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INTRODUCTION

Serpula lacrymans (Wulfen) J. Schröt. (synonyme : Merulius lacrymans (Wulfen) Pat.), ou la mérule pleureuse, est un champignon basidiomycète lignivore causant une carie brune : à la suite de la dégradation de la cellulose du bois, sans atteinte à la lignine, le bois devient brun, craquelé et friable (Fig. 1). Serpula lacrymans se retrouve presque exclusivement dans les bâtiments; il a toutefois été détecté en milieu naturel à quelques endroits précis seulement, notamment en Asie et dans le nord de la Californie (Kauserud et al. 2007). Bien que d’autres types de champignons lignivores puissent se retrouver dans les bâtiments, S. lacrymans revêt une importance particulière puisqu’il est considéré comme le plus destructeur et le plus difficilement contrôlable (Schmidt 2007; Singh 1999). Ainsi, la mérule pleureuse est un important agent de dégradation des maisons et des bâtiments historiques en Europe (Krzyzanowski et al. 1999; Schmidt 2007). Elle est plus rare en Amérique du Nord, mais des cas ont été rapportés au Québec (Cloutier 2016; Lafrenière 2011; Lavoie 2016; Normand 2015), ce qui soulève des inquiétudes concernant la santé des résidents et la pérennité des bâtiments (Chevalier et al. 2015). À ce jour, il n’y a pas d’indication que la mérule puisse causer des problèmes de santé chez les humains (Chevalier et al. 2015). Cependant, des moisissures associées à la mérule pourraient causer des problèmes de santé (Garon et al. 2013). Cette synthèse présente de l’information historique sur la mérule pleureuse au Canada en comparaison de la situation européenne. On y présente aussi sa biologie, les conditions de son développement, la prévention des contaminations par la mérule et les différentes méthodes de restauration des habitations touchées telles que décrites par des chercheurs et professionnels européens.

Figure 1

Carie brune cubique causée par S. lacrymans

Carie brune cubique causée par S. lacrymans

Le bois est brun et craquelé. Spécimen QFB-2758.

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SITUATION AU QUÉBEC ET AU CANADA EN COMPARAISON DE L’EUROPE ET DES ÉTATS-UNIS

Des données sur la présence de la mérule pleureuse au Canada ont été obtenues de trois herbiers mycologiques reconnus internationalement (Thiers 2012, 2014a, 2014b) : l’Herbier René-Pomerleau du Centre de foresterie des Laurentides (QFB; Ressources naturelles Canada 2014b), l’Herbier de pathologie forestière du Centre de foresterie du Pacifique (DAVP; Ressources naturelles Canada 2014a) et l’Herbier de pathologie du Centre de foresterie de l’Atlantique (FFB; données non publiées). Des données supplémentaires proviennent aussi de la collection de cultures du Centre de foresterie du Pacifique (DDF; données non publiées).

Des spécimens de S. lacrymans ont été récoltés à compter de 1947 au Québec (Tableau 1). Les récoltes couvrent un vaste territoire, allant de la Montérégie (La Prairie), au sud-ouest de Montréal, jusqu’à Saint-Ulric, en Gaspésie. Elles s’échelonnent de 1947 à 1995, l’année où les activités du Relevé des insectes et maladies des arbres (RIMA) de Ressources naturelles Canada ont pris fin au Québec. Ces spécimens proviennent généralement de signalements du public ou d’autorités gouvernementales désireuses d’identifier la cause de la dégradation d’un édifice. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un inventaire exhaustif, le petit nombre de spécimens conservés (18 en près de 50 ans) montre la rareté historique de ce problème en comparaison de la prévalence importante de la mérule en Europe. Cependant, selon certaines sources, les contaminations par la mérule pleureuse pourraient être en augmentation (Normand 2015; Sanche 2016). Les dégradations de maisons par S. lacrymans causent toujours une grande inquiétude chez les occupants des résidences atteintes et les démolitions de bâtiments entraînent souvent des coûts exorbitants (Cloutier 2016; Corneau 2016; Lafrenière 2011; Lavoie 2016; Normand 2015).

La mérule pleureuse a aussi été récoltée dans deux provinces maritimes entre 1956 et 1978 et en Colombie-Britannique entre 1952 et 1981, dans des lieux séparés par plus de 900 km (Tableau 1). Nous n’avons pas trouvé de relevé systématique des cas de mérule au Québec ou au Canada. En Europe, on a recensé plus de 1 200 habitations infectées par la mérule en Grande-Bretagne en 1962 (Hickin 1963) et plus de 1 660 en Pologne (Wazny et Czanik 1963). Les dommages graves observés au début des années 1950 en Europe sont le résultat direct des dégâts causés par la Deuxième Guerre mondiale, à la suite de la destruction partielle des bâtiments. Celle-ci a favorisé d’importantes infiltrations d’eau à des endroits où l’entretien et la réparation étaient quasi impossibles (Balint 1955; Benoit et Jacquiot 1954; Bondartzev 1948). En comparaison, la Suède, qui n’a pas été bombardée, n’a subi qu’une centaine de contaminations causées par S. lacrymans (Butovitsch 1951). À l’occasion d’une étude exhaustive réalisée entre 1947 et 1951 dans l’État de New York, qui fut lui aussi épargné par cette guerre, la mérule n’a été observée qu’une seule fois (Silverborg 1953). Aujourd’hui, en Europe, les risques de contamination par la mérule se retrouvent en particulier dans les bâtiments ayant subi l’intervention des pompiers à la suite d’un incendie, dans les bâtiments trop isolés où la circulation d’air est insuffisante et l’humidité élevée et dans les caves humides où l’on entrepose du bois (Van Leemput 2008).

Tableau 1

Observations et récoltes de Serpula lacrymans au Québec et au Canada : lieu, province, année de récolte et source d’information des données

Observations et récoltes de Serpula lacrymans au Québec et au Canada : lieu, province, année de récolte et source d’information des données

Données tirées des bases de données et chiffriers des trois herbiers mycologiques et des collections de cultures de Ressources naturelles Canada (2014a, b).

a QFB : spécimen de l’Herbier René-Pomerleau du Centre de foresterie des Laurentides; DAVFP, spécimen de l’Herbier de pathologie forestière du Centre de foresterie du Pacifique; FFB : spécimen de l’Herbier de pathologie du Centre de foresterie de l’Atlantique; DDF : collection de cultures du Centre de foresterie du Pacifique.

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Par ailleurs, S. lacrymans continue de causer des dommages dans les pays européens. Ainsi, une étude a recensé plus de 400 édifices contaminés par la mérule entre 1985 et 1991 en Belgique (Schmidt 2006). La mérule pleureuse a été rapportée plus de 500 fois en Finlande entre 2001 et 2003 (Alfredsen et al. 2005) et environ 150 fois en Lettonie entre 1996 et 2007 (Irbe et al. 2009). Les médias rapportent une augmentation de la prévalence de la mérule pleureuse en France (Normand 2016; Sanche 2016).

BIOLOGIE DE LA MÉRULE PLEUREUSE

La mérule attaque autant les bois feuillus que résineux (Diller et Huang 1956; Krzyzanowski et al. 1999; Thibault 1989; Walchli 1973), tout comme le papier et les textiles cellulosiques d’ailleurs (Krzyzanowski et al. 1999). Cependant, le substrat le plus susceptible d’être attaqué et de subir des dommages est le bois mou provenant de résineux (Schmidt 2006; Singh 1994, 1999; Watkison et Eastwood 2012) que l’on retrouve fréquemment dans les constructions résidentielles. Les constructions en bois de coeur de chêne et de châtaigner offrent de la résistance à la mérule (Bravery 1991). La mérule prolifère mieux sur du matériel provenant de constructions plus anciennes (mycélium plus épais) que sur du bois coupé plus récemment (Low et al. 1999). Les spécimens en collection au Service canadien des forêts proviennent généralement de bois d’oeuvre (QFB-785, 4606, 4973, 4974, 7656, 9307, 15004, 16652, 17104; FFB-7504; DAVP-11545, 22531), de vieux bois (QFB-2755, 12380), mais aussi de moulures en bois résineux et en bois franc (QFB-5141, 9058; FFB-7199, 7750), de bois entreposé dans des locaux humides, incluant du bois de chauffage (QFB-18117, 19777), et même de meubles anciens (QFB-9456).

Figure 2

Fructifications de Serpula lacrymans

Fructifications de Serpula lacrymans

a) Vue en plan de l’hyménium merulioïde et labyrinthique du spécimen QFB-10239 mesurant 110 mm x 79 mm, à marge blanchâtre. Échelle : 20 mm. b) Vue en coupe longitudinale du spécimen QFB-16652 mesurant 4-18 mm d’épaisseur sur 58 mm de longueur, de forme effusée-réfléchie (en tablette). Échelle : 10 mm.

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La contamination du bois débute habituellement par la germination de spores transportées par l’air sur un milieu humide contenant de la cellulose (Coggins 1991; Fraiture 2008; Van Leemput 2008). Elles peuvent aussi être transportées par des humains, des animaux, des insectes xylophages et sur des fragments de bois contaminé (Hainaut Vigilance Sanitaire 2015). Au début de sa croissance, S. lacrymans s’étend sous forme d’un mycélium blanc de consistance mince et translucide ou encore de consistance épaisse, ouateuse ou laineuse (Fraiture 2008). L’exposition à certains paramètres environnementaux, comme la lumière, lui confère des taches teintées de couleur jaune ou mauve; ultérieurement, le mycélium se transforme en un réseau de canaux gris-brun (Schmidt 2006; Singh 1999). Il se propage en surface ainsi qu’à l’intérieur du bois et de la maçonnerie (Krzyzanowski et al. 1999; Watkinson et Eastwood 2012), principalement dans des zones confinées et peu ventilées du soubassement et du rez-de-chaussée, par exemple les vides sanitaires ou derrière les murs (Schmidt 2006, 2007). Par ailleurs, il a été démontré que S. lacrymans pouvait extraire différents minéraux (ex. : Si, K, Ca, Fe) des pierres, du plâtre et du mortier, de sorte que la capacité de ce champignon à dégrader le bois est amplifiée en présence de ces matériaux ou de briques (Low et al. 2000). Bech-Andersen (1985) a observé un lien entre la présence de produits alcalins (ex. : mortier et argile) et l’habileté de S. lacrymans à dégrader le bois. Le contact entre la maçonnerie et le bois humide favorise ainsi le développement de la mérule (Watkison et Eastwood 2012).

Éventuellement, des fructifications se forment, en particulier lorsque la température s’approche du maximum supporté par la mérule (26 °C) et devient défavorable à la croissance mycélienne (Schmidt 2006). L’augmentation de la lumière favorise aussi la formation de fructifications (Hegarty 1991). Contrairement au mycélium, les fructifications se développent dans les endroits bien aérés (Hegarty 1991). Elles peuvent mesurer quelques dizaines de centimètres, voire jusqu’à 2 m de largeur (Garon et al. 2013; Schmidt 2006; Singh 1999), mais elles mesurent généralement de 10 à 50 cm (Pomerleau 1980). Ces fructifications n’ont pas de pied (Pomerleau 1980). Elles sont de couleur grisâtre, brun fauve ou ocre rougeâtre, avec une marge blanche (Fraiture 2008; Garon et al. 2013; Pomerleau 1980; Thibault 1989; Fig. 2a). Elles sont effusées-réfléchies sur des substrats verticaux (Labbé 2014c; Fig. 2b). La marge laisse suinter des gouttelettes d’eau, d’où le qualificatif « pleureuse ». C’est souvent la formation de ces sporophores sur les surfaces exposées telles que la maçonnerie, les plinthes et les cadres de portes qui permet de remarquer la présence de la mérule pleureuse dans un bâtiment, alors que les surfaces non apparentes et confinées sont déjà colonisées (Schmidt 2006). Ces sporophores produisent de grandes quantités de basidiospores de couleur ocre, jaune, orangé ou rouge brunâtre mesurant 9-12 x 5-6 μm (Garon et al. 2013; Pomerleau 1980; Thibault 1989) qui sont libérées dans l’atmosphère et déposées sur les surfaces avoisinantes. Une fructification peut produire jusqu’à 360 000 basidiospores, dont certaines peuvent survivre pendant 20 ans (Schmidt 2006). Cette production de basidiospores dans un bâtiment contaminé par la mérule serait le principal mécanisme de dispersion de S. lacrymans (Fraiture 2008; Schmidt 2006; Watkinson et Eastwood 2012). La prolifération de son mycélium serait restreinte à l’intérieur du bâtiment contaminé ou dans le sol sous ce dernier, bien que selon certains auteurs, il pourrait également s’introduire dans les bâtiments par du bois infecté ou les semelles de chaussures (Schmidt 2007; Walchli 1980, cité par Schmidt 2006). La mérule se développe en produisant du mycélium blanc, mais d’autres formes biologiques favorisent également son développement et sa conservation, soit les rhizomorphes, ou cordons mycéliens (Fraiture 2008; Garon et al. 2013; Krzyzanowski et al. 1999; Pomerleau 1980), et les arthrospores (Schmidt 2006, 2007; Watkinson et Eastwood 2012).

Les rhizomorphes sont constitués de matériel fongique contenant une grande quantité de fibres qui leur assurent une bonne étanchéité et permettent le développement de canaux creux (Jennings et Watkinson 1982). Ces cordons mycéliens peuvent atteindre plusieurs mètres de longueur (Schmidt 2007). Les arthrospores sont des spores asexuées produites lorsque que la chaleur devient trop élevée ou que l’humidité diminue à un niveau inadéquat pour la croissance de la mérule (Maurice et al. 2011a; Schmidt 2007; Watkinson et Eastwood 2012). Ces spores constituent une forme de conservation de S. lacrymans jusqu’au retour de conditions favorables dans les bois infectés ou dans les fondations de maçonnerie. Le bois contaminé devient brun, sec et craquelé (Pomerleau 1980; Fig. 1) et perd sa solidité (Pinto 2008; Schmidt 2006).

Pour que la colonisation de S. lacrymans débute dans un bâtiment, certaines conditions environnementales doivent être présentes (Tableau 2). Malgré certaines croyances à l’effet que S. lacrymans pourrait germer sur des substrats secs, il est désormais bien établi que la présence d’humidité en excès dans le substrat est nécessaire pour amorcer sa colonisation (Schmidt 2006, 2007; Singh 1999). Le nom de « champignon de la pourriture sèche » (dry rot) qui est souvent donné à S. lacrymans réfère à l’état de dégradation du bois après qu’il ait été attaqué par ce champignon (Singh 1994, 1999) plutôt qu’à sa croissance en milieu sec.

En termes de teneur en eau du bois, S. lacrymans serait capable de dégrader le bois lorsque celle-ci se situe entre 26 % et 240 %, avec un optimum entre 45 % et 140 % (Schmidt 2007; Tableau 2). La teneur en eau normale du bois de construction oscille entre 8 % et 14 % à l’intérieur d’un édifice et entre 12 % et 18 % pour le bois utilisé à l’extérieur (Conseil canadien du bois (S.D.)). Une ventilation inadéquate contribue au développement de la mérule (Krzyzanowski et al. 1999; Normand 2015) en créant des conditions favorables à sa croissance. Cet élément a d’ailleurs été reconnu comme étant lié à la pourriture sèche par la Cour Suprême du Canada (1975).

Tableau 2

Conditions favorisant ou inhibant la croissance ou la mort de Serpula lacrymans en fonction des milieux de croissance : teneur en eau du bois, humidité relative de l’air, température et aération

Conditions favorisant ou inhibant la croissance ou la mort de Serpula lacrymans en fonction des milieux de croissance : teneur en eau du bois, humidité relative de l’air, température et aération

1 Après 2 sem; 2 Après 3 h; 3 Après 4 h.

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Une des particularités les plus remarquables de S. lacrymans est qu’il est capable de s’infiltrer à travers les joints de maçonnerie et de transporter sur de longues distances (plusieurs mètres), par ses cordons mycéliens, l’eau et les nutriments provenant des substrats humides colonisés, par exemple le bois, les matériaux cellulosiques ou la matière organique du sol (Morris (S.D.); Schmidt 2006, 2007; Singh 1999; Watkinson et Eastwood 2012). Il peut ainsi attaquer des matériaux secs ailleurs dans le bâtiment contaminé, en particulier dans des zones peu ventilées (Garon et al. 2013; Schmidt 2006, 2007; Singh 1999; Watkison et Eastwood 2012). Cette spécificité biologique fait de S. lacrymans un champignon très envahissant une fois qu’il a colonisé un bâtiment.

La croissance de S. lacrymans sur le bois serait optimale entre 18 et 23 °C (Tableau 2), alors qu’elle ralentirait vers 26–27 °C et s’arrêterait autour de 27–28 °C (Tableau 2; Schmidt 2006). Dans des conditions expérimentales reproduites en laboratoire, la température optimale de croissance obtenue était similaire (20 °C), alors qu’une croissance minimale et un arrêt de croissance ont été observés autour de 1 à 5 °C et 25 °C, respectivement. Ces exigences en termes de température et d’humidité expliquent d’ailleurs la distribution de ce champignon dans les régions tempérées, notamment en Europe (régions situées au nord, à l’est et au centre), dans les régions les plus fraîches du Japon, de la Corée et du Pakistan, en altitude en Inde (650–2000 m), en Sibérie, en Nouvelle-Zélande, au sud de l’Australie, au Mexique, au nord des États-Unis ainsi qu’au Canada (Schmidt 2006; Singh 1999).

DÉTECTER LA MÉRULE PLEUREUSE

Une odeur de champignon, parfois forte, est souvent le premier indice qui annonce une invasion par la mérule (CapHabitat 2014; Fraiture 2008; Singh 1999). La détection des zones d’humidité permet de trouver plus facilement les lieux infestés, mais ce n’est toutefois pas suffisant compte tenu de la capacité du champignon à transporter l’eau vers les zones plus sèches par ses rhizomorphes. La déformation des parements des murs (CapHabitat 2014), la présence de mycélium blanc, de cordons mycéliens, de fructifications typiques et de poussière (la sporée) ocre, jaune orangé ou rouge brunâtre sont des signes d’une attaque par la mérule (Singh 1999). On cherchera aussi les signes de pourriture du bois, comme des pièces craquelées, friables et brunâtres (Singh 1999). Tous ces signes sont utiles; cependant, un examen approfondi de l’agent contaminant est nécessaire pour s’assurer de l’identité de celui-ci. En effet, d’autres champignons de carie brune peuvent aussi dégrader des bâtiments en bois et certains ressemblent énormément à la mérule pleureuse (Schmidt 2006), notamment la corticie brun olive, Coniophora puteana (Labbé 2014a, c). Certains signes ont une valeur diagnostique : la présence de fructifications effusées- réfléchies sur des substrats verticaux (Labbé 2014c; Fig. 2b), à marge de couleur blanche à jaunâtre d’où suintent des gouttes de liquide (Schmidt 2006), par opposition aux fructifications résupinées et papyracées de S. himantioides (Labbé 2014b) ou aux fructifications résupinées, adnées et verruqueuses de C. puteana (Labbé 2014a, Schmidt 2006; Fig. 3). Serpula lacrymans et S. himantioides se distinguent aussi des autres champignons basidiomycètes attaquant les structures des bâtiments par les plus grandes dimensions de leurs basidiospores (9-12 × 4,5-6 μm et 9-12 × 5-6 μm, respectivement) et de C. puteana, dont les fructifications sont légèrement plus grandes (9-16 × 6-9 μm) selon Schmidt (2006). Les caractéristiques culturales sur milieux gélosés permettent aussi de distinguer adéquatement S. lacrymans de C. puteana (Nobles 1965), mais l’identification par mise en culture peut prendre jusqu’à 6 sem.

Il existe aussi des outils de détection moléculaire (Maurice et al. 2011b; Schmidt 2007; Watkinson et Eastwood 2012). Le nombre croissant de cas de mérule rapportés au Québec (Normand 2015; Sanche 2016) pourrait justifier l’investissement dans ces technologies, en particulier pour identifier rapidement les contaminations récentes n’ayant pas encore produit de fructifications.

Figure 3

Fructification mince, résupinée et adnée de C. puteana sur sapin baumier

Fructification mince, résupinée et adnée de C. puteana sur sapin baumier

Spécimen FFB-95 de l’Herbier de pathologie du Centre de foresterie de l’Atlantique, à Fredericton. Échelle : 20 mm.

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PRÉVENIR LES INFESTATIONS DE MÉRULE PLEUREUSE

Considérant les particularités biologiques de S. lacrymans, les conditions nécessaires à contrôler dans un bâtiment pour prévenir la croissance et les dommages causés par ce champignon sont la température, la ventilation et, plus particulièrement, l’humidité (Alfredsen et al. 2005; Schmidt 2007; Singh 1999; Watkison et Eastwood 2012). Les types de bâtiments à risque identifiés dans la littérature sont ceux inoccupés pendant de longues périodes, qui ont été négligés ou qui ont fait l’objet de peu d’entretien, qui ont subi des fuites d’eau ou des dommages à la structure, permettant ainsi l’infiltration d’eau, et qui ont une mauvaise ventilation (Alfredsen et al. 2005; Schmidt 2006; Watkison et Eastwood 2012). De ce fait, la mérule pleureuse ne représente pas un risque pour les bâtiments entretenus sur une base régulière qui sont habituellement exempts de problème d’humidité persistants grâce à une ventilation adéquate, entre autres (Watkison et Eastwood 2012). Rappelons que le contact direct entre la maçonnerie et le bois en présence d’humidité favorise le développement de la mérule (Forest Service 1986; Koch 1991; Palfreyman et al. 2001; Watkison et Eastwood 2012). Dans ce contexte, l’utilisation d’une membrane réfractaire à l’eau entre ces deux matériaux est donc souhaitable (Forest Service 1986). Les pellicules de polyéthylène ou les matériaux de couverture de type S installés entre la maçonnerie de fondation et la lisse d’assise (Fig. 56 dans Burrows 2014) peuvent satisfaire à cette exigence s’ils ne contiennent pas de matière cellulosique ou s’ils sont enduits d’imperméabilisant, tout en respectant la hauteur minimale de dégagement du sol.

RESTAURER UN ÉDIFICE TOUCHÉ PAR LA MÉRULE PLEUREUSE

Il est essentiel d’éliminer la source d’humidité excessive (Bravery 1991; Schmidt 2006) en réparant dès le début tout bris aux structures (enveloppe, fondations, etc.) permettant l’entrée d’eau de l’extérieur (pluie ou nappe phréatique) ou toute fuite intérieure, et ce, avant même de connaître l’étendue exacte des dommages.

Une fois ces réparations d’urgence complétées, il faudra évaluer l’étendue des dégâts (Fraiture 2008) et de l’humidité en excès (Bravery 1991). Une inspection approfondie et systématique du bâtiment affecté est nécessaire (Bravery 1991), car ce champignon lignivore peut s’immiscer dans les moindres recoins (Watkinson et Eastwood 2012). Pour assurer la sécurité des travailleurs et des occupants, une attention particulière doit être accordée aux structures du bâtiment inspecté. En effet, une fois la dégradation commencée, la résistance du bois peut être diminuée de façon très importante (Pinto 2008; Schmidt 2006). Il pourrait être nécessaire de consulter un ingénieur en bâtiment à ce sujet. De plus, il est essentiel d’enlever par aspiration toute trace de poussière ocre ou orange, la sporée, pour éviter de contaminer les espaces exempts de mérule au cours des travaux subséquents (Van Leemput 2008).

Lorsque l’étendue des dégâts est connue, la première intervention doit toujours être la réduction rapide de l’eau libre et de l’humidité dans les zones atteintes. Cela implique de compléter les réparations aux structures de façon permanente. Puisque la mérule résiste mal à la dessiccation et à l’aération (Tableau 2; Watkinson et Eastwood 2012), il faut aussi réduire l’humidité relative de l’air et celle des matériaux de construction par la ventilation, un chauffage léger et une déshumidification rapide (ANH 2007; Bravery 1991; Hainaut Vigilance Sanitaire 2015; Krzyzanowski et al. 1999; Property Care Association 2013; Safeguard Chemicals Ltd 1999; Singh 1999; Van Leemput 2008).

Par la suite, et seulement lorsque les sources d’humidité et d’eau libre auront été contrôlées et réduites radicalement, on pourra procéder à l’enlèvement ainsi qu’au remplacement des matériaux infectés et au nettoyage des surfaces contaminées (Bravery 1991; Hainaut Vigilance Sanitaire 2015; Safeguard Chemicals Ltd 1999; Technichem (S.D.); Van Leemput 2008). Là où c’est possible, on enlèvera le bois contaminé et une longueur de 60 cm (Property Care Association 2013; Safeguard Chemicals Ltd 1999) à 1 m (Bravery 1991; Fraiture 2008; Singh 1999) de matière apparemment saine après les derniers signes d’infection, tels que décrits dans la section « Détecter la mérule pleureuse ». La façon la plus efficace de disposer du matériel contaminé sans répandre de spores ou de mycélium dans l’environnement consiste à le brûler sur place (Bravery 1991; Hainaut Vigilance Sanitaire 2015). Cependant, une telle pratique est interdite au Québec par le Règlement sur l’assainissement de l’atmosphère (Éditeur officiel du Québec 2016a). Il faudra plutôt disposer des matériaux dans un lieu d’enfouissement de débris de construction ou de démolition conformément au Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles (Éditeur officiel du Québec 2016b). Il sera essentiel d’envelopper le matériel d’une membrane non cellulosique étanche lors du transport afin d’éviter toute propagation de la mérule pleureuse. Le matériel contaminé pourra aussi être traité à l’aide d’un fongicide homologué avant son transport et son enfouissement (Tableau 3). Enfin, il faudra inspecter de façon régulière les abords du site d’enfouissement, en particulier les bâtiments dont les caractéristiques structurales peuvent être favorables à la mérule, après le dépôt du matériel contaminé. En effet, l’expérience européenne a démontré que des bâtiments avaient été contaminés à partir de matériel enfoui dans les décharges publiques (Bravery 1991). Le bois enlevé doit être remplacé par du bois traité en usine (Property Care Association 2013; Hainaut Vigilance Sanitaire 2015; Safeguard Chemicals Ltd 1999; Technichem (S.D.)) au moyen d’une substance antifongique homologuée par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (Santé Canada 2012) pour utilisation dans des lieux résidentiels (Tableau 4) en respectant les limitations imposées pour son usage.

Tableau 3

Produits homologués au Canada pour lutter contre la pourriture du bois et pouvant être appliqués in situ : numéro d’homologation, matières actives et possibilité d’utilisation ou non à l’intérieur d’une résidence d’habitation (Santé Canada 2012)

Produits homologués au Canada pour lutter contre la pourriture du bois et pouvant être appliqués in situ : numéro d’homologation, matières actives et possibilité d’utilisation ou non à l’intérieur d’une résidence d’habitation (Santé Canada 2012)

1 Pour les bois dont la teneur en eau dépasse 30 % et qui ne sont pas en contact avec de la nourriture; 2 Ne peut être utilisé dans les endroits de préparation de nourriture ou les parties habitables des logements; 3 Ne peut être utilisé dans les endroits où il serait en contact avec de la nourriture ou de l’eau potable.

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Tableau 4

Produits homologués au Canada pour lutter contre la pourriture du bois par imprégnation sous pression et dont le bois traité peut être utilisé dans la construction résidentielle : numéro d’homologation, matières actives et restriction à l’usage (Santé Canada 2012)

Produits homologués au Canada pour lutter contre la pourriture du bois par imprégnation sous pression et dont le bois traité peut être utilisé dans la construction résidentielle : numéro d’homologation, matières actives et restriction à l’usage (Santé Canada 2012)

1 Ne peut être utilisé dans les endroits où le bois serait en contact avec de la nourriture.

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Plusieurs traitements additionnels sont suggérés par divers auteurs : le chauffage de toutes les parties affectées à plus de 40 °C (Koch 1991) ou 50 °C (Morton 2003), la désinfection au chalumeau des surfaces de maçonnerie (Technichem (S.D.)) ou l’utilisation de fongicides in situ (ANH 2007; Fraiture 2008; Hainaut Vigilance Sanitaire 2015; Property Care Association 2013; Safeguard Chemicals Ltd 1999; Singh 1999; Technichem (S.D.); Van Leemput 2008). Le chauffage ou la désinfection au chalumeau constituent cependant des dépenses majeures et ne peuvent se substituer à l’enlèvement de l’eau libre et de l’humidité en excès. De plus, le chauffage à des températures élevées, mais qui sont sous les températures létales pour la mérule, peut entraîner la formation d’arthrospores qui sont difficiles à éliminer et dont le rôle principal est d’assurer la conservation du champignon (Schmidt 2006, 2007).

L’utilisation de fongicides pour traiter les matériaux d’origine laissés en place présente des risques pour la santé et ne doit être utilisée qu’en dernier recours. Elle ne peut se faire qu’en utilisant des produits homologués par l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (Santé Canada 2012) pour utilisation dans des lieux résidentiels (Tableau 3) et en respectant les limitations imposées pour leur usage. Selon Bravery (1991), l’exclusion de l’eau et la déshumidification de l’air sont suffisantes pour tuer le champignon en quelques mois et neutraliseront la résurgence de la mérule, en autant que l’humidité demeure contrôlée et que le mycélium caché dans les parties inorganiques de la construction (béton, mortier, plâtre, etc.) n’ait accès à aucun matériau organique (bois, papier, carton, etc.). Une fois les travaux de restauration terminés, il sera important d’inspecter le bâtiment pendant quelques mois après les travaux (Fraiture 2008), puis régulièrement par la suite (Krzyzanowski et al. 1999), afin de détecter toute nouvelle présence d’eau ou d’humidité excessive (Schmidt 2006) ou toute reprise éventuelle de la contamination.

Selon certaines sources (Normand 2015), les infestations de bâtiments par la mérule pleureuse seraient en augmentation. Un relevé systématique serait souhaitable pour appuyer cette affirmation. Lorsqu’une contamination à la mérule survient, il est possible d’y remédier en intervenant d’abord sur les conditions favorisant la prolifération du champignon, soit une présence d’eau et d’humidité excessive et une aération inadéquate, et en réparant les structures endommagées. L’application de fongicides in situ peut être utilisée en complément, mais ne doit être envisagée qu’en dernier recours. La détection rapide de la mérule est essentielle pour éviter une augmentation de la prévalence semblable à celle qu’on observe en Europe. Une intervention rapide en début de contamination pourrait permettre d’éviter la destruction complète des bâtiments touchés par la mérule.