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L’année 2017 est celle du 150e anniversaire de la Confédération canadienne. Dans la foulée de cet événement, on peut s’attendre à de nombreux bilans du fédéralisme canadien. L’ouvrage de Jean-François Caron et Marcel Martel, Le Canada français et la Confédération : fondement et bilan critique, s’inscrit dans ces bilans. Plus précisément, cet ouvrage dresse un portrait global des relations que le Canada français a entretenues avec le fédéralisme canadien. Les auteurs s’appuient sur une double démarche ; ils convient d’abord le lecteur à un retour aux pourparlers qui ont fondé la fédération canadienne. Les trois premiers textes de l’ouvrage reviennent ainsi sur les discussions fondatrices de Charlottetown et de Québec de 1864 afin de comprendre comment la « problématique de la présence d’une nation canadienne française » y fut abordée (p. 2-3). Les trois derniers textes cherchent à déterminer si l’évolution politique du fédéralisme canadien fut favorable ou non à l’épanouissement du Canada français. L’ouvrage se termine par une conclusion de Philippe Resnick qui évoque les éventuels défis auxquels devra faire face le Canada français durant le 21e siècle.

Le premier texte, de Gaétan Migneault, s’interroge sur la place qu’a occupée la fondation de la Confédération dans la vie des Acadiens du Nouveau-Brunswick. En étudiant diverses revendications des acteurs de la société civile acadienne concernant les droits linguistiques, Migneault met en exergue une continuité entre ces revendications et le rejet de la Confédération par les Acadiens. Ce refus d’adhérer à la Confédération s’expliquerait selon lui par le défaut d’accorder au Nouveau-Brunswick la protection linguistique et des écoles séparées, alors que depuis 1830 les Acadiens luttaient pour obtenir des droits linguistiques par le biais de diverses démarches politiques (p. 27-28). En illustrant cette continuité entre ces démarches et le vote anticonfédéral, Migneault prend le contrepied d’une historiographie dominante qui considère que le refus des Acadiens s’explique par leur « analphabétisme » et leur « ignorance des enjeux soulevés » (p. 28).

Jean-François Caron se questionne dans le texte suivant sur la place qu’a eue la théorie du pacte fondateur dans la fondation de la Confédération. Caron récuse une historiographie dominante voulant que la fédération canadienne se soit édifiée sur la non-reconnaissance de l’égalité des peuples canadiens-français et canadiens-anglais. À son avis, cette interprétation occulte la complexité de la pensée des pères fondateurs, notamment George Brown, George-Étienne Cartier et Hector Langevin. En analysant les discours de chacun de ces trois personnages, Caron arrive à confirmer « qu’un esprit d’un dualisme identitaire était présent chez les Pères fondateurs du Canada » (p. 50), dualisme qui battit néanmoins en brèche quand John A. Macdonald arriva au pouvoir (p. 51).

Le dernier texte de la première partie, de Marcel Martel, s’intéresse à la place des francophones en milieu minoritaire dans l’expérience du pacte confédératif qu’a analysé Caron. Martel démontre que lors des négociations qui ont abouti à la création de la Confédération, il y avait absence de délégués canadiens-français en provenance de milieux minoritaires. En ce sens, le pacte confédératif qu’a évoqué Caron dans le texte précédent concernait surtout les francophones du Québec et non pas ceux installés dans un milieu à prédominance anglophone. Les délégués du Canada français avaient pour unique préoccupation les pouvoirs du Québec ; aucune solidarité francophone pancanadienne n’était présente (p. 58-59). Elle vint plus tardivement avec notamment la crise des écoles bilingues au Manitoba en 1890 et l’imposition de l’anglais comme langue d’enseignement en Ontario en 1912 ; ces événements suscitèrent une profonde solidarité dans l’ensemble du Canada français (p. 72-73). C’est donc durant ces événements qu’émergea la théorie du pacte fondateur entre les deux peuples ; non lors de la fondation de la Confédération.

La seconde partie de l’ouvrage s’intéresse davantage à l’impact qu’a eu l’évolution politique du fédéralisme canadien sur les francophones. Le texte de Stéphanie Chouinard est à cet égard très éloquent ; elle affirme que cette évolution fut bénéfique pour la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. Chouinard affirme cependant que contrairement aux autres communautés francophones minoritaires, la communauté acadienne néo-brunswickoise représente une force politique déterminante (p. 88), force qui en fait un cas d’exception.

Selon elle, le fédéralisme, par son régime linguistique, a marginalisé les communautés francophones minoritaires, par exemple en les forçant à appuyer leurs revendications linguistiques sur le droit ; mais, au Nouveau-Brunswick, l’importance politique de la communauté acadienne en a fait plutôt une force structurante. C’est par ailleurs la seule province canadienne à avoir enchâssé ces droits linguistiques au sein de la Constitution (p. 99). Cet enchâssement légitime pleinement l’action politique de la société civile acadienne qui entend faire valoir ses droits linguistiques ; « Le fédéralisme a encadré le champ d’action des organismes communautaires à l’oeuvre au sein de la société civile acadienne » (p. 110).

Le texte qui suit, celui de Réjean Pelletier, est probablement le seul à adopter un regard critique sur le fédéralisme canadien. Cet auteur note qu’en dépit des lois linguistiques rigoureuses adoptées par le gouvernement du Québec, les immigrants choisissent majoritairement l’anglais comme langue première et que l’anglais ne cesse de faire des gains malgré « la protection sécurisante de la Charte de la langue française et en dépit des ententes sur l’immigration » (p. 128). De l’avis de Pelletier, le fédéralisme n’a pas stimulé l’épanouissement collectif des francophones du Québec ; le Québec fait cavalier seul dans sa lutte pour la préservation de la langue française ; la fédération canadienne n’a été à cet égard d’aucune aide : « La confédération n’apparaît pas comme un gage de salut pour le Québec qui doit se débrouiller seul en utilisant le plus possible les compétences qui lui sont dévolues » (p. 138).

Le second texte de Caron, qui succède à celui de Pelletier, diffère grandement en termes d’opinion. Pour lui, à défaut d’être un fédéralisme multinational ancré dans la reconnaissance symbolique des nations qui le constituent, le fédéralisme canadien incarne plutôt un fédéralisme territorial qui laisse une importante marge de manoeuvre aux provinces (p. 140). Caron affirme que l’ordre politique qu’a inauguré la Confédération de 1867 a permis au Québec de s’autodéterminer (p. 153). Ce faisant, le Québec a occupé pleinement le créneau que lui accordait le fédéralisme canadien, contrairement aux autres provinces. Ainsi, malgré les imbroglios symboliques qui envenimèrent les relations entre le Québec et le Canada (rapatriement de la Constitution sans l’aval du Québec en 1982, charcutage de la Charte de la langue française par la Cour suprême, échec de l’accord du lac Meech), le Québec peut librement s’autodéterminer à l’intérieur de la fédération canadienne.

L’ouvrage se termine avec une conclusion de Phillippe Resnick, professeur émérite à l’Université de Colombie-Britannique, dans laquelle il livre quelques perspectives sur l’avenir du Canada français dans la Confédération canadienne. À la lumière des textes précédents, Resnick conclut que le fait français a été en mesure de marquer durablement les politiques publiques de la fédération canadienne (p. 166). Néanmoins, il doit faire face à de nombreux défis dans l’avenir. Il faut considérer la mondialisation qui répand l’anglais dans le monde par l’économie et la technologie, et pourrait « amener certains individus à voir dans le bilinguisme un fait anachronique qui ne devrait plus être soutenu par les autorités publiques » (p. 170). À cela il faut aussi ajouter les défis que représente l’immigration pour le Canada français. Bref, ces défis exigent une grande vigilance de la part du Canada français.

Les textes réunis dans l’ouvrage de Jean-François Caron et Marcel Martel sont limpides et bien construits. Ils livrent de nombreux points de vue intéressants quant à la place du Canada français dans la Confédération canadienne. À cet égard il convient de souligner l’espace accordé à la contribution de la communauté acadienne dans les chapitres de Gaétan Migneault et de Stéphanie Chouinard. Comme le fait remarquer Martel, la contribution des minorités francophones à la Confédération est trop souvent mise de côté au profit des relations Québec/Canada. Les textes de Caron apportent quant à eux un nouveau regard sur les relations entre le Québec et la fédération canadienne. Celui-ci démontre la grande marge de manoeuvre dont dispose le Québec. Cette flexibilité découle elle-même de la reconnaissance de facto du caractère particulier du Québec. Or, davantage aurait pu être dit en ce qui concerne les Franco-Ontariens, considérant le fait qu’ils forment la deuxième communauté francophone minoritaire en importante au Canada. Autre bémol, le peu de place accordé à la critique du fédéralisme canadien. En effet, seul Réjean Pelletier offre une perspective critique sur l’évolution politique de la fédération canadienne. À notre avis, un portrait plus complet de la place du Canada français dans la Confédération comporterait davantage de perspectives critiques. En somme, malgré quelques bémols, Le Canada français et la Confédération offre des perspectives intéressantes sur les relations entre le Canada français et le régime politique canadien. En ce sens, cet ouvrage arrive à point nommé pour les festivités du 150e.