Corps de l’article

Dans la littérature traitant la création d’entreprises, l’entrepreneur a été souvent présenté comme un personnage héroïque. Toutefois, « l’idéal de l’entrepreneur schumpétérien a été maintes fois attaqué. S’il était intéressant et symbolique, il se heurte aujourd’hui à la dureté des faits. L’entrepreneur n’est pas un innovateur isolé. Il construit son projet entrepreneurial en s’appuyant plus ou moins- selon la nature de son projet - sur des réseaux relationnels. Et il est nécessaire de mieux cerner la nature et les modalités de cette insertion pour affiner notre analyse de l’entrepreneuriat» (Chabaud et Ngijol, 2004, p.11). De sa part, Granovetter (1995) considère l’entrepreneur comme « encastré » dans des réseaux. De ce fait, le réseau relationnel de l’entrepreneur permet d’avoir de multiples contacts pour cerner à la fois son accès aux ressources et aux opportunités (Aldrich et Zimmer, 1986, cité par Saleille, 2007).

Notre cadre conceptuel est basé sur la notion de l’opportunité entrepreneuriale (Venkataraman, 1997; Shane et Venkataraman, 2000; Shane, 2003; Verstraete et Fayolle, 2005). Il s’appuie sur le courant de l’entrepreneur « encastré », considéré comme étant un important pourvoyeur de ressources permettant la concrétisation de l’idée du projet (Singh et al., 1999; Chabaud et Ngijol, 2004; Verstreate et Saporta, 2006).

Dans ce travail, la problématique de recherche en question est la suivante : quels sont les composantes du réseau de l’entrepreneur innovateur dans le contexte tunisien et les liens qui existent entre eux dans les phases d’identification et d’exploitation d’opportunité d’affaires ?

L’objet du présent article est d’identifier et d’analyser la dynamique et l’évolution de la configuration relationnelle de l’entrepreneur innovateur tunisien. Dans ce cadre, nous nous sommes intéressés à l’évolution du réseau personnel de l’entrepreneur, incubé dans une pépinière d’entreprises innovantes, en prenant en compte ses différentes dimensions : taille, densité et force des liens du réseau, lors des deux phases identification et exploitation.

Dans un premier temps, nous rappelons quelques références soutenant l’importance de l’opportunité en tant que déterminant de la création d’entreprise. Ensuite, nous mettons l’accent sur l’étude de la configuration du réseau personnel de l’entrepreneur tout au long du processus d’identification et d’exploitation d’opportunité. Enfin, nous procédons à la réalisation d’une étude empirique et à la discussion des résultats.

La place de l’opportunité dans le champ de l’entrepreneuriat

Les travaux sur la place de l’opportunité dans le domaine de l’entrepreneuriat se sont multipliés ces dernières années. Pour certains auteurs (Timmons, 1994; Brush et al. 2003), la reconnaissance d’une opportunité correspond à l’élément central du phénomène entrepreneurial. L’opportunité entrepreneuriale est entendue, au sens de Eckhardt et Shane (2003, p.36), à des “situations in which new goods, services, raw materials, markets and organizing methods can be introduced through the formation of new means, ends, or means-ends relationship”. D’autres auteurs (Shane et Venkataraman, 1997; Shane et Venkataraman, 2000) suggèrent que la recherche en entrepreneuriat doit s’orienter à comprendre comment, par qui et avec quels effets les opportunités sont-elles découvertes, évaluées et exploitées pour créer des produits et services futurs. Dans ce contexte, nous étudions les caractéristiques sociodémographiques de l’entrepreneur innovateur et son parcours professionnel. Ensuite, nous discutons de la nature -des opportunités entrepreneuriales et nous faisons une synthèse des travaux récents théoriques et empiriques dans l’identification et l’exploitation d’opportunités.

Le profil particulier de l’entrepreneur innovateur

Dans la littérature traitant la création des entreprises innovantes, le personnage de l’entrepreneur innovateur est considéré comme central, des caractéristiques bien particulières lui ont été données. Dans ce cadre, nous présenterons son profil.

Genre et âge

La création des entreprises technologiques intéresse les hommes plus que les femmes : les entrepreneurs technologiques sont des hommes dans plus de 80 % des cas (Ayadi et al., 2005). Ces entrepreneurs sont relativement jeunes de 30 à 44 ans (Danjou et Dubois-Grivon, 1999; Blais et Toulouse, 1992; Ayadi et al., 2005; Borges, Filion et Simard 2006).

Niveau d’étude

De nombreuses études ont montré que les entrepreneurs innovateurs se distinguent des autres créateurs d’entreprises par leur haut niveau d’étude (Bernasconi, 2000). Dans une étude exploratoire auprès de 22 entreprises innovantes, 95 % des entrepreneurs ont un niveau « Bac +5 » dont la moitié sont des docteurs ou docteurs-ingénieurs (Danjou et Dubois-Grivon, 1999). De même, les créateurs des entreprises technologiques ont un niveau d’étude plus élevé que les créateurs des entreprises classiques (Borges et al. (2006)).

Expérience professionnelle

Les entrepreneurs technologiques créent leurs entreprises après avoir travaillé dans des secteurs proches du secteur d’activité de leurs nouvelles entreprises (Tesfaye, 1997 et Fayolle, 1999). Ils ont alors acquis de la compétence et de l’expérience avec le produit et la technologie utilisée et possèdent donc une bonne connaissance des marchés, des technologies ou de l’industrie (Gasse, 2002). Cette expérience professionnelle peut durer en moyenne douze ans (Danjou et Dubois-Grivon, 1999). Aussi, des auteurs (Lee et Wong, 2004; Hills, Shrader et Lumpkin, 1999) confirment l’importance d’une telle expérience en montrant qu’entre 50 et 90 % des idées d’entreprises proviennent des expériences antérieures. Cependant, malgré le niveau élevé de formation et d’expérience des entrepreneurs technologiques, certains auteurs ont montré que la plupart de ces entrepreneurs, souvent préoccupés par les performances techniques, manquent des compétences nécessaires pour accomplir des activités de gestion, particulièrement celles relatives au marketing et à la commercialisation (Borges et al., 2006; Albert, 2000; Jones-Evans, 1997).

Identification et exploitation d’opportunité entrepreneuriale

L’identification d’opportunité entrepreneuriale est une étape cruciale dans toute création d’entreprise. L’identification, l’évaluation et l’exploitation d’opportunité entrepreneuriale forment le coeur de l’entrepreneuriat (Shane et Venkataraman, 2000).

L’opportunité entrepreneuriale : contours de concept

La notion d’opportunité fait l’objet d’un regain d’intérêt dans le domaine de l’entrepreneuriat (Chelly, 2006). L’opportunité est considérée, avant tout, comme une source de profit rendu possible par l’existence d’une demande solvable et de ressources requises disponibles. Ainsi, les occasions d’affaires doivent être ancrées en produits et services qui créent ou ajoutent de la valeur pour les acheteurs ou les utilisateurs (Timmons, 2004). Aussi, une opportunité d’affaires peut être définie par la possibilité qu’un projet aboutisse à une activité créatrice de valeur, rentable et dotée d’un potentiel de développement ou de pérennisation, compte tenu de l’environnement, des caractéristiques du marché et des ressources mobilisables par l’individu (Fayolle, 2005). De plus, l’opportunité est contingente, c’est-à-dire qu’elle dépend d’un individu, de ses aspirations, de ses perceptions, de sa situation et de ses ressources.

Suite à ces différentes définitions, nous pouvons constater que l’opportunité d’affaires est un construit susceptible de générer le profit et la valeur ajoutée; et à ce titre, elle est la base de la création d’entreprise. Shane et Venkataraman (2001, p.220) appuient cette idée en considérant que « pour avoir de l’entrepreneuriat, il faut tout d’abord avoir des opportunités entrepreneuriales ». Dans le même esprit, les résultats du projet du Global Entrepreneurship Monitor (GEM, 2003), se basant sur un échantillon de 31 pays, montrent que l’entrepreneuriat est le plus souvent un choix qui résulte de la poursuite d’opportunités sur le marché. En effet, 66 % des entrepreneurs ont déclaré créer une entreprise suite à l’identification d’une opportunité, tandis que pour 27 % d’entre eux était une nécessité pour avoir un emploi stable. Les 7 % des répondants restant, mentionnaient d’autres raisons. L’’identification d’opportunité est considérée comme étant le point de départ incontournable de tout processus entrepreneurial voir le centre de gravité de la littérature sur cette question (Kirzner, 1979; Shane et Venkataraman, 2000; Shane, 2003).

La conceptualisation de l’opportunité d’affaires

Les processus de découverte ou de conception, d’évaluation et d’exploitation des opportunités représentent des objets d’étude et de recherche essentiels. Des travaux explorent conceptuellement ou empiriquement un aspect particulier de ce processus (Nous citons par exemple Wicklund, Dahlqvist, Havnes, 2001; ou Van der Veen, Wakkee , 2002). Le processus de reconnaissance d’opportunité d’affaires présente un processus cognitif comportant cinq phases: la préparation, l’incubation, l’insight, l’évaluation et l’élaboration (Cf. Figure1).

Les phases insight et élaboration constituent deux étapes cruciales du processus de création d’entreprise

Au niveau de la phase de préparation, l’entrepreneur fait l’inventaire, l’analyse des connaissances et des expériences accumulées qui pourraient par la suite mener à des opportunités plus précises dans les phases d’incubation.

L’incubation se rapporte à la partie du processus d’identification d’opportunités dans lequel les entrepreneurs ou une équipe d’entrepreneurs examinent une idée ou un problème spécifique. Selon le modèle, l’incubation n’est pas une période de résolution de problème, mais plutôt un moment où les différentes options sont envisagées (Lumpkin, Hills, et Shrader, 2004).

L’insight peut se traduire comme étant le moment précis de la reconnaissance ou encore de l’identification de l’opportunité d’affaires. Ce moment peut se vivre selon trois différentes façons. Il peut survenir comme un eurêka. Il peut être le fruit de la résolution de problème ou encore résulter de l’interaction avec un réseau social. L’insight peut être vu comme une période d’idéation, la période d’interaction entre les acteurs.

L’évaluation consiste à tester et à examiner la faisabilité du projet en s’appuyant sur les études de marché, d’ordre juridique et financier, analyse et/ ou rétroaction des associés d’affaires et d’autres dans son réseau social (Singh et al. 1999).

L’élaboration correspond à l’exploitation de l’opportunité d’affaires. Cette phase est typiquement la partie la plus longue du processus puisqu’elle représente le travail laborieux pour le futur entrepreneur, avec une planification des tâches.

Des travaux (Shane et Venkataraman, 2000; Tremblay et Carrier, 2006) montrent que l’identification et l’exploitation d’opportunités sont deux phases n’impliquant pas nécessairement le même intervenant. En effet, l’idée de création d’entreprise pourrait survenir de la part des structures d’accompagnement (Pépinière d’Entreprise, Centre d’Affaires, Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation) ou d’un laboratoire de recherche. Ensuite, ces mêmes opportunités pourraient être développées par des entrepreneurs détenant l’expertise et les compétences requises dans la phase d’exploitation.

Le réseau personnel en tant que déterminant dans l’identification et l’exploitation d’opportunités d’affaires

Le présent travail de recherche se focalise sur une analyse du rôle du réseau personnel dans l’identification et l’exploitation d’opportunités d’affaires. Ainsi, nous partons d’une revue de littérature autour du lien entre réseau personnel et entrepreneuriat. Puis, nous exposons les trois dimensions d’un réseau personnel, à savoir : la nature du lien social entre les individus, l’aspect structurel du réseau et les attributs des alters composant le réseau personnel.

FIGURE 1

Processus de reconnaissance d'opportunités

Processus de reconnaissance d'opportunités
Source : Lumpkin et al., 2004

-> Voir la liste des figures

Réseau personnel et entrepreneuriat : Un éclairage théorique

La littérature entrepreneuriale a montré que les relations de l’entrepreneur favorisent le développement des compétences des acteurs et la performance des entreprises (Grossetti et Barthe, 2008). En effet, Saleille (2007, p.74) souligne que l’entrepreneuriat est « une activité essentiellement de mise en réseau ». Aussi, des auteurs (Wiklund, Patzelt et Shepherd, 2009) stipulent que la mise en relation d’entrepreneurs et l’échange de bonnes pratiques sont présentés, aussi bien par les dirigeants d’entreprises que par les chercheurs, comme des vecteurs importants de la pérennité et de la croissance des jeunes entreprises. Dès lors, les réseaux personnels contribuent pleinement à la réalisation des opportunités d’affaires.

Réseau personnel : Contour de concept

Dubini et Aldrich (1991, p.307) définit le réseau personnel comme étant «toutes les personnes avec lesquelles l’entrepreneur a des relations directes (ou, dans certains cas, des relations indirectes via des relations directes). Pour les entrepreneurs, nous pouvons penser aux partenaires, fournisseurs, clients, capital risque, banques ou autres financeurs, distributeurs, associations commerciales et membres de la famille. Le type le plus simple de réseau personnel inclus les liens directs qui relient l’entrepreneur aux personnes avec lesquelles il a des échanges directes. Souvent, il s’agit de personnes que l’entrepreneur rencontre en face à face et desquelles il obtient des services, des conseils et un support moral».

Dans le même ordre d’idées, Hung (2006, p. 364) propose que « le réseau personnel est relié à comment les entrepreneurs, en tant que personnes individuelles, s’encastrent elles-mêmes dans des systèmes sociaux variés ». De son côté, Saleilles (2007, p.34) rajoute que « le réseau personnel est constitué de l’ensemble des individus ou organisations qui ont joué un rôle, positif ou négatif, lors de la création et du démarrage de l’entreprise, que ce soit passivement, réactivement ou proactivement, que cela ait été suscité explicitement par l’entrepreneur ou pas ».

Pendant la phase d’identification et d’exploitation des opportunités d’affaires, les réseaux personnels du créateur jouent un rôle fondamental en proposant des informations et ressources nécessaires en réponse aux besoins émanant de l’entreprise en création. Turki et Chtourou (2010, p.1) préconisent que « ces relations interpersonnelles sont déterminantes dans la reconnaissance des opportunités ou d’affaires ». Elles favorisent l’accès aux informations nécessaires à cette finalité (Burt, 1995; Chabaud et Ngijol, 2005; Géraudel, 2008). Aussi, l’entrepreneur recourt à « des réseaux informationnels pour améliorer les routines de son organisation, lui indiquer les occasions d’affaires, orienter sa stratégie et soutenir l’innovation » (Julien, 2009, p.137). Donc, les réseaux personnels constituent « une sorte de « stock » de relations dans lequel l’entrepreneur va pouvoir puiser pour former le réseau professionnel » (Saleille, 2007, p.73).

En outre, les réseaux personnels sont porteurs à la fois de signaux forts et faibles (Granovetter (1973; 1985)). Lecoute et Lièvre (2005, cité par Turki et Chtourou, 2010, p.5), « le réseau personnel d’un dirigeant se définit à la fois comme le réseau dense des proches qui se voient et interagissent souvent (plutôt des liens forts) et le réseau étendu des autres personnes qui sont liées à l’ego (dirigeant) sans être liées entre elles et qui connaissent des personnes non liées à l’ego (plutôt des liens faibles) ». La force de ces signaux s’explique par « la connaissance mutuelle des interlocuteurs, connaissance établie souvent de longue date et suffisamment sagace pour aller rapidement aux points essentiels du développement de l’entreprise sans avoir besoin de longues explications (Krackhardt, 1992; cité par Julien, 2009, p.137) ». Donc, ils constituent « le principal levier d’action pour que l’entreprise puisse obtenir des informations en provenance de son environnement et reconnaître les opportunités d’affaires » (Géraudel, 2008; cité par Turki et Chtourou, 2010, p.4). Aussi, des signaux faibles (tels que les simples connaissances, les anciens amis, les parents éloignés, les voisins) peuvent jouer « le rôle de « pont » avec d’autres cercles sociaux » (Turki et Chtourou, 2010, p.5).

En s’intéressant à l’efficacité de la structure d’ensemble du réseau personnel de l’individu, Burt (1992) arrive à la conclusion suivante, à savoir que « c’est la structure riche en trous structuraux qui offre le plus d’opportunités de capital social exploitables » (citées par Bories-Azeau et ali, 2011, p.32-33). Dès lors, les réseaux riches en trous structuraux seraient une source privilégiée de gains d’information et de contrôle (Burt, 1995). « D’une part, l’entrepreneur accèderait plus rapidement à une information de bonne qualité et non redondante et, d’autre part, il en contrôlerait la diffusion » (Lefebvre, 2012, p.147). Aussi, les réseaux permettent de « tester des idées, acquérir des informations et des connaissances sur les meilleures pratiques en vigueur, et mobiliser les ressources nécessaires à la croissance de l’entreprise » (Lefebvre, 2012, p.145).

Concernant la mobilisation du réseau personnel, peu d’études empiriques ont tenté de vérifier cette idée (Voir les travaux de Johannisson (1996); Butler et Hansen (1991); Larson et Starr (1993). Or, pour être capable d’identifier une opportunité d’affaires qui sera exploitée par la suite, l’entrepreneur a intérêt à chercher de l’aide et des informations au-delà de son réseau social. « Mobiliser des ressources pourpoursuivre des opportunitésrequiert des contacts,desconnaissances etdelaconfiance.Mobiliserdesressources impliqueausside demander àd’autresdefournirdesmoyensfinanciers etdeseffortspouruneentreprisedont l’avenir est incertain.L’entrepreneuriatestdoncuneactivitéessentiellementdemiseen réseau » (Dubini et Aldrich 1991, p.306).

Les rares travaux[1], portant sur la mobilisation du réseau, se sont contentés de décrire les changements des caractéristiques du réseau pendant le processus entrepreneurial (forme et nature des liens mobilisés) sans pour autant fournir d’explication à ces changements.

La structure et la dynamique du réseau personnel peuvent varier afin de s’adapter au cycle de vie d’une entreprise (Johannisson, 1996). En effet, les réseaux évoqués par les entrepreneurs sont très divers et sont utilisés à certains moments de la création plus ou moins fortement (Voir les travaux d’Arocena, Minguet et al., 1983). Julien (2009, p.137) rajoute que les réseaux évoluent avec l’expérience de l’entrepreneur : « au départ, ils sont le plus souvent unidirectionnels et relativement simples pour se complexifier graduellement et devenir bidirectionnels ou multidirectionnels. Finalement, ils se spécialisent ».

Les dimensions du réseau personnel

La configuration d’un réseau personnel peut être appréhendée à partir de trois dimensions: la structure du réseau, le contenu des liens et les attributs des membres du réseau.

Du point de vue de la structure du réseau personnel

Il s’agit principalement de la structure globale du réseau. Cela concerne la taille du réseau (de combien d’alters le portefeuille d’ego est-il constitué ?), mais aussi sa densité (les alters ont-ils entre eux des relations ?). Dans sa théorie de trous structuraux, Burt (1992) a étudié la dimension structure du réseau. Il affirme qu’un « bonréseau « est un réseau riche en trous structuraux. Pour cet auteur, ce qui est déterminant, ce n’est pas le nombre de contacts, mais le nombre de contacts non redondants. «Deuxcontactssontredondantslorsqu’ilsdonnentaccèsauxmêmespersonnes, etprocurentainsilesmêmesbénéficeseninformations « (Burt 1992, p.17).

La taille du réseau relationnel de l’entrepreneur

La taille du réseau relationnel réfère au nombre de personnes avec lesquelles l’entrepreneur discute de son projet ou du développement de son entreprise naissante (Greve, 1995). En effet, la taille du réseau de l’entrepreneur permet d’estimer les ressources qui lui sont disponibles et reflète sa capacité à mobiliser des actifs et à utiliser des ressources des différents types.

Sur un échantillon de 256 dirigeants d’entreprises de moins de trois ans, Singh etal. (1999), vont dans le même sens lorsqu’ils ont obtenu des contributions statistiquement significatives de la taille du réseau relationnel de l’entrepreneur pour identifier des opportunités. Pour eux, plus la taille du réseau est large plus l’entrepreneur aura accès à une grande quantité d’informations. Cependant, la taille du réseau varie en fonction de l’étape de l’avancement du processus entrepreneurial et donc des besoins. Au début du développement de l’idée, le réseau est petit (en moyenne, 8 contacts) puis il devient maximal (en moyenne 14,7 contacts) durant la phase de préparation du projet (phase durant laquelle l’entrepreneur entretient des relations nouvelles) enfin diminue pendant le démarrage de l’entreprise (en moyenne, 12 contacts) (Selon Greve et Salaff, 2003). Compte tenu de ses capacités cognitives limitées, l’entrepreneur peut utiliser ses relations personnelles pour mobiliser les ressources nécessaires afin de mettre en valeur son idée d’affaires. De ce fait, en s’associant à des réseaux élargis, l’entrepreneur identifie davantage d’opportunités. Ce qui aboutit rapidement à la concrétisation de son processus entrepreneurial.

A la lumière de ce que nous venons d’avancer, nous pouvons proposer ce qui suit:

Hypothèse 1: Le réseau a une taille plus large à la phase d’identification que celui mobilisé à la phase d›exploitation de l’opportunité.

La densité du réseau

La densité du réseau est définie par le nombre de contacts actuels entre les membres d’un réseau rapporté au nombre de contacts possibles au sein de ce même réseau (Burt, 1992). Le réseau personnel est de densité maximale quand il est composé d’individus qui se connaissent tous entre eux et de densité minimale si l’entrepreneur est le seul membre du réseau avec qui chacun a des relations. A cet effet, dans une étude réalisée auprès des entrepreneurs tunisiens, Turki et Chtourou (2010, p.16) avancent que « la structure du réseau personnel des dirigeants tunisiens est dense, de telle façon que la majorité des membres du réseau se connaissent entre eux ».

Par ailleurs, des recherches ont montré que le réseau mobilisé dans la phase d’étude du projet est plus étendu et moins dense que celui mobilisé dans les autres phases du processus entrepreneurial (Greve et Sallaf, 2003). En effet, « les firmes doivent évoluer versdesréseaux plus calculateurspour faire faceauxbesoinsenquantitéet à ladiversitéde ressources » (Hit et Hesterly 2001, p.276). Or, au cours de la première phase (identification), les contacts de l’entrepreneur sont redondants et un réseau dense le contraint fortement. Dès lors, pour éviter les liens redondants, l’entrepreneur doit investir plus de temps et d’argent dans la recherche de liens nouveaux.

Ces différents constats nous conduisent à formuler l’hypothèse suivante :

Hypothèse 2 : Le réseau est moins dense dans la phase d’identification que celui mobilisé à la phase d’exploitation d’opportunité d’affaires.

Du point de vue de la nature du lien social

La deuxième dimension est le contenu, la qualité des liens dans le réseau. Cela peut concerner l’objet du lien (lors des interactions entre ego et alter), mais aussi la force du lien (les interactions sont-elles fréquentes ? Les liens sont-ils caractérisés par une proximité émotionnelle ?).

Les travaux de Granovetter (1973) présentent une analyse du réseau personnel des individus en fonction de la nature des liens échangés entre ces personnes. Ces liens peuvent prendre plusieurs formes selon la quantité de temps, l’intensité émotionnelle, l’intimité (la confiance mutuelle) et les services réciproques qui les caractérisent. On distingue deux types de liens entre le chercheur d’emplois et ses contacts personnels: les liens forts et les liens faibles. Les liens forts caractérisent des contacts fréquents et familiers avec des individus partageant des caractéristiques similaires. A contrario, les liens faibles se caractérisent par des interactions faibles d’individus dans le temps, une faible intensité émotionnelle, peu de confiance et peu de services réciproques (Granovetter, 1973).

Pa ailleurs, l’intensité des liens se réfère à la durée de la relation entre les membres du réseau, à la fréquence des échanges entre eux ainsi qu’à leur proximité émotionnelle. Deux grandes catégories des ressources sont acquises par l’entrepreneur au cours du processus de création. D’une part, des informations qui participent à l’identification de l’opportunité entrepreneuriale (idée de produit et ou service, information sur les procédés de fabrication, etc.). D’autre part, des ressources risquées, au sens où elles impliquent une prise de risque pour le ou les membres du réseau relationnel qui les fournissent (financement, choisir les employés, fournisseurs, locaux, etc.).

Dans le contexte où l’entrepreneur ne disposant pas de garanties de solvabilité, il est nécessaire d’avoir un réseau de parenté ou autre au sens duquel les individus lui font confiance (liens forts) (Granovetter, 1995). Dans la même lignée, les entrepreneurs potentiels garantissent des ressources suffisantes sur la base de leurs liens forts. Ces ressources doivent être obtenues à un coût minimum, parce que le fait de payer le prix du marché est souvent cher (Elfring et Hulsink, 2003).

La spécificité culturelle du contexte du pays semble influencer sur la nature du lien entre les entrepreneurs et ses membres du réseau (Turki et Chtourou, 2010). Suite aux résultats obtenus de leurs enquêtes auprès des entrepreneurs tunisiens, Turki et Chtourou (2010, p.16) révèlent qu’« en Tunisie, les dirigeants ne s’appuient pas sur de simples connaissances ou des relations sporadiques (les liens faibles) pour accéder aux informations de nature stratégique ». Ces auteurs montrent que les entrepreneurs tunisiens ne font pas beaucoup confiance aux personnes auxquelles ils ne sont pas fortement reliés et émotionnellement attachés.

Selon l’approche sociocognitive du développement de l’opportunité (De Konning, 2003), la nature des réseaux et des liens sollicités n’est pas la même dans les phases identification et exploitation. Le cercle interne, composé par des proches, de famille et d’amis, permet à l’entrepreneur d’affiner et de détailler son idée de projet et de définir sa vision. La deuxième catégorie regroupe les activités d’évaluation de ressources nécessaires au développement de l’opportunité (réseau d’affaires). Le cercle interne et le réseau d’affaires correspondent au réseau à liens forts. Les réseaux à liens faibles dans lesquels les individus ont peu d’interactions apparaissent fort utiles dans le contexte des activités de recherche d’informations. Finalement, les réseaux d’entrepreneurs et d’experts servent plus spécifiquement à faciliter la lecture et l’analyse des informations par l’entrepreneur pour développer l’opportunité.

S’intéressant à la dynamique des réseaux, en fonction de l’étape de déploiement du projet entrepreneurial, Hite et Hesterly (2001) soulignent la nécessaire évolution des réseaux de partenaires de l’entreprise, qui passent de réseaux personnels au démarrage de l’entreprise à des réseaux beaucoup plus impersonnels et professionnalisés, par la suite. Selon ces auteurs, « les firmes doivent évoluer vers des réseaux plus calculateurs pour faire face aux besoins en quantité et à la diversité de ressources » (Hite et Hesterly, 2001, p.276).

Dans ce contexte, on peut poser l’hypothèse suivante :

Hypothèse 3 : L’apport de liens faibles dans le réseau sera plus élevé à la phase d’identification qu’à la phase d’exploitation d’opportunité d’affaires.

Du point de vue des attributs des alters

Des travaux de référence (On peut citer notamment les travaux de Lin, Vaughn et Ensel, 1981) qui s’intéressent aux attributs des membres du réseau précisent que lorsque les membres du réseau présentent des attributs différents, ils vont permettre d’accéder à des ressources différentes. En effet, plusieurs études ont montré que la diversité des domaines d’expertise et de connaissance des membres du réseau de l’ego augmente les chances de ce dernier à accéder à des ressources nouvelles et à découvrir de nouvelles opportunités (Rodan et Galunic, 2004; Chollet, 2005).

Pour notre part, malgré l’importance de cette dimension, nous ne pouvons la retenir dans notre approche méthodologique. Ceci s’explique par le refus de la plupart de nos entrepreneurs interviewés à nous divulguer des informations autour des attributs des membres de leur réseau. Notons aussi que l’atteinte de l’exhaustivité dans ce domaine est habituellement hors de portée car il est extrêmement difficile d’obtenir une information complète de la part des individus sur la composition de leurs réseaux (Hammer, 1984). Ainsi, nous retenons les deux premières dimensions, respectivement : structure (taille, densité) et force des liens du réseau, jugées comme un levier d’identification et d’exploitation d’opportunité d’affaires, atténuant ainsi la figure héroïque de l’entrepreneur « « solo ».

Méthodologie De Recherche

Présentation de l’enquête

Objectifs et caractéristiques de l’enquête

Notre étude vise à identifier et à analyser la dynamique de la configuration relationnelle de l˙entrepreneur tunisien, incubé dans une pépinière d’entreprises, tout au long du processus d’identification et d’exploitation d’opportunités d’affaires. Il s’avère pertinent d’opter pour une recherche de type quantitatif pour mesurer la structure du réseau personnel (taille et densité) et la nature de lien (proximité émotionnelle).

L’enquête a été réalisée au cours de l›année 2011 et s’est basée sur la technique de collecte des données avec questionnaire administré face à face. En effet, nous avons élaboré une analyse sociométrique autour :

  • des personnes ou institutions publiques intervenant dans l’identification, l’évaluation et l’exploitation des opportunités d’affaires;

  • de la nature des liens sollicités (liens faibles vs liens forts);

  • des caractéristiques personnelles de l’entrepreneur innovateur.

Méthode de collecte des données

Nous avons distingué trois phases successives dans le processus de création: identification, évaluation et exploitation de l’opportunité d’affaires (Venkataraman, 1997). La méthode qui consiste à collecter des informations dans des intervalles de temps différents est appelée recherche longitudinale. Dans ce type de recherche, la collecte des données peut se faire soit en temps réel (t) soit à posteriori. Nous avons choisi de décrire les réseaux des entrepreneurs enquêtés de manière rétrospective étant donné qu’il est très difficile de les identifier au cours du processus de création. En effet, aucune statistique, aucun fichier ou aucun annuaire officiel ne permet de repérer ces entrepreneurs situés à des stades d’identification et d’exploitation de l’opportunité d’affaires. Ainsi, nous avons décidé de mener des enquêtes auprès des entrepreneurs qui sont au stade de démarrage de leurs entreprises afin de pouvoir évaluer leurs réseaux à posteriori.

Tableau 1

La composition de l’échantillon

La composition de l’échantillon

-> Voir la liste des tableaux

Population d’enquête

L’échantillon cible a été constitué de 97 jeunes diplômés de l’université, spécialisés dans les domaines à haute valeur ajoutée et de technologies innovantes, ayant bénéficié d’un accompagnement, dans le cadre de leur processus de création d’entreprises. La composition de l’échantillon est répartie sur 13 pépinières d’entreprises sises aux neuf gouvernorats tunisiens : Tunis, Bizerte, Ariana, Nabeul, Kairouan, Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax. Les données générales relatives à notre échantillon sont présentées dans le tableau 1 (Cf. Tableau 1).

Éléments de mesure des variables

Pour procéder au test des hypothèses, il est nécessaire de faire des choix méthodologiques sur la façon de mesurer les variables. Cette étape est fondamentale à la fois pour mesurer les variables explicatives qui se rapportent aux caractéristiques individuelles de l’entrepreneur innovateur et les variables déterminants la structure du réseau personnel et la nature du lien (Cf. tableau 2).

Au niveau de la mesure de la structure du réseau personnel, des auteurs (Angot, Collet et Josserand, 2014, cités par Thiétart, 2014) indiquent que le problème du choix des individus à inclure ainsi que celui des frontières est un point délicat dans l’analyse des réseaux. En effet, selon ces auteurs, les réseaux ne possèdent que très rarement des frontières naturelles qui s’imposent d’elles-mêmes au chercheur. Par conséquent, le chercheur doit faire part d’une certaine subjectivité en délimitant les frontières du réseau qu’il analyse.

L’utilisation de générateurs de noms

Cette étape consiste à délimiter le réseau personnel de l’entrepreneur, c’est-à-dire d’établir une liste des personnes qui le composent. Pour ce faire, nous avons adopté la méthode de générateur de noms couramment utilisé par plusieurs chercheurs (Notamment par Burt (1992).), et pour des raisons de faisabilité et de validité (Chollet, 2008). Nous avons utilisé deux « générateurs de noms » différents.

Le premier concerne la phase de reconnaissance d’opportunité (identification, évaluation) et porte sur le « réseau de discussion »[2] de l’entrepreneur.

Le deuxième concerne la phase d’exploitation et porte sur le « réseau de soutien »[3]. Cette stratégie nous permet d’augmenter la précision des réponses et de dresser des portraits plus fidèles des réseaux mobilisés à chaque phase du processus de création.

La taille du réseau personnel

La taille du réseau est une variable structurale (T) qui correspond au nombre depersonneavecquil’entrepreneur entretientdifférents typesderelations: personnes proches, moins proches, simples connaissances, collègues de travail. Les répondants étaient appelés à indiquer les prénoms des personnes qui les ont soutenu pendant chaque phase du processus entrepreneurial.

La mesure de la densité du réseau personnel

La densité d’un réseau est la proportion des liens existants par rapport aux liens possibles (Degenne A. et Forsé M., 1994). Les liens existants désignent ceux que le chercheur a réussi à mettre en exergue. Les liens possibles désignent l’ensemble des liens qui auraient pu exister compte tenu du nombre d’individus. Concrètement, il correspond au ratio {nombre de liens dans le réseau} / {nombre de liens possibles}. Ainsi, pour (n) individus, il existe n (n-1)/2 liens possibles. Cet indicateur permet d’identifier et de regrouper des acteurs, et traduit le degré d’interconnexion des acteurs présents dans le réseau.

Tableau 2

Liste des variables explicatives et leurs codages

Liste des variables explicatives et leurs codages

-> Voir la liste des tableaux

La densité est calculée en pourcentage. Le score le plus élevé (100) correspond à un réseau où les membres du réseau se connaissent. Le score le plus faible (0) correspond à un réseau où aucun des membres ne connaît les autres membres.

La mesure de la force des liens

La force des liens est définie comme : «une combinaison (vraisemblablement non linéaire) du temps accumulé, de l’intensité émotionnelle, de l’intimité (confidences de part et d’autre) et des services réciproques qui caractérisent le lien» (Granovetter, 1973, p.1361, cité par Chollet, 2006). Il en découle de cette définition deux niveaux de force ou d’intensité de liens : les liens forts et les liens faibles.

On distingue de nombreuses façons de mesurer la force du lien[4]. Dans la pratique, deux indicateurs constituent la majorité des mesures : la fréquence et la proximité émotionnelle. De manière plus rare, certains auteurs utilisent l’ancienneté des liens. Dans le cadre de notre étude, nous avons opté pour la proximité émotionnelle.

Le meilleur[5]indicateur de la force des liens est l’intensité émotionnelle des relations. C’est cette mesure de la force des liens qui a été utilisée dans notre recherche empirique.

Pour mesurer la distance émotionnelle, nous avons opté pour la méthode de calcul d’un score de distance émotionnelle moyenne En effet, le répondant devrait positionner chaque contact cité dans les générateurs de noms sur une échelle comprenant quatre modalités : « proche », « assez proche », « peu proche », « pas du tout proche » (Inspiré des travaux de Burt (1992)).

La variable « liens faibles » est mesurée par la moyenne des scores obtenus sur cette échelle. Tout lien étant codé comme « pas du tout proche » ou « peu proche » est considéré comme lien faible[6].

Analyse des données

Pour valider notre approche théorique, nous procédons dans cette recherche, à deux types d’analyse : l’analyse descriptive et le test de comparaison des moyennes (le test t de Student pour échantillons appariés). Ces différentes analyses ont été traitées à l’aide du logiciel SPSS.17.0.

Résultats et discussion

Les caractéristiques personnelles et professionnelles des répondants

Sur le plan démographique, les hommes sont ultra-majoritaires dans l’échantillon (80,4 %) contre 19,6 % pour les femmes. Ce résultat corrobore les résultats d’une étude portant sur l›entrepreneuriat au féminin dans un contexte français où les femmes ne représentent que 26 % des créateurs d’entreprises nouvelles[7] . Ceci peut être expliqué par la différence entre les traits de personnalité homme/femme. Aussi, il peut être interprété par la difficulté d’accès des entrepreneurs féminins dans les réseaux masculins ou encore la difficulté de conciliation vie familiale/vie professionnelle.

En ce qui concerne l’âge, nous avons constaté que les entrepreneurs incubés dans les pépinières tunisiennes sont des jeunes créateurs, avec un âge moyen d’environ 30 ans. Ceci confirme l’étude d’Ayadi et al. (2005) qui stipule que les entrepreneurs innovateurs sont âgés généralement de 30 à 40 ans. Aussi, la politique de l’Etat tunisien qui encourage et promeut les jeunes entrepreneurs corrobore ce résultat.

Quant au niveau d’étude, l’échantillon représente une majorité d’individus ayant, soit un diplôme d’ingénieur 49,5 %, soit une maîtrise 16,5 %, soit un mastère professionnel 15,5 %. Alors que les entrepreneurs titulaires d’un mastère de recherche ou d’un doctorat ne représentent que 13,4 % du total de l’échantillon. Ce résultat atteste l’étude exploratoire réalisée par Danjou et Dubois-Grivon (1999) selon laquelle 95 % des entrepreneurs innovateurs enquêtés disposent au moins d’un niveau « Bac +5 » et dont la moitié sont des docteurs ou docteurs-ingénieurs.

En outre, notre étude montre que 77,3 % des répondants avaient plus d’une année d’expérience dans le domaine d’activité de l’entreprise créée. Par contre, une proportion des répondants, soit 22,7 % ont pris la tête d’une entreprise sans avoir d’expérience professionnelle. Ceci rejoint le point de vue de Hills, Shrader et Lumpkin (1999) en montrant qu’entre 50 et 90 % des idées d’entreprises proviennent des expériences antérieures.

Enfin, les résultats reflètent que les jeunes entrepreneurs avaient un faible niveau de formation et d’expérience dans certains domaines de gestion. En effet, plus de la moitié des répondants de notre échantillon ont avancé n’avoir, avant de se lancer en affaires, aucune connaissance approfondie, respectivement dans le marketing (57,7 %), la comptabilité (59,8 %), la production ou la gestion des opérations (78,4 %), la gestion des ressources humaines (72,2 %) et la R&D ou innovation (62,9 %). Ceci témoigne les travaux de certains auteurs (Borges et al., 2006; Albert, 2000; Jones-Evans, 1997) qui ont montré que la plupart des entrepreneurs, souvent préoccupés par les performances techniques, manquent des compétences nécessaires pour accomplir des activités de gestion, particulièrement le marketing et la commercialisation. Aussi, le manque d’expérience ou des connaissances approfondies en gestion peut empêcher l’identification de l’idée d’affaires ou sa concrétisation.

Afin de remédier à ces insuffisances, l’entrepreneur doit activer ses contacts latents pour manifester des liens et identifier un besoin entrepreneurial. De cette manière, il sera apte à transférer ses relations en des situations entrepreneuriales; comme il peut localiser dans son réseau l’individu qui peut l’aider à concrétiser l’opportunité.

Analyse descriptive

Nous allons effectuer une analyse descriptive pour les variables utilisées. Des analyses uni-variées et bi-variées y sont représentées. Cette étape permet de décrire les caractéristiques de notre échantillon ainsi que la structure du réseau personnel.

Analyse uni-variée

Un ensemble de statistiques descriptives (moyenne, fréquence, écart-type, minimum, maximum) ont permis de dresser le profil de l’échantillon et d’analyser la dynamique de la configuration relationnelle de l’entrepreneur tout au long du processus d’identification et d’exploitation d’opportunités d’affaires.

Le tableau 3 souligne qu’en moyenne l’entrepreneur mobilise 5,74 contacts pour discuter l’idée de son projet de création et 2,15 contacts pour trouver du soutien nécessaire au lancement de l’entreprise. De plus, on note que la variable taille au niveau de la phase d’identification d’opportunité d’affaires varie entre 2 et 10 contacts. A contrario, lorsque l’entrepreneur commence l’exécution du son projet, les contacts entretenus diminuent, variant d’un contact à cinq contacts au maximum (Cf. Tableau 3).

Analyse bi-variée

La matrice de corrélations de PEARSON, représentée ci-dessous (Cf. Tableau 4), montre que les variables sont faiblement corrélées. Toutefois, on constate de fortes corrélations toutes significatives au seuil de 5 % entre les variables : densité-phase d’identification et taille-phase d’identification/densité-phase d’exploitation et taille-phase d’exploitation. Cependant, nous observons une corrélation moyenne au seuil de 5 % entre les variables Dist Emot-phase d’identification et taille-phase d’identification / densité-phase d’exploitation et densité-phase d’identification/ Dist Emot-phase d’exploitation et taille-phase d’exploitation, densité-phase d’exploitation.

Validation des hypothèses

La taille moyenne du réseau personnel

L’hypothèse (H1) prédisait que le réseau mobilisé à la phase d’identification serait plus large que celui mobilisé à la phase d’exploitation d’opportunité. Celle-ci est corroborée. Les résultats indiquent qu’un entrepreneur mobilise 5,74 contacts en moyenne pour discuter et évaluer son idée d’affaires et 2,15 contacts en moyenne pour parcourir du soutien à la concrétisation de son entreprise (Cf. Tableau 5). On peut donc conclure que la moyenne de la taille du réseau mesurée durant la phase d’identification est significativement différente de celle de la taille mesurée au niveau de la phase d’exploitation d’opportunité. Ce résultat confirme les résultats trouvés dans d’autres travaux (Greve, 1995; Greve et Salaff, 2003).

Ce constat présente deux raisons principales :

En premier lieu, la détection de l’opportunité requiert que l’entrepreneur puisse accéder à des informations auprès de diverses personnes et instances pour décider d’exploiter son idée d’affaires. Dans ce cadre, Bryuat (1993, p.181) indique que « la préparation du lancement d’une nouvelle entreprise supposent non seulement de recueillir et de traiter de l’information, et donc d’engager des actions (des dépenses), mais aussi, souvent, de mettre au point des prototypes, de déposer un brevet, de prendre différents contacts potentiels avec des clients, fournisseurs, banquiers, etc. Il serait alors légitime d’élargir la taille du réseau personnel pour se renseigner et prendre les conseils dont il a besoin ». Alors qu’au niveau de la phase d›élaboration, le réseau de l›entrepreneur est déjà mis en place et qu›il va essayer juste de se focaliser sur des liens lui permettant de transformer son opportunité en une affaire pérenne. Ainsi, on constate que l’entrepreneur consacre largement du temps dans l’identification que dans l’exploitation de l’idée d’affaires. Par conséquent, le réseau mobilisé de l’entrepreneur à la phase d›identification sera plus large que celui mobilisé à la phase d›exploitation d›opportunité.

En deuxième lieu, on relève que les gens sont plus coopératifs et se font confiance quand il s’agit des besoins en ressources non risquées (informations, idées, conseils, etc.) que quand il s’agit des besoins en ressources risquées (financement, soutien matériel, moral, etc.).

Tableau 3

Analyse descriptive : moyenne, écarts-type, minimum et maximum des variables

Analyse descriptive : moyenne, écarts-type, minimum et maximum des variables

** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).

* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 4

Matrice de corrélations de Pearson des variables du réseau personnel

Matrice de corrélations de Pearson des variables du réseau personnel

**La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral).

* La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral).

-> Voir la liste des tableaux

Densité du réseau personnel : réseau dense versus réseau lâche

L’hypothèse (H2) postule que le réseau mobilisé à la phase détection / évaluation sera moins dense que celui mobilisé à la phase d’élaboration. Elle est validée dans notre contexte d’étude. En effet, le test de comparaison des moyennes de la variable densité du réseau est statistiquement significatif (Cf. Tableau 6). Le tableau 6 montre que la densité moyenne du réseau passe de 32,03 % dans la phase d’identification à 70,61 % dans la phase d’exploitation d’opportunités. Autrement dit, la proportion des gens qui se connaissent mutuellement est plus élevée parmi les membres du réseau de discussion que parmi les membres du réseau de soutien.

Un réseau dense et fermé n’est pas efficace au cours de la première phase car les contacts sont redondants et ce type de réseau contraint fortement l’entrepreneur. Pour ce faire, il serait utile d’éviter les liens redondants et d’investir plus de temps et d’argent dans la recherche de liens nouveaux. Ainsi, l’entrepreneur serait susceptible de trouver de nouvelles solutions à des problèmes à partir des expériences des autres membres et de nouvelles idées générées par ces derniers. A l’inverse, quand il s’agit de préserver et maintenir des ressources, il est préférable pour l’entrepreneur de densifier son réseau. On pourrait alors envisager qu’un réseau dense soit plus favorable à la génération de ressources stratégiques sous formes de motivation et de financement par rapport à un réseau moins dense.

L’hypothèse (H3) prédisait que la proportion de liens faibles serait plus élevée à la phase d’identification qu’à la phase d’exploitation d’opportunité d’affaires. Celle-ci est confirmée. À la lumière des résultats du tableau 7, on constate que la distance émotionnelle moyenne entre l’entrepreneur et ses alters est plus élevée quand il s’agit de discuter de son idée de création (2,713) que pour trouver du soutien pour transformer cette dernière en une affaire pérenne (1,800). En d’autres termes, la proportion des liens faibles est plus élevée à la phase détection/évaluation qu’à la phase d’exploitation d’opportunité (Cf. Tableau 7). Ce résultat atteste les conclusions des travaux réalisés par Greve (1995); Greve et Salaff (2003).

Par ailleurs, les résultats des générateurs de noms, utilisés au niveau de notre enquête, mentionnent la présence des structures d’accompagnement (pépinière d’entreprise, espace entreprendre) durant les phases détection / évaluation de l’idée d’affaires. En effet, dans le cadre de sa politique de recherche-innovation, les décideurs politiques tunisiens se sont lancés à créer des pépinières d’entreprises innovantes dans chaque gouvernorat, pour soutenir la création d’entreprises innovantes et technologiques[8]. Ces pépinières constituent des lieux d’accueil et d’accompagnement qui fournissent les conseils, l’appui et l’hébergement initial aux jeunes créateurs chercheurs et ingénieurs (Ben Salah et al, 2009). Elles jouent donc un rôle catalyseur pour la réussite des porteurs de projets innovants. Aussi, la proximité est une condition même de l’efficience de ces structures d’appuis à l’entrepreneuriat innovant (Cf. Torrès O., 2003). Dans ce contexte, on relève que l’entrepreneur combine son réseau personnel avec les opportunités existantes dans le réseau d’appui (soutien financier, conseils, formation de sensibilisation en « Entrepreneuriat », aide à la rédaction du plan d’affaires, etc.).

Tableau 5

Le test de comparaison des moyennes : Taille moyenne du réseau

Le test de comparaison des moyennes : Taille moyenne du réseau

*Différence significative entre les deux échantillons (le seuil de signification étant établi à ≤ 0,05)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 6

Le test de comparaison de moyennes : Densité moyenne du réseau

Le test de comparaison de moyennes : Densité moyenne du réseau

*Différence significative entre les deux échantillons (le seuil de signification étant établi à ≤ 0,05)

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 7

Le test de comparaison des moyennes : Distance émotionnelle moyenne

Le test de comparaison des moyennes : Distance émotionnelle moyenne

*Différence significative entre les deux échantillons (le seuil de signification étant établi à ≤ 0,05)

-> Voir la liste des tableaux

Conclusion

Dans ce travail de recherche, nous avons centré notre analyse sur la dynamique de la configuration relationnelle des entrepreneurs ayant bénéficié d’un accompagnement lors de la création de leur entreprise dans des pépinières tunisiennes innovantes.

Les recherches sur le concept de réseau personnel en entrepreneuriat mettent en avant le rôle prépondérant de l’inscription de l’entrepreneur dans un réseau en tant que pourvoyeur de ressources utiles à la création d’entreprise. Mais peu de travaux ont porté sur l’évolution de ce réseau au cours des deux phases d’identification et d’exploitation d’opportunités d’affaires. Dans ce cas, nous nous sommes intéressés à l’étude de l’évolution du réseau personnel de l’entrepreneur, incubé dans une pépinière d’entreprises innovantes, lors des deux phases identification et exploitation de son opportunité d’affaires.

Les porteurs de projet innovants détiennent souvent des connaissances scientifiques approfondies, mais ne disposent pas de compétences managériales, nécessaire à la création d’entreprise. Donc, pour réduire l’intensité de problèmes que rencontre l’entrepreneur au cours du processus entrepreneurial, ce dernier demande de mobiliser son réseau relationnel en prenant en compte différentes dimensions (taille, densité et force des liens du réseau, jugées comme un levier d’identification et d’exploitation d’opportunité d’affaires).

Pour valider notre approche théorique, nous avons procédé par questionnaire auprès de 97 porteurs de projet innovant répartis sur 13 pépinières d’entreprises sises dans neuf gouvernorats tunisiens.

Pour des raisons de validité et de fiabilité, nous avons utilisé la méthode des générateurs de noms pour délimiter le réseau personnel de l’entrepreneur.

Le test de Student de comparaison de moyennes des variables mesurant le concept du réseau personnel fait ressortir différents résultats.

Assurément, la phase de détection de l’opportunité est délicate vu que l’entrepreneur a besoin d’accéder à des informations et avis complémentaires pour décider d’exploiter son idée d’affaires. De ce fait, le réseau mobilisé à la phase d’identification sera plus large que celui mobilisé à la phase d’exploitation d’opportunité. Aussi, l’entrepreneur a intérêt à densifier son réseau afin d’augmenter ses chances d’accès aux ressources stratégiques sous formes de motivation et de financement.

Par ailleurs, au niveau de la phase d’exploitation de l’opportunité, l’entrepreneur compte généralement sur l’entourage immédiat vu qu’il ne dispose pas encore de crédibilité pour obtenir la confiance des pourvoyeurs de ressources.

Quoique, comme tout travail de recherche, le présent travail n’est pas sans limites. Nous en soulignons principalement quatre :

La première limite porte sur le fait que les résultats obtenus permettent de comprendre l’évolution de l’entourage de l’entrepreneur innovateur au cours des deux phases décrites, mais pas le comment. En effet, la méthodologie adoptée s’appuie sur un ensemble de statistiques descriptives permettant de dresser le profil de l’échantillon et d’analyser la dynamique de la configuration relationnelle de l’entrepreneur. Dès lors, les conclusions tirées de l›analyse sont de nature qualitative.

La deuxième limite réside dans le risque de causalité inversée, inhérent à toute recherche utilisant des données en coupe transversale. En effet, les variables de réseau personnel pour l’accès aux ressources sont mesurées au même instant, lors d’une seule et unique collecte de données. Cela risque d’augmenter l’oubli de certaines personnes sollicitées par l’entrepreneur tout au long du processus entrepreneurial. Aussi, il n’avait pas eu un suivi des mêmes entrepreneurs enquêtés d’une phase à une autre. De ce fait, il est possible que les entrepreneurs qui sont arrivés au deuxième stade soient différents par nature de la plupart de ceux qui sont aujourd’hui au premier stade. Par conséquent, les différences entre les deux phases peuvent être dues tout simplement à la nature des individus concernés, pas aux spécificités de chaque phase.

La troisième limite exprime l’absence d’autres variables (personnalité et comportement de l’entrepreneur, statut et membres du réseau, etc.) qui permettent de mieux comprendre l’impact du réseau sur l’activité entrepreneuriale. En effet, nous sommes limités sur une analyse de la configuration relationnelle de l’entrepreneur sans avoir intégrer ses aspects motivationnels, sa personnalité, etc.

La quatrième limite repose sur le fait que l’ensemble de nos argumentations repose sur l’idée d’un distinguo clair entre deux phases auxquelles correspondent deux réseaux bien distincts. Or, dans la réalité, l’entrepreneur ne cesse d’alterner entre ses deux types de réseaux. En effet, en élaborant son idée d’affaires, l’entrepreneur discute avec son réseau. Puis, on constate qu’il recherche des ressources afin que son projet soit réajusté, ce qui nécessite de le repenser.

Pour apporter quelques recommandations aux limites sus-indiquées, des pistes de recherche future s’imposent :

  • Certes, la méthodologie qualitative adoptée nous a permis de comprendre l’évolution de l’entourage de l’entrepreneur au cours des deux phases d’identification et d’exploitation des opportunités d’affaires. Cependant, une approche quantitative autour des dynamiques de constitution et d’entretien des portefeuilles de relations personnelles permettrait de contribuer à la compréhension de certaines zones d’ombres, laissées par les nombreuses études adoptant une approche qualitative des réseaux sociaux.

  • Une étude comparative portant sur la configuration relationnelle de l’entrepreneur, en prenant en compte les différentes dimensions, demeure intéressante afin d’identifier et analyser la nature et le degré des réseaux mobilisés au cours des phases d’identification et d’exploitation des opportunités d’affaires.