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Introduction 

La végétation urbaine dans son ensemble offre des bienfaits aussi variés qu’utiles, également appelés services écosystémiques (SE). Certains de ces avantages ont fait l’objet de plusieurs études, à l’instar de l’impact du végétal sur la pollution atmosphérique et des nuisances urbaines en général, d’autres demeurent peu étudiés (Niemela et al., 2010 ; Young, 2010 ; Dobbs et al., 2011 ; Weber & Mehdi, 2013). Les politiques urbaines se trouvent aujourd’hui de plus en plus confrontées, d’une part, à la nécessité de prendre en compte la préservation des habitats semi-naturels et d’autre part, à la mise en valeur des services rendus par la végétation à la société (Young, 2010). Cependant et avant de déterminer les objectifs escomptés par les politiques urbaines, la compréhension du fonctionnement de l’écosystème urbain s’impose comme un préalable incontournable (de Groot et al., 2010 ; Niemela et al., 2010 ; Young, 2010 ; Potschin & Haines-Young, 2011).

L’émergence de l’écologie urbaine en tant que science pluridisciplinaire, sous l’impulsion de la crise environnementale dont plusieurs ont pris conscience dans les années 1970, a permis le développement de méthodes et le traitement de questions écartées jusqu’à une date récente par la recherche (Mehdi et al., 2012). Les premières investigations inscrites dans ce domaine (hormis les travaux de l’École de Chicago des années 1920 et ceux qui en découlent : à l’exemple des travaux de Park) ont mis l’accent sur l’étude des flux d’énergies et des cycles de nutrition (Sukopp, 2008). Progressivement, ce sont les facteurs déterminants de la dynamique du système urbain, notamment ceux d’origine anthropique, qui ont suscité l’intérêt des spécialistes.

Depuis quelques décennies, on attribue de nouveaux services au végétal en ville sans nécessairement évaluer leur ampleur réelle. En revanche, de nombreuses fonctions ne sont pas prises en compte dans les processus de décision, de conception et de gestion urbaine (James et al., 2009 ; de Groot et al., 2010 ; Dobbs et al., 2011). Il est donc important de préciser les questions ayant trait au rôle du végétal en ville et qui requièrent des recherches fondées sur des indicateurs pertinents et compréhensibles par les chercheurs, les professionnels et les décideurs (James et al., 2009).

La nécessité de prendre en compte la multifonctionnalité des espaces verts dans l’élaboration des plans d’urbanisme est désormais fortement suggérée (Searns, 1995 ; Mehdi et al., 2012). Selon Merlin & Choay (2009), l’échec de l’aménagement des espaces verts publics durant les cinq dernières décennies, manifestées par l’abandon des usagers des espaces verts, est dû au caractère monofonctionnel de ces espaces. La planification des trames vertes urbaines apparaît alors comme une opportunité de valoriser d’une manière concrète des SE fournis par les espaces verts publics. À la croisée de ces enjeux, nous discuterons les défis soulevés par la question suivante : comment concrétiser la transition des espaces verts publics : d’un décor à un équipement urbain multifonctionnel, en valorisant leurs services écosystémiques ? 

En préalable, le premier objectif de notre étude est de réaliser une synthèse des études en rapport avec la thématique des SE rendus par le végétal en ville et à en tirer des renseignements en termes d’aménagement des espaces verts publics (relatifs aux processus de planification, de gestion et de suivi). Pour dresser une liste exhaustive des SE il est difficile de se référer uniquement à la démarche utilisée dans les études de synthèse (review), qui, d’ordinaire, se basent pour la sélection des cas sur le choix des termes cités dans les titres des articles ou dans leurs mots clés. Sachons que certains SE ne sont pas cités explicitement dans les titres de plusieurs études, mais abordés dans le contenu de ces dernières. De plus, certaines études sur le rôle de la végétation urbaine n’utilisent pas forcément l’expression service écosystémique, ce qui élargit le panel des possibilités des notions à employer pour cerner le sujet. C’est pourquoi, et en complément de la méthode de recherche par notions-clés dans les bases de données bibliographiques, nous avons ajouté à nos données des études décelées dans la liste des références des articles sélectionnés.

Sans doute que la difficulté dans ce genre d’exercice réside dans l’ambiguïté des mots-clés puisque leurs sens varient d’une discipline à une autre (Wallace, 2007 ; de Groot et al., 2010 ; Lamarque et al., 2011). Ainsi et à titre d’exemple, le terme « urbain » désigne pour les écologues, d’une manière simpliste, l’emprise spatiale occupée par du bâti et des équipements, tandis que pour certains géographes, il est considéré comme relevant d’un système sociospatial complexe.

Cet article est structuré en quatre sections. La première fait un rappel du cadre conceptuel, elle est suivie d’une description du cadre méthodologique et analytique adopté. La troisième section présente les résultats des analyses descriptives et multivariées qui ont été développées. Enfin, la dernière section est consacrée à la discussion des résultats, des éléments d’orientation de recherche sur les services écosystémiques et leur potentielle prise en compte par les décideurs.

1. Cadre conceptuel

Depuis la diffusion de la notion de services écosystémiques, notamment grâce au rapport du Millennium Ecosystem Assessment (MEA, 2005), son sens et ses usages ont connu une évolution considérable (Potschin & Haines-Young, 2011, Selmi et al., 2013). Après avoir subi une connotation péjorative à cause de la « vision mercantile » (une évaluation monétaire des SE) qui lui a été imputée par certains économistes (Costanza et al., 1997 ; Maris, 2016), le sens du concept de SE évolue désormais sous l’influence de méthodes innovantes et variées ; certaines études affichent même explicitement le caractère non-monétarisé de leur démarche (Wurster & Artmann, 2014). De nombreux chercheurs, d’origines disciplinaires diverses, ce sont emparés du concept et n’hésitent plus à le redéfinir ou lui donner de nouvelles dimensions. Avant d’entamer l’étude du rôle de la végétation urbaine, il est cependant important de définir au moins trois concepts de base qui se situent au cœur du débat sur le sujet, il s’agit des (i) services écosystémiques urbains, de la (ii) multifonctionnalité et des (iii) espaces verts publics.

A priori, il n’existe pas « d’inventeur » de la notion de SE, elle s’est développée et a émergé progressivement, notamment depuis les années 1960 (de Groot et al., 2002). La définition du concept de SE à laquelle nous nous référons correspond à celle proposée par Costanza et al. (1997 : 253, p.vi) et reprise par Bolund & Hunhammar (1999) : « ecosystem services are defined as the benefits human populations derive, directly or indirectly, from ecosystem functions ». Costanza et al. (1997) ont même identifié et classé 17 des principaux SE, une classification reprise par de nombreuses études sur le rôle de la végétation urbaine (Bolund & Hunhammar, 1999 ; de Groot et al., 2002 ; etc.). Cette classification concerne les services rendus par la végétation pour la société dans tous les écosystèmes confondus, dont le milieu urbain. Pour plus de cohérence avec notre sujet, c’est l’expression de services écosystémiques urbains (SEU ou UES : urban ecosystem services) qui sera d’usage ici (Haase et al., 2014 ; Luederitz et al., 2015).

L’une des typologies des SE la plus adoptée est celle proposée dans le cadre du rapport de synthèse du MEA (2005), qui les a classés en quatre principales catégories : les services d’approvisionnent, les services de régulation, les services culturels et les services de support. Étant donné que l’un des objectifs de cette étude est de dresser une liste exhaustive des SEU, tenter de les classer dans ces catégories s’avère une mission délicate, du fait de leur caractère relatif. Virginie Maris (2016), présente la notion de SE comme étant un concept relationnel, qui met en relation un écosystème bénéfique à des bénéficiaires (individus ou groupes d’individus). Ainsi le sens du SE change en fonction à la fois des écosystèmes et des individus considérés.

À l’instar des SE, la notion de multifonctionnalité est apparue dans les années 1960 (Maris, 2016). Elle a été d’abord utilisée dans le milieu rural, et définie comme étant l’ensemble des fonctions environnementales, sociales et économiques, puis introduite dans le milieu urbain peu de temps après (Wiggering et al., 2006). La définition la plus récente à laquelle nous nous référons, et qui s’inscrit dans la continuité de la précédente, est celle proposée par Hansen & Pauleit (2014 : 517-518, p.vi) : « Multifunctionality : Green infrastructure (GI) planning considers and seeks to combine ecological, social and economic/abiotic, biotic and cultural functions of green spaces…The concept of multifunctionality in GI planning means that multiple ecological, social, and also economic functions shall be explicitly considered instead of being a product of chance ».

L’évolution et la prise en compte par la communauté scientifique, ainsi que les politiques urbaines, du concept ont été traitées dans notre article : Selmi et al, (2013). Selon cette revue de littérature les scientifiques sont départagés en deux courants de pensés, ceux qui attribuent au concept de multifonctionnalité des espaces végétalisés urbains un sens paysager (la majorité) et les autres un sens écologique. Contrairement au discours scientifique, où le concept connait un succès plausible, dans le discours des politiques urbaines son usage demeure au stade d’annonce d’objectifs, sans se baser sur une démarche opérationnelle (Selmi et al, 2013). Hansen & Pauleit (2014) ont exploré les approches d’opérationnalisation de la multifonctionnalité par le biais des recherches développées sur les SE, et ce en associant les attentes sociales et écologiques.

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler qu’il n’existe pas une définition consensuelle de la notion d’espace vert, cela risque de compromettre les approches comparatives internationales (Merlin & Choay, 2009). Dans une très récente synthèse bibliographique des définitions attribuées au concept d’espace vert (Green space ou Greenspace), Taylor et Hochuli (2017) ont établi une typologie de six définitions, à partir de laquelle la notion d’espace vert peut être interprétée de deux manières :

  • L’espace vert est défini par les espaces de végétation et les étendues d’eau d’un paysage, à l’instar des forêts, des espaces sauvages, des terres agricoles, des zones côtières, etc. Cette interprétation se base sur une vision globale de la nature ou des zones semi-naturelles, qui est désignée par « nature » dans le milieu urbain, un antonyme de l’urbanisation.

  • L’espace vert représente la végétation urbaine sous « influence » humaine, souvent considérée comme une variante végétale ou une composante de l’espace ouvert, il englobe ainsi les parcs, les jardins, les fermes urbaines, etc. Cette interprétation définit l’espace vert comme un sous-ensemble de la vision globale de la nature susmentionnée.

Afin de progresser dans la recherche sur les espaces verts, les futurs travaux devraient fournir des définitions précises et opérationnelles, basées sur des critères mesurables (quantitatifs et qualitatifs). Même si l’actuel déficit de consensus sur ce qu’est un espace vert est flagrant, cela ne devrait pas dissuader les chercheurs à utiliser ce concept (Taylor et Hochuli, 2017).

Les formations végétales dans le milieu urbain sont présentes sous différentes formes, elles sont gérées différemment selon les choix de leurs propriétaires, lesquels sont multiples. Parmi les nombreux types d’espaces végétalisés urbains, nous allons étudier uniquement les espaces verts publics (EVP), car c’est sur cet équipement urbain que les pouvoirs publics peuvent agir directement, notamment en matière de valorisation des SE. Nous définissons les EVP, appelé aussi communément espaces verts ou Public green spaces, comme étant : « les espaces végétalisés (en entier ou en partie), gérés par une administration locale et ouverts au public ». Cette définition, certes incomplète, mais elle prend en compte les critères les plus déterminants d’un espace vert public, à savoir : la composition (végétale), la propriété, la gestion et l’accessibilité. Étant donné que la présente synthèse bibliographique traite des travaux menés dans des contextes différents, se référer à une définition généraliste s’avère un choix pratique, cela dit, cette dernière peut servir d’élément de base pour des définitions plus précises.

Notons que la gestion financée par les autorités publiques peut être aussi léguée à des structures bénévoles ou privées. Ainsi, et selon le pays considéré, il pourra être inclus aux EVP un nombre différent de types d’espaces verts, dans le cas des pays nordiques (Danemark, Suède, Norvège, Finlande et Islande) par exemple ce nombre est estimé à 13 (Randrup et Persson, 2009), et dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, il a été inventorié 44 types (Braquinho et al, 2015). Notre synthèse bibliographique a démontré que l’EVP est aussi le type d’espace végétalisé urbain, dont font partie les boisements publics, qu’a fait l’objet du plus grand nombre d’études relatives aux SEU.

2. Matériel et méthode

La démarche a consisté en plusieurs étapes : identification des bases de données à interroger, détermination des mots clés permettant l’extraction de l’information (avec ou sans combinaison), extraction et confrontation des références croisées.

2.1 Sélection des articles

Nous avons interrogé l’ensemble des bases suivantes pour couvrir à la fois les revues plutôt concernées par les sciences humaines et sociales et celles publiant des travaux des sciences de la vie ou de modélisation, car les SE sont étudiés par différentes communautés scientifiques.

  • Bases de données : Francis, Pascal, Georef, ISI, Scopus.

  • Plateformes de périodiques électroniques : Science Direct, SpringerLink.

  • Catalogues : Catalogues des bibliothèques de l’UdS[1], Sudoc[2].

Les mots-clés qui ont été retenus pour cette recherche sont : « services écosystémiques »/« urbain », « ville »/« arbre », « végétation »/« pollution »/« bien-être », « santé humaine ». Ensuite et afin d’affiner et de compléter l’échantillon, des mots-clés supplémentaires ont été utilisés : « espaces verts », « espaces boisés », « écologie urbaine », « foresterie urbaine », « biodiversité ». Il est probable que certains articles traitant la thématique des SE aient utilisé d’autres synonymes aux notions clés cités précédemment. Afin de combler cette lacune, nous avons également sélectionné quelques études estimées importantes et repérées dans la bibliographie des articles pour compléter l’échantillon des articles.

Concernant la période de parution des publications choisies, elle correspond à la décennie antérieure à l’année 2011, fixée en référence à l’article de Potschin & Haines-Young (2011). Il semble que depuis 2011 et jusqu’à présent les travaux sur les SEU n’ont pas connu de changements significatifs dans leurs tendances générales (méthodes d’évaluation des SEU, typologie des espaces végétalisés les plus étudiés, disciplines dans lesquelles s’inscrivent les études, pays concernés, etc.) (Haase et al., 2014 ; Luederitz et al., 2015). Toutefois, quelques publications jugées d’intérêt particulier et parues après l’année 2011 ont été prises en compte dans l’analyse des résultats (Tableau 1).

Des variables supplémentaires ont été intégrées au tableau ; il s’agit (i) du domaine et (ii) du pays d’affiliation du premier auteur, (iii) de la revue et (iiii) de l’année de publication de l’article (Tableau 1). Ces choix permettent de répondre à des interrogations complémentaires, comme celle sur la discipline la plus dynamique dans le domaine, les pays les plus actifs, les revues les plus représentatives du domaine, la temporalité dans l’apparition, la disparition ou l’émergence de concept.

Un tri de l’ensemble des publications ainsi sélectionnées a permis de retenir 170 publications, parmi lesquelles figurent sept rapports d’étude et deux chapitres de livre. Ceci a permis d’identifier 56 SEU, regroupés en classes thématiques et non pas en catégories, telles que celles proposées par le MEA (2005) (Annexe 1).

2.2. Analyse des données

Le tableau final contient 58 variables principales (SEU), 4 variables supplémentaires et 170 observations (études) (Tableau 1).

Pour synthétiser les informations collectées et évaluer les caractéristiques principales qui se dégagent de cet ensemble, des analyses multivariées ont été réalisées, et notamment une Analyse des Correspondances Multiples (ACM). L’ACM est une méthode d’analyse factorielle adaptée aux variables qualitatives. Elle sert par ailleurs à révéler des catégories de variables qualitatives et des observations ayant des profils similaires. Dans le but de mieux caractériser les catégories de variables, l’ACM a été suivie d’une Classification Ascendante Hiérarchique (CAH) (Paramétrage : 1 — type de proximité : dissimilarité de Pearson ; 2— Méthode d’agrégation : Lien moyen) effectuée sur les coordonnées factorielles des axes F1 et F2 afin d’identifier des groupes de profils. Les analyses statistiques ont été réalisées au moyen du logiciel Xlstat (http://www.xlstat.com/).

Tableau 1 : Variables utilisées pour l’ACM

Tableau 1 : Variables utilisées pour l’ACM

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3. Résultats

Les résultats sont présentés selon le type d’analyse réalisée : une synthèse des principales observations issues des analyses descriptives, puis les résultats de l’ACM et de la CAH.

3.1 Caractéristiques générales

Le premier résultat de cette étude est représenté par la liste relativement exhaustive des SEU, qui ont soit fait l’objet de l’étude, soit ont été cités dans les travaux retenus. Les SEU les plus étudiés sont ceux les plus aisément quantifiables, comme l’effet de la végétation sur le climat urbain et la pollution de l’air ; en revanche la catégorie des SEU dits culturels a été moins prise en compte. Ces résultats ont été confirmés par d’autres études (Haase et al., 2014 ; Luederitz et al., 2015).

La plupart des auteurs s’inscrivent dans le domaine de l’environnement, dans son acception générale. Les économistes sont les pionniers dans l’étude du concept SE (Maris, 2016), mais d’autres spécialistes issus de différents domaines se sont appropriés le sujet. Par ailleurs, c’est dans trois principales revues que la majorité des études ont été publiées : Landscape and Urban Planning (31 articles), Urban Forestry & Urban Greening (18 articles), Environmental Pollution (14 articles). Ces revues regroupent à elles seules près de 35 % des articles sélectionnés.

Enfin, il a été aussi constaté que la majorité des études sont issues des pays occidentaux, en particulier des États-Unis (60 articles) et du Royaume-Uni (17 articles), où il a été publié 45,3 % de l’ensemble des travaux.

3.2. Analyse et tendances observées

Le premier plan factoriel de l’ACM (F1* F2) porte un taux d’inertie très élevé (86,96 %), et l’axe F1 à lui seul explique 82,39 % de l’information globale ; nous nous limitons donc à l’interprétation des résultats du plan factoriel F1*F2 (Figure 1). L’axe F1 est un gradient séparant les SEU les plus étudiés (à gauche) de ceux moins étudiés (à droite).

L’axe F2 représente un gradient qui sépare les SE quantifiables au moyen de démarches modélisatrices, notamment ceux liés à la qualité de l’air, des SE qui sont en rapport avec l’urbanisation et le bien-être humain.

Nous avons identifié 4 classes de SEU sur la base du dendrogramme de la CAH, dont une classe (C4) qui regroupe les services les moins étudiés, des services que nous pouvons qualifier de culturels (fonctions spirituelles et religieuses, protection de la vie privée, mise en valeur des bâtiments, image de la ville,), mais aussi réduction du bruit, valeur commerciale des propriétés, tourisme. Une classe (C2) regroupe les services les plus traités, qui ont trait principalement à la qualité de l’air (réduction des émissions de Composés Organiques Volatiles, dépôt de dioxyde d’azote et dioxyde de soufre). Une autre classe regroupe enfin des services variés, de nature atmosphérique, hydrologique et biologique (comme la réduction de la température de l’air et de la radiation UV, régulation du climat, des flux hydrauliques et des cycles biogéochimiques, épuration de l’eau, maîtrise de l’érosion, alimentation de la banque de graines du sol, amélioration de l’activité biologique des sols), mais aussi des services culturels (comme la disponibilité d’espaces récréatifs, de loisirs, pédagogiques et éducatifs, fonctions thérapeutiques, valeurs esthétiques et patrimoniales) avec des valeurs urbanistiques (ceinture verte, outil de planification) et écologiques (support de biodiversité, corridor écologique).

Fig. 1

Figure 1 : Premier plan factoriel de l’ACM

Figure 1 : Premier plan factoriel de l’ACM

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L’analyse et la synthèse des articles sélectionnés a permis d’identifier au moins trois thèmes de recherche : (i) l’effet de la végétation sur la qualité chimique de l’air, (ii) l’effet de la végétation sur les qualités physiques de l’air et enfin (iii) les autres SE identifiés (le bien-être des citadins, l’équilibre écologique des habitats urbains, le rôle esthétique, etc.). L’étude des interactions entre le climat urbain et la végétation est la thématique qui a suscité un intérêt particulier auprès de la communauté des chercheurs. Cette position est certainement liée aux enjeux de santé urbaine en ville ainsi qu’aux questionnements sur les changements globaux et leurs effets sur les aires urbaines.

L’étude a permis également de déterminer à la fois (1) les SEU évoqués dans certains articles, mais qui n’ont pas fait l’objet de travaux de recherche (comme l’effet de la végétation urbaine sur la filtration des eaux, la valorisation des monuments des sites à forte valeur patrimoniale, la préservation de la vie privée, etc.), et (2) ceux qui concernent la biodiversité, le stockage du carbone, la lutte contre les inondations, la production de fourrage, la pollinisation, les loisirs ou l’approvisionnement en eau (Chan et al., 2006).

4. Discussion 

Les analyses descriptives et multivariées ont permis de mettre en avant certaines caractéristiques de l’évolution de l’étude des SEU, ainsi que d’identifier des nouvelles tendances et questionnements de recherches.

4.1 Évolution des études synthèses des services écosystémiques

Depuis une dizaine d’années, l’évolution des études consacrées aux SE a été marquée par au moins deux courants qui se sont développés conjointement. D’un côté, les chercheurs qui ont étudié les SE rendus par l’ensemble des écosystèmes (dont fait partie l’espace urbain), de l’autre côté, ceux qui se sont focalisés uniquement sur le rôle du végétal en ville (Tableau 2).

Pour les premiers, la classification de Costanza et al., (1997) constitue un point de départ des réflexions, depuis elle a été adoptée par de nombreux auteurs (de Groot et al., 2002 ; Wallace, 2007 ; Fisher et al., 2009, etc.). On observe également (Tableau 2) que le nombre des services écosystémiques étudiés est en constante augmentation, jusqu’à atteindre 43 (MEEDDM, 2010).

Les chercheurs de la seconde catégorie ont bien entendu été influencés par le premier courant, excepté l’équipe de Nowak (2007) et Young (2010) qui se basent dans leurs travaux sur l’expérimentation et les mesures de terrain. Le faible nombre de travaux dans cette catégorie s’explique par le fait que la plupart des auteurs privilégient l’étude d’un nombre restreint de services écosystémiques en rapport avec leur domaine de compétence.

Tableau 2 : Évolution des études synthèses consacrées aux SE et SEU depuis 1997

Tableau 2 : Évolution des études synthèses consacrées aux SE et SEU depuis 1997

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Par ailleurs depuis 2005 (date de publication du MEA) on observe l’émergence d’un intérêt particulier, non seulement pour l’évaluation des SE, mais aussi pour leur intégration dans les processus de décision : planification, conception et gestion des espaces végétalisés (de Groot et al., 2010 ; Niemela et al., 2010 ; Young, 2010).

4.2. Vers des espaces végétalisés urbains multifonctionnels

D’après Ahern (2011) : « In the new urban world, planners and designers will be challenged to find new ways to provide for sustainable ecosystem services in the increasingly limited spaces within compact cities. Multifunctionality can be achieved through intertwining/combining functions, stacking or time-shifting » (p.4).

La prise en compte des SE dans les projets urbains peut être considérée comme une thématique récente. Trouver une cohérence entre des données quantitatives (surfaces végétalisées urbaines, nombre d’habitants, quantité de carbone stockée par les boisements, etc.) et des données qualitatives (représentations, opinions, perceptions, etc.) est une mission très délicate. C’est à ces contraintes que l’actuelle initiative de conception de la trame verte et bleue, instaurée en France depuis 2007, se trouve confrontée.

La transition d’un espace fonctionnel à un espace multifonctionnel des espaces végétalisés urbains nécessite l’implication d’une approche multidisciplinaire souvent recommandée par les publications. Comme souligné par Clergeau (2007), le domaine de l’écologie urbaine préconise l’adoption de cette approche afin d’appréhender la complexité du fonctionnement de l’écosystème urbain. L’évaluation de la pertinence de la multifonctionnalité de la végétation urbaine passe par des indicateurs élaborés en concertation entre les disciplines concernées.

D’après Daily et al. (2009) la prise en compte des SE dans les politiques publiques peut être représentée par un cycle continu (Figure 2). Le point de départ de ce cycle est représenté par la prise de décision, qui se base sur une meilleure connaissance du fonctionnement des écosystèmes considérés. En effet, les décisions engendrent les meilleures actions en faveur de la maximisation des SEU, puis l’évaluation de ces derniers permet d’aider des institutions chargées de l’élaboration des politiques de gestion et de conservation des ressources naturelles (Figure 2). Les phases qui concernent « les valeurs », « les institutions » et « les décisions » s’inscrivent plutôt dans le domaine de la politique et de la société que celui de la science, même si l’expertise scientifique est souvent sollicitée, notamment pour alimenter les débats (Daily et al., 2009).

La transposition d’un tel schéma au milieu urbain nécessite une démarche spécifique en raison du nombre élevé de variables d’origine anthropique (pollution, bruit, fréquentation, etc.). Les villes sont des socioécosystèmes et leurs équipements se doivent de procurer au citadin un maximum de services. Ainsi les attentes des citadins, et aussi des pouvoirs politiques, vis-à-vis des EVP augmentent depuis plusieurs décennies, en particulier à cause des crises environnementales provoquées par la révolution industrielle.

Fig. 2

Figure 2 : Intégration des SEU dans la prise des décisions, du fonctionnalisme au multi-fonctionnalisme des espaces végétalisés urbains. Schéma inspiré de Daily et al., (2009 : 23) et adapté à l’écosystème urbain.

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La transition d’un espace fonctionnel à un espace multifonctionnel est illustrée par plusieurs initiatives, comme :

  • La conservation de la biodiversité au sein des EVP : même s’il n’existe pas encore de loi qui impose la protection de la biodiversité dans les EVP, l’adoption de nouvelles mesures de conception et de gestion de ces derniers reflète l’engagement des collectivités territoriales dans cet objectif. L’adoption de la gestion différenciée (gestion douce, écologique…) par de nombreux services techniques municipaux est l’un des arguments énoncés.

  • Les choix des espèces plantées : de nos jours, ils sont menés non seulement selon des critères principalement esthétiques comme dans le passé, mais aussi sociaux (ex. santé publique : interdiction des plantes allergisantes), écologiques (ex. plantes mellifères), économiques (ex. espèces qui requièrent un faible coût de gestion), environnementaux (ex. espèces résistantes aux conséquences du réchauffement planétaire), etc.

  • La planification urbaine : sans se référer à une contrainte réglementaire, les collectivités locales utilisent les espaces végétalisés de plus en plus comme élément de structuration urbaine : espaces interstitiels, zones inconstructibles, espaces d’accompagnement de bâtiments publics, etc. Nous observons également qu’en dépit du manque de connaissances opérationnelles, de plus en plus de collectivités territoriales s’engagent dans des stratégies d’atténuation de l’effet de la pollution ou d’adaptation au changement climatique en attribuant à la végétation un rôle prépondérant. Cela illustre la prise de conscience des décideurs locaux non seulement vis-à-vis des dangers à venir, mais aussi des nouvelles approches de valorisation des EVP.

L’émergence de l’idée de trame verte urbaine, souhaitée fonctionnelle au sens écologique et multifonctionnel au sens urbanistique, devrait conforter ces exemples (Clergeau, 2012). Toutefois les recherches menées sur la trame verte ne dépassent guère les limites disciplinaires dans lesquelles elles sont inscrites, car les connaissances sur la multifonctionnalité des espaces verts sont à leurs débuts.

Enfin, une question demeure en suspens quant au devenir des EVP : la multifonctionnalité des espaces végétalisés urbains sera-t-elle un inconvénient (ex. divergence entre les attentes socio-économiques et les contraintes écologiques) ou plutôt le fer de lance d’une nouvelle conception des rapports homme-nature en ville ?

4.3. Perspectives en matière de recherche

L’analyse de l’évolution des études menées sur les SEU a permis de mettre en évidence des orientations et des questionnements de recherches prometteurs. Parmi les études engagées dans cette perspective se distingue en particulier celle de Jim (2011), dans laquelle 100 questions ont été posées sur la compréhension holistique du patrimoine écologique urbain. Basé sur les connaissances actuelles et faisant appel à l’approche multidisciplinaire, l’auteur a justifié de nouveaux axes de recherche, entre autre, sur le fonctionnement des espaces boisés urbains et les SE qui leurs sont attribués. Les articles de James et al. (2009) et Bentsen et al. (2010) sont également remarquables, car ils proposent des pistes de recherche innovantes. Ces auteurs ont surtout mis l’accent sur l’intérêt de l’étude de la gestion des espaces verts et l’importance de la multidisciplinarité et de l’interdisciplinarité comme approches de recherche. D’après James et al., (2009 : 65) : « … there is a real need to identify a research framework in which to develop multidisciplinary and interdisciplinary research on urban green space ». Ces trois études suggèrent notamment la mise en place de programmes de recherche, voire une plateforme de données, d’envergure internationale, ayant pour but la compréhension des relations entre la végétation urbaine et le bien-être des citadins.

En outre deux orientations de recherche prometteuses émergent de cette étude. Il s’agit d’une part de l’évaluation de l’efficacité des indicateurs suggérés pour chacun des services identifiés ; l’approche multidisciplinaire s’impose comme une démarche incontournable, en lien avec les sciences humaines et celles de l’environnement. D’autre part il serait primordial, à l’instar de la démarche mobilisée par le MEEDDM (2010), d’estimer et d’analyser, pour chacun des types des formations végétales urbaines, les SE qu’ils sont susceptibles de fournir (voir aussi l’exemple de la démarche développée par Wurster et Artmann, 2014).

Les résultats des analyses multivariées permettent d’identifier un déficit de connaissances concernant un certain nombre de SEU sur les thèmes suivants.

  • Rôle économique : peu de travaux ont été consacrés à l’étude de la production ornementale (des établissements publics ou privés) destinée à l’aménagement des EVP, à la contribution directe des espèces au secteur économique local, ainsi qu’à l’impact de la végétation sur l’attractivité et la valeur commerciale des équipements urbains. Dans certains pays comme l’Allemagne, des arbres ont été utilisés comme support d’affichage publicitaire afin de financer leur plantation et gestion. Il a été aussi proposé aux particuliers qui participent au financement de l’aménagement et de la protection de certains espaces végétalisés d’afficher leur nom au sein de ces sites. De tels dispositifs d’autofinancement demeurent toujours peu étudiés par la recherche et ne dépassent guère le contexte des initiatives locales.

  • Rôle socioculturel : il a été constaté également un manque de connaissances sur les détails du rôle socioculturel des EVP qui est souvent présenté comme une seule catégorie de service, désignée par « services écosystémiques culturels » (Scholte et al, 2015), décrits par le MEA (2005) comme les services liés à la spiritualité et la religiosité, les loisirs et l’écotourisme, l’esthétique, l’inspiration, l’éducation, le sens du lieu et du patrimoine culturel. Pour illustrer ces propos, citons deux SEU importants, mais peu abordés :

  • Le végétal, outil de valorisation de l’image de la ville : la majorité des travaux dans ce domaine s’intéressent au rôle esthétique du végétal à l’échelle de l’habitat, de la rue ou du quartier. Pourtant le label « Ville verte » (ou Green cities) ainsi que d’autres labels et prix inscrits dans le domaine de l’environnement (ex. Capitale verte de l’Europe, prix Global green city, prix national de l’arbre) sont très convoités par la plupart des agglomérations, non seulement pour des raisons économiques ou touristiques, mais aussi en termes de marketing urbain, de perception et d’identité locale ou régionale. Les travaux de Renaud Epstein, en France, et Ida Andersson, en Suède, sur les labels décernés aux villes les plus engagées dans la valorisation de leur patrimoine naturel en témoignent. Ces distinctions sont utilisées désormais comme « des instruments de management publics », afin d’encourager les villes à innover et diffuser leurs performances techniques (Epstein, 2013). D’après Andersson (2016), il existe une comptabilité entre l’obtention d’un label et l’approfondissement des démarches de soutenabilité (dont la valorisation des SE) par les villes.

Ambrosino (2012) évoque même une dimension esthétique qui contribue à la fabrique de la ville. La valeur esthétique est désormais intégrée aux objectifs fixés dans le cadre du projet urbain. Cependant, les critères de comparaison des agglomérations (situées dans des contextes physiques et culturels différents) et les références esthétiques établies à l’échelle de la ville n’ont été que très peu évoqués. D’après Luederitz et al. (2015): « Future urban ecosystem services research needs to pay considerably more attention to providing clear and unambiguous descriptions of the socio-economic and environmental context within which the research was conducted » (p.vi);

  • Le végétal, un abri préservant le bien-être et l’intimité des habitants. Ce service n’a bénéficié que de peu d’intérêt, malgré le fait que dans les zones périurbaines, les particuliers (souvent en habitat pavillonnaire) optent assez fréquemment pour la plantation des haies afin de clôturer leurs jardins privés, un phénomène qualifié par Frileux (2013) de « bocage pavillonnaire ». Dans certaines cultures (notamment d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient), l’utilisation des végétaux comme « cloison » pour se mettre à couvert vis-à-vis des regards indiscrets est très répandue ; ce service est aussi associé à d’autres, tel que fournir des produits, engendrer de l’ombre et un niveau de confort thermique, embellir les bâtisses, particulièrement dans les demeures de type maisons à patio, etc.

  • Rôle urbanistique : parfois les espaces verts sont considérés comme des réserves foncières urbanisables. Peu de recherches se sont intéressées à l’étude de l’évolution de la fragmentation et de l’urbanisation des espaces verts. Les travaux consultés ont mis l’accent davantage sur l’évolution de la place des EVP, surtout du point de vue spatial ou patrimonial, mais l’étude des effets de la pression urbaine (densification urbaine, surfréquentation, fragmentation, etc.) sur les EVP est encore insuffisante.

Par ailleurs, depuis l’instauration des politiques de prévention des risques, l’aménagement des EVP dans des zones non urbanisables fait partie intégrante des dispositifs de lutte contre les risques urbains (risques naturels et/ou anthropiques).

Dans le milieu urbain, les recherches inscrites dans le domaine du climat urbain et de la pollution de l’air se focalisent sur l’îlot de chaleur, mais il est rare qu’il y soit évoqué l’effet « d’îlot de fraicheur » produit par la présence des espaces boisés urbains ou d’autres formations végétales. Cet effet « peut être diffusé aux alentours de la surface par advection » (Musy, 2014, p.53), et joue ainsi un rôle important vis-à-vis du bien-être des citadins et de la diminution de la consommation d’énergie des bâtiments dans les régions chaudes. Afin de contribuer à l’atténuation des effets futurs du réchauffement climatique, la planification urbaine peut intégrer ce service, en particulier pendant le processus de sélection des espèces et la planification de la répartition des EVP. Ceci montre l’intérêt du végétal en tant que composante urbaine permettant de répondre à de nombreuses contraintes posées en termes de planification.

Conclusion

A l’instar des SE rendus par l’ensemble des écosystèmes, l’étude des SEU est une thématique de recherche qui connait un essor fulgurant. Les travaux sélectionnés dans le cadre de la présente revue de littérature ont permis d’identifier et de détailler un grand nombre de SE (56) que la végétation est susceptible d’accomplir dans les zones urbaines. De nombreux travaux qui y ont été consacrés se limitent à des regroupements thématiques et généralistes ou à une synthèse de fonctions dans le cadre d’études de cas.

Afin de concrétiser la transition des EVP vers un équipement urbain multifonctionnel, une première étape consiste dans l’identification des SEU désirés, parmi les 56 cités dans la présente étude. Ce choix se base sur les enjeux locaux, qui sont déterminés en fonction du contexte environnemental, sociétal, économique, etc. La seconde étape est de faire le lien entre des SEU définis et chaque type d’EVP, ce qui permettrait de traduire ces choix en actions concrètes lors de l’élaboration des documents d’urbanisme, en appréhendant une liste des SEU auxquels il serait possible d’attacher chaque type d’EVP.

Une dernière phase pourra être celle de l’évaluation de la multifonctionnalité des EVP ; elle devrait permettre d’estimer l’efficacité des mesures prises, ce qui déterminera par la suite les décisions futures des institutions concernées. Des méthodes récentes permettent d’ores et déjà de quantifier un certain nombre des SEU par la modélisation (comme c’est le cas pour le programme i-Tree : https://www.itreetools.org/).

La TVU est une opportunité pour s’orienter vers la multifonctionnalité non seulement des EVP, mais aussi de tous les espaces végétalisés urbains : jardins familiaux, jardins privés, friches industrielles, espaces d’accompagnement de bâtiment, ripisylves, cimetières, etc.

Annexe

Tableau récapitulatif (1) des principaux services écosystémiques rendus par les espaces végétalisés urbains (VUA : vegetation urban area)

Fig. 3

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