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Ceux qui savent, c’est « Nous » ; ceux qui croient, c’est « Eux ». Le mécanisme identitaire est ici profond car l’adhésion à ce partage de savoir est évidente. Puisque nous savons, il est clair que, sur le même objet de savoir… toute autre proposition est une croyance qui nous révèle une culture radicalement différente, presque impensable. La disqualification du savoir est une disqualification d’être.

Adel 2011 : 171

Quel est le paradigme de la science autochtone ? Plusieurs scientifiques occidentaux croient que la science est une invention occidentale, voire américaine, et que les sociétés non occidentales sont en lien avec la nature de façon uniquement folklorique, leurs manières de comprendre le monde n’étant pas scientifiques selon leur propre expérience de la science. La science explique alors que l’art exprime. Toute une gamme de possibles existe entre ces deux modes de saisie du monde.

La science autochtone est basée sur le respect, sur une réciprocité personne-nature, passée, présente et future. Cela reflète un principe écologique de tous les temps, une règle de la conduite humaine. Cette responsabilité invite à célébrer la vie et à respecter toute vie, un élément clé de la « bonne vie ». La science autochtone saisit globalement la vie et les cycles du temps, de l’espace et de l’être, à la fois aux niveaux individuel et collectif, par les rituels et les cérémonies dans leur relation organique au territoire et à la nature, qui n’est pas une simple collection d’artéfacts mais une dynamique, une rivière de créations inséparable de la vision du monde (mentifacts). De cette vision holistique découlent l’importance de la symbolique du cercle et de l’ellipse pour nos cultures de même que notre grand sens de l’orientation. Les résultats de cette science s’emboîtent dans le type de performance, les méthodes, la culture et l’écologie. Comme la conception autochtone de la démocratie orientée vers le consensus, la science autochtone vise l’harmonie entre tous les êtres vivants, et non une domination entre les êtres et la nature. Elle porte attention aux fractales de l’univers, aux petites choses comme le vol du papillon qui peut changer l’ordre des tempêtes aux extrémités du monde. Le pouvoir humain-papillon réside dans notre habileté à créer, à sentir et voir la métamorphose des forces créatrices de l’univers. En ce sens tous les humains sont animistes. C’est une façon d’être-dans-le-monde et d’exister-dans-le-monde.

Comme dans toute tradition scientifique, un des buts de la recherche autochtone est la découverte de l’Universel, des principes et des lois universelles ; cependant on ne peut les postuler a priori, et l’approche multidimensionnelle par triangulation, une approche méthodes-multiples et traits-multiples comparative, favorise une décentration du point de vue ethnocentrique et permet de respecter l’autonomie des individus et l’autodétermination des peuples. La méthodologie indigéniste adopte une pluralité de perspectives et accepte qu’elles ne soient pas nécessairement partagées par tous et toutes. Voilà ce qui devrait constituer une réflexion sur l’indigénisation de la recherche en réaction aux mécanismes de nivellement du colonialisme et de la supposée modernisation.

La science autochtone s’exprime dans la métaphore, le rêve, l’art et l’artisanat, le cinéma, la danse, la musique, la chanson, la littérature, la poésie, la chasse et la pêche, la guérison, les plantes médicinales, et c’est là sa contribution à l’humanité. Nous sommes un peuple de sept directions dans le grand cercle de la vie et dans l’hyperspace (les quatre points cardinaux, l’axe haut/bas et le temps). Cette perception en 360 degrés est un regard qui tient compte de l’ensemble des directions possibles. Le « Nous » et le « Je » sont au centre de cet hypersphère, portés par la beauté (art), le savoir (science) et la santé qui nous font marcher dans les pas de nos ancêtres, pieds-nus-sur-la-terre-sacrée. Dans ses Pensées, Pascal souligne que « [l]’Univers est une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part » (1962 : 199). Et plus loin, il nous rappelle que « le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point » (ibid. : 423). Dans la conscience autochtone, la science est aussi une forme d’art qui incorpore objectivement une explication d’une réalité du monde naturel impliquant également une façon de « voir et regarder ». Ainsi, l’art et la science seraient les deux facettes d’une même réalité.