Corps de l’article

Introduction

Le gouvernement du Québec s’est joint au mouvement global de métropolisation de la planification territoriale en créant la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), en 2001. Il a exigé de cet organisme de planification, de coordination et de financement qu’il adopte en 2011 un plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) pour axer sa croissance à l’horizon 2031 sur le modèle de la ville durable. L’engagement du Grand Montréal à cet égard s’articule dans ce plan en une stratégie d’aménagement axé sur le transport collectif ( transit-oriented development , TOD) déclinée autour des 155 points d’accès au réseau régional existants ou planifiés. Cette stratégie vise officiellement à réduire la dépendance automobile et la dispersion suburbaine de faible densité sur des milieux naturels et des terres agricoles. Elle s’appuie sur la volonté provinciale et métropolitaine que soit créés autour de tous ces points d’accès des milieux de vie denses, fonctionnellement mixtes, conviviaux pour la mobilité active et générateurs de déplacements abondants en transport collectif. Les élus du Grand Montréal, principalement les maires des couronnes de banlieue, ont adapté cette stratégie à leur réalité locale, préalablement à son enchâssement dans le PMAD puis à sa traduction dans les documents de planification subsidiaires. Ce façonnement suburbain du TOD a donné lieu à une transformation tant des objectifs poursuivis par cette stratégie que des conditions dans et par lesquelles le milieu municipal compte l’appliquer.

Quels objectifs économiques et environnementaux poursuivent les municipalités suburbaines du Grand Montréal par leur appropriation locale de la stratégie métropolitaine de TOD de la CMM et du gouvernement du Québec? Dans et par quelles conditions les élus et les planificateurs suburbains entendent-ils mettre en œuvre cette stratégie sur leur territoire? Cet article propose une réponse critique à ces deux questions en s’appuyant sur le fruit de l’analyse thématique de trois sources de données. D’abord, cette analyse a porté sur tous les documents de planification associés à la stratégie de TOD du Grand Montréal, soit le PMAD, l’avis des autorités régionales du Grand Montréal (les Agglomérations de Longueuil et de Montréal, les 11 municipalités régionales de comté (MRC) des couronnes nord et sud et la Ville de Laval) et des ministères provinciaux responsables du transport et de l’aménagement sur ce document ainsi que le rapport de mission de la CMM sur les aires de TOD du Grand Washington. Ensuite, cette analyse a porté sur l’observation directe des audiences de consultation publique sur le PMAD et du forum d’échange sur le TOD faisant suite à cette mission. Enfin, cette analyse a porté sur des entretiens semi-directifs avec 26 élus et planificateurs du Grand Montréal.

Cet article révèle d’abord que la stratégie de TOD du PMAD est parallèle à un programme de développement autoroutier, qu’elle prescrit la mise en œuvre de ce concept sans l’assortir de normes à respecter et qu’elle est dépourvue de cibles de mixité fonctionnelle. Il souligne que ces trois aspects contreviennent tant aux fondements du concept qu’aux balises fixées par les ministères provinciaux qui supervisent le transport et l’aménagement de la région métropolitaine. Il montre ensuite que les villes et les MRC des couronnes se sont approprié la stratégie métropolitaine de TOD et l’ont façonnée de manière à assurer leurs possibilités de perpétuer sur leur territoire le suburbanisme dispersé, monofonctionnel et façonné par et pour la voiture qui les a fait croître et prospérer au cours des 70 dernières années.

Cet article étaie cet argument en mettant en lumière la volonté et l’intention des élus et des planificateurs des couronnes de créer des aires de TOD dont les caractéristiques géographiques et morphologiques contreviennent tant au modèle théorique séminal de l’architecte et (nouvel) urbaniste californien Peter Calthorpe (1993) qu’aux prescriptions du gouvernement du Québec, et ce, à quatre égards. Premièrement, certains de ces acteurs prévoient des aires de TOD entre des autoroutes et des magasins-entrepôts (section 5.1). Deuxièmement, certaines MRC souhaitent aménager des aires de TOD d’une densité trop faible pour soutenir une desserte significative en transport collectif et s’étendant bien au-delà du rayon traditionnel d’accès piétonnier aux stations (section 5.2). Troisièmement, ces autorités régionales demandent que des aires de TOD puissent être aménagées autour de terrains de stationnement incitatif existants, planifiés ou même seulement demandés (section 5.3). Quatrièmement, ces acteurs suburbains indiquent prévoir de telles aires de TOD sur les terres agricoles adjacentes aux gares de train de banlieue qu’ils accueillent et même qu’ils aimeraient accueillir sans qu’elles soient pour autant prévues par les autorités compétentes (section 5.4).

Cet article argue que les demandes de ces acteurs suburbains aux pouvoirs métropolitains et provinciaux d’ajouter des aires de TOD sur leur territoire leur fournit un levier de négociation additionnel pour exiger qu’une infrastructure de transport collectif y soit aménagée. Il en conclut que le milieu municipal grand-montréalais utilise la planification d’aires de TOD et l’aménagement de points d’accès au transport collectif à deux fins: pour faciliter l’élargissement du périmètre d’urbanisation au détriment des terres agricoles qui l’entourent et pour élargir l’assiette fiscale des banlieues. La section 1 situe les principes fondateurs du concept de TOD dans une perspective de régulation du suburbanisme dispersé et de mise en œuvre de la ville durable. La section 2 brosse un portrait statistique historique des dynamiques de gouvernance, de déplacement, d’aménagement et de développement du Grand Montréal. La section 3 détaille la définition du TOD dans le PMAD et les reproches adressés à la CMM à cet effet. La section 4 retrace le processus par lequel les acteurs suburbains de la région se sont approprié le concept. La section 5 expose les volontés du milieu municipal face à la stratégie qui en a découlé ainsi que les nombreuses contraventions aux fondements du TOD et aux orientations gouvernementales qu’elles comportent. La section 6, enfin, esquisse un commentaire critique sur «la part de rêve» et «le chant des sirènes» de l’appropriation grand-montréalaise du TOD et propose des pistes de recherche et d’action pour tenter de contourner ces écueils.

1. Le TOD, le suburbanisme dispersé et la ville durable

En réponse au processus de déconcentration du cœur des agglomérations entraîné par la suburbanisation d’après-guerre et exacerbé par le phénomène global de métropolisation (Bassand, 2007; Sénécal et Bherer, 2009), les professionnels de l’aménagement nord-américains ont conçu et territorialisé leur propre outil de coordination du transport et de l’urbanisme pour tenter de mettre en œuvre la ville durable (Mathieu et Guermond, 2005; Nessi et Delpirou, 2009). Ils se sont ainsi dotés d’un modèle proposant un retour aux idéaux traditionnels de l’urbanisme, voué à la constitution de milieux de vie compacts, conviviaux et complets, axés sur le transport collectif et incitant à son utilisation: le TOD. Issu des courants de planification du new urbanism et du smart growth (Filion, 2003; Ouellet, 2006), ce nouvel idéal théorique constitue l’instrument de prédilection des urbanistes nord-américains pour lutter contre la dépendance automobile et la dispersion métropolitaine des ménages et des activités dont elle est tributaire (Belzer et Autler, 2002; Cervero et al. , 2004). Le TOD représente une tentative de solution normative, pragmatique et schématique au problème de l’enracinement du suburbanisme dispersé façonné par et pour la voiture (Filion, 2015). Ce modèle de développement métropolitain prédominant partout en Amérique du Nord est caractérisé par une forme urbaine de faible densité, des activités éparpillées dans l’espace, des fonctions spécialisées et ségréguées par secteurs ainsi qu’une dépendance quasi absolue à l’égard de la voiture. Dans une dynamique de dépendance au sentier, cette relation symbiotique est sans cesse renforcée par l’adaptation systématique de l’environnement bâti aux exigences opérationnelles de ce mode de transport individuel (Filion, 2014).

Le père spirituel de ce concept, Calthorpe (1993, p. 56), définit une aire de TOD comme «a mixed-use community within an average 2,000-foot walking distance of a transit stop and core commercial area» qui combine les usages résidentiels, commerciaux, d’affaires, récréatifs, publics et civiques dans un environnement marchable, «making it convenient for residents and employees to travel by transit, bicycle, foot, or car» . Sa conception séminale du TOD insiste sur quatre aspects. Premièrement, une mixité de logements, de services et d’emplois doivent être orientés vers des espaces publics à distance de marche des stations de transport collectif. Deuxièmement, un environnement bâti et piétonnier convivial et attrayant doit relier directement un éventail de destinations locales. Troisièmement, l’aménagement d’aires de TOD compactes doit être planifié à l’échelle régionale et s’effectuer le long de corridors de transport collectif, sur des sites vacants ou à requalifier. Quatrièmement, ces aires doivent être localisées préférablement au sein des quartiers existants mais sinon dans des zones de croissance urbaine, afin de préserver les milieux naturels.

Calthorpe (1993, p. 42) indique que de tels environnements bâtis et piétonniers conviviaux doivent précéder, et non suivre, la croissance du réseau de transport collectif, puisque «TODs can exist without transit, but our transit systems have little chance of survival in the low-density environment of sprawling suburbs without TOD» . En corollaire, il postule que la constitution de telles aires de TOD se planifie par une étroite coordination des politiques et des programmes d’aménagement et de développement du transport collectif obéissant à un phasage crucial: «Land use patterns should lead transit service planning, rather than expecting transit to come to an area that must be retrofitted to provide transit-supportable densities» ( ibid. , p. 62). Certaines stations de transport collectif desservent de tels environnements peu propices à l’émergence de son modèle et à la transformation des dynamiques de déplacement qui en est tributaire. Elles ne peuvent pas toutes devenir le cœur d’aires de TOD, selon lui, et certaines ne seront entourées que de terrains de stationnement incitatif favorisant le rabattement en voiture. En Amérique du Nord, la plupart des stations de transport collectif situées en milieu suburbain de faible densité présentent ces caractéristiques morphologiques et fonctionnelles. Cette situation s’applique également dans les couronnes de banlieue du Grand Montréal.

2. Le Grand Montréal [1]

Le territoire institutionnel du Grand Montréal correspond pour l’essentiel au territoire fonctionnel de la région métropolitaine de recensement de Montréal. Planifié et coordonné par la CMM, il regroupe 82 municipalités réparties en cinq secteurs géographiques: les agglomérations de Montréal et de Longueuil, la ville de Laval ainsi que les couronnes nord et sud. La mise en place de la CMM et la production de son tout premier PMAD s’inscrivent dans un processus de longue haleine de construction de la région métropolitaine, de sa gouvernance et de sa planification. Ces événements représentent les plus récents jalons d’une histoire quasi séculaire, amorcée par la création d’une toute première instance métropolitaine en 1921 et ponctuée par une série de réformes institutionnelles en 1959, 1969, 1982 puis, finalement, 2001 et 2002 (Guay, 2009; Petrelli, 1997). Les querelles entre les élites politiques du centre urbain et ceux de la périphérie suburbaine quant aux prérogatives des instances planificatrices et aux exigences de leurs documents d’aménagement ont constitué le fil d’Ariane de ce processus, le faisant dérailler à de nombreuses reprises (Douay et Roy-Baillargeon, 2015; Tomàs, 2012). Le processus de marchand(is)age politique et d’appropriation suburbaine du PMAD et du TOD (Roy-Baillargeon, 2017), détaillé et analysé dans les sections suivantes, a permis de dénouer cette impasse et d’amorcer l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire tumultueuse de ce territoire émergent.

Le Grand Montréal accueille près de 4 millions d’habitants sur 4 360 km 2 dont 58 % sont des terres agricoles protégées. Son aire urbanisée présente une densité de 2 054 habitants par kilomètre carré. À ce chapitre, la région se classe au troisième rang des métropoles d’Amérique du Nord, derrière Toronto et Los Angeles, mais devant San Francisco et New York. Au moment de l’adoption du PMAD, en 2011, 22,9 % des navetteurs grand-montréalais se rendaient au travail en transport collectif, en période de pointe matinale. À ce chapitre également, la région se classe au troisième rang des métropoles d’Amérique du Nord, derrière New York et Toronto, mais devant Ottawa-Gatineau et Vancouver. Conséquemment, la voiture y assure environ trois déplacements sur quatre, même au moment où la desserte en transport collectif est la plus extensive et pour le motif qui canalise la plus grande proportion de la population vers le cœur de l’agglomération. Cette part modale s’élève à 89,3 % sur la couronne nord, 87 % sur la couronne sud, 80,3 % à Laval et 71,3 % à Longueuil. Même sur l’île de Montréal, la voiture assure plus de la moitié (54 %) des déplacements. Les quartiers et les municipalités de banlieue de ses extrémités est et ouest, à l’instar de ceux des couronnes nord et sud, sont des archétypes de suburbanisme dispersé façonné par et pour la voiture.

Le contraste entre le portrait et les trajectoires de mobilité du centre de la métropole et ceux de sa périphérie est saisissant. Alors qu’au sein de la ville de Montréal, la part modale du transport collectif pour les déplacements domicile-travail s’élève en pointe matinale à 36,3 %, elle n’atteint que 13,1 % dans les banlieues. De même, durant les cinq années qui ont précédé l’adoption du PMAD (2006-2011), la part modale du transport actif pour les déplacements domicile-travail a augmenté (de 11 % à 11,7 %) au sein de la ville de Montréal alors qu’elle a plutôt diminué (de 4,5 % à 3,9 %) dans le reste de la région. En parallèle, entre 2008 et 2013, en pointe matinale, à l’échelle du Grand Montréal, les déplacements en voiture ont augmenté de 14,4 % pendant que ceux en transport collectif n’augmentaient que de 8,6 %. Durant cette période, en vertu d’une tendance lourde et persistante à l’échelle de la région, le nombre de voitures a augmenté 2,2 fois plus rapidement que la population. Ce phénomène s’explique principalement par le fait que 83 % des résidents qui se sont ajoutés et 60 % des emplois qui ont été créés dans la région au cours de ces cinq années se sont installés à l’extérieur de l’île de Montréal.

Cette tendance à la dispersion s’intensifie depuis 1971. À cette époque, l’île de Montréal accueillait 1 959 140 habitants, soit 70,6 % de la population du Grand Montréal. Puisque sa périphérie obtient depuis lors la part du lion de la croissance démographique métropolitaine, l’île a vu sa population diminuer tant en proportion qu’en nombres absolus, se chiffrant à 44,2 % et 1 704 694 habitants en 2016. Au cours des cinq dernières années, la population de l’agglomération de Montréal n’a crû que de 2,9 %, contrairement à 4,1 % pour celle de Longueuil, 5,2 % pour la couronne nord, 5,3 % pour la ville de Laval et 5,8 % pour la couronne sud. En revanche, les banlieues avaient enregistré des taux de croissance démographique considérablement plus élevés entre 2006 et 2011 (respectivement 5,9 %, 13,6 %, 7,1 % et 11,4 %). Ce léger ralentissement ne laisse toutefois pas présager un renversement des tendances, car l’Institut de la statistique du Québec prévoit que l’île de Montréal n’accueillera que 39 % de la croissance démographique métropolitaine prévue à l’horizon 2031.

Les banlieues, a fortiori celles des couronnes nord et sud, seront donc le théâtre de la forte majorité de la production immobilière à venir. Elles présentent par surcroît un énorme potentiel de transfert modal de la voiture individuelle vers des modes durables. La capacité des autorités métropolitaines à atteindre leurs objectifs de génération d’achalandage en transport collectif dépendra de l’articulation de cette production immobilière à la desserte existante et prévue. À cette enseigne, justement, durant la décennie précédant la définition de la stratégie de TOD du Grand Montréal (2001-2011), un peu moins du quart (23,9 %) de la croissance démographique s’est effectuée dans un rayon de 1 km d’un point d’accès au réseau de transport collectif. Il en résulte qu’un peu plus d’un ménage sur trois (36,2 %) demeure dans une telle aire d’influence. À ce chapitre, la région se classe au deuxième rang des métropoles d’Amérique du Nord, entre New York et Chicago.

Dans un rapport statistique publié cinq ans après l’adoption de son PMAD, la CMM (2016) a révélé qu’en 2014, les abords des stations de transport collectif pouvaient à eux seuls accueillir 58 % des 221 000 ménages attendus dans le Grand Montréal d’ici à 2031. Selon ses calculs, chacun des cinq secteurs de la région susmentionnés dispose de suffisamment de terrains voués à une usage résidentiel, vacants ou pouvant être réaménagés, pour accueillir tous ces ménages au cours des quinze prochaines années. Sans même que la densité résidentielle brute des aménagements des prochaines années ne doive augmenter par rapport à celle enregistrée entre 2010 et 2013, la région dispose en fait de tous les terrains nécessaires pour accueillir «près de 300 000 nouveaux ménages si on tient uniquement compte des espaces vacants résidentiels, et près de 500 000 nouveaux ménages si on considère également les espaces à redévelopper [ sic ] » ( ibid. , p. 95). Comme nous le verrons plus loin, cet état de fait ne cadre pas avec les volontés des acteurs suburbains du Grand Montréal en matière d’aménagement et de développement. Les élus et les planificateurs suburbains ont ainsi profité de l’appropriation locale du concept de TOD pour instrumentaliser la stratégie métropolitaine à leurs fins.

3. Le TOD dans le PMAD

La stratégie de TOD constitue sans conteste le pilier central du PMAD. Dans son mémoire soumis en réaction au PMAD, la Table des préfets et élus de la couronne sud affirmait que l’approche de planification intégrée du transport et de l’aménagement en constitue la pierre angulaire. Devant l’auditoire de UN Habitat World Urban Forum 7 , le maire d’une municipalité de la couronne sud (Dyotte, 2014, p. 21), a soutenu que « [s] i le PMAD est le ‘livre de recettes’ pour rendre la région métropolitaine de Montréal plus résiliente, on peut suggérer que l’aménagement de quartiers TOD en est le ‘principal ingrédient’» .

Cette focalisation sur le TOD constitue la réponse du Grand Montréal à une exigence du gouvernement québécois. Dans ses orientations, le ministère des Affaires municipales et de la Métropole (2001, p. 27) a demandé à la CMM d’ «orienter en priorité le développement urbain vers les secteurs desservis ou qui le seront prochainement par les réseaux de transport en commun» . Son objectif était que soit développée «une aire d’influence qui s’étend jusqu’à une distance maximale de 750 mètres par rapport à un point d’accès au service de transport collectif» ( ibid. , p. 78). Il reprenait ainsi à la lettre les principes fondamentaux du TOD. La CMM devait donc adopter «des règles ou critères d’urbanisation afin d’accorder la priorité au développement ou au redéveloppement [ sic ] urbain arrimé aux infrastructures métropolitaines de transport collectif, et incitant à l’utilisation de ces infrastructures comme leviers principaux du développement urbain» ( ibid. , p. 93). Afin de respecter ces orientations, le PMAD de la CMM (2012b, p. 80) mise sur le TOD pour «orienter 40 % de la croissance des ménages aux points d’accès du réseau de transport en commun métropolitain structurant» . Pour ce faire, il y définit le concept de TOD comme :

un développement immobilier de moyenne à haute densité structuré autour d’une station de transport en commun à haute capacité, comme une gare de train, une station de métro, une station de SLR [système léger sur rail] ou un arrêt de bus (axes de rabattement ou service rapide par bus [SRB] ). Situé à distance de marche d’un point d’accès important du réseau de transport collectif, le TOD offre des opportunités [ sic ] de logement, d’emploi et de commerce et n’exclut pas l’automobile. Le TOD peut être un nouveau projet ou un redéveloppement [ sic ] selon une conception facilitant l’usage des transports collectifs et actifs. ( ibid. , p. 80-81)

Afin d’atteindre cet objectif, le PMAD identifie les abords de «tous les points d’accès au réseau de transport en commun métropolitain structurant actuel et en développement» ( ibid. , p. 84): 103 sur l’île de Montréal, 20 sur la couronne sud, 15 sur la couronne nord, 10 dans l’agglomération de Longueuil et 7 dans la ville de Laval (figure 1).

Fig. 1

Figure 1: Localisation des 155 aires de TOD prévues dans le PMAD du Grand Montréal

Figure 1: Localisation des 155 aires de TOD prévues dans le PMAD du Grand Montréal

Source : CMM (2016, p. 93)

-> Voir la liste des figures

L’étendue de ces aires varie selon le type de desserte, d’un rayon de 500 m (157 ha) autour des stations de tramway, de SRB ou de lignes d’autobus de rabattement à un rayon de 1 km (314 ha) autour des stations de métro, de train de banlieue et de SLR. Le PMAD prescrit des seuils minimaux de densité résidentielle variant de 30 à 80 logements par hectare (log./ha) autour de stations tramway ou d’autobus, de 40 à 110 log./ha autour de stations de train de banlieue et de 60 à 150 log./ha autour de stations de métro ou de SLR.

La place du TOD au sein de la stratégie de transport globale du PMAD, l’absence de caractère contraignant des critères d’aménagement qu’elle y expose et la nature incomplète des cibles de densification que la CMM y définit ont fait l’objet de critiques d’intervenants de premier plan du milieu de la planification. Penchons-nous brièvement sur ces trois principales récriminations.

3.1. Du TOD et du développement autoroutier

Parallèlement à sa stratégie de TOD, le PMAD s’appuie sur un programme de développement autoroutier décrié pour son caractère rétrograde et incohérent, dans le cadre des consultations publiques de 2011. Il demande au gouvernement de prolonger cinq autoroutes pour améliorer la fluidité des déplacements en voiture dans les couronnes mais ne prévoit aucune mesure de gestion de la demande de déplacements ou de limitation de la dépendance automobile. Dans son avis sur le PMAD, le ministère des Transports (MTQ, 2011, p. 7) a déploré la contradiction inhérente entre la proposition d’adopter «‘une politique de non expansion du réseau autoroutier urbain’ à jumeler à une amélioration de l’offre en transport collectif» et l’identification de tels projets de développement du réseau autoroutier métropolitain. Il a rappelé par surcroît à la CMM «que les projets de parachèvement (A-440 et A-13) et de développement (bouclage d’un contournement de la région par l’A-640) identifiés dans le projet de PMAD ne sont pas envisagés par le gouvernement» ( ibid. , p. 12). Malgré cet avis ministériel, la CMM n’a pas modifié ces dispositions du PMAD. L’appui des maires de banlieue à l’adoption du plan en dépendait. Nous verrons plus loin que l’appropriation locale du TOD par les élus et les planificateurs des couronnes participe de la même dynamique d’instrumentalisation de la planification et de ses outils.

3.2. Du TOD prescrit sans normes à respecter

À condition qu’elles visent le seuil minimal de densité résidentielle exigé dans le PMAD, les autorités locales sont libres d’aménager leur aire de TOD à leur guise. Le critère 1.1.3, censé baliser leur aménagement, ne constitue en effet qu’une série d’invitations et de suggestions: à améliorer l’intégration de la station au milieu environnant; à favoriser la construction de logements diversifiés; à faciliter les déplacements actifs; à encourager des aménagements durables; etc.. Cette longue série de bonnes intentions se cantonne à des verbes d’incitation et est dépourvue de prescriptions quantifiées auxquelles le milieu municipal devrait se conformer.

Dans l’avis du gouvernement sur le PMAD, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT, 2011, p. 20) a pourtant indiqué à la CMM que « [c] ette approche incitative n’est pas de nature à s’assurer que ces aménagements seront réalisés dans le respect des orientations et des attentes gouvernementales» . Dans ce cas également, la CMM n’a pas donné suite à cette critique du gouvernement en révisant le PMAD. Doter le plan de normes à respecter à ces égards aurait constitué aux yeux des maires suburbains un empiètement du palier métropolitain sur les prérogatives du milieu municipal en matière d’aménagement. Une telle contravention aux principes d’autonomie locale et de subsidiarité qu’ils défendent bec et ongles aurait assuré leur refus d’adopter le PMAD. Comme nous le verrons plus loin, les MRC des couronnes ont indiqué à la CMM à quel point elles entendaient tester les limites de cette marge de manœuvre qu’elle leur laissait en matière d’aménagement des aires de TOD.

3.3. Du TOD sans cibles de mixité fonctionnelle

Contrairement au PMAD de la Communauté métropolitaine de Québec, celui de la CMM n’inclut pas de cibles d’emplois et d’activités dans les aires de TOD prévues. Les seuils de densité minimale prescrits y sont exprimés en logements par hectare. Les planificateurs du transport interviewés en concluent que la densification souhaitée se limite à de la promotion immobilière. Trois autorités régionales avaient pourtant averti la CMM, dans leur avis sur le PMAD, que ce cantonnement du TOD à la construction de logements autour des gares et des stations était mal avisé. L’agglomération de Longueuil (2011, p. 19) a écrit que «les secteurs TOD devraient prévoir une densité mixte (logement et/ou emplois à l’hectare) à l’instar d’Ottawa» . L’agglomération de Montréal (2011, p. 4) a invité la CMM «à ajouter aux critères d’aménagement de ces aires la diversification des activités urbaines, en plus de leur intensification, et de ne pas mettre uniquement l’accent sur la croissance résidentielle à ces points d’accès au réseau de transport collectif» . La MRC de Roussillon (2011, p. 11) a indiqué que «les projets de développement dans les aires TOD ne doivent pas être uniquement résidentiels» .

Cette insistance sur la présence de services et d’emplois parmi les logements est cohérente avec la conception séminale de Calthorpe (1993, p. 63): «At a minimum, retail, housing, and public uses are required in all TODs. Employment uses within the core commercial area may be used to augment these minimum uses, as market conditions permit» . Malgré cette exigence, l’aménagement des abords des points d’accès au transport collectif obéit à d’autres impératifs, dans le Grand Montréal. Un planificateur de l’Agence métropolitaine de transport (AMT) a confié à Filion et Kramer (2012, p. 2243-2244) que dans la région métropolitaine, «intensification takes the form of residential developments around stations, not of centres as such. Many projects are presented as TODs, but in reality they are developments located close to public transport, without the creation of real links» . Renne (2009) qualifie ces aménagements de matérialisations du faux ami du TOD, le transit-adjacent development (TAD), soit de l’aménagement adjacent au transport collectif, plutôt qu’axé sur le transport collectif. Les premières tentatives de mise en œuvre du TOD autour de gares de train de banlieue dans les couronnes (à Sainte-Thérèse et à Mont-Saint-Hilaire), au tournant des années 2000, ont pris cette forme. Elles se sont soldées par des échecs relatifs en matière tant de densification et de diversification fonctionnelle que d’accroissement de l’utilisation de la marche et du transport collectif (Douay et Roy-Baillargeon, 2015; Roy-Baillargeon, 2015). Les responsables locaux, régionaux et métropolitains de la stratégie de TOD du PMAD ont donc réinterprété les fondements du concept à la lumière de leurs impératifs locaux, afin d’éviter cet écueil.

4. Le TOD grand-montréalais 2.0

Soucieux d’assurer le succès de l’application de leur stratégie renouvelée, les décideurs et les planificateurs du Grand Montréal ont pris leurs distances par rapport aux lignes directrices du concept édictées par Calthorpe (1993) afin de se l’approprier et de l’adapter à leur situation particulière. Parallèlement au débat sur le PMAD, la CMM a mandaté une agence d’urbanisme montréalaise pour élaborer un guide illustrant les principes d’aménagement pour les aires de TOD (AECOM, 2011). Destiné aux autorités locales et régionales et à leurs interlocuteurs directs, il vise à «leur permettre d’intégrer les notions d’aménagement TOD dans leurs outils de planification en fonction des réalités locales» (CMM, 2013, p. 17). Ce guide s’ouvre sur une interprétation québécoise des principes de planification du TOD, soit ses composantes et ses critères principaux. Il présente une typologie des huit futures aires-types de la région, de l’«hypercentre» au «quartier suburbain», déterminée en fonction du type de milieu auquel ils correspondent, des fonctions et vocations qu’on retrouve autour des stations, des modes de transport associés à ces stations, des seuils de densité exigés et de leur morphologie urbaine. Il expose ensuite un cadre d’aménagement des aires de TOD en fonction de sept critères, dont la densité, la mixité fonctionnelle et la sécurité. Il se conclut par une illustration de l’application de ces sept critères sous forme de balises pour chacune de ces huit aires-types.

Le guide d’AECOM (2011) est un complément crucial au PMAD et permet à la CMM de montrer à ses partenaires et au gouvernement qu’à défaut d’avoir révisé son plan pour se conformer à leurs orientations, elle a à tout le moins initié le développement d’outils parallèles. Que le guide offre une interprétation grand-montréalaise du TOD a grandement contribué à ce que le milieu municipal se l’approprie en imaginant plus facilement comment le concept pourrait être appliqué sur son territoire.

Le processus d’appropriation du TOD par les acteurs du transport et de l’aménagement du Grand Montréal s’est poursuivi par l’organisation de deux activités déterminantes pour leur souscription à l’idéal de densité, de mixité et d’urbanité axée sur le transport collectif. Elles leur ont fait voir de leurs propres yeux à quoi des quartiers aménagés selon les principes exposés dans le guide d’AECOM pouvaient ressembler. D’abord, en juin 2012, la CMM a amené 30 acteurs-clés de la planification dans la région métropolitaine de Washington-Arlington afin d’y explorer les aires de TOD. Ensuite, en octobre 2012, elle a tenu un forum d’échange pour dévoiler le rapport-synthèse de sa mission (CMM, 2012a) et annoncer son intention d’amorcer la mise en œuvre de sa stratégie par la réalisation de sept projets-pilotes d’aires de TOD dans les divers secteurs de la région.

Ces deux activités participent du phénomène global de circulation transnationale de «meilleures pratiques» urbanistiques et d’histoires à succès, axé sur une infrastructure de tourisme de politiques publiques et de propagation de modèles dominants dans le but de les répliquer (Pojani et Stead, 2015; Wood, 2014). La façon dont les élus locaux et les planificateurs régionaux des couronnes du Grand Montréal se sont positionnés face au TOD, et les objectifs qu’ils ont indiqué poursuivre par son application sur leur territoire, en amont de cette mission et de ce forum, s’inscrivent toutefois dans une tout autre perspective que celle qu’ils sont allés observer aux États-Unis.

5 Les volontés suburbaines face au TOD

Les élus et les planificateurs des couronnes du Grand Montréal ont historiquement fait preuve de résistance face aux propositions de densification, de diversification fonctionnelle et de limitation de la dépendance automobile émanant des autorités provinciales et métropolitaines. Le milieu municipal dispose d’une grande marge de manœuvre dans la traduction des orientations du gouvernement et de la CMM dans des plans et des règlements régissant l’aménagement de son territoire. Les autorités régionales ont ainsi profité de la consultation publique sur le PMAD pour faire savoir à la CMM qu’elles entendent mettre en œuvre le TOD à la poursuite d’objectifs et par l’entremise de moyens bien différents de ceux escomptés à l’origine par Québec. Afin de perpétuer le suburbanisme dispersé façonné par et pour la voiture qui les a fait naître et prospérer, les banlieues du Grand Montréal entendent ainsi constituer des aires de TOD entre des autoroutes et des magasins-entrepôts, de faible densité, au-delà de rayons d’accessibilité piétonnière, autour de terrains de stationnement incitatif et sur des terres agricoles. Penchons-nous attentivement sur ces intentions et sur leurs justifications à la lumière des lignes directrices du concept édictées par Calthorpe (1993), de son appropriation grand-montréalaise déclinée dans le guide d’AECOM (2011) et des réactions des intervenants interviewés à ce sujet.

5.1. Du TOD entre des autoroutes et des magasins-entrepôts

Plusieurs élus et planificateurs de la région ont manifestement une conception du TOD qui n’a que peu à voir avec les définitions de Calthorpe (1993), du guide produit par AECOM (2011) à leur attention et même du PMAD qu’ils ont adopté. Le cas particulier du maire d’une banlieue de la couronne sud illustre ce phénomène avec éloquence. À l’occasion de la présentation du projet-pilote prévu autour de sa gare, au forum d’octobre 2012, il a déclaré: «Ce qui est bien, c’est que notre aire TOD est située à côté et chevauche même [ sic ] notre aire de développement commercial. Pour nous, c’est un avantage» . Or cette aire de développement commercial correspond à un mégacentre constitué de magasins-entrepôts Costco, Réno-Dépôt et d’autres bannières de cet acabit, entourés de très vastes étendues de stationnement. Du même souffle, il a affirmé que la localisation de la gare au sein de sa municipalité est propice à la mise en œuvre du TOD, car elle est très facilement accessible par le réseau autoroutier métropolitain : 

Ce qui est intéressant, […] c’est que la situation de la gare et du TOD est dans un endroit stratégique de développement économique, et pour [notre ville] , et pour [notre MRC] . […] Donc les autoroutes 30, 15 et 930 vont nous aider à développer tout ce secteur-là et amener un achalandage très intéressant .

Contrairement à l’idéal de ce maire, toutefois, Calthorpe (1993, p. 67) écrivait dans les lignes directrices du concept que «TODs should be located to maximize access to their Core Commercial Areas [ sic ] from surrounding areas without relying solely on arterials» . L’aménagement d’aires de TOD axées sur une accessibilité principalement automobile compromet en effet tant leur qualité que leur dynamisme :

the task of planning TOD is more complex than simply increasing housing densities near rail stations. Both the stations themselves and any commercial facilities provided as part of TODs will attract travellers from beyond walking distance. If enough of these travellers arrive by car, then station precincts risk becoming the ‘asphalt deserts’ lamented by Victor Gruen [ «the father of the shopping mall» ] (Mees, 2014, p. 463).

Le maire entend capitaliser sur les trois autoroutes qui encerclent son mégacentre et sa gare pour accroître leur achalandage. Il contredit ainsi le principe du TOD selon lequel les commerces et les services inclus dans un quartier conçu sur ce modèle doivent idéalement être de petite taille, adjacents à la gare ou à la station et facilement accessibles à pied ou à vélo. Il n’est pas anodin qu’il présente comme des atouts pour son projet-pilote d’aire de TOD la proximité d’un mégacentre commercial et l’encerclement autoroutier du quartier. Il est d’autant plus révélateur qu’il le fasse dans le cadre de ce forum et après avoir participé à la mission d’observation dans le Grand Washington. Pour peu que cette façon de concevoir le TOD déroge de celle prônée à l’origine par Calthorpe (1993) et reprise par AECOM (2011), elle n’en demeure pas moins conforme à la version du concept appropriée par les élus et les planificateurs du Grand Montréal dans le PMAD, comme nous l’avons vu précédemment dans le cas du développement autoroutier et de la mixité fonctionnelle.

Les autres élus et planificateurs qui ont présenté leur projet-pilote dans le cadre de ce forum ont également qualifié les autoroutes qui traversent ou bordent leurs potentielles aires de TOD d’atouts et de catalyseurs de développement. Certains ont même exprimé leur volonté de voir augmenter la capacité des terrains de stationnement incitatif qui bordent leur gare de train de banlieue. Or ils connaissent les conditions de transport et d’aménagement qui doivent être réunies pour que le TOD entraîne la densification, la diversification fonctionnelle et l’augmentation de l’utilisation du transport collectif prévues par le PMAD. Leur mission d’étude de l’été 2012 portait précisément sur ces conditions de succès. Ils ont par surcroît assisté, durant ce forum, à un exposé montrant comment les stationnements et les autoroutes sont des «chimères» pour les aires de TOD et les transports collectifs, à l’aide du contre-exemple d’Englewood, dans la banlieue de Denver. Les conditions de réussite décrites dans leur rapport de mission (CMM, 2012a) étaient aux antipodes de celles qu’ils vantaient quant à leur projet-pilote.

Les élus et les planificateurs de la région qui se sont prononcés sur le concept ou sur l’adéquation de leur projet-pilote depuis l’entrée en vigueur du PMAD disposent de toute l’information nécessaire pour bien comprendre ce qui facilite ou entrave la concrétisation du TOD en milieu tant urbain que suburbain. Ils refusent néanmoins que la stratégie du Grand Montréal affecte les dynamiques d’aménagement de leur municipalité à leur insu, contre leur gré ou sans que leurs prérogatives soient respectées. Ils reprennent ainsi leur discours habituel sur la croissance, la compétitivité, l’attractivité et les atouts territoriaux en présentant leur potentielle aire de TOD à travers le prisme de l’automobilité. En font foi leurs tentatives d’assouplissement des prescriptions du PMAD quant à la densité et à l’accessibilité piétonnière dans les aires de TOD prévues sur leur territoire suburbain.

5.2. Du TOD de faible densité sans accessibilité piétonnière

Par leur participation à la consultation sur le PMAD, les MRC des couronnes ont révélé comment elles entendent limiter les impacts du TOD sur leur forme urbaine et leurs dynamiques de déplacement. Dans sa réaction au document, la MRC de Marguerite-D’Youville (2011, p. 5) a demandé à la CMM de prévoir sur son territoire «des TOD avec une densité de 30 log/ha» . Cette densité ne correspond qu’au double de celle mesurée à l’échelle de son territoire, qui inclut des municipalités parmi les plus rurales et les moins populeuses de la région. Rappelons que le seuil minimal pour rentabiliser ne serait-ce qu’une ligne d’autobus à fréquence régulière est de 37,5 log./ha (Pushkarev et Zupan, 1977). Quoi qu’il en soit, et tel que la MRC l’a réclamé, la stratégie du Grand Montréal prévoit sur son territoire l’aménagement de deux aires de TOD, respectivement de 30 et de 40 log./ha, autour de stationnements incitatifs projetés à Varennes et à Sainte-Julie.

Par surcroît, Marguerite-D’Youville a demandé à la CMM «une marge de manœuvre quant au rayon de ses TOD de façon à élargir ce rayon à 1 000 mètres» ( ibid. ). Cet élargissement est contraire aux orientations gouvernementales, qui prescrivent un rayon de 750 m. Il a néanmoins été accordé dans le PMAD en ce qui concerne les aires de TOD prévues autour de stations de métro, de train de banlieue et de SLR, mais pas autour des stations de tramway, de SRB ou de lignes d’autobus de rabattement. Cette MRC a également demandé que lui soit accordée «une certaine latitude ou du moins une flexibilité dans l’applicabilité du seuil minimal de densité hors TOD» ( ibid. ). Cette requête révélait sa volonté d’assouplir davantage les dispositions du PMAD en matière de densification des couronnes afin de la laisser étendre son suburbanisme dispersé d’au plus 30 log./ha au-delà des limites de l’aire de TOD également. Dans la même optique, la MRC de Roussillon (2011, p. 9) a aussi écrit dans son avis sur le projet de PMAD être «en réflexion afin d’augmenter le rayon de 1 km autour des points d’accès pour le train de banlieue [...] à 1,5 km» . Or l’aménagement des aires de TOD dans un rayon de 610 m ( «2,000 feet» ) autour des stations, afin d’en faciliter l’accessibilité piétonnière, est un des éléments de base de la définition d’origine du concept de Calthorpe (1993). La recherche sur les caractéristiques des environnements bâtis favorisant le transport actif montre également que l’utilisation de la marche pour accéder aux gares et aux stations décline drastiquement au-delà d’un rayon de 800 m à vol d’oiseau. La prescription d’un rayon de 750 m dans les orientations gouvernementales de 2001 était d’ailleurs basée sur ce constat. En prônant un tel élargissement des aires de TOD prévues autour des gares de train de banlieue, les acteurs des couronnes ont révélé leur absence de préoccupation pour l’accès au transport collectif à pied et leur intention de continuer à y favoriser le rabattement en voiture. Leur utilisation de la tribune de la consultation sur le PMAD pour réclamer l’aménagement de stationnements incitatifs assortis d’aires de TOD de faible densité participait de la même optique d’instrumentalisation du concept.

5.3. Du TOD autour de stationnements incitatifs

Les banlieues des couronnes du Grand Montréal ont également l’intention de mettre en œuvre le TOD autour de vastes terrains de stationnement incitatif. À cette enseigne, elles ont profité de la consultation sur le PMAD pour adresser à la CMM leurs requêtes pour étendre ces terrains. Dans son avis sur le projet de PMAD, la MRC de Beauharnois-Salaberry (2011, p. 3) a exigé de la CMM sa part du gâteau en déformant le concept pour le plier à sa réalité au point d’en occulter jusqu’à l’essence, recommandant l’ajout «d’une aire TOD à Beauharnois sous forme de stationnement incitatif pour le transport par autobus» . Elle a justifié cette requête par l’idée que selon elle, «l’ajout d’une aire TOD permet de limiter l’impact négatif de l’arrivée de nouveaux habitants par l’implantation d’un point d’accès au transport en commun et de commerces de proximité accessibles par transport actif» ( ibid. ).

Passons sur le fait que la MRC dise concevoir que l’arrivée de nouveaux habitants ait un impact négatif… Soulignons plutôt le fait qu’elle conçoit que l’ajout d’un point d’accès au transport collectif suffit pour faire du TOD, et ce, même s’il ne s’agit que d’un stationnement incitatif, pour peu qu’il s’accompagne de commerces de proximité accessibles à pied et à vélo. Qu’importe que l’offre de transport collectif y soit rudimentaire et qu’aucun logement n’y soit prévu. Qu’importe également que la probabilité que des commerces de proximité s’implantent en bordure d’un stationnement incitatif et que les piétons et les cyclistes puissent s’y rendre facilement soit infime. La MRC de La Vallée-du-Richelieu (2011, p. 12), elle aussi située sur la couronne sud, a également indiqué dans son avis sa volonté de faire partie du jeu métropolitain, en demandant à la CMM de «prévoir la possibilité d’identifier d’autres aires TOD et d’autres axes de rabattement» sur son territoire, étant donné qu’ «un projet de stationnement incitatif est actuellement à l’étude à Beloeil. Il serait donc opportun d’en [ sic ] faire allusion» , concluait-elle à cet effet. (Ce stationnement de 29 places a été inauguré le 22 septembre 2016.)

Manifestement, pour ces autorités régionales, la création d’une aire de TOD peut se limiter à l’ajout d’un point d’accès au réseau de transport collectif. La nature de leurs interactions avec les instances métropolitaines et provinciales responsables de la planification de ce réseau révèlent avec éloquence le renversement de perspective qu’elles ont opéré face au concept. Un planificateur de l’AMT interviewé indique que des municipalités des couronnes contactent son équipe en lui disant: «J’ai ma pastille TOD [dans le PMAD] ; il me faut mon projet de transport» . Or les études de faisabilité effectuées en réponse à ces requêtes montrent que plusieurs banlieues ne présentent même pas le potentiel pour rentabiliser l’aménagement d’un terminus d’autobus ou d’un stationnement incitatif. Selon lui, cette situation montre que la stratégie de TOD du Grand Montréal s’inscrit en fait dans «un processus assez politique […] . Je ne pense pas que la CMM a procédé à une analyse des 155 pastilles pour dire: ‘Telle est plus prioritaire que telle’» , conclut-il.

Dans son avis sur le PMAD, le MTQ (2011) a également déploré cette situation. Sa critique a porté principalement sur trois aspects problématiques: (1) l’absence d’état de situation quant à la nature des activités et au potentiel de développement dans chaque aire de TOD; (2) l’absence de hiérarchisation des 155 points d’accès au transport collectif visés en fonction de leurs type et niveau de desserte; et (3) l’absence d’identification du rôle et de la nature stratégique de ces points au sein du réseau métropolitain. L’agglomération de Longueuil (2011, p. 10) a adressé à la CMM une critique similaire, elle aussi dans son avis sur le PMAD, soulignant que, contrairement à ce que prône la stratégie de TOD, qui concerne absolument toutes les stations du réseau, «tous ces points ne peuvent être des TOD puisqu’ils ne peuvent pas jouer ce rôle. [...] Le PPMAD doit prévoir que des points d’accès au transport collectif puissent être unifonctionnels [ sic ] , selon le contexte» , concluait-elle, en droite ligne avec les principes de Calthorpe (1993) exposés dans la section 1. À cette enseigne, la stratégie de TOD du Grand Montréal s’apparente à celles adoptées à Brisbane et à Melbourne, en Australie. En visant tous les points d’accès au réseau de transport collectif sans égard à leurs caractéristiques, toutes trois révèlent leur conception géographique subjective et anecdotique (Kamruzzaman et coll., 2014). Elles constituent ainsi autant de «striking example [s] of this simplistic approach to TOD» (Mees, 2014, p. 463).

Cette invitation de Longueuil à exclure certains de ces points de la stratégie de TOD concerne au premier chef les stationnements incitatifs des couronnes dépourvus de gare de train de banlieue ou de station de métro. Un responsable du MAMROT interviewé affirme que le Grand Montréal aurait été mieux avisé de donner suite à cette requête, en ce qui concerne ces infrastructures particulières, «qui ont été planifiées par d’autres instances et dont plusieurs l’ont été sans considération pour le lien entre l’aménagement et le transport» . Selon lui, la volonté des instances régionales et métropolitaines d’appliquer le concept autour de tels points de rabattement en voiture participe d’une certaine enflure verbale et manque d’emprise dans la réalité: «Appeler ça ‘TOD’… je veux bien, mais… appelons plutôt ça une ‘aire à densifier’. Je ne peux pas croire que l’on puisse réaliser un milieu de vie autour d’un stationnement incitatif. Ce n’est pas structurant» , résume-t-il.

Le TOD est ainsi devenu, pour certains acteurs des couronnes, une manière de renverser complètement l’ordre dans lequel le transport et l’aménagement se planifient de manière coordonnée: selon leur approche, prévoir un stationnement incitatif est une raison suffisante pour demander une aire de TOD. Qu’importe que le TOD soit censé concerner plutôt des gares de train, des stations de métro et des arrêts de SLR ou de SRB, comme tant Calthorpe (1993) que la définition du concept retenue dans le PMAD le prescrivent. Le fait que le TOD constitue la pierre angulaire de la stratégie d’aménagement du Grand Montréal représente pour les acteurs des couronnes une occasion d’attirer des investissements en transport collectif et d’élargir leur assiette fiscale en misant sur les taxes foncières [2] . Quitte à le faire en étendant leur périmètre d’urbanisation sur la zone agricole protégée.

5.4. Le TOD sur des terres agricoles

L’appropriation suburbaine de la stratégie de TOD du Grand Montréal vise également indirectement l’urbanisation de terres agricoles. Dans son avis sur le PMAD, le MTQ (2011) a sommé la CMM d’éviter d’utiliser le TOD à cette fin, soulignant qu’une quinzaine d’aires de TOD étaient en fait situées à la limite de la zone agricole, tant et si bien que leur développement nécessiterait que les villes concernées soumettent une demande d’exclusion à la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ). C’est notamment le cas des aires de TOD initialement prévues par la CMM à Mirabel et à Saint-Basile-le-Grand. Dans le premier cas, l’AMT projetait d’aménager une gare en zone verte jusqu’à ce que le ministre des Transports ne s’interpose en 2013. Dans le second cas, le projet-pilote proposé par la CMM et la municipalité a été abandonné puisque cette dernière n’a jamais réussi à obtenir l’approbation nécessaire de la CPTAQ.

Le ministère a donc demandé à la CMM qu’elle retire de son PMAD tous les potentiels de développement de type TOD «localisés autour de gares et autres points d’accès au réseau de transport collectif métropolitain qui sont situés à la limite de la zone agricole décrétée» ( ibid. , p. 7). La CMM n’a pas donné suite à cette requête non plus. À son tour, dans l’avis gouvernemental sur le PMAD, le MAMROT (2011, p. 21) a également indiqué à la CMM qu’elle devait déterminer les critères encadrant les éventuelles demandes d’exclusion de terres agricoles situées près de ces points d’accès en vue de leur intégration au périmètre métropolitain et «s’assurer qu’il s’agit des zones de moindre impact sur le territoire et les activités agricoles» . De tels critères n’ont pas été déterminés dans le PMAD et la CMM a préféré laisser à la CPTAQ le soin de communiquer aux municipalités l’irrecevabilité de leurs demandes d’exclusion.

Ce laxisme contraire aux requêtes du MTQ et du gouvernement laisse au milieu municipal une autre porte grande ouverte. Les acteurs des couronnes en profitent et rendent explicites leurs intentions à cet égard. Le directeur général d’une MRC de la couronne sud interviewé révèle que l’instrumentalisation du TOD à des fins d’urbanisation de terres agricoles est monnaie courante en milieu suburbain: «J’ai des municipalités qui sont assez ouvertes au concept — à tout le moins plus que dans d’autres MRC, où j’entends: ‘Oui, on embarque là-dedans… mais on regarde encore pour du dézonage.’ Ça ressemble un peu à dire oui pour avoir droit à son dézonage» , explique-t-il. Dans cette optique, le TOD constitue une forme de monnaie d’échange, un instrument de marchandage politique entre, d’une part, les autorités locales et régionales qui acceptent qu’une aire soit prévue sur leur territoire et, d’autre part, les autorités métropolitaines et provinciales qui acceptent en retour que ces banlieues prévoient étendre leur suburbanisme dispersé sur la zone agricole.

Dans son avis sur le PMAD, la MRC Les Moulins (2011) a indiqué à la CMM que les aires de TOD identifiées sur son territoire dont certaines parties comprennent des terres agricoles feraient l’objet d’une analyse d’opportunité pouvant en définitive mener à leur retrait de la zone permanente. Elle a également précisé qu’elle envisageait de présenter à la CPTAQ et «avec l’appui de la CMM» une demande à cet effet «pour permettre la mise en place de véritables projets TOD» ( ibid. , p. 6). De même, elle aussi dans son avis, la MRC de Roussillon (2011, p. 8) a recommandé à la CMM «de se doter d’un objectif de consolidation des aires TOD déjà existantes [ sic ] , peu importe si elles se trouvent en zone urbaine ou agricole» . Elle lui a également demandé du même souffle d’ajouter à sa carte présentant les 155 aires de TOD prévues «une nouvelle gare en zone agricole sur le territoire de la municipalité de Saint-Philippe à titre de [ sic ] ‘projet à l’étude’» afin d’y permettre «le développement d’un projet TOD structurant» ( ibid. , p. 10).

Ainsi les transports collectifs et le TOD sont-ils devenus dans le Grand Montréal des outils d’exclusion de terrains de la zone agricole à des fins de perpétuation du suburbanisme dispersé. Les municipalités des couronnes instrumentalisent la CMM et l’AMT pour parvenir à cette fin par l’entremise d’une stratégie en trois temps: d’abord, elles demandent à l’AMT d’implanter une gare à la limite de leur zone agricole voire directement en zone agricole; ensuite, elles demandent à la CMM qu’une aire de TOD y soit planifiée; enfin, elles demandent à la CPTAQ, avec l’appui de la CMM et de leur MRC d’appartenance, que les terrains situés aux abords de cette gare et dans un rayon de 1 km en soient exclus afin de pouvoir constituer l’aire de TOD que le PMAD prévoit à cet endroit. Lors du forum d’octobre 2012, en présentant leur projet-pilote, les maires et les urbanistes de la couronne sud ont présenté les terres agricoles bordant la gare située sur leur territoire comme des «enclaves», des résidus, pour légitimer leur transformation en quartiers de banlieue résidentielle et en mégacentres commerciaux au nom de la stratégie de TOD du Grand Montréal.

Or les terres agricoles sont protégées depuis 1978 par la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles , aussi ancienne et aussi déterminante pour la planification que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme . Par surcroît, l’augmentation (de 6 %) de la proportion de terres agricoles en culture constitue un des quatre objectifs phares du PMAD. Retirer des terres de la zone agricole pour y aménager des aires de TOD serait à la fois contraire tant à l’esprit qu’à la lettre de cette loi et incohérent par rapport à cet objectif. De même, procéder de la sorte contreviendrait directement à la conception d’origine du TOD, qui prescrivait que l’aménagement de ces aires sur des «New Growth Areas [ sic ] » devait respecter une prémisse fondamentale: «to limit sprawl by clustering development within planned urban growth areas» (Calthorpe, 1993, p. 61). Cette ligne directrice est assortie d’une précision capitale quant aux milieux naturels et aux terres agricoles: «New Growth Areas [ sic ] should not, however, be used to justify ‘leap frog’ development or degrade sensitive environmental habitat or valuable agricultural lands» ( ibid. , p. 69).

Conformément à ces principes, dans le PMAD, la CMM (2012c, p. 84) insiste sur le fait que les MRC et les agglomérations «doivent intégrer la localisation et l’étendue des aires de densification des aires TOD et des corridors de transport projetés à leurs documents de planification sans empiéter dans la limite 2011 de la zone agricole» . Les autorités locales et régionales des couronnes entendent manifestement procéder autrement. Au cours des années précédant l’adoption du PMAD, la zone agricole du Grand Montréal a été relativement épargnée par le suburbanisme dispersé. La superficie des terres en culture a diminué, durant ces années, dans la majorité des régions métropolitaines nord-américaines, en raison d’importantes pressions de développement urbain. «Ce ne fut toutefois pas le cas dans le Grand Montréal où la proportion des terres cultivées, sur la superficie terrestre totale, est passée de 32,7 % à 33,5 % entre 2005 et 2012» (CMM, 2016, p. 75). La publication de données concernant les années suivant l’amorce de la mise en œuvre du PMAD permettra de révéler si les pressions des couronnes sur la zone agricole justifiées par l’application de la stratégie de TOD auront fait régresser ou progresser la région à ce chapitre.

6. Discussion et conclusion

6.1 La part de rêve et le chant des sirènes

La CMM a réussi à convaincre les décideurs et les planificateurs du Grand Montréal des prétendues vertus du TOD. Dans les couronnes, un changement de cap important au chapitre de la forme urbaine et des politiques de transport est nécessaire afin que le concept puisse être mis en œuvre et produire les effets attendus en matière d’aménagement et de déplacements. L’analyse de la réaction des acteurs suburbains à la stratégie de TOD du PMAD montre qu’ils ne sont pas prêts à accepter et surtout à effectuer cette transition du suburbanisme dispersé façonné par et pour la voiture vers un urbanisme dense, mixte, convivial pour les piétons et axé sur le transport collectif. S’ils clament sur toutes les tribunes qu’ils veulent créer des aires de TOD autour de leurs gares et de leurs stationnements incitatifs, les élus et les planificateurs des couronnes continuent néanmoins à concevoir le développement de leur territoire à la poursuite d’objectifs de croissance urbaine et économique à tout prix hérités des dernières décennies.

À la lumière de ce constat, une question s’impose. Pourquoi les élus suburbains souhaitent-ils et demandent-ils qu’une aire de TOD soit aménagée chez eux (aussi), sous ces conditions? Entrepreneurs politiques consciencieux, ils montrent leur bonne foi à la CMM, à la société civile grand-montréalaise et, surtout, à leur population locale en prenant part au projet métropolitain, en jouant le jeu du TOD. Ils savent ce qu’est un quartier dense, mixte, convivial pour les piétons et générateur d’un fort achalandage en transport collectif aménagé en vertu du concept, car ils sont allés en visiter une panoplie dans le Grand Washington à l’été 2012. Ils savent également que la forme urbaine et les dynamiques de déplacement des aires qui seront vraisemblablement aménagées autour de leurs gares de train de banlieue ou de leurs stationnements incitatifs (potentiels) n’auront que bien peu à voir avec celles qu’ils ont observées à cette occasion. En dépit de cet écart substantiel, ils laissent croire par leurs déclarations optimistes que leur municipalité s’apprête à vivre une transformation radicale en matière d’urbanisme et de mobilité. En filigrane, toutefois, leurs planificateurs locaux et régionaux revendiquent le droit de perpétuer le suburbanisme dispersé des couronnes sans entrave. Ce double discours des acteurs des banlieues constitue «la part de rêve» de l’appropriation grand-montréalaise du TOD.

Parallèlement au déploiement de leur rhétorique politicienne, les maires des couronnes se sont laissés convaincre par l’offensive de relations publiques de la CMM et de ses partenaires visant à les convaincre des présumés bienfaits du TOD. On leur a répété que la refonte de leur planification locale autour de ce concept aux effets pourtant discutables constitue l’application d’une solution de transport et d’aménagement aussi simple que novatrice et, surtout, ne risquant pas de bouleverser leurs habitudes, puisqu’elle s’inscrit dans une tendance naturelle du marché immobilier à la densification. Or l’atteinte des cibles de densité et d’utilisation du transport collectif du PMAD par l’entremise du TOD ne serait ni simple ni novatrice, et elle nécessiterait précisément une transformation radicale des façons de faire des banlieues en matière de transport et d’aménagement. Ce double discours des instances métropolitaines et de leurs alliés de la société civile constitue en réciproque «le chant des sirènes» de l’appropriation grand-montréalaise du TOD.

Quoi qu’il en soit, tous ces intervenants ne sont pas dupes et ne se bercent pas d’illusions quant au TOD. Ils sont habitués de discuter et de transiger sur les questions de transport et d’aménagement locales et métropolitaines. Ils connaissent trop bien les dynamiques et les forces en présence pour croire véritablement en leur capacité à atteindre leurs objectifs respectifs, explicites et implicites, par l’entremise de la stratégie de TOD qu’ils ont élaborée et qu’ils se sont marchandée au prix de compromis tous azimuts. Comme ils se sont entendus sur une conception grand-montréalaise du TOD et sur l’adoption du PMAD, ils doivent projeter une image positive laissant croire qu’ils participent diligemment à leur mise en œuvre — même s’ils tiennent chacun de leur côté un discours à géométrie variable selon ce que leurs interlocuteurs veulent entendre. Cette asymétrie discursive s’inscrit en droite ligne avec les constats issus de l’analyse des logiques de communication relatives à la ville durable. À cet effet, Hamman (2014) a montré que l’imprécision inhérente au concept de développement durable et à sa déclinaison urbaine permet d’y associer des réalisations qui sont peu voire pas compatibles avec l’esprit des stratégies dont elles sont issues. Il montre que «les transactions pratiques» entourant la mise en œuvre de ces concepts «sont contraintes par des prises de conscience progressives et des formalisations relatives qui conduisent à définir des espaces d’accord et des lieux d’identification» ( ibid. , p. 97). Il en conclut que cette dynamique participe toujours d’un processus communicationnel, au détriment d’enjeux substantiels, comme les recherches récentes sur l’épisode du PMAD l’ont également souligné (Roy-Baillargeon, 2017).

Les deux doubles discours détaillés ci-dessus constituent également des artefacts du système de fiscalité municipale québécoise. Nonobstant l’existence de la CMM, l’absence de partage de l’assiette fiscale et de péréquation à l’échelle métropolitaine inhibe le déploiement d’une coopération territoriale dans la région. Faute notamment de moyens financiers permettant d’inscrire l’action collective dans une logique de solidarité, les autorités des différents paliers sont condamnées à se promettre des mirages (Douay et Roy-Baillargeon, 2015) et à tenter de camoufler leurs intentions véritables sous un couvert «durable». Dépourvue de ressources et de capacité d’intervention vouées à assurer l’atteinte des objectifs du gouvernement par la mise en œuvre du PMAD, la CMM rivalise d’ingéniosité pour présenter sa stratégie de TOD comme une panacée bénéfique à tous et contraignante pour aucun. De même, dépourvues d’incitatifs financiers à la préservation de leurs terres agricoles et de leurs milieux naturels pour le bien-être supérieur de la collectivité grand-montréalaise, les banlieues des couronnes mettent tout en œuvre pour tenter de profiter au maximum de la manne fiscale promise par le TOD. Or la focalisation du développement immobilier dans les 155 aires de TOD prévues dans le PMAD polarisera inévitablement la croissance économique qui y est associée. Cette stratégie génèrera donc inéluctablement deux catégories de banlieues, entre celles qui profiteront et celles qui ne profiteront pas de cette manne. La recherche en études urbaines révèle qu’une compétition entre municipalités découle naturellement d’un tel contexte de clientélisme (par exemple, Boyne, 1996; Brueckner et Saavedra, 2001; Hendrick, Wu et Jacob, 2007). Collin, Léveillée et Poitras (2002) soulignent qu’en Amérique du Nord, malgré les disparités majeures entre les assiettes fiscales des municipalités d’une même région métropolitaine et leur capacité à offrir des services collectifs, la coopération financière à l’échelle régionale est confinée au partage des dépenses plutôt que des revenus. Le Grand Montréal ne fait pas exception à cette règle.

6.2 Pistes de recherche et d’intervention

Le cas du Grand Montréal montre que, sous le couvert d’un engagement politique fort en faveur de la transformation des milieux suburbains épars, monofonctionnels et façonnés par et pour la voiture, l’appropriation locale des concepts de transport et d’aménagement peut servir des intérêts et poursuivre des objectifs aux antipodes de ceux de la ville durable. La prolifération récente de stratégies d’urbanisme et de mobilité durables centrées sur le TOD dans un nombre sans cesse croissant de villes et de métropoles de tous les continents en a fait le modèle dominant du jour, en a exacerbé le caractère de «meilleure pratique» à répliquer et l’a exposé à cette tendance lourde à l’instrumentalisation. Que les intervenants jouant des rôles variés dans l’arène de la planification définissent et conçoivent le TOD différemment en fonction de leur formation, de leurs préoccupations et de leurs intérêts respectifs participe de l’ordre naturel de l’aménagement et du développement métropolitains. Que la définition des objectifs poursuivis par la mise en œuvre du TOD et de ses modalités d’application sur des territoires différenciés révèle d’importantes divergences entre les volontés des élus et des planificateurs urbains et suburbains participe de l’ordre naturel de la politique et de la gouvernance métropolitaines. Que ces processus concomitants se soldent par l’adoption d’une stratégie dont la fin et les moyens s’inscrivent dans des perspectives urbanistiques diamétralement opposées constitue en revanche une anomalie aussi singulière que lourde de conséquences. Que signifie cette anomalie? Le Grand Montréal est-il singulier à cet égard? Une telle divergence entre la substance des modèles conceptuels et le produit des les démarches vouées à les territorialiser est-elle symptomatique du contexte nord-américain ou de l’époque actuelle? Y a-t-il lieu de revisiter la théorie sur le TOD, la planification régionale, la gouvernance métropolitaine ou la mise en œuvre de la ville durable pour y consigner une telle concomitance particulière? De telles occurrences révélatrices de lignes de fracture profondes qui perdurent dans le champ du transport et de l’aménagement à l’ère de la planification et de la gouvernance collaboratives constituent autant de terreaux fertiles pour la communauté de recherche en études urbaines.

Quant à la communauté de praticiens de ce champ, à laquelle cet article est également adressé, il apparaît nécessaire de lui adresser une proposition d’intervention prioritaire, en guise de main tendue. Dans sa forme actuelle, approprié et marchand(is)é par les élus suburbains, le plan d’action en matière de TOD dont ils ont hérité les enjoint de faciliter la construction de centaines de logements autour de gares isolées ou de stationnements incitatifs. Les milieux qui les bordent n’offrent un véritable potentiel ni de constitution de quartiers compacts, conviviaux et complets, ni de génération d’achalandage substantiel en transport collectif. En revanche, rien ne les empêche de concentrer les efforts de mise en œuvre de la stratégie de TOD dans d’autres milieux, dont le contexte physique actuel et les tendances de développement récentes sont propices au succès de ce processus. Ils seraient ainsi avisés de focaliser leurs interventions en transport et en aménagement dans les secteurs suburbains qui font l’objet d’une certaine densification. Depuis une quinzaine d’années déjà, l’offre immobilière y répond à une demande croissante pour davantage de compacité en produisant davantage de maisons en rangées et d’immeubles à logements en copropriété que de maisons unifamiliales détachées. Il est impératif d’y assurer une desserte en transport collectif capable de répondre à la demande latente, d’y entraîner une diversification fonctionnelle propice à la consommation locale et d’y accroître la convivialité piétonne pour inciter au report modal. Une telle stratégie serait calquée sur l’évolution de la structure démographique des banlieues, qui accueillent désormais une proportion significative de ménages issus de l’immigration et d’aînés en perte d’autonomie, au même titre que la ville-centre. Ces populations doivent parcourir de grandes distances plusieurs fois par jour, en raison de la localisation excentrée des secteurs résidentiels où elles ont les moyens financiers de résider. Or elles sont les moins susceptibles de pouvoir se déplacer en voiture, en raison des limites de leurs budgets ou de leurs aptitudes. Elles sont ainsi les plus enclines à dépendre du transport collectif pour leur mobilité quotidienne professionnelle ou de loisirs. Intervenir prioritairement sur leurs milieux de vie et dans cette optique participerait tout à la fois d’une volonté publique d’équité socioéconomique et de durabilité écologique. C’est sans doute là une des clés principales de l’inscription de la stratégie TOD du Grand Montréal dans la perspective de la mise en œuvre de la ville durable.