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La prévention est un processus scientifique proactif qui vise à renforcer les facteurs de protection existants et à réduire ou éliminer d’autres facteurs qui mettent en danger les personnes, les familles et les collectivités. L’ouvrage Prévenir, sous la direction de Michel Dorais, rassemble des écrits de sept auteures et auteurs. Il est constitué de six chapitres et porte sur les différents visages de la prévention. Grâce aux expériences des auteures et auteurs et à leur connaissance des diverses mesures préventives, de leurs différentes étapes et de leurs limites, nous prenons connaissance de contextes favorisant l’établissement de mesures préventives.

Le premier chapitre, qui s’intitule « Prévenir, mais comment? », fournit une définition exhaustive de la prévention. L’expérience de Michel Dorais dans le domaine de la prévention du sida lui a permis de développer une formation en prévention, qui requiert une recherche approfondie et une concertation active. Dans cette mesure, il souligne que la prévention est composée de deux éléments essentiels : une science et un art. D’après l’auteur, la prévention doit viser la réduction non seulement du nombre, mais aussi de la gravité des problèmes sociaux, mentaux ou physiques. En effet, en présentant quatre types de prévention (primaire, secondaire, tertiaire et quartenaire), il insiste sur cette idée que la prise en considération du concept de temps et d’espace est essentielle dans l’implantation de divers programmes de prévention.

Dorais identifie quatre critères fondamentaux qui justifient l’implantation d’un programme préventif : la probabilité ou la fréquence d’un problème, la gravité ou l’impact des conséquences et des séquelles du problème, l’efficacité connue et reconnue, et la faisabilité (p. 13-14). Parmi les modes de prévention les plus courants, Dorais mentionne la législation, des mesures ou des changements organisationnels, le partenariat et l’entraide, le développement de connaissances, d’attitudes et d’habiletés nouvelles, la formation d’intervenantes et d’intervenants susceptibles de servir de multiplicateurs et, finalement, des interventions publiques ou médiatiques (p. 15-18). De plus, en énonçant les trois étapes de planification d’un programme de prévention (l’identification du problème, des facteurs qui maintiennent le problème et de la source du problème), il expose le processus qui mène à l’élimination ou à la diminution du problème. Dans cette mesure, il définit les facteurs de vulnérabilité et les facteurs de protection qui s’influencent mutuellement les uns les autres. Autrement dit, les actions et les interactions humaines sont dépendantes des situations ou contextes qui en découlent. En effet, Dorais prend en considération deux sources internes et externes (telles que la condition socioéconomique, sociétale ou culturelle) qui accroissent la vulnérabilité. Il ajoute également d’autres facteurs comme des valeurs et des croyances politiques, morales ou religieuses qui ont un rôle déterminant dans la conduite des gens. De ce fait, l’auteur indique que les programmes de prévention doivent considérer les conditions de vie de l’individu ainsi que les croyances et la culture de la population ciblée. À cet égard, il met l’accent sur les facteurs de vulnérabilités interconnectées qui « sont les plus difficiles à infléchir » (p. 22). L’identification de l’origine des problèmes est considérée comme l’un des plus grands écueils en prévention. En rejetant les relations cause-effet, il insiste sur le contexte dans lequel le problème est apparu. Il prend donc une analyse à deux niveaux (micro et macro) afin de saisir la nature d’un problème et il explique la logique de cette stratégie dans le cas de l’intimidation à l’école. Dans la suite de ce chapitre, Dorais dresse un portrait exact de diverses dimensions de la prévention, telles que la perception des risques, la manière de gérer les risques, la logique de changement proposée et une explication des divers regards sur la responsabilité de la prévention dans la société. Il tente d’éclaircir les aspects théoriques et pratiques de la prévention à l’aide de différents exemples, tout en mettant l’accent sur la complexité de la prévention.

Le deuxième chapitre, qui s’intitule « Pour une prévention attentive aux normes sociales qu’elle véhicule », a été écrit par Gabriel Girard. Il débute par un récit autobiographique qui démontre le parcours de l’auteur en tant que chercheur. Alors, ce chapitre porte sur la prévention du VIH/sida, surtout auprès d’hommes gais. Girard s’applique à dresser un portrait détaillé de diverses interventions préventives. Tout au long de ce chapitre, l’auteur transmet aux lecteurs ses connaissances et ses expériences concernant la prévention du VIH, ce qui peut être résumé en trois principes fondamentaux :

  1. Il faut considérer les diverses dimensions de la prévention qui ont été engendrées sous l’influence des normes culturelles et sociales, des données scientifiques, des politiques publiques, etc.

  2. Le caractère politique de la prévention joue un rôle efficace pour éclaircir les points obscurs dans la société, tels que les inégalités sociales, les cas de discrimination et les manquements aux droits humains.

  3. La prévention permet d’analyser l’idéologie de la société par rapport à la sexualité. L’auteur exprime ces notions en donnant des exemples, tels que la campagne « Pas de préservatif, pas de sexe » et la COCQ-SIDA (2014), qui organise « une campagne d’incitation au dépistage en direction des minorités noires, hispanophones et caribéennes au sein de la société québécoise ». Il critique donc le processus qui consiste à désigner des catégories à risque. En d’autres termes, la concentration sur des groupes spécifiques, tels que des jeunes et des hommes gais, mène aux effets néfastes de l’homophobie et de la stigmatisation sociétale. Cela engendre aussi une forme de lassitude au sein de ces groupes : « Oui, on sait qu’il faut mettre une capote, merci!, soupirent certains… » (p. 97). En effet, de nouvelles données scientifiques induisent à l’utilisation de nouvelles terminologies et aussi l’évolution du contexte de la prévention. Pour terminer ce chapitre, Girard trace quelques pistes de réflexion pour l’avenir, la façon d’envisager et de penser la prévention.

Cécile Rousseau, Caroline Beauregard et Victorine Michalon-Brodeur ont écrit le troisième chapitre, qui s’intitule « Penser la prévention pour les enfants réfugiés et immigrants : quand altérité et souffrance sociale se conjuguent ». Les transformations mondiales augmentent les taux de migration dans les pays touchés par la crise économique ou la guerre et, en conséquence, l’avènement de la figure de l’« Autre » au sein des pays d’accueil. Ce processus mène à des impacts négatifs non seulement sur les populations immigrantes adultes, mais aussi sur leurs enfants. Autrement dit, elles favorisent un contexte de peur de l’« Autre ». Ce chapitre trace donc les effets des programmes de prévention au sein de groupes d’enfants immigrants ou réfugiés au Québec. Il souligne une longue expérience de développement de programmes de prévention pour ces groupes d’enfants au sein des écoles du Québec à partir de 1990. Il montre des résultats et conséquences de ces programmes pendant cette période. Selon les auteures, l’implantation de la prévention primaire est primordiale, car elle cible toute la société et non seulement des groupes vulnérables. Les auteures indiquent que les modifications et certains changements dans les programmes ont des influences positives sur ces groupes comme les adaptabilités, l’estime de soi, etc. La deuxième moitié de ce chapitre se consacre à la radicalisation violente. Des tensions intergroupes élevées et le contexte de polarisation augmentent les inégalités sociales au sein de la société québécoise. Ces évènements ont des impacts sur l’ambiance dans les écoles, en tant que reflet de la société. Dans ces circonstances, l’inquiétude et la menace croissante conduisent à une radicalisation violente chez des jeunes, surtout de jeunes immigrants et réfugiés. De ce fait, l’école joue un rôle essentiel dans cette situation, par exemple aborder les sujets sensibles en milieu scolaire, « aider à conjuguer des identités plurielles et qui valorisent la diversité » (p. 148) et développer la pensée critique. Les auteures illustrent trois principaux aspects qui doivent être respectés dans le développement d’un programme de prévention : 1) le situer dans un espace-temps déterminé et précis; 2) utiliser une approche distale; 3) maintenir l’équilibre entre les bénéfices et les risques associés au programme.

Le quatrième chapitre, qui s’intitule « Penser la prévention de la criminalité autrement que par la guerre au crime », a été écrit par Patrice Corriveau et Bastien Quirion. Les auteurs portent un regard critique sur celle-ci « afin de la distinguer des réponses répressives et pénales » et celles qui sont considérées comme intrinsèques du champ de la prévention. Pour cette raison, ils remettent en question « la pertinence de conserver la criminalité comme cible principale de l’intervention préventive » (p. 171). Autrement dit, l’intervention préventive devrait aller au-delà de la diminution des comportements problématiques. L’intervention n’est pas un programme de répression, car elle conduit à un accroissement du sentiment d’insécurité.

Les auteurs expliquent les deux modèles qui sont les plus répandus dans le champ de la prévention du crime : le modèle de prévention situationnelle et le modèle de prévention par le développement social. La caractéristique principale de ces deux approches est de diminuer la criminalité, mais elles maintiennent la dimension stigmatisante, ce qui augmente les responsabilités individuelles et néglige l’impact de structures socioéconomiques qui influencent les conduites individuelles. Finalement, les auteurs présentent le modèle de la réduction des méfaits, qu’ils ont nommé la « prévention préventive », comme un modèle alternatif à la logique pénale. Ils expliquent ce modèle comme étant une modification et une reformulation, qui est une étape efficace afin de promouvoir une intervention au-delà du système pénal. Par exemple, le fait d’utiliser le terme « jeune en difficulté » à la place du terme « jeune délinquant » évite de marginaliser les groupes ciblés. Ils insistent sur « une politique de la reconnaissance, où l’individu a la possibilité de définir lui-même ses besoins et ses aspirations » (p. 196).

Stéphane Leman-Langlois a écrit le cinquième chapitre, qui s’intitule « Prévenir la radicalisation? ». Le gouvernement fédéral canadien dépense des millions de dollars pour lutter contre la radicalisation, qui mine la confiance du public. L’auteur présente une courte histoire de la radicalisation. Il aborde le sujet du terrorisme, mais souligne qu’il y a un caractère politique derrière ce terme et adopte donc le terme « radicalisation ». Ce terme réfère à « un processus ou une transformation préterroriste » (p. 207). Cette reformulation est intéressante pour la police, car, à un stade précriminel, elle aide en matière d’identification et d’intervention afin de minimiser la possibilité des activités terroristes. L’auteur dresse ensuite un portrait précis de la prévention de la radicalisation, identifiant les éléments essentiels à « gauche du boum[1] » pour mettre l’accent sur l’importance du temps avant l’acte radicalisé. Il ajoute que l’identification des individus à risque peut mener à la stigmatisation et, en ce sens, l’adaptation de l’approche de prévention du crime peut aboutir à un étiquetage. Il propose donc d’utiliser diverses approches, parce qu’il n’existe pas « des méthodes validées et sans risque d’effet d’étiquetage » (p. 233). D’après l’auteur, le désengagement et l’abandon de la violence sont des objectifs plus raisonnables, qui devraient être explorés dans les cas de radicalisation, surtout le sujet du retour des djihadistes. En terminant ce chapitre, l’auteur exprime l’idée qu’il n’y a pas de réponse précise à la question d’empêcher les individus de se joindre à des groupes radicaux et violents.

Mathieu-Joël Gervais a écrit le sixième chapitre intitulé « L’évaluation des programmes de prévention ». L’évaluation est souvent considérée comme une assurance du soutien d’un programme à long terme. Ce chapitre dresse les éléments essentiels du processus de planification et d’exécution d’une méthode aux fins de l’évaluation d’un programme d’intervention. Tout d’abord, l’auteur explique les différents devis de recherche qui sont utilisés dans ce champ de recherche. Il présente ensuite le modèle logique de l’évaluation fondée sur la théorie du programme, dont l’objectif est de faciliter la détermination des composantes les plus importantes dans l’évaluation d’un programme de prévention. Un modèle logique doit donc considérer les différentes activités du programme, les effets attendus et les différents facteurs dans le processus d’implantation qui contribuent à l’atteinte des effets attendus. Finalement, l’auteur aborde quelques enjeux méthodologiques concernant le choix des indicateurs et les techniques de collecte de données. Il utilise des exemples en lien avec la transphobie en milieu scolaire. Il termine son chapitre en insistant sur la logique qui sous-tend l’évaluation des programmes de prévention, malgré la complexité du sujet.

En somme, ce livre est un ouvrage conceptuel et pratique, qui dresse un portrait de diverses formes de prévention. Il s’agit donc d’un outil pour les intervenantes et intervenants ainsi que les chercheures et chercheurs dans le champ de la prévention. Ce livre non seulement expose les enjeux associés aux programmes de prévention et à leur évaluation, mais également ouvre la voie à des connaissances plus approfondies au sujet de la prévention. Les auteures et auteurs y présentent aussi des instruments utiles et pertinents pour remettre en question certaines pratiques et certains discours visant la diminution de problèmes sociaux. Pour réaliser une analyse minutieuse et approfondie, il est nécessaire d’avoir un juste équilibre entre la subjectivité et l’objectivité, ce qui se trouve dans la lecture de ce livre. De plus, l’un des éléments particuliers de ce livre, qui lui donne une pertinence indéniable pour la pratique, réside dans les expériences pertinentes de ses auteures et auteurs. En liant la théorie de la prévention et la réalité du terrain, les auteures et auteurs insistent sur la reformulation de certains aspects de théorie afin de répondre aux besoins de la société (prévention primaire) et de groupes à risque. Des changements aux niveaux micro et macro permettent d’augmenter l’efficacité des méthodes préventives.