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Dans cet ouvrage, Andreas Malm nous enjoint, un peu à la façon caractéristique de l’air du temps, de nous « défaire de l’économie fossile par des mesures révolutionnaires ». L’anthropocène est son point d’entrée pour décrire l’époque dans laquelle nous vivons actuellement et qui débute plus ou moins au moment où la machine à vapeur alimentée par une énergie fossile se serait imposée. Cette ère géologique se caractérise par l’impact important et négatif de certaines activités humaines sur le climat ; le nom « d’anthropocène », suivant la discipline de la géologie, qualifie l’époque où, pour ces raisons, le réchauffement planétaire rendrait la Terre impropre à notre survie. C’est vers un portrait assez pessimiste de la situation actuelle de la planète que Malm oriente notre regard. Or on ne peut blâmer l’humanité dans son ensemble. Son pari : comprendre l’origine du problème pour mieux s’en départir.

Ainsi, il est selon lui important de se défaire d’abord d’une idée reçue, celle qui consiste à mettre au banc des accusés « l’espèce humaine » en entier. C’est par cette volonté de restituer au réel sa complexité en refusant de l’enfermer dans une catégorie universalisante – l’Humanité – qu’il propose de désigner le vrai coupable, soit l’Empire britannique, qui aurait été le réel pyromane, l’acteur ayant allumé le brûlot de l’économie fossile. Autrement dit, l’Empire britannique, en adoptant l’énergie fossile aux dépens de l’énergie hydraulique, alors supérieure en efficacité, dans l’ensemble de ses industries et de manière accélérée, aurait opéré ce renversement dans les fondements mêmes de l’économie et ainsi reconfiguré le capitalisme, voire aurait inauguré sa forme actuelle.

Une telle thèse permet de disqualifier le discours qui admet généralement que les pays en voie d’industrialisation sont les coupables du réchauffement planétaire, alors que factuellement, c’est la révolution industrielle britannique qui nous aurait fait basculer dans cette nouvelle ère géologique de l’anthropocène. Malm soutient que le choix du charbon n’allait pas de soi, mais puisqu’il assurait un plus grand contrôle des travailleurs (la machine à vapeur étant en mesure d’assurer une énergie continue, les capitalistes britanniques s’assuraient de soutirer une journée continue de travail) et qu’il était au final plus fiable, car il ne dépendait pas des forces naturelles, les capitalistes britanniques l’ont adopté et imposé. De plus, il permettait d’implanter les industries dans les centres les plus peuplés, là où le capital de travailleurs était plus important. Finalement, la machine à vapeur permettait d’imposer une puissance impériale sans limites car, avec son avènement, la distance n’était plus un facteur déterminant. Cette information n’est pas anodine selon Malm, car c’est la dernière étape du capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui, soit un capitalisme affranchi des forces naturelles et de la localisation géographique : un capitalisme illimité nourri aux énergies fossiles.

Le ton extrêmement alarmiste de l’auteur est présent tout au long de l’ouvrage. On aurait pu croire que ce cri incessant lasserait le lecteur, et pourtant cela fonctionne. Car, en effet, on ne peut sans doute jamais parler suffisamment de cette ultime étape du capitalisme avancé. Tous les experts et les recherches en ce sens s’entendent pour dire qu’il y a urgence d’agir pour renverser ou du moins arrêter le réchauffement planétaire, source de tous les changements climatiques et qui pourrait bien mener à une accélération des catastrophes naturelles, en force et en nombre, lesquelles entraîneraient dans leur sillage des crises humanitaires, sociales et économiques jamais égalées. Qui plus est, selon Malm, lors de la conférence de Paris notamment, les acteurs auraient sans doute minimisé le réchauffement ou n’auraient tout simplement pas considéré certains indicateurs de réchauffement et, par conséquent, la crise écologique pourrait être bien pire que prévu.

Malm est confronté au moment du passage de l’éthique à l’agir. Ainsi, il admet à son tour qu’il y a un devoir, voire une nécessité, d’agir pour empêcher le réchauffement planétaire d’engendrer les conditions de notre extinction. Pour sa part, et suivant Naomi Klein, il propose que toutes actions, qu’elles soient révolutionnaires ou réformistes, participent au changement. Cette synthèse de deux modes d’action en apparence contradictoires suggère de relire Le capital de Marx à la lumière du problème de l’écologie et de réfléchir à la nécessité de s’inspirer de la révolution bolchévique, car on ne peut, selon lui, compte tenu de la situation, se détourner de la saisie du pouvoir et de son potentiel révolutionnaire. Ainsi, le pouvoir doit lui aussi être mis au service de l’écologie sans faire porter le fardeau du changement exclusivement à des organisations révolutionnaires.

Là où la démonstration défaille, et c’est le propre même je crois de l’énigme du politique, c’est de penser que saisir théoriquement une situation de la réalité concrète – moment déterministe – équivaut nécessairement à vouloir agir – moment volontariste. Dans cette conception du politique, il y aurait nécessairement adéquation entre le moment déterministe et le moment volontariste. Cependant, ce moment volontariste dans la réalité concrète ne survient jamais de lui-même. Il faut donc l’initier, souvent par des moyens peu originaux : l’éducation ou la contrainte. Or, si Malm nous met en garde contre le fascisme écologique qui pourrait survenir au détour de la crise écologique totale, on peut se demander si s’inspirer de la révolution bolchévique nous aidera réellement. Après tout, et ici le marxisme ne détient pas le monopole de la tragédie politique, la rééducation et la contrainte sont rarement synonymes d’effets positifs et au final le politique demeure peut-être ce qu’il a toujours été, soit le lieu où rien ne se règle.