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Ce numéro thématique constitue la suite d’un numéro antérieur consacré au rapport à l’écrit/ure et à son inscription dans différents contextes de formation en mesure de le façonner. Avant de me soumettre au genre éditorial, il me semble pertinent de souligner que ce numéro thématique s’inscrit également dans une politique éditoriale que le comité de rédaction de la revue cherche continuellement à améliorer. En effet, la logique de fabrication des numéros thématiques a été modifiée dans les dernières années.

Depuis 2015, le comité de rédaction a décidé que les propositions de numéros thématiques qui lui étaient soumises feraient l’objet d’un appel à contribution diffusé le plus largement possible au sein de la francophonie. L’intention sous-jacente était, non seulement d’accroître la banque d’articles de la revue, mais aussi d’ouvrir la communauté initialement impliquée dans le projet de numéro thématique à d’autres contributions et, ce faisant, de stimuler la mise en réseau des chercheurs se structurant autour d’un même objet de recherche. Cette intention se concrétise et ce numéro en fait foi: le comité de rédaction ainsi que les différentes équipes de rédacteurs invités engagés dans un projet de publication avec la revue NCRÉ ont pu constater que le premier cercle des contributions pressenties s’étend rapidement à travers l’appel à contribution élargi. Le comité de rédaction de la revue a donc convenu de produire, le cas échéant, deux numéros pour un même thème. Ainsi, ce numéro matérialise pour la première fois les effets de notre nouvelle politique éditoriale.

Les différentes contributions réunies dans ce second volume consacré au rapport à l’écrit/ure s’inscrivent donc aussi dans le projet initial des rédacteurs invités de problématiser et de conceptualiser la façon dont différents contextes de formation façonnent le rapport à l’écrit/ure des personnes. Comme le soulignaient les rédacteurs invités (Lafont-Terranova, Blaser et Collin, 2016), la notion de rapport à l’écrit/ure participe à un renouvellement du regard porté sur les situations d’enseignement-apprentissage de l’écriture. Cette notion invite à comprendre l’activité d’écriture comme une expérience située à la fois au plan historique et biographique. Cette expérience fait sens du point de vue du sujet à travers le filtre de sa structure psychique (cette structure peut-elle être conceptualisée en termes de personnalité au sens Vygotskien [Vygotski, 2014] ou de moi au sens taylorien [Taylor, 1992]?), matérialisant en quelque sorte sa vision du monde, la manière dont la situation sociale fait écho en lui et dont il lui fait face avec les capacités qu’il a acquises et les moyens mis à sa disposition.

Ce projet d’inscrire l’étude des processus d’écriture dans le milieu vivant de l’expérience du sujet en activité semble avoir un coût. La notion, en dépit de différentes tentatives de systématisation, semble ici conserver des contours assez flous. Par contre, elle semble aussi en tirer une valeur heuristique indéniable pour questionner et problématiser les situations d’enseignement-apprentissage de l’écriture et, plus largement, les situations de formation engageant les personnes dans des activités d’écriture ou d’accompagnement de l’écriture. Pour un non-spécialiste, la notion de rapport à l’écrit apparaît ainsi à travers les textes ici rassemblés comme un «ouvre-boîte intellectuel».

Dans la contribution de Dezutter et al., cette notion ouvre sur le sens de l’expérience d’écriture en contexte d’enseignement-apprentissage de l’anglais langue seconde (L2) en dernière année du primaire au Québec dans des dispositifs d’anglais intensif. Les auteurs suggèrent, dans un rapport de proximité étroite avec la pensée de Vygotski (1997), que les capacités construites dans les activités d’écriture en L2 ont un écho dans l’expérience de l’écriture en L1, à tout le moins pour certaines catégories d’élèves. Dans la contribution de Azaoui et Matheu, cette notion permet de cerner la dynamique des médiations formatives et instrumentales en jeu dans la construction des capacités requises pour s’engager dans différentes tâches individuelles et collectives d’énonciation et d’écriture. Elle éclaire les normes en jeu lors de la production d’un énoncé écrit dans le dispositif analysé ainsi que dans la prise en charge énonciative d’un dire et d’un écrire dans la langue d’enseignement d’élèves allophones au collège en France à propos d’événements signifiants travaillés dans une activité collective finalisée sur l’écriture d’un «petit journal».

Dans les trois autres contributions, l’usage de cet ouvre-boîte intellectuel repose sur la prémisse selon laquelle le rapport à l’écrit/ure d’une personne a une incidence sur la façon dont elle intervient auprès de jeunes ou d’adultes dans des tâches structurées autour de la production d’écrits. L’élucidation du rapport à l’écrit/ure des professeur.e.s ou des enseignant.e.s permettrait alors de comprendre leurs interventions, voire d’éclairer les conditions nécessaires à la transformation de celles-ci.

Dans la contribution de Colognesi et al., la notion de rapport à l’écrit/ure guide un approfondissement de la notion de postures d’accompagnement. Cette contribution analyse de telles postures dans le contexte d’une formation à l’enseignement supérieur en cours d’emploi (CAPAES) en communauté francophone de Belgique reposant sur l’engagement des étudiant.e.s dans un genre d’écriture spécifique: le portfolio. Ainsi, les postures mobilisées par des professeur.e.s dans l’accompagnement d’étudiant.e.s dans l’écriture du portfolio semblent concrétiser un rapport à l’écrit/ure particulier. La contribution de Lamb et al. explore le rapport à l’écrit/ure littéraire d’enseignant.e.s du primaire au Québec dans le cadre d’une enquête par questionnaire. Cette contribution propose une caractérisation originale du rapport à l’écrit/ure en prenant en compte un genre d’écrit spécifique: le texte littéraire. La notion de rapport à l’écrit/ure s’enrichit alors d’une dimension esthétique structurée autour de deux pôles opposés, selon que la personne place l’accent plutôt sur le respect des normes linguistiques dans la production d’un texte littéraire ou plutôt sur le processus créatif lui-même. Les résultats de l’enquête mettent en lumière un hiatus. Alors que les enseignant.e.s semblent valoriser les textes littéraires, elles déclarent engager peu souvent leurs élèves dans l’écriture de tels textes. La contribution de Bousquet et Desmeules problématise la question du rapport à l’écrit/ure des professeur.e.s de CÉGEP au Québec. Plus spécifiquement, cette contribution repose sur la prémisse selon laquelle les textes propres à différentes disciplines enseignées au CÉGEP relèveraient d’un genre spécifique relativement transparent pour les professeur.e.s. Cette contribution pose alors la question de l’accompagnement mis en oeuvre par les professeur.e.s lorsque leurs étudiant.e.s s’engagent dans des activités d’écriture propres à la discipline enseignée en termes de rapport à l’écrit/ure. Les résultats d’une enquête par questionnaire ayant pour objet le rapport à l’écrit/ure de professeur.e.s de CÉGEP esquissent, du point de vue des auteurs, des pistes pour une formation visant la transformation de celui-ci.

Mises ensemble, les contributions diverses à ces deux volumes soulignent le potentiel de cette notion pour expliquer et comprendre le sens de l’expérience des personnes plongées dans des activités d’écriture/lecture ainsi que pour problématiser et conceptualiser le vaste ensemble des capacités construites par les personnes pour y participer et faire reconnaître leur contribution à celles-ci. Elles proposent aussi de problématiser la fonction de différentes médiations formatives mises en oeuvre par différents «autrui» pour soutenir ces activités dans différents contextes de formation et ainsi contribuer à la reconfiguration du rapport à l’écrit/ure des personnes et à de possibles développements de celui-ci.