Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Seul ou avec d’autres, l’auteur affiche près d’une vingtaine d’ouvrages d’histoire, dont une bonne part se rapporte à la métropole du Québec avec, entre autres, Brève histoire de Montréal, chez le même éditeur en 1992 (nouvelle édition en 2007). Rien n’indique qu’il s’agisse ici d’une édition revisitée et augmentée comme le veut l’usage. Mais, de toute évidence, une histoire de 375 ans insérée au sein de 350 pages, partagées en 19 chapitres, ne peut qu’être brève. La forme privilégiée par Paul-André Linteau étonnera plus d’un. Les phrases sont très courtes et, souvent en moins de trois chapitres, le lecteur se voit transporté à travers des décennies. Destiné au grand public, l’ouvrage n’a rien d’académique dans sa présentation. Ainsi, les références aux auteurs cités sont à la toute fin, dans une bibliographie qui en oublie quelques-uns. La lecture des quelque 60 premières pages n’apprend rien à ceux qui ont déjà lu sur les premières années de la ville fondée par De Maisonneuve et Jeanne Mance. On en vient même à se demander si l’auteur a pour ambition d’intéresser avant tout un jeune public, voire adolescent.

Heureusement, ce questionnement prend fin avec le chapitre IV Une ville en émergence, 1665-1713. Non pas que le style adopte une forme nouvelle ; on s’y habitue et, manifestement, l’intérêt fait un bond en avant à la faveur d’informations, parfois très détaillées, incitant à ne larguer aucun paragraphe jusqu’à la fin. Car l’auteur a très bien su maintenir l’intérêt de son lecteur en lui offrant des informations inédites. Exemple : ayant souvent l’occasion de parcourir la Côte-des-Neiges, jamais il ne m’est venu l’idée de m’interroger sur l’origine du nom. Si la référence un tantinet poétique à la neige se comprend aisément, qu’en est-il de la côte, pas du tout évidente ? On apprend que, en 1698, les terres furent réparties le long d’un chemin qui porte le nom de la côte.

Le chapitre suivant couvre la période allant de 1713 à la Conquête. Il se termine par une intéressante explication sur l’origine du clivage, voire de la rivalité existant entre Québec et Montréal. Ne parle-t-on pas aujourd’hui, à l’extrémité ouest de l’autoroute Jean-Lesage, du « mystère de Québec » ? Ceci tiendrait, entre autres, à la relation de Montréal avec Le Pays d’en haut (rien à voir avec l’oeuvre de Claude-Henri Grignon) qui attire une grande partie des hommes imprégnés de l’esprit d’aventure, alors qu’à Québec, même au temps de la Nouvelle-France, on affichait un comportement plus sédentaire. On sait que les coureurs de bois étaient parfois déconsidérés par rapport aux défricheurs fondateurs de familles.

Après la Conquête, l’importance des fourrures dans l’économie de la ville va prendre de l’ampleur avec la venue de nouveaux commerçants, dont un verra son nom immortalisé : James McGill. Mais toute bonne chose à une fin. La ville perdra graduellement son emprise sur la traite, qui empruntera la voie du nord, au début du XIXe siècle. Comme l’écrit Linteau, Montréal fut ainsi privée de sa raison d’être durant un siècle et demi. Mais la diversité économique allait prendre le relais grâce à l’arrivée continue de nouveaux venus dont, en 1782, John Molson ne fut pas le moindre. Il fera fortune en rafraîchissant le gosier des Montréalais. Toutefois, en 1825, c’est le cuir, avec la production de chaussures, qui devient le secteur d’activité le plus important, suivi de celui des vêtements. Le règne de ces deux industries se poursuivra jusqu’aux années 1960, comme le montre l’auteur dans les derniers chapitres.

Pour les Montréalais de cette époque (1865), on le sait, la religion occupe une grande place dans la vie. Les catholiques représentent alors (les Irlandais aidant) pas moins de 73 % de la population. Mgr Bourget – et son ultramontanisme – va exercer une grande influence. C’est aussi l’époque où les femmes non attirées par la perspective d’élever 12 ou 15 enfants, trouveront une source d’évasion très valorisée en se faisant religieuses. Leur présence dans les hôpitaux aura été aussi précieuse que dans les écoles, à une époque où la charité tenait lieu d’assistance pour les plus démunis. C’est dans le huitième chapitre qu’on apprend que les Montréalais ont repris un vieux mot de la langue de Molière (ruelle) pour traduire back lane. Ainsi, les enfants jouaient dans la ruelle jusqu’au coucher du soleil.

Alors que l’électricité se pointe le nez comme indice majeur du progrès, l’auteur, avec ô combien raison, relève la très forte mortalité infantile, surtout chez les Canadiens français. On comprend dans ce contexte la pertinence de créer l’hôpital Sainte-Justine, peu après le Children hospital. Dommage que l’auteur ne mentionne pas ici le rôle essentiel joué par la première femme médecin canadienne-française, Irma Ladouceur, qui, faute d’être acceptée dans une université d’ici, a dû recevoir sa formation à Saint-Paul, au Minnesota. Si le progrès social accompagne le progrès technologique, on le doit, à cette époque, à ce que Linteau qualifie de courant réformiste au sein duquel les Canadiens français, sous l’emprise de Mgr Bruchési, se faisaient bien discrets. C’est d’ailleurs, tel que précisé, à la bourgeoisie anglophone qu’on doit l’origine du Musée des beaux-arts, alors appelé Art institution.

Suivent d’intéressantes pages sur la Grande Crise, dont la non moins grande guerre fut une porte de sortie. Les années 1950 allaient être marquées du sceau de la prospérité. Un homme fut appelé à exercer un rôle déterminant : Jean Drapeau. Ses nombreuses années à la tête de la Ville se caractérisent par une effervescence culturelle inusitée décrite dans le chapitre XIV, qui couvre les années 1960-76. Pour la période succédant à 1996, l’auteur se montre trop optimiste en évoquant la disparition de nombreuses cicatrices urbaines car, en 2017, tout autour du Quartier des spectacles, il en existe toujours que les nombreux festivals, temporairement, cherchent difficilement à masquer.

C’est dans une conclusion exagérément euphorique que l’auteur, pour la première fois, utilise le mot Montréalistes en souvenir des tout premiers pionniers, qu’il voit à l’origine d’une histoire fascinante marquée par « un destin exceptionnel ». Oui, telle est la vision d’un grand amoureux de Montréal que les milliers de cônes oranges ne semblent pas perturber.