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L’éducation est emprunteuse. Après la philosophie, la psychologie, la sociologie, l’histoire, l’anthropologie et la didactique, l’ergonomie, aujourd’hui les neurosciences. Ces dernières, elles aussi, empruntent : à la biologie, la chimie, les mathématiques, la bioinformatique, la neuroanatomie, la neurophysiologie, la neuropsychologie.

Au final, l’éducation au croisement d’une pluralité de disciplines cherche à se modeler sur les neurosciences elles-mêmes au carrefour d’une multiplicité de domaines. Enchâssée au sein de ses disciplines mères et cherchant à se fonder sur une discipline elle-même éclatée, l’éducation dans son rapport aux neurosciences devient métisse de métissages. Elle ne peut donc que prendre ses distances avec une conception positiviste voulant déduire d’une science en gestation des principes pour une action de formation, d’enseignement et d’éducation, ai-je pensé au départ de la lecture de l’ouvrage que nous propose Bourassa, Menot-Martin et Philion : Neurosciences et éducation. C’est donc avec une curiosité questionnante que j’en ai pris connaissance.

Curiosité questionnante : la connaissance des réseaux neuronaux pouvait-elle nous éclairer à propos d’une éthique de l’accompagnement ? Allait-il être question d’un emprunt à des savoirs issus du laboratoire, pour en inférer l’usage en classes avec la forme scolaire qui y préside ? Allait-on développer une approche positiviste inattentive aux dimensions intersubjectives des relations à l’oeuvre dans toute entreprise éducative ?

La préface de Cifali a constitué ma première réassurance en rappelant que ce n’est pas le cerveau qui pense mais la personne, la personne avec son histoire, son corps, avec ses affects, ses désirs.

Le corps de l’ouvrage à son tour me rassurera. Il n’est pas proposé de réponses clés en mains aux multiples questionnements d’un enseignant ou d’un formateur. Il est seulement fait état de proposition d’éléments de réponses, d’hypothèses sur lesquelles s’appuyer pour essayer de comprendre et d’agir en termes d’apprentissages, à partir d’un état des neurosciences aujourd’hui. Pour y parvenir, l’ouvrage conséquent qui nous est proposé (pas moins de 588 pages) emprunte à trois figures tutélaires : Sperry et Mac Lean et Luria. Sont repris les trois axes à partir desquels ils ont investigué le cerveau : respectivement de gauche à droite (l’axe cognitif), de haut en bas (l’axe affectif) et d’avant en arrière (l’axe métacognitif). Les trois premières parties de l’ouvrage sensibilisent le lecteur à la compréhension de ces trois axes et à la manière dont ils opèrent de manière indépendante ou interactive dans une situation donnée, l’intention ultime étant la prise de conscience de ce fonctionnement. Les trois parties suivantes ajoutent à cette approche ternaire des considérations chimiques et structurales (liées au fonctionnement des aires préfrontales) et sont structurées en ce que les auteures nomment coin de l’expérimentation, de la réflexion et de l’intervention. Ce découpage en coins rend parfois la lecture délicate, car le souci didactique qui a conduit à leur existence ne se mêle pas immédiatement aux intentions des auteures d’aborder successivement le cerveau interprète, le cerveau juge et le cerveau acteur de sa vie. Quelques passages mériteront une relecture.

Parvenu au terme de l’ouvrage, mes appréhensions ont disparu : les auteures ne sont pas dans une posture normative où le pédagogique serait à déduire d’une science en formation et, de surcroit, elles insistent sur l’empathie, l’imaginaire, l’accompagnement et, en définitive, le caractère d’hypothèse de travail de ce qu’elles proposent.

Pour vous donner envie de découvrir cet ouvrage, j’ajoute l’intention des auteures : faire de ce livre un livre dont vous êtes le héros, ce qui vous conduira à le parcourir de manière non chronologique, en fonction de vos propres questionnements.

Lorsque la curiosité questionnante laisse place à des réponses… questionnantes à leur tour, on pourra conclure que les auteures ont atteint leur but : éveiller la curiosité du lecteur, cette curiosité sur soi apprenant, sur soi enseignant dans nos rapports aux autres. Cette curiosité qui diminue la peur de la mort et accentue la confiance en la vie, source de tout apprentissage et commencement de tout enseignement.