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En contexte d’intensification de la mobilité internationale et de diversification des bassins migratoires, les sociétés doivent de plus en plus composer avec une mixité sociale, linguistique, religieuse et ethnoculturelle (Potvin et al. 2016). Cette hétérogénéité s’accompagne de politiques et de discours positifs sur la diversité. Au-delà de ces politiques et de ces discours se cachent les effets des interactions quotidiennes ancrées dans des rapports de pouvoir entre le groupe majoritaire et les groupes minorisés (Guillaumin 2002 [1972]), des rapports dans lesquels les frontières raciales et religieuses semblent exacerbées (Mc Andrew 2002), notamment dans le contexte québécois post-11 Septembre et post-Projet de loi 60 (Hassan et al. 2016). Les versants négatifs de la mixité sociale s’avèrent en partie occultés, voire cachés par le discours néolibéral du marketing de la diversité. Dans ce contexte, les discours et les politiques ne mettent pas en exergue les inégalités sociales, les discriminations, l’exclusion et le racisme (Ahmed 2012 ; Masclet 2012 ; Ricci 2015). Or, les polarisations dans les représentations collectives entre le groupe majoritaire et les groupes minorisés ont des incidences sur la cohésion sociale, le vivre-ensemble, la radicalisation identitaire, la xénophobie, l’islamophobie, la discrimination systémique, la racisation du travail et de l’éducation, la déqualification professionnelle, etc.

Ce numéro propose d’étudier ces polarisations, principalement du point de vue des groupes minorisés, à travers le récit qu’ils font de leur vécu d’exclusion, de discrimination, de racisme et de déqualification professionnelle. Les thèmes du rapport identitaire entre groupe majoritaire et groupes minorisés sont exploités à partir d’enquêtes qualitatives de même qu’à partir de l’analyse des discours exprimés dans des pages Facebook publiques de groupes populistes identitaires après l’attentat du 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec.

L’article de Stéphanie Garneau traite du racisme vécu par des immigrants marocains qui se sont installés au Québec ou qui sont retournés dans leur pays d’origine après avoir transité par le Québec. Garneau souligne l’importance de considérer ce qu’elle appelle « l’épreuve raciste », ou le racisme « ordinaire », telle que rapportée et ressentie par les acteurs sociaux dans le cadre de leurs interactions quotidiennes et, plus spécifiquement, dans le cadre de leur processus d’entrée sur le marché du travail. Ces récits d’interactions faits par des personnes issues de groupes minorisés amènent ainsi à remettre en question les discours politiques positifs et utilitaristes de la diversité et montrent la nécessité de mesures permettant de contrer la discrimination systémique en emploi.

L’article de Marie-Odile Magnan, Fahimeh Darchinian et Émilie Larouche porte sur les identifications autorapportées de jeunes adultes nés de parents immigrants au Québec. Les récits de ces jeunes issus de la deuxième génération d’immigration révèlent la distance et le rapport de tension et d’exclusion qu’ils ressentent vis-à-vis du groupe majoritaire « francophone québécois ». Ces jeunes préfèrent s’identifier à leur pays d’origine ou au Canada. Les résultats montrent que les principaux marqueurs qui semblent délimiter la frontière entre le groupe majoritaire et les groupes minoritaires touchent certains groupes racisés : la couleur de la peau et la religion musulmane.

L’article de Maryse Potvin sur les discours de trois groupes populistes identitaires au Québec permet d’analyser les polarisations et la radicalisation identitaire sous un autre angle : celui des groupes radicalisés utilisant les principaux mécanismes du racisme envers les groupes minorisés sur la plateforme Facebook après l’attentat du 29 janvier 2017 à la grande mosquée de Québec. Ces discours, diffusés par des « leaders d’opinion » et/ou par des administrateurs des pages Facebook, semblent nourrir le néonationalisme de même qu’un sentiment d’appartenance commune au groupe majoritaire vis-à-vis des groupes minorisés et racisés, perçus comme « menaçants ».

L’article de Josée Charette et Jean-Claude Kalubi traite du rapport des parents immigrants à l’école québécoise. En analysant les représentations sociales des parents, les auteurs montrent que l’expérience de la migration et de la déqualification professionnelle des parents immigrants influence leurs exigences par rapport à la scolarisation de leurs enfants. Ayant vécu des défis liés à leur accès au marché du travail, ils souhaitent que leurs enfants apprennent l’anglais de manière plus intensive que celle prévue par le programme de l’école québécoise. Ils se positionnent également de manière critique à propos des missions et des valeurs de socialisation véhiculées dans les écoles québécoises.

Dans son article, Audrey Lamothe-Lachaine analyse la construction identitaire de jeunes ayant un statut de réfugié à l’aide d’une recherche participative particulièrement novatrice du point de vue méthodologique. Les jeunes participants ont construit eux-mêmes leurs récits identitaires numériques dans le cadre d’un atelier participatif. L’analyse met en exergue un sentiment de rupture et d’exclusion vécu par les jeunes, particulièrement dans le cadre de leur parcours scolaire au Québec. Ils relatent une expérience scolaire parsemée d’obstacles dans laquelle ils n’ont pas senti que leur bagage scolaire et socioculturel, acquis dans leur pays d’origine, était valorisé et reconnu. Certains d’entre eux ont également rapporté un sentiment d’iniquité puisqu’ils ont été redirigés vers des centres d’éducation des adultes plutôt que vers des écoles secondaires régulières, ce qui a entravé la poursuite de leurs études et leur accès aux études postsecondaires.

Finalement, Fahimeh Darchinian, Marie-Odile Magnan et Fasal Kanouté abordent le vécu de discrimination et d’exclusion rapporté par des jeunes issus de l’immigration en situation d’emploi, un vécu intimement lié au racisme, au linguicisme ou à l’intolérance religieuse. Il s’avère que ce ressenti influence les jeunes adultes dans leur choix d’orientation professionnelle. En effet, comme ils développent une perception négative des « Québécois francophones », ils préfèrent travailler dans un milieu anglophone pour éviter le sentiment d’exclusion vécu en milieu de travail francophone, et ce, même s’ils ont pour langue maternelle le français.

Le contenu de ce numéro invite à réfléchir aux politiques et aux interventions sociales pouvant contrer ou, du moins, réduire le durcissement des discours racisants, la discrimination systémique ainsi que le vécu du racisme, de l’exclusion et de la discrimination chez les groupes minorisés. L’adaptation systémique des institutions aux différences sociales et des politiques nommant plus explicitement les inégalités sociales, la discrimination systémique, l’exclusion et le racisme constituent, en ce sens, des pistes fécondes (Dei et al. 2000 ; Eid et Labelle 2013 ; Larochelle-Audet et al. 2018).