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La conception traditionnelle du droit coutumier international fait face à une critique considérable depuis plusieurs années. Plusieurs académiciens ont tenté de chercher une meilleure compréhension de la nature du droit international coutumier et de la façon dont il opère dans le système international.

L’ouvrage Custom’s Future: International Law in a Changing World, s’inspire d’un travail plus général du professeur Curtis A Bradley et de son collègue Mitu Gulati[1]. Suite à une série de conférences et d’ateliers organisés sur le thème du droit et de la coutume et d’un article publié conjointement concernant le droit international coutumier, il a été proposé que le sujet soit développé dans le cadre d’un livre. Les professeurs Curtis A Bradley et Ingrid Wuerth, dont l’idée originale est venue, ont recruté plusieurs auteurs pour ce volume, et ont organisé une conférence en 2014 afin de favoriser le dialogue entre ces derniers. L’ouvrage final se veut une contribution à l’étude du droit international coutumier, lequel doit être repensé afin de lui permettre d’aller de l’avant.

L’ouvrage est constitué de critiques à différents points de vue, des alternatives à la vision traditionnelle du droit international coutumier, ainsi que des critiques à ces mêmes alternatives. Les participants abordent des sujets variés du droit international, allant du droit international de l’investissement au droit humanitaire, passant par le droit pénal international et la protection des droits humains. L’ouvrage expose différentes positions théoriques et approches méthodologiques, qui permettent d’étudier le sujet sous des angles différents et de solliciter l’esprit critique du lecteur. Au fil de la lecture de l’ouvrage, on peut également noter un effort de dialogue entre les auteurs des différents chapitres.

Le premier chapitre, intitulé Custom’s Past, est présenté par Emily Kadens[2]. À l’aide d’une méthode historique, elle aborde dans ce chapitre le développement du concept de coutume. Elle avance que les juristes et juges médiévaux ont tenté de forcer la coutume à ressembler à ce qu’ils considéraient du droit, lequel était alors fortement influencé par la tradition formelle du droit romain, alors que la coutume est en soi un ensemble de règles précédant l’existence du droit. Elle nous sensibilise au fait qu’en acceptant la définition juridique de la coutume, on pose un acte de législation ou d’invention, et non un acte neutre d’articulation d’une coutume préexistante. Ce premier chapitre introduit efficacement l’ouvrage, puisqu’en comprenant l’état naturel de la coutume, ainsi que l’incapacité de sa définition juridique à capter son caractère originel, nous sommes mieux en mesure de décider comment nous voulons traiter les prétentions du droit international coutumier, ce qui fera l’objet des chapitres suivants.

Le deuxième chapitre, intitulé Customary International Law Adjudication as Common Law Adjudication, est rédigé par le directeur de l’ouvrage collectif, Curtis A Bradley[3]. Il avance que la vision traditionnelle du droit international coutumier comporte des difficultés normatives et conceptuelles, qui émergent en partie de la volonté de formuler une seule et unique conception du droit international coutumier qui servirait dans tous les contextes institutionnels. Or, selon lui, c’est en observant comment est abordé le droit international coutumier dans les décisions d’arbitrage international, et en le comparant avec le fonctionnement de la common law, qu’on peut trouver des pistes de solution à la fragmentation du droit international et des institutions, donc à la cohérence et à la légitimité du droit international dans son ensemble. L’auteur constate que les institutions, telles que la Cour internationale de justice, fonctionnent selon une approche de common law plutôt que selon la vision traditionnelle du droit international coutumier, bien qu’elles y fassent explicitement référence.

Le troisième chapitre, intitulé Customary International Law as a Dynamic Process et écrit par Brian D Lepart, explore les différentes alternatives modernes proposées au droit international coutumier[4]. Il relate également leurs avantages et limites, avant de proposer sa propre alternative, qu’il qualifie de processus dynamique, qui prétend intégrer à la fois les avantages de l’approche traditionnelle et ceux des approches modernes et qui favoriserait un changement plus rapide des normes de droit international coutumier. Sa proposition suggère une importance moindre de la pratique étatique dans la formation des normes de droit international coutumier, ainsi qu’une redéfinition de l’opinio juris en tant que croyance générale partagée par les États qu’une norme représente un comportement souhaitable. Bref, ce chapitre offre un aperçu considérable des différents types d’approches qui ont été proposés comme alternatives à la vision traditionnelle, ainsi qu’une appréciation de chacune d’entre elles, lesquelles approches seront mentionnées ou traitées dans les chapitres subséquents.

Le quatrième chapitre, intitulé Custom, Jus Cogens, and Human Rights et rédigé par John Tasioulas[5], propose une approche de la coutume où la justification morale est la composante principale de l’opinio juris — soit on considère qu’une norme devrait être créée et qu’elle est moralement justifiée, soit on reconnaît qu’une norme a été créée et qu’elle est moralement justifiée. Dans cette conception, la pratique occupe une place plus mince, ce qui permet de distinguer les deux éléments constitutifs de la coutume, notamment en évitant de percevoir la pratique comme étant une preuve d’opinio juris. Plus spécifiquement, l’auteur propose une compréhension des normes de jus cogens comme étant une sous-catégorie de normes de droits humains ayant un caractère coutumier et dont le processus d’adoption ne requiert pas nécessairement la pratique des États, bien qu’elle soit pertinente. Enfin, au sujet de la détermination de ces normes de jus cogens, l’auteur suggère que la réponse n’est pas forcément catégorique, puis propose un autre type de réponse, où « [r]egarding some customary human rights norms that are jus cogens, it is only some aspects of their normative content, and not the whole of it, that possess this status[6] ».

Le cinquième chapitre, Customary International Law : How Do Courts Do It ?, est rédigé par Stephen J Choi et Mitu Gulati[7]. Sur la base du constat d’un manque de clarté au sujet de la norme d’exception de paiement de la dette nationale dans le cadre des successions de régime en droit international coutumier, les auteurs décident de mener une recherche empirique sur la détermination du droit international coutumier par les tribunaux de manière générale. Ils constatent que, contrairement à leur hypothèse de départ, les tribunaux internationaux sont loin d’observer la règle d’identification du droit international coutumier selon les deux composantes traditionnelles, soit l’opinio juris et la pratique. A contrario, une interprétation optimiste de ce que ces tribunaux feraient est, pour reprendre les propos de Bradley, une analyse de type common law. Toutefois, une autre piste que les auteurs suggèrent — et ils insistent sur le fait que davantage de recherche devrait être menée à l’effet de cette hypothèse — consiste en ce que les tribunaux internationaux trouvent des normes de droit international coutumier lorsque cela bénéficie à leurs nations mères et leurs alliés et, inversement, n’en trouvent pas lorsque cela ne bénéficie pas à ces derniers.

Dans le sixième chapitre, intitulé Custom’s Method and Process, Monica Hakimi, soutient que la méthode traditionnelle d’identification du droit international coutumier est évasive, puisque sa question de départ, à savoir comment trouver le droit international coutumier, l’est[8]. En effet, Hakimi remet en question le fait que l’identification du droit international coutumier est un exercice objectif et détaché du processus de création de la coutume. Il affirme plutôt que ledit processus est particulièrement indiscipliné et politiquement chargé. Elle analyse l’évolution du droit international humanitaire coutumier afin de démontrer que les acteurs non étatiques chargés de trouver le droit international coutumier sont extrêmement influents dans la création du droit et qu’aucune méthode particulière d’identification du droit international coutumier n’est en mesure de discipliner les acteurs mondiaux et d’imposer un ordre sur la coutume, puisque son processus de création est profondément indiscipliné et désordonné.

Dans le septième chapitre, The Growing Obsolescence of Customary International Law, Joel P Trachtman soutient que le droit international coutumier a certes eu son utilité dans la réglementation de la guerre, dans la protection des droits humains et dans la réduction de la pauvreté[9]. Toutefois, face aux nouveaux défis contemporains tels que la protection de l’environnement, la santé mondiale et les crises financières, on doit se tourner vers des mécanismes plus efficaces. En effet, après avoir identifié les limites et les avantages du droit international coutumier et affirmé que les premières dépassent largement les seconds, l’auteur démontre que le droit international coutumier, jugé obsolète par les États, a déjà été remplacé par le droit des traités et la soft law.

Au huitième chapitre, intitulé The Strange Vitality of Custom in the International Protection of Contracts, Property, and Commerce, Chin Leng Lim avance que l’accroissement de la législation par le biais de traités de même que l’augmentation de l’institutionnalisation du droit international ne démontrent pas l’obsolescence du droit international coutumier[10]. Au contraire, cela démontre le gain en importance du rôle de la coutume en droit international économique. D’une part, Lim illustre la vitalité du droit international coutumier dans ce domaine. D’autre part, il répond à des critiques actuelles concernant les déficiences de la coutume en matière de création de nouveau droit international, affirmant que la théorie de l’obsolescence ne prend pas en considération l’interrelation entre les traités et la coutume.

Larissa van den Herik, dans le neuvième chapitre, The Decline of Customary International Law as a Source of International Criminal Law, analyse le déclin du droit international coutumier en droit pénal international[11]. Premièrement, elle explique que la délimitation du concept de droit pénal international, où un rôle prépondérant est accordé aux tribunaux dans l’identification des normes coutumières et où les règles sont dirigées vers les individus plutôt que les États, a des conséquences en matière de droit international coutumier. Deuxièmement, van den Herik démontre que le déclin du droit international coutumier est une conséquence directe de l’introduction du Statut de Rome[12] et d’une transition vers un régime universel — en opposition avec les tribunaux ad hoc — et est davantage basé sur le consentement. Enfin, elle soutient que l’éloignement du droit pénal international du droit international coutumier peut s’expliquer par les difficultés inhérentes du fait de fonder ce même droit pénal international dans le droit coutumier. Enfin, elle propose de redonner un rôle au droit international coutumier en droit pénal international, le système international et les systèmes nationaux ayant avantage à s’apporter mutuellement.

Dans le dixième chapitre, intitulé Customary International Law and Public Goods, Neils Peterson constate que la protection des biens et ressources publics en droit international est limitée autant par le droit des traités que par le droit coutumier[13]. Il remarque également que l’extension unilatérale de l’autorité des États sur les biens et ressources publiques est une solution à envisager. L’auteur définit d’abord les concepts de biens publics et de ressources publiques, les premiers étant sous-distribués, et les secondes surexploitées, une tendance que serait à la hausse. Ensuite, il explore la capacité du droit international coutumier à réglementer par le biais de deux méthodes particulières, à savoir l’interprétation morale et la législation judiciaire. Après avoir constaté que ces méthodes offrent elles-mêmes quelques limites, Peterson suggère qu’au lieu de partager l’autorité des États sur les biens et ressources publics, ils pourraient la diviser en étendant chacun leur juridiction, ce qui permettrait d’atteindre un niveau de protection plus grand que par le biais du partage d’une seule autorité.

Dans le onzième chapitre, Revigorating Customary International Law, Andrew T Guzman et Jerome Hsiang soutiennent que les thèses de plusieurs chercheurs suggérant que le droit international coutumier est mourant sont largement exagérées[14]. Ils constatent que, bien que le droit international coutumier sous sa forme actuelle ne soit pas complètement cohérent au niveau conceptuel, il conviendrait de le revigorer pour le bénéfice de la coopération des États modernes. Selon eux, il faudrait davantage se baser sur le droit international non consensuel que sur la législation basée sur le consentement. À cet effet, ils présentent une critique de la vision traditionnelle de la coutume et proposent une approche du choix rationnel, où l’opinio juris est centrale et la pratique est reléguée aux éléments superflus. Ils poursuivent en affirmant qu’une telle conception de la coutume rassemble suffisamment les éléments de légalité et d’implication directe des États pour que le droit international coutumier est un outil utile de modification du comportement étatique. Enfin, les auteurs concluent en indiquant que, pour qu’une telle conception apparaisse en droit international, elle doit d’abord émerger dans la coutume régionale, puis être internationalisée, ce qui dépend du pouvoir et de l’influence de l’acteur régional duquel en émerge initialement la coutume.

Dans le douzième chapitre, intitulé The Evolution of Codification : A Principal-Agent Theory of the International Law Commission’s Influence, Laurence R Helfer et Timothy Meyer soutiennent que le blocage croissant au sein de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a poussé la Commission de droit international (CDI) à changer la forme de son travail afin de préserver son influence dans l’évolution du droit international[15]. Le fait que les travaux de la CDI ne se transforment pas en traités pourrait donc être interprété par les États comme étant un refus qu’ils correspondent au contenu du droit international, ce qui pose problème. Les auteurs utilisent une approche « principal-agent » afin d’expliquer d’abord comment la relation entre la CDI et l’AGNU a évolué au fil du temps, avançant que la CDI a continuellement choisi un produit de droit international qui maximiserait son influence auprès des États et autres acteurs. Ils illustrent, ensuite, le changement du travail de la CDI par le biais d’une étude empirique de toutes ses contributions depuis 1947, où l’on constate que la CDI a commencé à favoriser des options non conventionnelles — i.e. qui n’ont pas pour but de se convertir en traités — à partir du début des années 1990. Enfin, Helfer et Meyer soutiennent que ce changement ajoute à l’importance de la méthodologie du droit international coutumier lorsqu’il y a un blocage au niveau de l’AGNU. Ils espèrent par ailleurs que la CDI trouvera d’autres mécanismes lui permettant de continuer d’influencer le droit international coutumier.

Dans le treizième chapitre, intitulé Custom and Informal International Lawmaking, Jan Wouters et Linda Hamid, soutiennent que la législation informelle en droit international est un phénomène grandissant, mais qu’il n’a toutefois pas entièrement remplacé la législation traditionnelle, laquelle inclut le droit international coutumier[16]. Les auteurs analysent, d’abord, la montée de la législation informelle et son utilité en droit international. Ensuite, ils suggèrent que la montée du droit informel n’est pas la seule raison du déclin de la coutume, mais qu’il y a aussi des limitations doctrinales et pratiques. Puis, ils avancent que le droit informel peut, certes, agir en tant qu’alternative au droit international traditionnel, mais qu’il peut surtout agir de façon complémentaire. Enfin, les auteurs proposent d’étirer les frontières du système international traditionnel afin d’y incorporer le droit informel.

Omri Sender et Michael Wood, au quatorzième chapitre, intitulé Custom’s Bright Future : The Continuing Importance of Customary International Law, bouclent l’ouvrage sur une note plus optimiste[17]. Ils affirment que le droit international coutumier n’est ni en crise, ni en déclin, et que certaines conclusions sont exagérées. Ils procèdent à la démonstration de l’importance continue du droit international coutumier et soutiennent que, malgré le fait que plusieurs débats continuent d’avoir lieu sur la nature et la fonction du droit international coutumier, plusieurs de ces questions ont déjà été réglées et d’autres n’empêchent pas le droit coutumier de jouer un rôle important en droit international.

Dans son ensemble, l’ouvrage Custom’s Future : International Law in a Changing World présente une diversité intéressante de positions théoriques et d’approches méthodologiques. La méthode empirique est notamment utilisée par certains contributeurs de l’ouvrage, laquelle permet d’illustrer adéquatement quelques changements dans les tendances. De plus, la rencontre favorisant le dialogue entre ces contributeurs transparaît largement dans plusieurs des chapitres. En effet, à plusieurs reprises, les auteurs se répondent entre eux et semblent prendre en considération la gamme d’arguments présentés dans l’ensemble de l’ouvrage afin de fournir des contributions plus approfondies. De ce point de vue, le travail de direction est remarquable.

En somme, suite à notre lecture de cet ouvrage, il nous apparaît clair que le droit international coutumier doit être réformé et que plusieurs méthodes alternatives ont déjà fait leur chemin dans la littérature existante. À ce niveau, l’ouvrage est intéressant autant pour les chercheurs que pour les praticiens du droit international. Il nous permet de remettre en question certains éléments du droit international coutumier, mais également du droit international en général. À notre avis, l’ouvrage est particulièrement pertinent pour les jeunes juristes, qui auront probablement, si l’on en croit les conclusions de plusieurs auteurs — le titre proposé à l’origine était d’ailleurs Custom in Crisis : International Law in a Changing World — à remédier à des lacunes importantes du droit international coutumier.

En outre, si le niveau d’analyse et de recherche présenté par les auteurs des différents chapitres est à souligner, il convient de préciser qu’une remise en question systémique n’a pas été réellement tentée. À titre d’exemple, le sixième chapitre, écrit par Monica Hakimi, présente une critique intéressante, mais le sujet aurait, de notre point de vue, profité davantage de développement. Parmi la multitude de modèles alternatifs en droit international coutumier, trop peu d’auteurs ont tenté d’inclure les acteurs non étatiques — outre les tribunaux — dans une nouvelle théorie, par exemple. Serait-ce simplement un positionnement théorique ou serait-ce davantage un choix stratégique afin de maximiser la légitimité de l’ouvrage au sein du domaine ? Dans tous les cas, nous croyons que, tel que le développent habilement les auteurs de l’ouvrage, le droit international coutumier doit être repensé. Toutefois, nous considérons aussi qu’un tel renouvellement ne doit pas être pensé indépendamment d’une remise en question des fondations mêmes du système de droit international. Certes, un tel objectif aurait paru ambitieux pour un ouvrage de cette envergure et devra être laissé pour des travaux ultérieurs, voire une réédition.