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Chargée de recherche au sein de la Max Planck Foundation for International Peace and the Rule of Law, Élisa Novic est notamment détentrice d’une maîtrise en droit européen ainsi que d’une maîtrise en relations internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Intéressée par les questions relatives au droit international, aux droits humains et à la justice transitionnelle, ses cursus académiques et professionnels l’ont menée au Bangladesh, au Cambodge ou encore aux États-Unis et au Canada où elle a pu agir en tant que responsable de cas au sein de la Clinique internationale de défense des droits humains de l’Université du Québec à Montréal (UQAM)[1]. C’est en 2016, au terme de ses recherches sur le sujet, qu’Élisa Novic soutient et publie sa thèse doctorale intitulée The Concept of Cultural Genocide : An International Law Perspective[2], au moment même où la Cour pénale internationale reconnaissait Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi coupable de crime de guerre, suite à la destruction des Mausolées de Tombouctou au Mali et le condamnait à neuf ans de prison[3].

Au cours des dernières décennies, avec notamment l’émergence des mouvements de revendication autochtones et la multiplication des affaires relatives au patrimoine culturel, le concept de « génocide culturel » a en effet progressivement émergé en tant qu’instrument rhétorique et politique puissant, potentiellement applicable à un très grand nombre de situations passées ou actuelles. Pourtant, en dépit de cet avantage, et malgré le recours à ce terme par des instances telles que la Commission-vérité et réconciliation du Canada[4], force est de constater que le concept de génocide culturel n’est toujours pas considéré comme un concept juridique en droit international. C’est dans ce contexte que l’auteure se penche sur la problématique suivante : le droit international dispose-t-il des outils nécessaires pour aborder la question du génocide culturel et y apporter des solutions adéquates et satisfaisantes ? Pour répondre à cette problématique, et appuyer sa thèse voulant qu’à défaut d’une codification en droit international humanitaire le concept de génocide culturel puisse être encadré par d’autres branches du droit international, l’ouvrage d’Élisa Novic se construit autour de sept chapitres, suivis d’une conclusion et d’une bibliographie. Ces chapitres suivent la progression du raisonnement de l’auteure, et reposent sur une méthodologie classique alliant un examen des instruments juridiques internationaux et de la jurisprudence internationale et nationale pertinente, à une littérature issue d’autres disciplines telles que les sciences politiques, l’histoire, ou encore l’anthropologie qui permettent d’apporter des éclairages complémentaires.

Dans son premier chapitre faisant office d’introduction, Élisa Novic commence ainsi par s’atteler à la lourde tâche de définir les contours du concept de génocide culturel, étape préalable indispensable pour déterminer dans quelle mesure le droit international est à même de l’aborder. Or, le principal constat dressé par l’auteure, servant de fil directeur à l’ensemble du livre, est que le concept de génocide culturel rencontre deux obstacles principaux. Il souffre en effet tout d’abord d’une tension sémantique persistante découlant de l’opposition entre le terme « culture », dont il est admis aujourd’hui qu’il doit être compris dans un sens large, et celui de « génocide » qui repose au contraire sur une définition très restreinte. Il souffre ensuite d’un flou découlant de ses évolutions et distorsions successives qui rendent aujourd’hui difficile, voire impossible, la catégorisation du génocide culturel dans une seule branche du droit international[5].

Face à ce constat, Élisa Novic affirme qu’il est hautement improbable que le génocide culturel puisse être, en l’état, codifié et criminalisé en droit international. Pour soutenir cet argument, elle s’appuie notamment sur les développements historiques et juridiques des notions sous-jacentes de communauté, de culture et de génocide en droit international, ainsi que sur la manière dont le génocide a été interprété par les organes et tribunaux internationaux, en particulier les travaux de la Commission de droit international et la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, révélant notamment la persistance d’une compréhension essentiellement physique et biologique de la destruction du groupe induite par le génocide[6].

En dépit de cette codification improbable, Élisa Novic souligne toutefois que depuis 1948, année où le concept de génocide a été cristallisé dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[7], de nouvelles branches du droit international se sont développées, en particulier les droits humains et le droit international relatif au patrimoine culturel, qu’elle identifie comme étant à même de couvrir, au moins partiellement, différents éléments constitutifs d’un crime de génocide culturel[8]. Dans cette perspective, et face aux possibilités très limitées d’aborder toutes les facettes du génocide culturel à travers la seule lentille du génocide, l’auteure ouvre sa recherche à une analyse plus prospective. À partir des développements du droit international identifiés, l’auteure s’interroge en effet sur la pertinence d’une reconnaissance du génocide culturel à travers le seul concept juridique de génocide et suggère de nouvelles pistes de réflexion, en particulier en proposant de consolider le génocide en tant que crime contre l’humanité[9]. Surtout, l’auteure insiste à travers son ouvrage sur l’idée d’une convergence progressive et d’une synergie entre les différentes branches du droit international pertinentes et leurs normes respectives. Elle souligne également le fait que ces différentes branches peuvent et devraient aujourd’hui être analysées de manière complémentaire afin de pouvoir saisir au mieux les multiples facettes du concept de génocide culturel, telles que la criminalisation des attaques contre la culture, l’identification et la protection des groupes culturels ou encore la prévention du génocide culturel, et y répondre de manière adéquate. Enfin, de manière à compléter sa réflexion, Élisa Novic consacre ses deux derniers chapitres[10] à la question plus spécifique de la responsabilité étatique dans les dommages causés intentionnellement au patrimoine culturel, ainsi qu’à la question des réparations octroyées aux victimes, considérées par l’auteure comme largement négligées[11].

En s’intéressant ainsi à la question du concept de génocide culturel au regard du droit international, Élisa Novic a essentiellement cherché à démontrer que les instruments de droit international peuvent, ou du moins ont le potentiel pour encadrer la plupart des aspects relatifs au génocide culturel, à condition toutefois de les aborder suivant une approche intégrée et dans une logique de complémentarité. Ce faisant, elle propose un ouvrage très complet, basé sur une importante bibliographie ainsi que sur des exemples tirés de différents contextes historiques et juridiques, et rédigés dans un style clair qui en rend la lecture relativement aisée. La construction logique de l’ouvrage, de même que la structure interne de chaque chapitre, permettent en outre d’apprécier pleinement le raisonnement de l’auteure et sa progression.

On pourra toutefois regretter l’approche souvent technique qui a été retenue tout au long de cet ouvrage et le manque de vulgarisation qui peut en rendre la compréhension difficile pour un auditoire profane en matière de droit international en général, et de droit pénal international en particulier. Malgré cela, cet ouvrage reste un des premiers et rares travaux monographiques consacrés spécifiquement à la question du génocide culturel d’un point de vue juridique. Bien que de nombreuses publications soient déjà consacrées à cette question suivant différentes perspectives[12], la thèse d’Élisa Novic sera certainement amenée à devenir un ouvrage de référence sur la question tant il parvient à exposer avec exhaustivité les enjeux et obstacles juridiques qui entourent ce concept aux multiples dimensions.