Corps de l’article

En plaçant l’internationalisme au centre de Internationalisms: A Twentieth-Century History, Glenda Sluga et Patricia Clavin souhaitent montrer l’importance du concept dans la longue histoire du XXe siècle. En allant au-delà des réflexions classiques sur la diplomatie et sur le fonctionnement du système international et en mettant plutôt l’accent sur les « fondements culturels »[1] de l’internationalisme, l’ouvrage arrive non seulement à démontrer la validité d’une telle réflexion, mais contribue aussi à mettre en lumière la richesse analytique de ce dernier.

L’ouvrage impressionne d’abord par la diversité des types d’internationalismes explorés : les chapitres de Patrizia Dogliani (qui replace l’histoire de l’internationalisme socialiste dans un contexte où prédomine l’internationalisme libéral) et de Talbot Imlay (qui met en lumière l’importance des partis nationaux dans la vision socialiste de l’internationalisme) explorent l’internationalisme socialiste ; celui d’Abigail Green (qui montre comment les organismes religieux ont développé toutes sortes de stratégies pour agir à l’échelle internationale) l’internationalisme religieux ; le chapitre de Madeleine Herren (qui révèle que les fascistes utilisaient toutes sortes de stratégies provenant de l’internationalisme libéral pour créer une gouvernance mondiale, malgré le fait qu’ils rejetaient ce même système) s’intéresse à l’internationalisme fasciste ; et l’internationalisme autochtone est au centre du chapitre de Hanne Hagtvdedt Vik (qui montre comment la sphère internationale a servi aux autochtones qui, en se créant une identité globale, ont pu faire reconnaître certaines de leurs revendications qui n’auraient pas été prises en considération à l’intérieur même des États-Nations). L’ouvrage arrive ainsi à couvrir une pluralité de type d’internationalismes tout en donnant une voix à des groupes ou à des visions qui avaient été traditionnellement laissés pour compte. Les chapitres de Andrew Webster qui réinterprète la question du désarmement ainsi que celui de Natasha Weathley qui traite des personnalités internationales qui ont été oubliées par l’historiographie abordent quant à eux les questions de diplomatie sous des angles nouveaux.

Le livre intègre aussi plusieurs approches historiques moins traditionnelles, telles que celle du genre avec les particulièrement excellents chapitres des deux directrices de l’ouvrage. Dans son chapitre « Women, Feminism and Twentieth-Century », Sluga place les femmes au centre de l’histoire de l’internationalisme afin de révéler l’aspect genré de la pensée politique moderne. Clavin s’intéresse quant à elle à la notion de masculinité alors qu’elle montre l’impact que les identités masculines ont eu sur la forme que prend la gouvernance économique globale dans l’entre-deux-guerres. Susan Pedersen, elle, intègre des notions de la nouvelle histoire impériale en mettant en lumière le fait que la Société des Nations était aussi une société d’empire. Elle arrive ainsi à offrir une meilleure compréhension des structures de pouvoir qui s’exerce au sein de l’organisation.

Enfin, si la notion d’enchevêtrement entre le national et l’international est mentionnée dans plusieurs des chapitres, elle est abordée de front et traitée de façon pertinente et nuancée dans les chapitres de Liang Pan, Sunil S. Amrith et Rolland Burke. Le premier signe un chapitre sur « National Internationalism in Japan and China » dans lequel il montre comment ces deux pays ont investi un système international dans le but de renforcer le nationalisme à l’interne tout en étant souvent perplexes de participer à un système qui ne prenait pas en compte leurs intérêts. Le second s’intéresse à la santé et à l’influence des intérêts nationaux des puissances occidentales sur la hiérarchie de la valeur de la vie humaine. Le dernier remet en question l’idée que le concept de droits de la personne soit fondamentalement international en montrant comment ceux-ci sont développés à la fois dans un contexte international et un contexte national.

Malgré la diversité, l’ouvrage se démarque par sa cohérence. Le plan en trois parties à la fois chronologique et thématique (une première sur l’entre-deux-guerres et les origines de l’internationalisme, une seconde sur les « états » de l’internationalisme et sur les groupes que l’on considère a priori en opposition à l’internationalisme, puis une dernière sur les politiques de l’internationalisme qui met plutôt l’accent sur les institutions) témoigne des transformations dans le discours lié à l’internationalisme. Le souci des autrices et auteurs de situer leur travail par rapport au reste du livre contribue aussi de façon intéressante à la cohérence. Enfin, l’introduction, qui propose une éclairante réflexion sur le concept même d’internationalisme, contribue à donner une profondeur à l’ouvrage. En analysant les différents mythes concernant l’étude de l’internationalisme, Sluga et Clavin soulèvent les obstacles à l’avancement de la discipline et identifient du même coup une série de pistes d’analyses fort intéressantes. Sans pouvoir en dresser la liste exhaustive, je mets l’accent sur celle-ci : aborder l’internationalisme comme étant un espace d’opportunité. Cette dernière est particulièrement intéressante parce qu’elle s’exprime à la fois dans les travaux des auteurs des différents chapitres qui ont identifié ces opportunités, mais aussi plus largement dans le champ de l’histoire internationale qui agit en outre comme espace d’opportunité alors qu’il permet de redonner une voix aux laissés pour compte de l’histoire (dans le cas qui nous intéresse, les femmes, les autochtones). Je souligne enfin que dix des quinze chapitres sont signés par des femmes. L’ouvrage s’impose ainsi, en lui-même, comme un espace d’opportunité pour les historiennes qui, en 2018, sont encore sous-représentées dans la discipline.