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Malgré l’abondante documentation scientifique existant en traductologie dans le monde, il est assez rare de trouver des ouvrages traitant de la discipline dans le contexte africain. Très peu de chercheurs, en effet, se sont penchés sur l’histoire et l’état des lieux de la traduction en Afrique. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer Bandia (2001/2005) et Simpson (1985). C’est précisément ce manque de textes de référence qui est à l’origine de la parution de Translation Studies in Africa (p. 83-84). Il convient de signaler d’emblée que l’ouvrage est une collection de réflexions d’Asobele[1] sur la traduction professionnelle et surtout la traduction littéraire en Afrique.

Le livre s’ouvre sur un avant-propos par Olaoye Abioye, traducteur littéraire chevronné et professeur titulaire retraité à l’Université de Lagos, qui n’hésite pas à recommander Translation Studies in Africa à tout étudiant et enseignant de traduction. Ensuite viennent les pages de dédicace, de remerciements et d’introduction. Les 36 sous-titres ou chapitres que contient le livre peuvent être facilement scindés en trois grandes rubriques : la pédagogie de la traduction (4 chapitres), la recherche traductologique (4 chapitres) et la traduction littéraire (28 chapitres). L’ouvrage se termine sur une conclusion et des références bibliographiques.

Dans l’introduction, intitulée « Multilinguisme et mondialisation en cours : quel rôle pour les écoles de traduction et d’interprétation en Afrique ? », Asobele lance le débat au moyen d’un proverbe africain d’origine yoruba[2] qui dit : « Si un enfant n’a jamais quitté la ferme de son père, pour se rendre en visite dans la ferme d’autres fermiers, il croira toujours et avec raison que la ferme de son père est la plus grande du monde » (p. vii). Par ce proverbe, Asobele informe son lecteur que c’est lorsqu’il a quitté son pays natal pour un séjour de recherche au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, en 1998, que ses yeux ont été ouverts à l’immense réalité de la mondialisation, aux enjeux du multilinguisme et au rôle important que joue la traduction dans ces phénomènes à la fois complexes et incontournables. Selon l’auteur, ce sont effectivement ses découvertes et ses expériences à Montréal qui ont donné naissance à Translation Studies in Africa. L’introduction souligne donc le rôle de la traduction comme moteur de la mondialisation en cours, et donne au lecteur un aperçu de ce à quoi il doit s’attendre dans le reste du livre.

Dans le premier chapitre, « Integration in Africa : The need for translation schools », Asobele présente un survol historique de la mise en place du programme de master en traduction (Master of Arts in Translation and Interpretation) de l’Université de Lagos, au Nigéria. Selon lui, bien avant la création le 10 juin 1975 de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), une organisation visant l’intégration socio-économique des pays de la sous-région, les recommandations du Comité d’experts de l’Organisation de l’unité africaine (aujourd’hui l’Union africaine) favorisaient entre autres le bilinguisme anglais-français, comme une issue à la véritable malédiction de Babel dans laquelle sont impliquées les plus de 1200 langues du continent africain (p. 1). Il s’agissait là d’un appel à la création d’écoles de traduction en Afrique. Ensuite, la tenue du festival culturel panafricain Festival of Arts and Culture (FESTAC) à Lagos, en janvier-février 1977, a accentué le besoin de former des traducteurs et des interprètes, car le volume de travail à réaliser pendant ce festival d’envergure internationale dépassait largement le nombre des personnes capables de l’exécuter. Les langues de travail du festival étaient le français, l’anglais, l’espagnol, l’arabe et le portugais. C’est ainsi qu’Ekundayo Simpson[3], alors directeur des services de traduction au Secrétariat du FESTAC, a conçu l’idée de lancer le programme de master professionnel en traduction et en interprétation à l’Université de Lagos (UNILAG). Ce programme n’a pourtant démarré qu’en 1992, dix ans après le départ à la retraite de son initiateur (Asobele 1999 : iv). Dans le reste du chapitre, l’ensemble du programme de master en traduction de l’UNILAG (objectifs, avantages, conditions d’admission, cours offerts et leur description, corps enseignant, stage, etc.) est présenté en détail[4].

Le deuxième chapitre, « Integration in West Africa : The need for translation Schools », s’enchaîne de manière logique avec le chapitre précédent pour mettre en lumière le concept de l’intégration en le situant dans le contexte précis de la CEDEAO. Le chapitre traite donc des considérations sociale, politique et économique de l’intégration. L’intégration y est perçue comme le processus de conjugaison d’intérêts et d’efforts au profit d’une organisation ou d’une institution plus grande, et pour le bien-être des éléments la constituant. Pour atteindre ces objectifs, la traduction a un rôle indéniable à jouer, surtout dans une communauté linguistiquement diversifiée comme l’Afrique. Par ailleurs, afin de mieux comprendre les enjeux de l’intégration au sein de la CEDEAO, Asobele dresse un panorama de l’histoire et de l’influence de la colonisation sur les pays francophones de la sous-région ouest-africaine. Il traite ensuite des efforts unificateurs de la CEDEAO pour rompre avec ce passé et intégrer toute la sous-région en une seule communauté. Encore une fois, l’importance des écoles de traduction et d’interprétation pour ce faire est mise en exergue.

Dans les quatrième et cinquième chapitres, Asobele fait une sorte de retour en arrière sur le programme de master en traduction de l’Université de Lagos, en y traitant des sujets suivants : « The pedagogy of translation at Lagos School of Translation. Projects and memoires in translation and final year results » et « Lagos School of translation and interpretation : the ambivalence and ambiguity of “A” language in Africa. » On lit dans le chapitre quatre le rapport sur le système d’évaluation (examens et notation) ainsi que les sujets de mémoires de fin de programme préparés par les étudiants au master en traduction de l’UNILAG entre 1992 et 2003. Plus particulièrement, l’auteur fait mention des modifications qui ont été proposées à ce programme en vue de tenir compte des langues nigérianes comme la langue « A » des apprentis traducteurs. Cette proposition d’amendement s’associe à la campagne pour la promotion des langues maternelles africaines menée par des pédagogues et linguistes africains, dont Babatunde Fafunwa, ancien ministre de l’Éducation fédérale du Nigéria. Comme le signale Asobele, « it is the realisation of the importance of language “A” in the training of Nigeria’s professional translators and interpreters that encouraged us to recommend Education in mother tongue by Prof Babs Fafunwa to our students » (p. 60). Dans le même ordre d’idées, le chapitre cinq traite davantage de l’ambiguïté de la langue « A » dans le contexte des traducteurs et interprètes africains. Pour Asobele, la langue « A » des traducteurs et interprètes africains sera la langue maternelle de ceux-ci, par exemple, le yoruba pour un traducteur nigérian de la tribu yoruba et le wolof pour son homologue sénégalais. Il remarque : « This is one of the reasons why we feel that the Lagos School should show the light and give pride of place to African languages in its programs at the dawn of 21st Century » (p. 82).

Du sixième au neuvième chapitre, que nous classons sous la rubrique de recherche traductologique, il est fait état des différents travaux réalisés par les chercheurs ainsi que les associations professionnelles et savantes pour la promotion de la traductologie dans le monde et plus spécifiquement en Afrique. Dans la partie intitulée « The importance of translation journals in the training of translation professionals : the debate on “A” language for Africa », Asobele met en évidence les contributions de la revue Meta au développement de la traductologie en tant que discipline. À l’instar de Meta, d’autres revues entièrement consacrées à la recherche traductologique citées par Asobele sont Babel, Le Linguiste, Van Taal Tot Tal, Hieronymus et Traduire (toutes en Europe). Ensuite, l’auteur cite des revues similaires en Inde telles que International Journal of Translation (IJT) et Translation Today, dont un bref compte rendu de l’édition inaugurale (2004) est présenté (p. 113-124). Il convient de noter qu’en Afrique, une seule revue semblable figure sur la liste, il s’agit de Turjuma, la revue de la King Fahd School of Translation à Tanger, Maroc, qui a fait une nouvelle apparition en 1992. Pour conclure le chapitre, l’auteur rappelle qu’en 1999, Eureka - a journal of humanistics studies, revue publiée par le Département de langues européennes de l’Université de Lagos, a consacré un de ses numéros à la traduction. Nous pouvons retenir de cette présentation sommaire des revues consacrées à la traductologie que le continent africain accuse encore du retard comparativement au reste du monde.

La rubrique continue sur « Keynote Address at the 8th Congress and Workshop of the Nigerian Institute of Translators and Interpreters ». Ce discours liminaire intitulé « The Training of Translators and Interpreters in West Africa Today and Tomorrow » a été prononcé par Ekundayo Simpson qui met l’accent sur la nécessité pour les pays ouest-africains de conjuguer les efforts afin de promouvoir la formation des traducteurs et interprètes. Cette partie se termine sur l’article « Translation and the transfer of knowledge and technical know-how in the year 2000 and beyond », dans lequel Asobele insiste à nouveau sur l’importance des revues consacrées à la traduction. Il propose également la traduction d’articles issus des revues scientifiques spécialisées dans le but de faciliter le transfert du savoir dans le monde entier. Dans sa conclusion, l’auteur souligne l’apport de la TAO (traduction assistée par ordinateur).

Les 28 chapitres figurant dans la dernière rubrique de Translation Studies in Africa sont essentiellement consacrés à la traduction littéraire, ses enjeux et défis. C’est la dynamique de la traduction littéraire que les articles dans cette partie cherchent à souligner, ce qui est lucidement démontré par l’analyse critique d’un certain nombre de textes littéraires traduits. Le message central des articles de cette section porte sur l’utilité de la traduction littéraire et de la littérature comparée. Voici comment le présente Asobele :

The utilitarian significance of literary translation and comparative literature is that they make scholars, writers, translators and critics the world over to pay a particular attention to the literatures of the countries whose works are translated into several world languages.

p. 217

Pour illustrer cette prise de position, l’auteur inclut une longue liste d’ouvrages en langues européennes traduits en yoruba (Annexe I), d’ouvrages yoruba traduits en français (Annexe II), d’ouvrages en yoruba traduits en anglais (Annexe III), d’ouvrages d’auteurs francophones africains traduits en anglais (Annexe IV) et d’ouvrages d’auteurs anglophones africains traduits en français (Annexe V) (p. 173-180 ; 198-206). Parmi ces oeuvres traduites, nous citerons notamment celles de Wole Soyinka, un écrivain nigérian et lauréat du prix Nobel de littérature (1986), ainsi que de Sembene Ousmane, un romancier-cinéaste renommé du Sénégal. Le reste de cette partie présente des critiques rédigées par Asobele sur quelques-unes de ces traductions où il soulève certains problèmes pointus de la traduction littéraire, particulièrement en ce qui a trait à la culture et au contexte africains.

En guise de conclusion, Translation Studies in Africa se veut un livre de référence important sur la traductologie, ses activités et son développement sur le continent africain. La qualité éditoriale de l’ouvrage laisse toutefois à désirer, car on y remarque ci et là des coquilles[5]. En dépit de cela, nous ne pouvons que recommander la lecture de Translation Studies in Africa à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la traduction en Afrique, qu’ils soient traducteurs, interprètes, étudiants, enseignants ou chercheurs. Par ailleurs, comme le fait remarquer Asobele dans la conclusion, tout n’est pas encore dit à propos de la traductologie en Afrique ; d’énormes champs de recherche intéressants, tels que l’interprétation de conférence, l’interprétation communautaire, la formation des interprètes et des traducteurs professionnels, restent à explorer et à documenter aux fins de références futures (p. 565-567).