Corps de l’article

En février 2017, le Bureau d’appui aux communautés de langue officielle (BACLO) de Santé Canada organisait à Ottawa son deuxième Colloque scientifique sur la santé des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) du Canada. L’objectif du Colloque était de mobiliser la communauté de la recherche en santé des collectivités minoritaires francophones et anglophones et de développer des outils, des pratiques et de l’information pour améliorer la santé de ces collectivités et les services de santé dans les deux langues officielles au Canada.

Dans le cadre de ce deuxième colloque, Reflets : revue d’intervention sociale et communautaire a invité les chercheures et chercheurs et les praticiennes et praticiens francophones participant à ce colloque à présenter leurs communications.

Nous souhaitons qu’en publiant ces articles scientifiques ou axés sur la pratique, Reflets offre l’occasion d’aller plus loin dans le partage des connaissances portant sur des aspects très larges de la santé des francophones en situation minoritaire. De plus, nous espérons que le présent numéro permettra à de nombreuses personnes (par exemple les professionnelles et professionnels de la santé, les décideuses et décideurs politiques, les chercheures et chercheurs, les étudiantes et étudiants, etc.) d’avoir accès à ces connaissances et d’agir afin d’améliorer la santé des francophones de l’Ontario et d’ailleurs.

Contenu et structure du numéro

Dans ce numéro de Reflets, nous réunissons des textes sur la santé des collectivités francophones, tout particulièrement de l’Ontario. Le numéro s’amorce avec une entrevue qui nous a été accordée par France Gélinas, députée de Nickel Belt depuis 2007 pour le Nouveau Parti démocratique de l’Ontario. L’entrevue situe son parcours professionnel et son implication dans la lutte pour l’accès aux services en français chez les francophones minoritaires, d’abord comme directrice générale du Centre de santé communautaire de Sudbury. À travers les valeurs qui guident ses convictions et orientent ses prises de position, elle discute de sa transition en politique et de ce qui la motive à défendre les citoyennes et citoyens de sa circonscription sur des enjeux qui lui tiennent à coeur. Elle revient ensuite sur certains événements marquants dans le domaine des services en français, dont l’entrée en vigueur de la Loi sur les services en français (aussi connue comme la Loi 8) ainsi que la mobilisation autour de la fermeture de l’Hôpital Montfort. Outre les batailles gagnées et les stratégies mises en place pour assurer une offre active des services en français, de nombreux obstacles demeurent autour de l’accessibilité, plus particulièrement chez les populations marginalisées. En conclusion, Mme Gélinas aborde une réflexion sur l’empowerment des actrices et acteurs dans les communautés francophones et pose un regard sur l’avenir avec la problématique spécifique des personnes aînées, la politique de logement comme un déterminant social de santé et l’importance des subventions pour soutenir la culture et pour consolider l’identité francophone au sein des familles.

Le Dossier est constitué de sept articles, dont la majorité aborde différentes dimensions scientifiques de la santé des francophones de l’Ontario. Le premier article porte sur l’empowerment en service social et les significations de la solidarité. Dans celui-ci, Mathieu Bourbonnais et Michel Parazelli proposent une analyse théorique du concept d’empowerment, s’appuyant sur un corpus de 186 articles émanant d’une recherche documentaire. Les auteurs font ressortir six perspectives qui articulent au coeur de leur théorisation la notion d’empowerment et explorent plus spécifiquement quatre dimensions structurantes de l’intervention au sein de ces perspectives, soit la définition de l’appropriation du pouvoir, les conditions requises au processus, le rôle de l’intervenante ou de l’intervenant face aux destinataires de l’intervention et les finalités sociales poursuivies. L’argumentaire des auteurs se poursuit avec une réflexion sur ce qu’ils conceptualisent comme étant les « angles morts de l’empowerment » en lien avec le concept de la solidarité, soit les formes de solidarité, le régime d’autonomie et la notion du pouvoir. Des pistes de réflexion pour l’intervention, axées sur le concept d’autonomie-condition et ses contradictions, sont proposées en guise de conclusion.

Dans le deuxième article, Louise Bouchard, Ian Colman et Ricardo Batista discutent de la santé mentale chez les francophones en situation linguistique minoritaire. Plus particulièrement, les auteurs abordent l’importance des déterminants sociaux afin de comprendre l’existence des troubles mentaux chez les francophones de l’Ontario. Ainsi, pour Bouchard, Colman et Batista, « l’incidence des langues et de la communication sur l’accès, la qualité et la sécurité des soins acquiert une portée plus grande dans le contexte canadien où coexistent deux langues officielles » (page 74). En partant de cette prémisse, les auteurs dressent le portrait de la santé mentale de la population francophone vivant en situation linguistique minoritaire à partir des données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2012. Les résultats sont fort intéressants et montrent que près de quatre francophones sur dix souffrent de troubles mentaux et de consommation de substances, que seules près de deux personnes sur dix expriment le besoin d’avoir recours aux services de santé mentale, mais que, souvent, leurs réponses sont insatisfaisantes, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’offrir leurs services en français.

Dans le troisième article, Denise Moreau, Viola Polomeno et Marie-Christine Ranger abordent la question de la conciliation entre le travail et la famille chez des parents francophones de la région d’Ottawa. Il s’agit d’une étude qui s’intéresse aux transformations sociales actuelles qui impliquent une plus grande diversité des familles et des contextes d’emploi. L’article décrit l’expérience de ces familles, dont plusieurs défis créent une vulnérabilité ayant des impacts importants sur leur santé et leur qualité de vie à divers niveaux : santé mentale, santé psychologique, habitudes de vie, compétence parentale, relation conjugale. Les résultats présentent des enjeux qui en découlent, comme la difficulté d’accès à une promotion ou à la retraite et la discrimination à l’égard des femmes. Des stratégies sont ensuite proposées au regard des politiques de travail à mettre en place, puis de la promotion d’un accès aux services de garde et de santé qui devraient tenir compte de ces nouvelles réalités.

Dans le quatrième article, Dominique Mercure, Sylvie Rivard, Roxanne Bélanger et Marie-Josée Charrier présentent la réalité des professionnelles et professionnels en santé et services sociaux dans un milieu francophone largement minoritaire situé à Iqaluit, au Nunavut. L’article est issu de leur démarche méthodologique et de l’analyse des résultats d’une recherche sur les stages effectués en français dans ce milieu triculturel. Ainsi, après avoir présenté le contexte de la pratique des stages ainsi que les défis rencontrés, les auteures font état des compétences développées par les stagiaires dans ce milieu dont la réalité est complexe : adaptation culturelle au coeur de l’actualisation de l’acte professionnel, apprentissage de l’humilité et de la solidarité, développement d’une vision critique de l’offre des services, importance de l’autodétermination du peuple inuit, etc.

Se situant aussi dans l’univers des stages, le cinquième article est signé par Jacinthe Savard, Josée Benoît, Claire-Jehanne Dubouloz et Stéphanie Breau-Godwin. Dans l’objectif d’augmenter le nombre de professionnelles et professionnels pouvant offrir des services sociaux et de santé en français dans les communautés francophones en situation minoritaire (CFSM), des stages en français ont été offerts à des étudiantes et étudiants bilingues de programmes de formation professionnelle offerts en anglais au sein d’universités canadiennes. L’expérience a permis de sensibiliser ces étudiantes et étudiants aux réalités des CFSM par des prises de conscience sur les défis de communication et la nécessité de développer des stratégies en lien avec les connaissances acquises, dont l’importance d’un réseautage. L’article identifie des besoins et des outils propices au succès de cette démarche à travers les points de vue des stagiaires, des responsables de la formation pratique et des superviseuses et superviseurs.

Le sixième article porte sur le développement d’un questionnaire d’aiguillage permettant de dépister les besoins de formation quant à l’offre active de services en français. À partir d’un questionnaire s’adressant aux étudiantes et étudiants des collèges et universités francophones des domaines de la santé et du travail social, les auteures Lynn Casimiro, Jacinthe Savard, Katrine Sauvé-Schenk et Nicole Atchessi tentent de dresser des profils sociolangagiers qui leur seront utiles afin d’identifier les besoins de formation en matière d’offre active de services en français. Quatre thèmes sont analysés : le sentiment de compétence langagière, les connaissances culturelles, l’affirmation de la langue et le sentiment de confiance de parler en français avec sa communauté linguistique et les autres personnes de son entourage. Certes, le questionnaire demeure à être peaufiné. Toutefois, il sera fort utile afin de préparer la relève à offrir davantage de services en français.

Le septième et dernier article du Dossier porte aussi sur l’offre active de services en français. Plus particulièrement, son angle d’analyse est centré sur les services auxiliaires de santé du Nord-Est de l’Ontario, soit l’accès aux services d’orthophonie, de physiothérapie et d’ergothérapie offerts en français. Roxanne Bélanger, Chantal Mayer-Crittenden, Josée Mainguy et Anie Coutu posent l’hypothèse que le fait de vivre en situation linguistique minoritaire influence négativement la disponibilité et l’offre active des services auxiliaires de santé en français. Pour en faire la démonstration, elles ont construit un outil d’évaluation qui permet de déterminer les perceptions des personnes fournissant des services auxiliaires en santé et des personnes les utilisant. En bout de piste, leurs résultats montrent des lacunes sur le manque de services en français dans cette région.

Ensuite, des pratiques novatrices sont présentées dans deux articles associés au Consortium national de formation en santé (CNFS). Le premier article, rédigé par Dominique Cardinal, Caroline Borris, Bernard Pinet et Flavie Leclair, porte sur les pratiques du CNFS — volet Université d’Ottawa et ses diverses initiatives visant à desservir les communautés francophones en situation minoritaire à travers le pays. Quatre pratiques prometteuses déployées dans l’ensemble du pays sont présentées, soit l’organisation de foires visant à faire découvrir les programmes en santé aux jeunes francophones, le soutien aux étudiantes et étudiants en milieu universitaire par l’entremise de différents projets et formations, l’appui à la formation continue pour les professionnelles et professionnels de la santé, ainsi que le soutien à la recherche en français sur la santé des communautés francophones. Dans le second article, Mélanie Boulet se penche sur le programme de formation clinique du CNFS – volet La Cité à Ottawa. Dans l’objectif d’offrir aux étudiantes et étudiants un appui dans leur formation en région éloignée, une démarche partenariale a permis de cibler neuf étapes permettant de concrétiser un stage au sein des communautés francophones en situation minoritaire; ces étapes sont explicitées dans l’article. Les retombées positives du projet ainsi que les enjeux actuels sont présentés afin de mieux répondre aux besoins de ces milieux pour un recrutement de professionnelles et professionnels capables de s’adapter aux contextes spécifiques de ces communautés francophones.

Nous espérons que ce numéro de Reflets saura contribuer à un approfondissement des connaissances en publiant des articles scientifiques qui ciblent la complexité des enjeux présents et en proposant des pratiques en constante transformation qui visent à mieux répondre aux besoins de santé des francophones en situation minoritaire.

Bonne lecture!