisant les liens entre capacités dynamiques et la capacité d’innovation. La recherche montre que les capacités dynamiques déterminent la capacité d’innovation considérée comme une capacité dite substantive. De plus, elle illustre les micro-fondations des capacités dynamiques et met en évidence leur influence sur la capacité d’innovation des PME. Une opérationnalisation des concepts de capacité d’innovation et de capacité dynamique est ainsi proposée.

Troisièmement, l’étude participe à la littérature sur les PME en invitant à privilégier une approche contingente pour analyser leur activité d’innovation. Nos conclusions permettent de nuancer et de discuter l’influence des spécificités des PME sur les capacités dynamiques déterminantes de la capacité d’innovation. Alors que la faible structuration de l’entreprise est présentée dans la littérature comme un avantage pour le processus d’innovation des PME, les résultats obtenus semblent montrer le contraire. En effet, la faible structuration semble plutôt apparaître comme un frein à la capacité d’innovation de la PME. Enfin, nous mettons en évidence que l’absence de capacités dynamiques pourrait renforcer le manque structurel de ressources, et donc nuire au processus d’innovation des PME.

Les résultats de l’étude permettent ensuite de formuler un certain nombre de recommandations aux dirigeants de PME. Ils attirent l’attention des dirigeants sur l’importance des capacités dynamiques et de la capacité d’innovation. Nous proposons de considérer l’absence de capacités dynamiques comme un possible facteur d’échec. À partir de ce constat, il peut être recommandé aux dirigeants de définir leur politique d’innovation et de la faire évoluer au cours du temps. Les difficultés rencontrées par Alpha témoignent de l’importance des capacités de détection et d’utilisation des signaux du ralentissement de l’activité d’innovation. Nous invitons les PME à investir continuellement dans le développement des capacités dynamiques déterminantes du maintien de leur capacité d’innovation. Nos recommandations portent sur l’influence des caractéristiques spécifiques des PME. Contrairement aux conclusions de certaines recherches antérieures, nos résultats suggèrent que l’agilité et l’informalité ne sont pas toujours source de performance supérieure. Le maintien de la capacité d’innovation pourrait donc reposer sur la mise en oeuvre progressive de processus et d’outils formels de management de projet tout en préservant l’agilité de l’organisation. Cette approche plus nuancée de la formalisation pourrait faciliter la gestion de la croissance des PME.

Enfin, nous expliquons en partie l’échec d’une PME innovante par le manque de capacité du dirigeant et de l’équipe dirigeante à détecter les besoins de changement de l’organisation. Le cas étudié montre les limites de la centralisation de la gestion et de la stratégie. Ils invitent les dirigeants de PME à considérer la décentralisation et le partage de la vision stratégique avec l’ensemble des parties prenantes internes et externes. L’objectif serait de faciliter l’intégration de connaissances et l’adhésion des individus autour d’un projet commun.

Au-delà des contributions théoriques et managériales, la recherche présente des limites qui représentent autant de perspectives pour de futurs travaux. Il s’agit d’une étude de cas unique qui ne permet pas de généraliser les résultats. Il serait intéressant de conduire de nouvelles études au sein d’autres PME innovantes pour les compléter ou les nuancer. Nous montrons ensuite l’importance de la dimension temporelle. Les CD qui déterminent la capacité d’innovation doivent permettre à la PME d’évoluer au cours du temps. Les futures recherches pourront tenir compte de cette dimension et utiliser des approches méthodologiques plus longitudinales. Il serait notamment judicieux d’étudier les transformations d’une PME innovante, depuis sa création jusqu’à son déclin pour comprendre l’évolution de sa capacité d’innovation et l’influence des CD. Nos conclusions sont enfin focalisées sur l’explication d’une situation d’échec matérialisée par le déclin de la performance en innovation. Elles ne permettent pas de statuer sur l’impact positif ou négatif que les capacités dynamiques ont sur la performance en innovation des PME. Il serait utile d’étudier de manière plus approfondie la relation entre capacités dynamiques et performance en innovation des PME à partir d’études quantitatives. Il s’agirait de déterminer quelles CD sont déterminantes de la capacité d’innovation et source de performance en innovation. Enfin, pour participer au débat théorique sur les spécificités des PME, des nouvelles recherches pourraient comparer différents groupes de PME sur des critères de taille ou de secteurs d’activités. L’objectif serait de confirmer ou d’infirmer l’argument de la contingence des PME et des CD pour expliquer la performance en innovation des PME.

Les capacités dynamiques et plus largement la capacité d’innovation des PME représentent un objet de recherche spécifique et stimulant. Nous invitons les chercheurs à s’intéresser à ces problématiques et à proposer de nouveaux éléments de connaissance.