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Fascination, admiration, respect, mais aussi peur et colère sont les sentiments que les éleveurs nomades mongols éprouvent lorsque l’on parle du loup gris (canis lupus chanco). Considéré comme le chien du ciel divin (tengerijn nohoj), mais aussi comme l’ancêtre mythique de Gengis Khan, il est prisé pour son endurance, son intelligence et sa débrouillardise. En revanche, son appétit vorace pour la viande des moutons, des chèvres, des vaches et même des chevaux lui attire la haine des éleveurs, qui le chassent autant pour protéger leur bétail que pour gagner le prestige qui vient avec la proie. Cette ambivalence n’est pas nouvelle. Dans les années 1930, le Parti révolutionnaire du peuple mongol organisait, en mars et en décembre, deux semaines de chasse pour exterminer les loups. La personne qui se présentait à l’administration locale avec une paire d’oreilles lupines recevait en récompense un mouton et du feutre. Aujourd’hui, les loups ne font plus l’objet de grandes battues comme autrefois. Néanmoins, la chasse au loup reste un passe-temps apprécié par une élite urbaine, et une nécessité pour nombre d’éleveurs (Charlier 2013 : 221, 2015).

Le loup est un animal extrêmement difficile à chasser car il est très intelligent (uhaantaj). Les connaissances éthologiques des éleveurs sur cet animal sont fragmentaires et variables. Pour certains, cette « chasse » se résume à attendre la venue de loups, assis à côté de leur fusil dans leur yourte, ou à tirer sur eux s’ils s’approchent du troupeau. D’autres pratiquent la chasse avec plaisir. Attendant les premières neiges pour repérer les traces des loups, ils confient alors leur bétail à un voisin et se rendent au lieu supposé d’accouplement des loups. S’ils ont la chance d’en apercevoir, ils tentent d’en tuer le plus possible, sans se soucier de leur âge ni de leur sexe. Au début de l’été, lors des naissances, les chasseurs profitent du départ des parents partis en quête de nourriture pour enfumer le terrier et tuer les louveteaux. Puis ils attendent le retour des adultes pour les abattre à coups de fusil.

Le chasseur qui a pu abattre un loup, même un louveteau, acquiert du prestige, la mise à mort étant considérée comme un exploit. La viande, en particulier les tripes, n’est pas consommée comme nourriture afin d’éviter un acte d’anthropophagie indirecte, du fait que l’animal est susceptible d’avoir mangé de la chair humaine. Certains organes sont consommés uniquement pour leurs vertus médicinales. La cervelle, par exemple, peut être mangée crue, pour pallier une chute de tension. Le bouillon obtenu par décoction de la langue guérit les angines. La peau n’a pas de valeur médicinale mais peut être vendue. Elle peut aussi être suspendue sur le mur nord de la yourte ou encore être étendue sur le capot de la jeep du chasseur. Elle vaut alors à ce dernier l’admiration de ses visiteurs.

Chasser un loup n’est donc pas chose aisée. Pour un chasseur, avoir un haut potentiel vital, hijmor’, est une condition primordiale pour tuer un loup. Cette notion, reprise par le bouddhisme[1], n’a pas de définition univoque parmi les éleveurs et les significations réciproquement impliquées qu’elle revêt ne peuvent être comprises qu’en fonction d’un contexte d’énonciation et de pratique singulier. Le hijmor’ est un composant de la personne qui fluctue à l’intérieur du corps. Il est un potentiel vital dans la mesure où il garantit le bien-être, mais aussi un potentiel de réussite, car les projets d’une personne qui a beaucoup de hijmor’ sont couronnés de succès. C’est la raison pour laquelle ce potentiel se retrouve souvent associé aux concepts de « fortune », de « grâce » et de « chance » (sections 3, 5). Le hijmor’ se réfère également au courage et à la force d’une personne. Dans les discours et les pratiques, aucune de ces significations n’est totalement séparée des autres. Chaque individu possède ce potentiel à la naissance et ses fluctuations peuvent être prédites par un calendrier astrologique (section 1). Mais ses fluctuations chez une personne dépendent également des actions morales de celle-ci. Selon les fragments de l’idéologie bouddhiste en vigueur, une personne « méritante » (buyantaj) aura beaucoup de hijmor’, tandis qu’une personne non méritante verra ses projets échouer et connaîtra des problèmes de santé (section 2).

Les hommes ne sont pas les seuls à posséder du hijmor’. Les animaux sauvages, dans une certaine mesure, sont aussi dotés de ce potentiel car, contrairement aux animaux domestiques[2] qui en sont dépourvus, ils n’ont pas besoin des hommes pour survivre. Ils trouvent leur nourriture tout seul. Parmi les animaux sauvages, le loup a un statut particulier car il est le seul dont le hijmor’ est plus élevé que celui des hommes. Son hijmor’ provient de son intelligence, de son endurance et de sa débrouillardise. Contrairement à celui des hommes, le hijmor’ du loup ne fluctue pas, il est toujours élevé, et n’est pas lié à l’idée de « mérite ». Il est également le seul animal dont le potentiel est approprié par le chasseur lors de la mise à mort. L’enjeu de la chasse n’est donc pas seulement la protection du troupeau mais aussi – et parfois uniquement – l’incorporation du hijmor’ du loup. Le chasseur « chanceux » peut alors entrevoir l’avenir de manière optimiste car ses projets réussiront (section 6).

La mise à mort d’un loup est rarement le fruit du hasard, puisque seule une personne dotée de beaucoup de hijmor’ peut abattre un loup. Avant et pendant la chasse, le chasseur vérifie et augmente son hijmor’ à travers différentes actions rituelles. Cet article propose une analyse des procédures divinatoires et propitiatoires qu’un chasseur mobilise afin de prédire, mais aussi d’induire la mise à mort d’un loup. Nous aborderons successivement la consultation d’un calendrier astrologique, la pratique divinatoire consistant à disposer des pierres sur le sol et à interpréter leur configuration, et le rituel de fumigation de genévrier destiné à demander un loup à l’esprit maître des lieux et des animaux sauvages (section 4). Chaque pratique de gestion de l’aléatoire relève d’un régime de causalité particulier qui met en jeu un mode de subjectivité singulier.

Au cours de cet article, nous allons suivre le parcours d’un éleveur, Doržoo, qui part à la chasse au loup. Âgé de 30 ans et récemment divorcé, il vit avec sa fille Öndögöö (âgée de 6 ans) dans la yourte de son père Nadmid (73 ans) et de sa mère Cecegbal (67 ans).

Cette famille appartient à l’ethnie Dörvöd et vit dans la province de Uvs, à l’ouest de la Mongolie. Leurs multiples perceptions de la personne et de l’environnement influencées par le chamanisme[3] et le bouddhisme tibétain sont aujourd’hui mêlées d’idées communistes, issues de 70 ans de domination soviétique et parfois d’idées vaguement chrétiennes, inspirées des nouveaux mouvements d’évangélisation.

Doržoo et sa famille subsistent grâce au troupeau constitué de moutons, de chèvres, de chameaux, de chevaux et de vaches. Ils déménagent avec leur troupeau tous les deux mois en quête de nouveaux pâturages. En hiver, ils s’abritent du vent en s’installant dans le creux d’une vallée pour une période de trois mois. C’est le plus souvent durant cette période que les loups en manque de nourriture attaquent le troupeau. Laissant à son père ou à un voisin le soin de s’occuper de ses animaux, Doržoo part alors un ou plusieurs jours à cheval, fusil à l’épaule, pour chasser le loup afin de protéger son troupeau et aussi pour le plaisir.

Consulter le calendrier astrologique et planifier le hasard

Avant d’aller chasser, Doržoo consulte le calendrier astrologique afin de trouver le jour de la semaine où son hijmor’ est le plus élevé. Il n’irait jamais chasser un jour dit « sans hijmor’ », hijmorgüi. Il consulte un premier tableau du calendrier :

Figure 1

Calendrier astrologique

Calendrier astrologique

-> Voir la liste des figures

Ce tableau montre les correspondances entre l’année, les étoiles, les jours et le signe astrologique de la personne. Dans la partie supérieure du tableau, intitulée « douze années », figurent les douze animaux de l’astrologie chinoise, chacun correspondant à une année. Dans la colonne de gauche se trouvent les jours (garag), et les étoiles (od), de la personne. Il y a trois types de jours : le jour süld, le jour am’ et le jour üheh. Ces termes peuvent être traduits respectivement par « la force de vie », « la vie », et « la mort »[4].

À chaque jour est attribué un numéro. Pour une personne née le jour du serpent, comme Doržoo, le jour de la force de vie est le troisième jour, mercredi. Le jour de la vie est samedi et celui de la mort est jeudi. Le jour qui est associé au hijmor’ est le jour du süld[5]. Le jour de la vie peut aussi être considéré comme un bon jour, mais dans une moindre mesure, car selon le calendrier, si une personne commet de mauvaises actions, elle risque de mourir. Il est déconseillé par exemple de faire des travaux avec des couteaux. Le jour de la mort est néfaste, car c’est le jour de la mort de la personne.

À l’avant-dernière et à la dernière ligne se trouvent les signes favorables, iveel gurav, et défavorables, daisan. Chaque animal s’entend particulièrement bien avec deux autres animaux. Le serpent s’entend bien avec le poulet et la vache. Si l’on regarde la dernière ligne, il ne s’entend pas bien avec le cochon. Le jour du cochon n’est donc pas un bon jour pour aller chasser. Ce qui importe à Doržoo est le jour süld et les signes favorables et défavorables. Ces données lui permettent d’aborder deux autres tableaux. Le deuxième tableau juxtapose les jours des calendriers solaire et lunaire, chacun renvoyant le lecteur à une série de conseils et de mises en garde. Le troisième tableau indique l’état du hijmor’ d’une personne pour un an[6].

Le hijmor’ est donc cyclique. Il revient chaque semaine et se réfère à un temps circulaire. Pour le chasseur, le calcul de ses potentialités de succès n’est pas chose aisée[7]. La lecture du calendrier fait étrangement penser à un voyage dans un labyrinthe. Allant de carrefours en carrefours, le lecteur est obligé de faire des choix en pesant le pour et le contre de sa situation. Comme le dit Roger Caillois (1981 : 179) dans ses commentaires sur l’oeuvre de Borges, le labyrinthe est le lieu d’une création récurrente. Tout comme le labyrinthe, le calendrier implique des symétries et des jeux de miroir, des systèmes de correspondance et d’équivalence, des compensations et des équilibres qui constituent de manière analogique (Descola 2005) la personne au-delà de son propre corps[8]. À la lettre, le calendrier planifie le hasard dans un plan, un échiquier à la géographie labyrinthique. Le thème du temps circulaire dans le calendrier en entraîne deux autres, celui de l’espace et de la causalité. Le calendrier renvoie à une causalité externe et involontaire qui est la date de naissance.

Ce qui préoccupe Doržoo dans sa lecture du calendrier n’est pas la signification des différents potentiels que sont le hijmor’, le süld, le am’ et la mort (üheh), mais plutôt leur actualisation à un moment et dans un contexte donné. Comme l’a dit Clifford Geerts (2000 [1973] : 404) au sujet de l’usage du calendrier à Bali, nous n’avons pas tant affaire à un temps chronologique qu’à un temps qualitatif. Ce qui intéresse Doržoo est l’état de sa personne avant d’aller chasser. L’information délivrée se base sur la récurrence d’un « présent » identique de semaine en semaine et d’année en année. Cette normalisation inspirée des configurations prévisibles des astres se réfère à une conception mécaniste de la personne et ne laisse aucune place à l’aléatoire. Elle confère à la consultation un rôle uniquement informatif. Elle permet de prévoir l’état du hijmor’ de Doržoo dans le temps mais ne le fait pas advenir.

Comme nous allons le voir dans la section suivante, l’interprétation du calendrier astrologique ne suffit pas à comprendre toutes les dimensions du hijmor’ mobilisées dans la chasse. La fluctuation de ce potentiel échappe en effet en partie aux relations causales de type mécaniste à l’oeuvre dans l’astrologie. Elle dépend aussi de la conduite morale de l’individu.

Le potentiel vital de la personne vertueuse

Dans les discours, la notion de hijmor’ est souvent associée à celle de süld afin d’exprimer la même idée. Un ami chasseur de Doržoo utilise l’expression : « süld hijmor’bajdgüi », c’est-à-dire « pas de süld ni de hijmor’ », pour qualifier une personne qui ne peut chasser un loup :

Nous disons süld hijmor’bajdgüi pour quelqu’un qui n’a pas une bonne santé, qui manque de motivation, nous pouvons voir sur le visage de la personne qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Par exemple, mon beau-frère boit de l’alcool et fait des mauvaises choses : il n’aide pas ses parents et revient toujours tard à la maison. Il n’a pas de süld ni de hijmor’. Une telle personne ne peut chasser un loup. Si quelqu’un travaille bien et se bat pour améliorer sa vie, son hijmor’ peut augmenter.[9]

La notion de hijmor’ est également liée à la notion bouddhiste de « mérite », buyan. Une personne qui a beaucoup de hijmor’ est supposée avoir accompli de nombreuses actions « méritoires ». Une action méritoire (bujantaj) est une action accomplie pour le bien d’autrui sans attente d’une contrepartie. Selon Nadmid, le père de Doržoo, pour avoir des mérites, on doit « avoir bon coeur » (sajhan setgeltej), et un « bon caractère » (sajhan aashtaj) :

Une personne qui a bon coeur est quelqu’un qui a construit quelque chose. Par exemple, il s’agit de faire quelque chose de bon, sans qu’on nous ait demandé de le faire. Quelqu’un qui aide les autres sans demander de contrepartie a un bon caractère. La personne qui a un bon caractère et un bon coeur aura des mérites […].

Ces extraits de conversation soulignent l’aspect intentionnel et éthique du hijmor’. Ils révèlent aussi le développement temporel qui fait advenir la réussite. L’avènement d’un évènement dû à la présence de hijmor’ se détourne ainsi du hasard auspicieux que nous appelons « chance » et que les Mongols nomment az. Contrairement au hijmor’, l’az n’est pas localisé dans le corps et n’est pas lié à l’intentionnalité de l’individu ni à son passé. Il ne fait pas écho à une façon d’être. Selon Doržoo, « quelqu’un qui est méchant, et qui a de mauvaises intentions tel un voleur, peut avoir de l’az mais pas du hijmor’ ».

L’emploi du terme hijmor’ ne se réfère pas seulement à des évènements spécifiques comme la mise à mort d’un loup ou la réussite d’un projet important, mais aussi au processus permettant à l’évènement d’advenir. En référence aux jeux, les termes hijmor’ et az peuvent être utilisés différemment selon la temporalité à l’oeuvre. Un ami de Doržoo affirme :

Lorsque nous jouons aux cartes ou aux osselets[10], on parle plutôt de az. Le hijmor’ est difficile à avoir. Parfois un homme peut dire après avoir gagné aux cartes : « j’ai gagné, j’ai du hijmor’ » ; cet homme est prétentieux car c’est comme s’il disait : « c’est moi qui suis comme ça ». Mais en fait il était juste chanceux pour un jour, il avait juste de l’az, avec le hijmor’ tu peux réussir plusieurs fois. Par contre, pour les jeux de la fête nationale, naadam [la lutte, la course de chevaux et le tir à l’arc], on emploie le terme hijmor’ car ils demandent une grande préparation.

De manière intéressante, la notion de hijmor’ n’est pas associée à celle de az dans le contexte de la chasse. Lorsque Doržoo et moi revenions bredouilles de la chasse, nous pouvions entendre de la part des aînés : « Ha ! voilà deux jeunes sans hijmor’ (hijmorgüi zaluu) ». Le terme az n’était pas utilisé. Une telle affirmation n’est pas sans connotation au sujet du statut moral d’un individu résultant en un manque de réussite à la chasse. Tandis que l’az n’implique aucune cause relationnelle – il ne dure pas plus longtemps que le moment de son apparition, il émerge et s’effondre dans le présent –, le hijmor’ implique un processus temporel qui englobe le passé et influe sur le présent. Après plusieurs échecs à la chasse, Doržoo s’est exclamé : « Qu’avons-nous fait de mal pour ne pas obtenir de gibier ? »[11].

L’augmentation de hijmor’ prédite de manière mécaniste par le calendrier astrologique est donc insuffisante pour induire la mise à mort d’un loup. Afin de porter fruit, ce potentiel doit être augmenté considérablement à travers l’accomplissement d’actions méritoires jusqu’à la mise à mort. Le statut moral du chasseur est donc prépondérant dans le résultat de la chasse. Mais durant son parcours, Doržoo mobilise également d’autres outils que ses mérites pour tuer un loup.

Interpréter les pierres

Au campement et sur le chemin vers le territoire de chasse, il arrive à Doržoo de répéter le même rituel plusieurs fois. Il sort quarante et une pierres d’un petit sac pour effectuer un rituel de divination, mereg, et obtenir des indications sur le résultat de la chasse[12]. Les quarante et une pierres sont appelées « les quarante et une langues ». Il prend les pierres dans les paumes de ses mains et murmure : « Le loup est-il loin, pouvons-nous le trouver dans les montagnes près d’ici ? ». Ensuite, il constitue trois petits tas de pierres et prend hors de chaque tas quatre pierres qu’il aligne parallèlement en-dessous. Il recommence l’opération deux fois. La configuration des pierres prend donc la forme d’un carré constitué de trois colonnes et trois lignes. Des tas comprenant quatre pierres, Doržoo en prélève trois et les met sur le côté sans plus s’en préoccuper. Des tas comprenant trois pierres, il en prélève deux sans plus s’en préoccuper. Doržoo ne sait pas expliquer les raisons de ces pratiques, il fait comme son père lui a appris.

La colonne de gauche se réfère au chasseur, celle de droite au loup, et celle du milieu donne des indications concernant le résultat de la chasse. Chaque petit tas porte un nom. Dans la colonne du chasseur, le tas le plus haut est appelé « tête » (tolgoj). Le tas central est appelé « reins » (böör), et le tas inférieur est appelé « jambe » (höl). Dans la colonne du loup, les trois tas portent les mêmes noms (tête, reins, jambes). Dans la colonne du milieu, le tas supérieur est appelé « front » (magnaj), et fait référence à l’expression « être ravi » (magnaj tenijh). Le tas central est appelé « coeur » (zürh) et indique si le chasseur trouvera des obstacles sur sa route. Le tas le plus bas est appelé « trouvaille » (olz) et indique si le chasseur va trouver sa proie. D’une personne à l’autre, il est très difficile de trouver une logique cohérente et récurrente dans les manières avec lesquelles les éleveurs interprètent les combinaisons des pierres. Doržoo et d’autres éleveurs affirment que chaque personne a sa façon de lire les pierres. Pour Doržoo, s’il y a plus de pierres dans la colonne du chasseur que dans celle du loup, cela veut dire que le chasseur a un avantage sur sa proie. Cette première interprétation est mise en relation avec les données de la colonne du milieu. Une petite quantité de pierres dans chaque tas indique un résultat favorable au chasseur. « Il sera ravi (magnaj tenijh) et ne rencontrera pas d’obstacle (zürh)[13] pour obtenir du gibier (olz) ».

Les informations obtenues sont rarement aussi univoques. Aux questions binaires de Doržoo (« Le loup est-il loin, pouvons-nous le trouver dans les montagnes près d’ici ? »), les pierres répondent généralement par une approximation, une tendance à exploiter. À la différence du calendrier, la divination ne révèle pas un état de la personne (son potentiel vital) déterminé de manière normative, mais un potentiel de situation qui se caractérise par une propension des choses à évoluer de manière escomptée ou non (Julien 1992). Il s’agit d’une tendance à exploiter dont la conséquence n’est jamais garantie.

C’est certainement cette part d’aléatoire qui pousse Doržoo à recommencer le rituel de divination plusieurs fois. Contrairement à la consultation du calendrier astrologique, lorsque les indications des pierres sont défavorables, Doržoo recommence encore et encore parfois sous les rires de ses parents jusqu’à ce qu’il obtienne un résultat favorable. La possibilité de répétition du rituel le rapproche du lancer de battoir du chamane sibérien :

Le procédé divinatoire, qui consiste à lancer l’objet en sorte qu’il tombe du « bon côté », et à recommencer, en cas d’échec, jusqu’à y parvenir ou du moins plusieurs fois, enseigne que l’objectif n’est pas de connaître mais de faire être, de faire devenir favorable le futur, trouvable le caché, manipulable l’inconnu.

Hamayon 1990 : 599

La répétition n’a pas seulement pour but de faire dire, mais aussi d’induire un potentiel de situation favorable dont l’issue n’est jamais garantie. Le rituel d’interprétation des pierres n’est donc pas seulement divinatoire, comme l’astrologie : sa répétition lui confère une dimension propitiatoire, un certain degré positif d’efficacité symbolique. La répétition se voit ainsi attribuer une valeur en ce sens que l’on peut attendre un effet dans le registre de la réalité ordinaire qui incite le chasseur à l’action (Hamayon 2012a : 87). Le résultat du rituel ne relève d’aucune causalité relationnelle, il est en quelque sorte sans origine. Il s’agit de mettre la chance de son côté[14]. Ni la notion de hijmor’, ni celle de destin (zaja), ni même celle d’esprit ne sont convoquées pour déterminer le résultat. Cette pratique divinatoire objective (basée sur des objets) et potentiellement répétable ne relève pas tant de la lecture de signes que de la construction de l’avenir (Lambert 2012 : 124)[15].

Tout au long du parcours de chasse, la dimension aléatoire du rituel d’interprétation des pierres est contrebalancée par un troisième rituel que Doržoo effectue pour implorer un esprit maître du terroir et des animaux sauvages (gazaryn ezen), nommé Père Blanc (Cagaan Aav). Ce rituel, à la différence de la divination, est uniquement propitiatoire et n’autorise aucune marge de liberté dans son déroulement. Il s’effectue généralement au bivouac de chasse ou peu de temps avant que Doržoo ne tire sur sa proie. Il permet à Doržoo d’accomplir une action « méritoire » et d’augmenter son hijmor’.

Plaire au Père Blanc et induire la prise de gibier

Cagaan Aav possède un troupeau. Les loups sont considérés comme ses chiens (nohoi), les mouflons (argal’) comme ses moutons, les bouquetins (yangir) comme ses chèvres, et les cerfs (buga) comme ses vaches. Cet esprit est parfois individualisé, mais ce n’est pas toujours le cas. Lorsqu’il est figuré, il est représenté comme un vieil homme avec une barbe blanche tenant un bâton et entouré d’animaux sauvages[16]. Pour certains éleveurs, il reste une entité abstraite impossible à représenter et à localiser précisément. Toutefois, selon Doržoo et plusieurs autres éleveurs rencontrés, au sommet d’une montagne de Sagil[17], on peut distinguer de loin une forme carrée, qui est l’enclos où Cagaan Aav garde son troupeau.

Lors des rituels saisonniers, c’est à lui que les éleveurs font des offrandes de nourriture et de lait pour favoriser les bonnes conditions climatiques, la fertilité des pâtures et la bonne santé du bétail. Son rôle est de maintenir une certaine éthique environnementale basée sur le maintien des ressources naturelles dans un état idéal d’équilibre et sur le respect d’une série de prohibitions qui y sont plus ou moins corrélées (Humphrey, Mongush et al. 1993). On ne peut couper du bois vivant, ni faire de trous, ni bouger de pierres, ni encore uriner dans une rivière sous peine de sanctions telles que la contraction de maladies et des pertes de bétail. La chasse excessive est aussi sanctionnée par le Père Blanc, car c’est lui que l’éleveur partant à la chasse implore pour obtenir du gibier.

Le matin, au bivouac, Doržoo offre le premier thé à Cagaan Aav en le jetant en l’air. Près du feu, en brûlant de la poudre de genévrier, il dit à voix basse : « Donne-moi du hišig de chasse, aide-moi à réussir ma tâche » (An hišgee hairlač ažil törölijg min’büteeč hairal). Parfois la demande est formulée de la manière suivante :

Cagaan Aav min’
Angyn hišgee hairlana uu ?
Čono hairlana uu ?

Mon Cagaan Aav
Me donneras-tu du hišig de chasse ?
Me donneras-tu un loup ?

Dans la demande de Doržoo, la proie est désignée par le terme hišig et plus précisément par les termes « hišig de chasse » (angyn hišig). La notion de hišig est généralement traduite par le terme « fortune » ou « grâce ».

[…] il est proposé de voir dans la « grâce » [ou fortune] demandée par l’éleveur à ses ancêtres l’héritière et l’homologue de la « chance » soutirée par le chasseur à l’esprit de la forêt […]. Le mode d’obtention diffère : séduction de la part du chasseur (accompagnée de diversion et éventuellement appuyée de ruse), sollicitation de l’éleveur (accompagnée d’offrande et éventuellement accompagnée de flatterie). Diffère aussi l’orientation en termes de valeurs : la chance est gagnée par son bénéficiaire (qui peut même la forcer), la grâce lui est concédée. Néanmoins la grâce conserve quelque chose de l’aléatoire où baigne la chance ; elle n’est pas un dû spontanément reçu mais doit être implorée ; elle implique un certain degré de subordination de l’homme à l’égard de la surnature […].

Hamayon 1990 : 630

Le loup est associé à la fortune ou à la grâce implorée à Cagaan Aav. L’imploration se réfère à une relation hiérarchique de dépendance entre le chasseur et Cagaan Aav. Le modèle de relation hiérarchique présent dans l’élevage est ainsi reproduit dans la chasse. Cette relation est particulièrement illustrée par le statut donné aux animaux sauvages considérés comme le « bétail » (mal) de Cagaan Aav. Dans ce contexte, la proie et la fortune à laquelle elle est assimilée ne sont pas le résultat d’un échange entre partenaires, mais un don ou une faveur accordée au chasseur par un esprit autoritaire et transcendant. Ce don n’est jamais garanti : il n’est octroyé qu’au chasseur vertueux qui a accumulé des mérites (buyan). Lorsque Doržoo procède à la fumigation de genévrier pour plaire à Cagaan Aav, il dit qu’il produit du mérite (buyan), et que cela contribue à l’augmentation de son hijmor’. La production de mérite induit l’octroi éventuel du gibier ou « fortune de chasse » (angynhišig)[18]. La fumigation articule ainsi dans une relation de cause à effet une action volontaire impliquant l’état éthique d’un individu (production de bujan et de hijmor’), et une action involontaire qui est l’obtention éventuelle de la proie désignée par l’abstraction « fortune de chasse »[19].

La relation de subordination entre le chasseur et Cagaan Aav implique une conduite rituelle différente de celle observée dans la pratique divinatoire. La part d’aléatoire présente dans la divination est absente dans la fumigation. Contrairement à la divination, la fumigation ne met pas sur un même plan égalitaire deux sujets, le chasseur et le loup : elle actualise une relation inégalitaire entre le chasseur et Cagaan Aav, dont le loup n’est plus que l’objet. De plus, la fumigation de genévrier n’autorise pas de latitude dans le respect des règles rituelles, on ne peut le répéter à l’envi. Il s’agit de les appliquer exactement et de s’y limiter. À la différence de la divination, ce rituel de dévotion destiné à Cagaan Aav possède une forme d’efficacité symbolique négative. Il ne s’agit pas tant pour le chasseur de faire advenir la prise de gibier que d’éviter que celle-ci n’advienne pas. Doržoo sait que s’il ne vénère pas Cagaan Aav comme il se doit, il n’aura pas de gibier. L’application liturgique des règles a pour effet d’éviter la sanction qui serait encourue en ne le faisant pas. L’effet attendu ne tient pas à la répétition mais au caractère normatif et rationalisé du rite (Hamayon 2012a : 316). Dans ce contexte, la prise de gibier est loin d’être un simple fait, elle devient un signe à interpréter.

Tuer un loup et incorporer son potentiel vital

À travers la mise à mort d’un loup, le chasseur incorpore son potentiel vital. Contrairement au hijmor’ de l’homme, celui du loup ne fluctue pas et n’est pas lié à l’idée de mérite. Il se réfère, comme nous allons le voir plus loin, à des qualités propres au loup et reconnues comme telles. Ce potentiel vital ne peut généralement être donné ou transmis, excepté lors de la mise à mort d’un loup. La possibilité d’une prédation de hijmor’ témoigne de la volonté du chasseur de se rapprocher du loup, de partager avec lui ce potentiel. Cette proximité en fait l’animal non-humain non domestiqué le plus humain. Le chasseur puise dans le hijmor’ du loup les qualités qu’il juge nécessaires au développement de sa personne, mais n’autorise pas le loup à entrer de plain-pied dans l’espèce humaine. Comme si, trop dangereux, trop excessif, il était condamné à l’espace clos de l’entre-deux. Lorsque j’ai demandé à un chasseur : « Y-a-t-il des animaux qui ont plus de hijmor’ que d’autres ? », il a répondu : « Le loup a le plus de hijmor’, son intelligence (uhaan) est presque comme celle d’une personne (hün). Il y a juste une idée manquante pour qu’il soit comme une personne, c’est pour cela que le loup a beaucoup de hijmor’ ». Quand je lui ai demandé quelle idée il manquait au loup, il a répondu : « Cela a été prédestiné comme cela par le monde naturel (bajgalaas zayasan) ».

Le hijmor’ du loup est lié à ses qualités reconnues, telles que l’intelligence, la résistance, la débrouillardise et, surtout, la capacité de trouver sa nourriture tout seul. Pour expliquer son admiration pour le loup, Nadmid, le père de Doržoo, m’a raconté une histoire qui est également connue d’autres chasseurs :

Il y a longtemps, Bouddha divisa la nourriture entre tous les animaux. Mais il dit au loup : « Il n’y a plus de nourriture pour toi ; hors de cent moutons tu peux en manger un ». Le loup comprit mal le message de Bouddha. Il comprit qu’il pouvait manger quatre-vingt-dix-neuf moutons hors de cent. Il attaqua donc un campement et bien qu’il n’avait pas envie de manger, blessa moutons et chèvres. Le loup dit alors : « Une nuit, je franchirai cent rivières et sauterai par-dessus mille vallées et je trouverai ma nourriture tout en courant ».

Les chasseurs s’identifient aux qualités reconnues au loup, qui peuvent être regroupées sous le terme générique d’autonomie. Ils trouvent dans le loup les attributs d’une forme de virilité. L’idée de hijmor’ est d’ailleurs plutôt associée aux hommes qu’aux femmes, qui ne chassent pas[20]. Ce sont les attributs du hijmor’ liés au loup, plutôt que les attributs du hijmor’ liés spécifiquement à l’homme, comme le « mérite », qui sont mis de l’avant. Mais la mise à mort d’un loup a d’autres effets qu’un processus d’identification : elle révèle le passé moral du chasseur et fait advenir un futur auspicieux.

Entre passé et avenir, révéler le statut éthique du chasseur

Comme le dit Da Col : « les subjectivités sont cachées et deviennent temporairement visibles à travers l’astrologie, la divination ou des évènements spécifiques et des signes […] » (Da Col 2007 : 219, traduction libre). Tuer un loup n’est jamais un fait dû au hasard, il s’agit toujours d’un signe à interpréter. Les interprétations des chasseurs peuvent a priori sembler déroutantes. Lorsque j’ai demandé : « Qu’est-ce que la mise à mort d’un loup fait ? », certains chasseurs m’ont répondu : « Chasser un loup est difficile, afin d’en tuer un, tu dois être plus malin que lui. Les gens disent que si tu tues un loup, tu as du hijmor’ ». D’autres chasseurs ont affirmé : « Afin de tuer un loup, tu dois avoir plus de hijmor’ que lui. Le loup est un animal qui permet à l’homme d’avoir du hijmor’ ». Il y a dans ces affirmations deux statuts différents accordés au hijmor’. Il faut du hijmor’ pour tuer un loup, et la mise à mort augmente le hijmor’. Le statut du hijmor’ oscille donc de la cause à l’effet.

La première réponse, selon laquelle il faut du hijmor’ pour chasser un loup, révèle une caractéristique de la mise à mort qui est celle de rendre visible un aspect de l’individu, son potentiel vital. Nous avons vu précédemment que le développement de ce potentiel est lié à des qualités morales. Selon Doržoo et son père :

Une personne qui a du hijmor’ est quelqu’un de courageux, d’honnête, qui ne boit pas, ne fume pas et ne commet pas de mauvaises actions. Une personne qui a du hijmor’ est en bonne santé et a de bons amis. Une telle personne est aimée par Bouddha[21], il la protège et lui donne du hišig. Quelqu’un qui n’a pas de hijmor’ ne peut avoir du hišig.

La mise à mort révèle le potentiel vital développé par les qualités morales du chasseur exprimées dans ses actions et intentions passées. Elle les actualise et les rend plus visibles pour le chasseur et pour les autres. Elle légitimise a posteriori une façon d’être[22]. La révélation de hijmor’ est dans un premier lieu une conséquence, le résultat d’un processus temporel tourné vers le passé. À travers un processus d’individuation, la mise à mort d’un loup permet au chasseur de réévaluer son passé positivement selon une perspective morale. Elle implique une mémoire involontaire et conjecturale, c’est-à-dire une conscience du temps qui prête attention au passé et aux liens que le présent entretient avec lui. Le chasseur peut sélectionner dans un répertoire d’actions passées celles qui sont les plus significatives pour faire sens de la mise à mort. Ce processus de sélection est aussi utilisé pour justifier le manque de succès. La remémoration du passé n’est pas toujours fructueuse et nécessite parfois l’intervention d’un lama[23] pour identifier les causes des échecs. La réévaluation du passé correspond à une intention temporelle qui est téléologique.

Dans la deuxième réponse des chasseurs, selon laquelle « Le loup est un animal qui permet à l’homme d’avoir du hijmor’ », l’augmentation du potentiel vital générée par la mise à mort est la cause initiatrice d’une temporalité tournée vers le futur. Elle est la première étape d’une série. En effet, doté d’un surplus de hijmor’, le chasseur envisagera le futur de manière plus confiante. Il pourra entreprendre des projets ambitieux avec plus d’assurance. L’échec répété à la chasse engendre aussi une évaluation du futur. Après être revenus plusieurs fois bredouilles de la chasse, les parents de Doržoo nous ont conseillé d’aller voir un lama pour qu’il fasse un rituel afin de revivifier notre hijmor’, de sorte à obtenir plus de succès à la chasse et aussi dans la vie quotidienne. Une telle conscience du temps implique une intention temporelle anticipative liant le futur au présent. La mise à mort d’un loup mobilise ainsi les trois dimensions temporelles : le passé, le présent et le futur. Elle se passe dans le présent, génère une interprétation du passé et fait advenir un futur auspicieux. Elle émerge du présent pour mieux l’excéder, le déborder vers le passé et le futur[24]. La mise à mort d’un loup ne met pas fin à l’exercice herméneutique du chasseur, elle le prolonge en multipliant les signes et en encourageant à l’action. « La fortune peut être démontrée seulement aux travers d’évènements ; cependant, nous devons agir, réaliser des choses afin de dévoiler ses propriétés miraculeuses » (Da Col et Humphrey 2012 : 7, traduction libre). En révélant et en faisant advenir, la mise à mort condense des caractéristiques propres à chaque procédure mise en place par le chasseur pour favoriser la prise de gibier. Elle possède une dimension divinatoire (astrologie), propitiatoire (configuration des pierres) et relève d’une causalité relationnelle impliquant le statut moral du chasseur (fumigation).

Conclusions : révéler et faire advenir la proie, entre actions et transformations

Tuer un animal sauvage, et plus particulièrement un loup, est toujours vécu comme un exploit. Alors que la mise à mort d’un animal domestique est empreinte de sobriété et de discrétion, celle du gibier attire l’attention et les commentaires. Les voisins visitent la yourte du chasseur qui a abattu un loup, lui offrent de la vodka et le félicitent. Il a été plus intelligent et plus adroit que le loup, il a su le trouver et viser juste. Les histoires vont bon train sur la manière avec laquelle le chasseur a su observer le loup sans être vu, sur le lieu précis où l’animal se trouvait. En guise de trophée, la peau est étendue sur un mur de la yourte ou sur le capot de la voiture de l’éleveur. Elle donne à voir au visiteur les qualités d’un sujet volontaire et autonome, capable plus que le loup « de franchir cent rivières et de sauter par-dessus mille vallées pour trouver sa nourriture tout en courant ».

L’évènement de la mise à mort apparaît comme un surgissement nécessitant une interprétation mettant en jeu les actions du chasseur. Mais l’analyse des procédures rituelles mobilisées durant la chasse montrent que les compétences du chasseur ne peuvent porter à conséquence que s’il est capable d’exploiter au mieux toute une série de transformations dont il n’est le plus souvent que le sujet involontaire. Le calendrier astrologique prédit les fluctuations de son potentiel vital en les mettant en relation avec d’autres types de transformations, telles que les configurations changeantes des astres. La pratique divinatoire révèle un potentiel de situation déjà présent, propice ou non, et dont le chasseur n’est a priori pas responsable. Même si le chasseur répète le rituel pour orienter la propension des choses en sa faveur, son rôle reste passif. Il n’y a ni destin à vaincre, ni esprit à défier, à vénérer ou à laisser agir. Le résultat ne prend pas son origine ailleurs que dans l’instant même où il naît. Enfin, même si le chasseur produit du mérite en observant le rituel consistant à brûler du genévrier et augmente ainsi le potentiel vital à l’intérieur de sa personne, l’obtention de la proie reste en dernière instance le résultat du bon vouloir de Cagaan Aav. La prise de la proie résulte ainsi des actions du chasseur, mais ses actions ne peuvent être fructueuses si elles ne s’accordent pas à la maturation de transformations prenant place à l’intérieur et à l’extérieur du chasseur. Entre actions et transformations, entre révéler et faire advenir, c’est là que se joue le statut du sujet, volontaire et involontaire.