Corps de l’article

Présentation

Que ce soit pour des enjeux de recrutement, de mobilité, de coopération ou de diffusion, l’internationalisation s’avère d’une importance stratégique pour les institutions d’enseignement supérieur. Il s’agirait tout particulièrement d’un défi pour les programmes de formation professionnalisante, dont ceux en enseignement. L’ouvrage collectif de Robin, Ramelot, Soldevila, Vieujean et Miron (2017) propose une voie innovante afin de miser sur l’internationalisation au service d’un renouvellement de la formation des enseignants.

L’internationalisation et la formation des enseignants

Dans le premier chapitre, un riche argumentaire soutient les efforts d’internationalisation dans la formation en enseignement. Ce cadre de références présente l’internationalisation comme une opportunité de développement professionnel pour les futurs enseignants afin qu’ils puissent faire face aux réalités d’un monde globalisé, multiculturel, connecté et continuellement en changement. Au quotidien, les enseignants doivent notamment gérer des classes de plus en plus hétérogènes.

Voulant former des esprits libres, curieux et ouverts sur le monde, les programmes de formation à l’enseignement peuvent ainsi miser sur l’internationalisation afin que les enseignants en formation soient confrontés à d’autres systèmes éducatifs (ce qui les amène à mieux comprendre le fonctionnement du leur). Ce dialogue interculturel teinterait la construction de leur identité professionnelle.

Est-ce qu’une session d’étude ou un stage à l’international favorise réellement le développement de compétences interculturelles utiles aux futurs enseignants? L’essor de programmes tel qu’ERASMUS laisse croire que oui. Au-delà des retombées évoquées quant à cette prise de conscience de la diversité qui nous entoure, l’impact serait également d’ordre motivationnel pour les enseignants en formation.

Le premier chapitre de Miron, Gilles, Dias, Laffranchini Ngoenha, Massari, Pire, Quinche, Saint-Amant et Scailteur décrit bien l’évolution des politiques éducationnelles qui ont mené au programme ERASMUS, une belle réussite européenne qui célébrait ses 30 ans d’existence en 2017. C’est par une volonté de faciliter la mobilité dans le cadre des études, notamment en enseignement, que les périodes de formation à l’international sont presque devenues la règle et non plus l’exception.

Le programme ERASMUS (devenu ERASMUS+) bénéficie d’un nouvel élan par un objectif ambitieux: d’ici 2020, le conseil de l’Union européenne souhaite qu’au moins 20 % des étudiants fassent un séjour à l’étranger à des fins d’apprentissage. Heureusement, cet objectif est porté par une ligne d’action établie par les États membres, soit celle de soutenir une mobilité de qualité.

Cette mise en pratique de la mobilité par les institutions afin qu’elles respectent les politiques éducationnelles n’est pas simple. Elle comporte des dimensions philosophiques et pratiques. Robin et al. (2017) les abordent judicieusement grâce au programme PEERS (Programme d’étudiants et d’enseignants chercheurs en réseaux sociaux) qui est au coeur de leur ouvrage. D’ailleurs, celui-ci peut servir de guide pour la mise en place d’un tel programme, selon la dynamique employée.

Le programme PEERS

Le deuxième chapitre de Robin, Gilles, Dessagne, Grigioni Baur, Pache, Perpignan, Quinche, Ramelot et Soldevila présente davantage cette innovation de la Haute École pédagogique (HEP) du Canton de Vaud, en Suisse. PEERS s’inscrit dans la volonté de diversifier les formes de mobilité afin d’atteindre l’objectif des 20 %.

C’est par un effort de création que PEERS débute en 2011. Un PEERS est un projet de recherche en enseignement qui dure sur une année entière, qui réunit de petites équipes afin de favoriser l’apprentissage collaboratif, qui implique deux enseignants-chercheurs (de deux institutions différentes), et qui mise sur une démarche expérientielle, selon une approche critique et un processus d’objectivation.

La thématique du projet émerge de rencontres qui se font à distance, mais aussi en présentiel; PEERS prévoit deux rencontres in situ qui permettent aux étudiants et aux enseignants-chercheurs de se rendre dans l’institution partenaire (ce qui contribue à la mobilité pour atteindre l’objectif des 20 %).

L’implication d’acteurs terrain (grâce aux étudiants qui sont également en stage au cours de cette même année) permet de dépasser l’opposition théorie-pratique, tout en amplifiant les effets de transfert. Chaque PEERS suit des principes d’amélioration continue (de la préparation jusqu’à la régulation).

PEERS, recherche et partenariats

Par la nécessité de partenariats stratégiques, PEERS est passé du statut de programme suisse à celui de programme international au fil des différentes phases. De 2013 à 2016, le nombre d’institutions est passé de 6 à 23. Cette progression est impressionnante et elle s’explique par la dynamique relationnelle du programme PEERS qui semble profitable à tous les partenaires. Malgré les défis liés aux enjeux organisationnels au sein de chaque institution, PEERS semble représenter un formidable terrain d’expérimentation pour élaborer, conduire, analyser et même diffuser des travaux de recherche.

Dans le chapitre 1, les auteurs rappellent qu’il est primordial de proposer de nouvelles formes d’échanges internationaux au service de la recherche et l’innovation dans le cadre de la formation en enseignement. Il est tout de même exceptionnel de constater que la démarche réflexive des étudiants du programme PEERS soit soutenue par un réseau scientifique qui se développe à l’échelle internationale.

Cette articulation recherche-formation dans l’accompagnement des étudiants repose beaucoup sur les enseignants-chercheurs. Le quatrième chapitre de Wiliquet et Ramelot présente d’ailleurs les résultats d’une étude d’impact menée auprès de 54 répondants. Tant au niveau professionnel que personnel, l’expérience du programme PEERS se révèle positive pour les enseignants-chercheurs, surtout en ce qui concerne une ouverture culturelle et pédagogique. Si le progrès en recherche apparaît de manière moins nette dans les réponses des enseignants-chercheurs, ce volet demeure présent dans les résultats de l’enquête. La principale critique des enseignants-chercheurs relève de la lourdeur organisationnelle du programme; les disparités entre les différents systèmes académiques peuvent compliquer les partenariats, et ils en subissent parfois les conséquences.

Satisfaction des participants du PEERS

Organiser un projet sur une année universitaire et collaborer à distance avec des étudiants et des enseignants-chercheurs de deux institutions… Cela représente un défi de taille! Au fil des ans, l’écosystème du projet s’est donc ajusté (quant à la procédure, à la communication, à la valorisation des projets…), mais plusieurs éléments de vigilance demeurent. Le recueil de Robin et al. (2017) témoignent bien de la posture réflexive des auteurs envers ce dispositif.

Il n’en demeure pas moins que la satisfaction des étudiants à l’égard du projet est grande. Le troisième chapitre de Ramelot, Vieujean, Dias et Saint-Amand rapporte les résultats d’une enquête auprès de 75 répondants quant à l’efficacité, la signification et les apports du dispositif. Les volets logistique, méthodologique, recherche et dynamique interculturelle font l’objet d’une grande satisfaction chez les étudiants. C’est le volet de la collaboration à distance qui ressort comme le plus faible (malgré une évaluation tout de même satisfaisante).

La problématique de la collaboration à distance relève entre autres de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour le partage de ressources pédagogiques, la dynamisation du travail de groupe, et l’augmentation de la productivité.

TIC et internationalisation

Alors que le PEERS repose sur une importante utilisation des TIC, on peut reprocher à l’ouvrage de Robin et al. (2017) de ne pas témoigner suffisamment des assises théoriques du programme à cet égard. Au-delà de souligner l’intérêt des wikis et des outils collaboratifs pour favoriser l’apprentissage en enseignement supérieur, les auteurs font appel à peu de concepts et d’écrits pour soutenir la mise en place et guider le bon déroulement du travail collaboratif qui se fait principalement à distance sur les réseaux sociaux des PEERS.

Les auteurs indiquent que malgré une société numérique, il revient aux formateurs de développer en profondeur l’éducation aux médias dans les programmes de formation à l’enseignement, mais on ne sait pas comment ils accompagnent les étudiants et les enseignants-chercheurs en prévision du PEERS, tout particulièrement en ce qui concerne le travail collaboratif en ligne.

Point de vue

Tel que mentionné dans le cinquième chapitre de Pire et Vieujean, cet ouvrage permet un retour sur l’adoption, la mise en oeuvre, la documentation et l’évaluation d’un dispositif proposant une nouvelle forme de mobilité efficiente aux enseignants en formation. En fait, le grand mérite de cet ouvrage est de proposer une véritable apologie de l’internationalisation dans le cadre de la formation en enseignement et de témoigner d’une démarche innovante permettant d’en relever les défis. Il fallait beaucoup d’audace et de créativité pour donner une envergure internationale à la pratique réflexive d’enseignants en formation des institutions partenaires, à commencer par celle du HEP du Canton de Vaud.

D’ailleurs, malgré le contexte européen de cet ouvrage, l’argumentaire quant à l’internationalisation n’a pas de frontières; il s’applique bien au Québec (où le programme ERASMUS est bien connu).

Dans les chapitres 2, 3 et 4, force est de constater que l’évaluation du dispositif repose sur des recherches menées de manière rigoureuse; il est difficile de douter de la réussite du programme PEERS. Ainsi, à la suite des premiers partenariats entre institutions, la porte semble ouverte pour une dissémination du programme à plus grande échelle. D’ailleurs, tel que mentionné, cet ouvrage peut servir de guide aux institutions qui voudraient se joindre à PEERS (ou qui voudraient s’inspirer de la démarche qui a contribué à la réussite de cette innovation).

Cependant, une nouvelle démarche d’amélioration continue s’impose afin de revoir les ancrages théoriques ainsi que le design pédagogique du travail collaboratif à distance au sein des groupes du programme. En fait, le dispositif est hybride puisqu’il y a quelques rencontres en présentiel. Comment tirer profit au maximum des rencontres in situ ainsi que de la collaboration via les réseaux sociaux de PEERS?

D’ailleurs, on sait peu de choses sur l’environnement numérique d’apprentissage de PEERS. Qu’en est-il? Au-delà de la plateforme utilisée, quelles sont les formations offertes aux étudiants et aux enseignants-chercheurs afin que leurs compétences numériques ne représentent pas un frein à la réussite de leur PEERS?

De plus, les enjeux organisationnels et les défis à cet égard rencontrés par les institutions partenaires dans le cadre du PEERS sont peu détaillés. Une évaluation de ce volet de la mise en oeuvre du dispositif permettrait de mieux accompagner les enseignants-chercheurs qui semblent écoper des disparités institutionnelles.

L’ouvrage témoigne donc de la posture réflexive, voire critique des auteurs envers leur dispositif. Ainsi, PEERS semble être un programme en constante évolution. De nouveaux ajustements à partir de données issues de la recherche devraient contribuer à la pérennité du dispositif.