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Issu de la physique, appliqué à l’écologie, puis emprunté par les sciences sociales, le concept de résilience apparaît aujourd’hui comme maître mot dans l’étude des changements environnementaux et de leurs impacts sur les milieux naturels et sociaux. Si résilience a ses lettres de noblesse en biologie, il est moins sûr qu’il en soit ainsi en sciences sociales. Les transferts conceptuels des sciences naturelles vers les sciences humaines ne sont pas toujours heureux et fructueux.

Le grand mérite de cet ouvrage collectif est de tenter de faire en sorte que l’aménagement et l’urbanisme, pratiques fortement façonnées par les sciences sociales, puissent s’approprier avec succès et fécondité l’idée de résilience. Le livre réussit en bonne partie à le faire. Il s’agit d’un ouvrage de nature plutôt conceptuelle et méthodologique, qui, à part des références empiriques trop peu nombreuses ou développées, désire ouvrir un territoire peu exploré aux études et aux pratiques en aménagement, en urbanisme.

L’origine de résilience urbaine est politique. Comme le mot durable semblait s’essouffler dans les discours officiels, des décideurs publics ont eu l’idée de changer de nom pour relancer l’intérêt pour les villes aux prises avec les effets des changements environnementaux, surtout climatiques. En quoi les villes et les métropoles se sentent-elles concernées par les changements climatiques? Les auteurs rappellent que les villes et métropoles sont à la source d’une très grande partie des émissions de gaz à effet de serre (jusqu’à 70 % selon des estimations); elles ont donc une responsabilité politique et morale d’agir. D’ailleurs, il s’est développé une internationale des villes en faveur de la protection du climat qui a souvent, notamment aux États-Unis et au Canada, pris le relais des gouvernements centraux peu disposés à faire quelque chose en matière de climat. La lutte contre les changements climatiques doit se faire par deux stratégies à la fois, réduire les émissions et s’adapter à un climat plus chaud et à ses conséquences. Le livre se concentre sur l’adaptation et le rôle des villes dans cette adaptation.

Le réchauffement climatique aura des incidences sur les cycles de l’eau et plusieurs villes seront confrontées à des inondations plus fortes et plus fréquentes. C’est le point de départ de l’ouvrage. Les villes aux prises avec des inondations accrues ne manquent pas, mais l’ouvrage se concentre sur Montréal et sa région et sur des cas pris en France, en Suisse et au Brésil, la mégapole de Rio de Janeiro. Ces exemples montrent que, malgré les politiques et les plans mis en place pour relever les nouveaux défis de l’eau, le problème des inondations urbaines se perpétue pour des raisons particulières à chaque ville. Paris et sa région vivent une rareté de terrains sur lesquels construire (chapitre 13). À Montréal (chapitre 12), les demandes pour occuper des endroits fragiles, propices aux inondations, se font insistantes : promoteurs, résidants et élus y sont attirés. Quant à Rio, le problème des inondations s’ajoute à d’autres problèmes parfois plus urgents. Bref, s’il existe des exemples de succès (chapitre 9) et de choix d’aménagements souhaitables, comme les infrastructures vertes (chapitre 4), ce qui reste à accomplir demeure considérable.

Cela explique le parti pris de l’ouvrage : conceptuel et méthodologique. Le ton est donné dès la longue introduction où les deux directeurs de la publication posent très bien les questions essentielles. En clarifiant les concepts de base, comme vulnérabilité, résilience et adaptation, auquel s’ajoute sensibilité dans un autre chapitre, les auteurs proposent une appropriation par les sciences sociales de la résilience. Ils sont appuyés par d’autres chapitres (chapitres 1, 2, 3) qui apportent des précisions conceptuelles supplémentaires, parfois non sans quelques redites. Ces précisions visent à faire en sorte qu’adaptation, vulnérabilité et résilience entrent dans l’espace conceptuel des sciences sociales de la ville. Ainsi, il faut, disent les auteurs, concevoir la résilience et la vulnérabilité comme des processus sociaux et comme une construction temporelle. La résilience n’est pas donnée, mais se construit dans le temps et l’espace par des acteurs sociaux. Autre apport des sciences humaines est le fait de camper la vulnérabilité et la résilience, comme l’adaptation, dans une perspective de justice sociale. En effet, tous ne sont pas également vulnérables face aux inondations. La résilience aux changements environnementaux se construit très différemment selon les groupes sociaux et les habitants des territoires touchés par eux en fonction des ressources de divers ordres qu’ils possèdent et peuvent mobiliser. Il est dommage qu’une telle perspective ne soit pas reprise dans d’autres chapitres.

Ce travail conceptuel très élaboré est accompagné d’un travail méthodologique pour définir des outils de décision. Quelques chapitres abordent cette question des outils de front (chapitres 7, 8 et 10). Le chapitre 8 porte sur les outils d’anticipation, jugés nécessaires à l’adaptation. Les auteurs proposent une méthodologie d’aide à la décision qui repose sur des processus clés : comprendre, accepter, anticiper et planifier des interventions sur les réseaux techniques appelés essentiels pour rendre la ville résiliente. Le chapitre 10 énumère les outils qui sont déjà à la disposition des planificateurs au Canada.

Toute cette richesse bien intentionnée n’est pourtant pas complète. En voulant rendre pertinent le concept de résilience dans les études et pratiques territoriales, les auteurs passent sous silence des perspectives qui auraient pu contribuer à leur édification théorique. Par exemple, on aurait pu jeter un regard attentif sur le rôle des organisations dans la gestion des risques et des catastrophes et intégrer les travaux sur les organisations à haute fiabilité, habituées à faire face aux situations à risque; tenir compte des conflits sociaux autour, par exemple, des définitions de situations à risque; discuter des recherches sur la manière dont la justice sociale a été intégrée dans la prévention des risques; mobiliser les travaux sur les «accidents normaux» et les défaillances techniques plus ou moins prévisibles; enfin, faire plus de place à la participation publique dans la gestion des risques. Il est vrai que le chapitre 6 introduit la participation publique (parties prenantes en agriculture au Québec) dans un processus que les auteurs nomment coconstruction, mais on manque de détails sur la manière dont celle-ci a été atteinte. Je pourrais aussi suggérer aux auteurs de mieux distinguer dans leur conception de la connaissance les situations d’incertitude, d’ignorance et d’indétermination. Les études en sciences et en technologies ont exploré cela du point de vue de la décision. Pour le sociologue qui écrit ces lignes, il y a un air trop managérial dans tout ceci. Ce n’est pas que l’expertise technique ne soit pas nécessaire dans la gestion des risques et dans la construction de la ville résiliente et durable, mais les décisions publiques sont le produit de processus sociaux complexes souvent conflictuels et de rapports inégaux entre acteurs qu’il faut analyser avec soin.

Si, de manière générale, la publication est soignée, l’éditeur aurait dû être plus attentif à la lisibilité de certaines images, soit trop rapprochées, soit trop noires. La bibliographie, divisée par chapitre, se trouve à la fin, mais l’uniformisation du mode de référence laisse à désirer.