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Le principe de la liberté d’investir, vu sous l’angle du droit d’établissement, est reconnu dans des traités de commerce postérieurs à 1945[1], mais ne fait pas de nos jours l’objet d’une définition précise. Cela semble normal dans la mesure où la notion d’investissement elle-même n’est pas définie. Plusieurs projets ont été lancés sur le thème de la liberté d’investissement[2]. Ces projets ont permis d’ouvrir un débat en la matière. Ils ont confirmé la nécessité de reconnaître certains principes fondamentaux en faveur des investisseurs étrangers, à savoir la transparence, la libéralisation et la non-discrimination. Néanmoins, ils n’ont pas réussi à trouver une définition commune du terme. Par conséquent, il revient à chaque État de fixer ses propres conditions régissant l’admission et le traitement de l’investissement sur son territoire.

La période qui a suivi la Première Guerre mondiale a vu la naissance des pays arabes en tant qu’États souverains[3]. Suite à leur indépendance, ces États devaient impérativement exploiter leurs ressources naturelles dans le but d’améliorer leur situation économique. La solution idéale pour réaliser cet objectif était celle d’accueillir des investissements nouveaux. Pour ce faire, la majorité d’entre eux a promulgué des législations en matière d’investissement international. Certains États ont adopté des législations très favorables en matière d’encouragement et de protection de l’investissement[4]. La liberté d’investir a été exprimée soit d’une manière explicite[5], soit d’une manière implicite lorsque le texte prévoit d’autres expressions équivalentes ou reconnaît à l’investisseur certains droits ou traitements[6].

Entre les années 50 et 80, certains de ces États, notamment l’Égypte, la Tunisie et l’Arabie saoudite, ont subi des sentences arbitrales qui ne leur ont pas donné raison. Ces sentences furent mal acceptées[7]. Une certaine méfiance est donc apparue à l’encontre des investissements étrangers. Le principe de la liberté d’investir a été réaffirmé dans les deuxième et troisième générations des législations[8], mais cette fois avec prudence. Ainsi, des limitations ou des exceptions ont accompagné l’application de ce principe. Certaines de ces limitations sont antérieures à l’installation de l’investissement (I), tandis que d’autres sont postérieures à l’installation de l’investissement (II).

I. La limitation de la liberté d’investir avant l’installation de l’investissement

En droit international général, le principe de la compétence discrétionnaire d’un État d’admettre ou non des étrangers sur son territoire est indiscutablement reconnu[9]. Il ne connaît aucune restriction, sauf s’il existe une volonté de l’État de le limiter[10]. Ce principe est consacré par les législations des États qui font l’objet de notre étude. Ceux-ci définissent des conditions et limitations quant aux investissements en provenance de l’étranger. Certains le font d’une manière indirecte ou sectorielle (A), mais la plupart ont institué des procédures d’agrément ou d’autorisations administratives, leur permettant de déterminer les conditions correspondant à leurs besoins et à leurs objectifs de politique économique (B).

A. Limitations par secteur économique

L’analyse de l’ensemble des législations étudiées dans cet article montre le désir des législateurs de contrôler l’investissement réalisé sur le territoire national. La forme et la densité de ce contrôle varient d’un État à l’autre selon sa situation économique ou politique. Il se concrétise soit par l’interdiction aux investisseurs étrangers d’accéder à certains secteurs ou activités, soit en leur imposant des conditions particulières.

La limitation de la liberté d’investir est un droit légitime reconnu par la grande majorité des législations en matière d’investissement. Il s’agit notamment des secteurs sensibles ou stratégiques[11] comme celui de la défense ou de l’énergie atomique[12]. En plus de ce type de limitations, les législations des États objets de notre étude prévoient d’autres limitations.

Selon certaines législations, les textes fixent une liste positive des branches d’activités ou de mesures auxquelles s’applique le principe de non-discrimination. C’est notamment le cas de l’article 1er du Code d’incitation aux investissements égyptien (CII)[13]. L’investissement dans tous les autres secteurs ou activités doit respecter une certaine procédure de déclaration ou d’autorisation spéciale après une négociation avec l’autorité compétente de l’État d’accueil. Lorsqu’il s’agit d’une négociation avec l’État, le critère pris en considération est généralement l’importance du projet[14]. Il est important de mentionner que certaines législations arabes en la matière ont remplacé le terme « agrément » par celui de « déclaration »[15]. Dans la pratique, la distinction entre le régime de la déclaration et celui de l’autorisation n’est pas nette[16].

Selon une deuxième catégorie de législations, les textes délimitent la liberté d’investissement en fixant préalablement une liste négative des secteurs et/ou activités auxquels le principe de la liberté d’investissement ne s’applique pas ou est soumis à des réglementations spéciales. Cette délimitation varie sensiblement selon les législations. Tous les secteurs sont donc ouverts aux investisseurs, mais les pouvoirs publics conditionnent l’admissibilité d’un investissement dans l’un de ces secteurs par le respect de certaines conditions. La liste des secteurs réglementés est généralement fixée par un décret spécial[17]. À titre d’exemple, l’investissement dans le secteur touristique, en Tunisie, est soumis à l’obtention préalable de l’accord du ministre du Tourisme[18]. Tout investissement dans ce secteur doit solliciter l’autorisation du ministre des Finances via l’Office national du tourisme tunisien (ONTT)[19]. Il devra aussi, dans un délai d’un an, solliciter l’accord définitif de son projet. Aussi bien pour l’accord préalable que pour l’accord définitif, la loi envisage la possibilité d’un refus de l’accord par les autorités compétentes[20]. Le secteur financier est également l’un des secteurs les plus contrôlés en Tunisie. La création d’établissements de crédit, sous forme d’établissements bancaires ou d’établissements financiers, est soumise à l’agrément du ministre des Finances sur rapport de la Banque centrale de Tunisie[21]. L’agrément est également requis pour investir dans le secteur de la promotion immobilière[22] ou dans le domaine minier[23]. La sanction du non-respect de la condition de l’agrément dépend de chaque législation. Dans certaines législations, cette sanction peut aller jusqu’à la fermeture de l’entreprise[24]. Le nouveau Code d’investissement ne précise pas les secteurs ou activités réglementés. Toutefois, il prévoit qu’il sera complété par des décrets d’application qui doivent fixer des listes des secteurs qui sont réglementés ou exclus.

Le règlement exécutif du code saoudien d’investissement[25] prévoit également une longue liste des secteurs et activités qui n’entrent pas dans son champ d’application dont l’accès nécessite une autorisation ou négociation spécifique avec l’État[26].

Enfin, en vertu de certaines législations, qui ne font pas l’objet de notre étude, le code d’investissement exclut de son champ d’application certains secteurs et/ou activités. Cette exclusion implique un renvoi à d’autres réglementations internes régissant ces secteurs[27].

La limitation ou la prohibition d’investir dépendent de l’importance ainsi que de la sensibilité des secteurs et activités exclus ou réglementés. Ainsi, les secteurs touristique et pétrolier constituent les principales sources de financement pour la majorité des États arabes. Il n’est donc pas de question pour ces États de permettre aux investisseurs de réaliser de grands bénéfices sans aucun contrôle ou participation. En pratique, les activités et les secteurs réglementés ne sont pas minimes et concernent la plupart des ressources vitales du pays. Il est probable que le classement de secteurs ou d’activités dans les catégories d’une importance stratégique évolue avec le temps, par exemple suite à la venue au pouvoir d’un nouveau gouvernement et aux changements qui en résultent dans les politiques économiques. C’était notamment le cas de plusieurs législations des pays arabes comme l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie, et certains pays du Golfe[28]. Ces pays ont opté, après leur indépendance, pour une politique libérale afin d’attirer les investisseurs étrangers. Or, leur méfiance envers l’investissement étranger en général et les juridictions arbitrales étrangères en particulier s’est rapidement développée à la suite de quelques sentences arbitrales à leur encontre[29]. À titre d’exemple, la Loi n° 43 de 1974 égyptienne « régissant l’investissement du capital arabe et étranger et les zones franches » est qualifiée d’instrument essentiel de cette ouverture[30]. Elle a ouvert le pays aux capitaux étrangers et a établi une liste des secteurs accessibles ; en fait, faute de critères bien définis, elle laisse libre accès à la plupart des secteurs de l’économie[31]. L’Autorité générale pour l’investissement et les zones franches (GAFI) est désormais chargée de l’agrément de l’investissement étranger[32].

La question qui mérite d’être posée ici concerne l’effet d’une telle évolution ou changement de législations sur les investissements qui sont déjà admis. En d’autres mots, un secteur ou une activité qui n’est pas considéré comme étant d’une importance stratégique au moment de l’admission de l’investissement peut-il être classé comme stratégiquement important à un stade ultérieur ? Il est également nécessaire de s’interroger sur l’importance de l’interdiction ou de la limitation des secteurs d’investissement en la présence d’un traité bilatéral d’investissement (TBI), postérieur à l’installation d’investissement, entre l’État arabe d’accueil et celui dont l’investisseur est ressortissant, permettant à l’investisseur d’y accéder.

En effet, la plupart des TBI signés par des parties arabes ne s’appliquent pas à la phase de pré-établissement, c’est-à-dire qu’ils n’imposent pas aux parties contractantes d’obligations contraignantes en ce qui concerne l’admission de l’investissement étranger[33]. Ces TBI n’empêchent donc pas les parties contractantes de refuser l’accès à des investisseurs étrangers à certains secteurs et activités avant son entrée en vigueur[34]. Même les nouvelles générations des TBI accordant des droits d’établissement excluent de leur champ d’application, expressément ou implicitement, certains secteurs ou activités stratégiques. Elles prévoient en général que les investissements étrangers seront admis conformément à la législation du pays d’accueil[35] ou que l’investissement dans certains secteurs ou activités sera régi par des règles spécifiques[36], ou encore les normes de traitement convenues, telles que le traitement national ou celui de la nation la plus favorisée, ne sont pas applicables à l’admission des investissements[37]. Une mesure rejetant l’investissement étranger pour des raisons de la nature du secteur ou de l’activité économique sera donc légitime même si elle est en fait incompatible avec l’objectif général de l’accord, qui consiste à créer un environnement accueillant pour les étrangers.

Enfin, il peut arriver qu’après l’établissement, le pays d’accueil déclare le secteur économique concerné comme étant un secteur d’importance stratégique ou souhaite le réserver à des entreprises nationales. Dans ce cas, l’investisseur se trouve devant l’obligation de renégocier son contrat d’investissement en vigueur ou de le vendre à une entreprise nationale. La pratique arbitrale en la matière offre beaucoup d’exemples où l’État a pu nationaliser ou exproprier l’investissement en raison du classement du secteur d’investissement comme stratégique[38]. Il est à mentionner que les accords bilatéraux signés par les trois États étudiés dans cet article, contrairement à d’autres accords[39], ne reconnaissent que rarement la clause de stabilisation des législations internes.

1. Des activités et/ou secteurs réservés aux investisseurs nationaux

Les législations tunisienne et saoudienne prévoient des réserves au profit des investisseurs nationaux. L’adoption de ce type de réserve signifie simplement que l’investisseur étranger ne peut accéder à aucun des secteurs énumérés[40]. Cette politique qui vise à favoriser l’investisseur national ou à lui réserver le droit d’accès à certains secteurs a été toujours adoptée dans les législations tunisiennes. Elle impose aux investisseurs étrangers souhaitant accéder à certains secteurs ou activités l’association avec un partenaire tunisien majoritaire[41]. Un décret-loi datant de 1961 dispose en effet que seules les personnes physiques ou morales de nationalité tunisienne peuvent exercer une activité commerciale ou industrielle en Tunisie[42]. De plus, dans le cas d’une société anonyme, la majorité des membres de son conseil d’administration doivent être des personnes physiques de nationalité tunisienne et le président-directeur général doit également être tunisien : « Si le président n’a pas les pouvoirs de direction générale, le président ou le directeur général doit être de nationalité tunisienne, le directeur général devant par ailleurs résider en Tunisie »[43]. Ce type de réserves en faveur des investisseurs nationaux ne semble pas être abrogé par le nouveau Code d’investissement[44]. Celui-ci réitère le principe de la liberté d’investir, déjà établi par l’ancien code, qui accompagne la garantie de non-discrimination en matière de traitement de l’investisseur étranger. En vertu d’un tel principe, sous des conditions comparables, un investisseur étranger ne sera pas traité de manière moins favorable qu’un investisseur tunisien[45]. Mais en réalité, il existe une nette distinction entre le domaine de l’admission et celui du traitement de l’investissement. Le nouveau Code prévoit la mise en place d’un décret d’application avant le 1er janvier 2017. Ce dernier devrait préciser si le principe de non-discrimination est applicable ou non en matière d’admission de l’investissement. Enfin, l’article 5 du nouveau Code, autorisant les investisseurs nationaux à acquérir des terres agricoles et à les exploiter pour la réalisation d’opérations d’investissement agricole ou la continuation de celles-ci, a été critiqué par certains analystes économiques dans la mesure où il permet à l’investisseur étranger de se cacher derrière une entreprise tunisienne pour posséder des terres agricoles.

Quant aux législations saoudiennes, malgré l’adoption d’un code plus attractif, on relève certaines restrictions en termes de participations étrangères : une liste « négative » exclut trois catégories de production et dix-neuf industries de services de l’investissement étranger[46]. Cette liste comprend « l’amont pétrolier (exploration, forage et production) du fait de son exclusion du processus d’ouverture du secteur des hydrocarbures saoudien « Gas Initiative ». Elle comprend également l’investissement immobilier et les services aux pèlerins, exclus pour des raisons religieuses ». La liste négative s’étend aussi à un nombre important de secteurs et activités auxquels l’investisseur étranger ne peut pas accéder[47]. Les étrangers sont également confrontés à d’importantes difficultés en matière de transmission d’entreprises dans plusieurs pays arabes. Plus généralement, de multiples exigences compliquent l’installation d’investisseurs étrangers, et notamment le très long délai de délivrance des cartes de séjour — avec des difficultés spécifiques rencontrées par les retraités — et la nécessité d’obtenir une autorisation préalable du Gouverneur pour tout achat ou toute vente de bien immobilier par un étranger, source de délais considérables.

Les restrictions prévues par les législations saoudienne et tunisienne, surtout la discrimination au profit des investisseurs nationaux, ne nous semblent pas absolues en la pratique. Elle peut être dérogée par une autorisation administrative à la suite d’une négociation entre l’investisseur et l’État. Quant aux accords bilatéraux signés par ces États, les textes, même ceux reconnaissant le principe du traitement national ou celui de la nation la plus favorisée, ne semblent pas reconnaître plus de liberté aux investisseurs. L’ensemble de ces accords renvoie aux législations internes en ce qui concerne la question de l’admission des investissements[48]. De rares exceptions sont à mentionner. Ainsi, l’Accord Japon-Égypte prévoit le traitement de la nation la plus favorisée en matière d’admission[49].

B. La propriété des étrangers sur le territoire de l’État hôte

L’acquisition des biens sur le territoire de certains États arabes par des étrangers, qu’elle soit pour des raisons économiques, historiques ou sociales, est soumise à des conditions exceptionnelles. Elle est interdite dans la majorité des cas. Or, vu l’importance de reconnaître ce droit aux investisseurs étrangers en tant qu’élément d’attraction, cette interdiction peut être dérogée dans certains cas sur une autorisation spéciale.

1. L’interdiction de s’approprier par des étrangers

En ce qui concerne les étrangers, le droit à la propriété immobilière est source principale de préoccupation dans la majorité des législations des États arabes. Les constitutions dans ces pays lui accordent des soins spéciaux. Dans la grande majorité des anciennes législations, l’accès des étrangers à la propriété d’un bien immobilier constituait une violation de la règle générale interdisant ce genre d’appropriation[50]. L’acte de s’approprier par un étranger a été considéré par ces législations comme un élément de la souveraineté nationale qui ne doit être dérogé que par une autorisation justifiant la cause de la dérogation. Les fondements de telles restrictions tiennent à des considérations de sécurité et d’indépendance nationales. L’interdiction aux étrangers d’accéder à la propriété immobilière prend deux formes selon la législation.

Selon certaines législations, l’acquisition des biens immobiliers sur le territoire d’un État n’est reconnue qu’aux personnes physiques ou morales ayant sa nationalité.

L’interdiction aux étrangers d’acquérir des biens immobiliers est souvent intégrale dans un ou plusieurs secteurs comme le cas des législations égyptienne et tunisienne, selon lesquelles l’acquisition d’une terre agricole comme propriété par un étranger n’est pas possible[51]. L’interdiction est souvent prévue d’une manière explicite. En ce sens, l’article 3 de l’ancien Code d’investissement dispose que « [l]es étrangers peuvent investir dans le secteur agricole dans le cadre de l’exploitation par voie de location des terres agricoles. Toutefois, ces investissements ne peuvent en aucun cas entraîner l’appropriation par les étrangers des terres agricoles[52] ». Les investisseurs étrangers peuvent uniquement prendre des engagements pour des baux de longue durée, mais seulement dans la mesure où la participation étrangère dans les sociétés d’exploitation n’excède pas 66 %[53]. L’article 5 du nouveau Code d’investissement stipule également que « [l]’investisseur est libre d’acquérir ou louer ou exploiter le foncier non agricole […][54] ». C’est également le cas de la Loi égyptienne n° 15 de 1963 concernant la détermination du champ d’interdiction de la propriété étrangère. Selon l’article 1er de cette loi, « [i]l est interdit aux étrangers, qu’ils soient des personnes physiques ou morales, d’acquérir une propriété foncière ou des terres agricoles ou désertiques […][55] ». Il est à noter que le législateur égyptien a autorisé, dans une série de lois ultérieures, les étrangers à acquérir des propriétés immobilières[56]. Pourtant, ces nouvelles législations ne prévoient pas la possibilité d’acquérir des terres agricoles par un étranger[57].

L’interdiction telle qu’elle est prévue par les articles précédents, est impérative et ne connaît pas d’exception. Il est donc indispensable pour un investisseur étranger voulant investir dans le secteur agricole de passer par la voie de location[58]. L’interdiction peut être justifiée ici par des raisons économiques et sociales spécifiques à chaque pays[59]. Cependant, elle peut être critiquée par le fait qu’elle oblige l’investisseur étranger à se soumettre aux conditions imposées par le propriétaire. Le fait de ne permettre à l’investisseur d’investir que par la voie de location donne au propriétaire le pouvoir de fixer des prix exorbitants. Cette obligation peut coûter cher à l’investisseur surtout dans le cas où il n’existe pas de règlement qui régit ce genre de location, ce qui est le cas dans certains pays arabes.

L’interdiction de l’accès à la propriété immobilière caractérise de nos jours une minorité d’États ou un nombre limité de secteurs[60]. Les deuxième et troisième générations de législations, surtout celles des États qui ont subi des changements politiques et économiques ces dernières années, prévoient des atténuations à ce principe d’interdiction. Ainsi, le nouveau code tunisien d’investissement comme le nouveau Projet de loi égyptien sur l’investissement prévoient que cette interdiction peut être dérogée soit par une autorisation spécifique, soit en permettant à l’investisseur étranger de passer par une société nationale[61].

Enfin, la tendance des pays étudiés à empêcher l’investisseur étranger d’accéder à la propriété immobilière peut être critiquée, surtout en considérant l’état actuel d’instabilité politique dans la région. L’attraction des capitaux étrangers, objectif commun recherché par la majorité des pays du monde, doit être considérée comme une exigence de la mondialisation.

2. La propriété des étrangers contrôlée par l’État hôte

Vu l’importance capitale de la question de la propriété des étrangers, certains États lui ont consacré des dispositions particulières dans leurs nouvelles législations. Néanmoins, leur reconnaissance de ce droit n’a pas été absolue ou sans condition.

En vertu de droit saoudien, un étranger ne peut acquérir des biens immobiliers à l’exception des biens immobiliers situés dans certaines zones géographiques. Ainsi, l’article 5 du Code relatif à l’acquisition des biens immobiliers par les non-saoudiens dispose qu’« il n’est pas permis aux non-saoudiens, que par voie de succession, d’acquérir la propriété, la servitude ou l’utilisation de biens immobiliers situés dans les limites des villes de la Mecque et de Médina […][62] ». De même, le droit égyptien interdit aux étrangers d’acquérir des biens immobiliers dans certaines régions déterminées par décret[63].

L’interdiction, telle qu’elle est prononcée par les législations saoudienne et égyptienne, n’entraîne pas une interdiction d’investir. Cependant, tout investissement réalisé dans les zones déterminées par les textes doit passer par un partenaire local ou par la voie de location. Cette interdiction a été souvent justifiée par des raisons sociales et religieuses et non économiques[64]. En conséquence, et contrairement à l’interdiction d’investir dans certains secteurs pour des raisons purement économiques, la limitation de la propriété des étrangers dans une région déterminée est un droit valablement reconnu à chaque État selon la situation et n’a pas le même effet négatif sur l’attraction de l’investissement. La règle générale est donc la possibilité de s’approprier par des étrangers et l’interdiction de s’approprier est l’exception qui ne concerne que les régions déterminées par la loi[65].

Dans certaines législations qui ne font pas l’objet de cette étude, la propriété de l’investisseur étranger ne doit pas dépasser un certain taux déjà fixé par l’État d’accueil. L’article 7 du Code libanais concernant la propriété des étrangers au Liban[66] précise en ce sens que la propriété des non libanais ne doit pas dépasser 3 % de la surface totale de l’État libanais ou 3 % de la superficie de la ville dans laquelle l’investisseur décide d’investir. Cette propriété peut atteindre 10 % de la superficie totale de la ville de Beyrouth[67]. Toutefois, un décret du Conseil des ministres peut autoriser les investisseurs étrangers à dépasser le taux de 3 %[68]. Ainsi, la loi libanaise reconnait désormais deux régimes de propriété pour les investisseurs étrangers. D’une part, il y a le régime général qui s’applique à tous les investisseurs. Selon ce régime, tous les investisseurs, quelle que soit leur nationalité, ont la possibilité d’acquérir 3 % de la superficie de la ville dans laquelle le projet d’investissement s’est installé ou 10 % de la superficie de Beyrouth. D’autre part, il existe le régime dérogatoire selon lequel tout investisseur a le droit de dépasser le taux de 3 % en obtenant une autorisation spéciale du Conseil des ministres. Ce qui est certain est que le législateur, en prévoyant ce régime exceptionnel, a voulu viser les investisseurs puissants ayant de grands projets d’investissement pour l’État. Il y a donc peu de chances que l’autorisation ne soit pas accordée, surtout lorsque le projet d’investissement est important.

L’interdiction ou la limitation du droit d’acquérir des biens immobiliers par des étrangers, sauf pour des raisons géopolitiques ou religieuses, doit être considérée comme une condition décourageant les investisseurs étrangers[69]. Toutefois, elle reste sans effet en la présence d’un grand nombre d’accords bilatéraux signés par les États en question, reconnaissant aux investisseurs de l’autre État partie un traitement non moins favorable que celui accordé aux investisseurs nationaux ou aux ressortissants d’autres États[70]. Elle peut également être dérogée par une autorisation spécifique suite à une négociation entre l’investisseur et l’État.

II. La limitation du pouvoir de l’investisseur de gérer son investissement

En vertu des législations des États en question, autoriser un investissement étranger n’implique pas toujours de reconnaître à l’investisseur une liberté de tout faire ou d’être exonéré de toute obligation. Deux principales obligations sont souvent imposées à la charge de l’investisseur ayant l’autorisation d’investir sur le territoire national : l’obligation de s’associer avec l’État d’accueil (A) et celle d’utiliser de la main-d’oeuvre locale (B).

A. L’obligation à l’investisseur de s’associer avec l’État ou ses nationaux

Les trois législations en question imposent la condition d’association entre l’investisseur étranger et l’État d’accueil ou celle avec un ou plusieurs de ses nationaux majoritaires. La condition d’association est souvent complétée par l’exigence que la société d’investissement soit dirigée par une majorité de nationaux.

1. L’association avec l’État majoritaire

La tendance de s’associer à des investisseurs étrangers a été adoptée par certains États arabes de l’Afrique du Nord avec le mouvement de nationalisation après les années 70[71]. Elle a par la suite été adoptée par beaucoup d’États récepteurs d’investissements. Les législations l’adoptant prévoient souvent que l’investisseur étranger doit impérativement passer par une société nationale dans laquelle l’État possède au moins 51 % du capital social.

Ce type d’association est prévu dans certaines législations comme une condition déterminante de l’admissibilité ou de l’inadmissibilité du projet d’investissement. Ainsi, en vertu du Code tunisien sur l’investissement, si la participation étrangère dépasse 50 % dans certains secteurs de services, l’approbation de la commission supérieure d’investissement est nécessaire lorsque l’activité n’est pas totalement exportatrice[72]. Quant au secteur agricole, les étrangers peuvent investir dans le cadre de l’exploitation par voie de location des terres agricoles. La participation étrangère dans ces sociétés d’exploitation ainsi que dans les sociétés d’aquaculture et de pêche dans les eaux tunisiennes du nord ne peut en principe être supérieure à 50 %. Toutefois, ce taux peut atteindre 66 % dans certains cas, mais uniquement sur autorisation spécifique. De même, l’acquisition d’actions d’entreprises tunisiennes en activité se fait sans autorisation jusqu’à 49,99 % du capital. Toute acquisition dépassant ce plafond est soumise à l’approbation de la Commission supérieure d’investissement. Le décret d’application du nouveau Code d’investissement devra préciser si le principe de non-discrimination, reconnu en faveur de l’investisseur étranger, est applicable ou non concernant l’investissement dans ces secteurs ou concernant les taux de participation étrangère pouvant être atteints.

La condition de la participation avec l’État majoritaire ne nous semble pas mieux traitée dans les législations saoudiennes. En effet, le législateur saoudien a reconnu aux investisseurs étrangers un traitement non moins favorable que celui reconnu aux investisseurs nationaux en ce qui concerne les avantages, les garanties et la propriété des biens immobiliers[73]. En même temps, il a précisé que, par exception, l’investisseur étranger doit respecter certaines dérogations à cette règle et accepter de participer avec l’État. Or, la liste des secteurs et activités exemptés n’est pas minime. En plus, le règlement exécutif du code d’investissement prévoit une longue liste des secteurs et activités qui n’entrent pas dans son champ d’application et dont l’accès nécessite une autorisation ou négociation spécifique avec l’État[74]. Le secteur pétrolier est l’un des secteurs mentionnés dans cette liste. Dans une telle situation, l’investisseur étranger peut se voir imposer cette condition de participation afin de pouvoir accéder à un secteur réglementé ou exclu ou pour pouvoir bénéficier de certains avantages et/ou garanties.

Le taux de la participation que l’investisseur étranger doit respecter varie selon la situation économique ou politique de l’État en question. Elle varie également selon le secteur dans lequel l’investissement est réalisé. D’une manière générale, les deuxième et troisième générations des législations sur l’investissement sont plus avantageuses pour l’investisseur et moins rigoureuses lorsqu’il s’agit de l’obligation de participation avec l’État majoritaire. Plusieurs législateurs, même ceux qui sont traditionnellement méfiants envers l’investissement étranger, prévoient de plus en plus des atténuations à cette obligation. Ainsi, le gouvernement saoudien a récemment annoncé l’ouverture du commerce de détail à une participation 100 % étrangère et lancé un vaste programme de privatisations[75].

L’obligation de s’associer à l’État majoritaire ou à l’un de ses nationaux doit être considérée comme avantageuse tant pour l’investisseur que pour l’État dans la mesure où elle constitue une dérogation aux politiques de limitation voire d’interdiction de la propriété des étrangers. Même si elle n’est pas toujours souhaitée par les investisseurs, elle demeure une formule largement nécessaire, surtout dans les pays économiquement riches où la possibilité de faire des concessions n’est pas encore envisageable. Cette obligation reste certes sans effet en la présence d’un traité bilatéral reconnaissant à l’investisseur étranger le droit d’avoir l’intégralité ou une grande partie de l’investissement. Il en est de même lorsque le traité prévoit le principe de non-discrimination ou celui de la nation la plus favorisée.

2. Le contrôle de l’investissement étranger par direction

La condition de la participation majoritaire est parfois complétée par une autre exigence en vertu de laquelle la société implantée ou sa filiale ouverte sur le territoire de l’État hôte doit être dirigée par un national ou par une majorité des associés ayant la nationalité de l’État hôte. C’est notamment le cas de l’article 412 de la Loi tunisienne des sociétés prévoyant l’impossibilité de diriger la société implantée sur le territoire par une majorité étrangère sous peine de nullité. Cela concerne également la fusion d’une ou plusieurs sociétés étrangères dans des sociétés tunisiennes[76]. De même, certaines activités de services (banques, assurances, sociétés d’investissement, etc.) autres que totalement exportatrices sont soumises à approbation lorsque la participation étrangère dépasse 50 % du capital[77]. Beaucoup d’autres législations dans des pays en voie de développement prévoient la même exigence[78].

La condition de participation majoritaire au contrôle des sociétés implantées sur le territoire national ne peut être expliquée que par la volonté des législateurs de dominer les sociétés étrangères. Cette volonté se traduit par le désir de contrôler toutes les décisions prises, ce qui permet à l’État d’imposer la compétence de ses tribunaux nationaux en cas de litige éventuel[79]. La situation serait sûrement différente si le code d’investissement prévoyait une clause de règlement de différends devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI)[80]. Ainsi, dans l’affaire CMS Gas Transmission Company v Argentina, le tribunal arbitral a reconnu le droit pour un actionnaire étranger minoritaire d’une société de droit local victime d’un préjudice du fait de l’État d’accueil d’en demander directement réparation devant un tribunal arbitral en application d’un traité de protection des investissements[81].

La méthode de participation obligatoire peut être critiquée par le fait qu’elle oblige l’investisseur à trouver son partenaire local ou à accepter le partenaire qui lui est imposé. Une telle mission nous paraît difficile pour un investisseur étranger, surtout dans le cas où les règles régissant l’implantation des sociétés étrangères sont dispersées dans plusieurs législations internes, ce qui est le cas de la majorité des législations arabes. Quant à l’exigence que la société d’investissement soit dirigée par un national, elle décourage certes l’investisseur étranger, surtout si celui-ci n’a pas de confiance en son partenaire. Ces deux exigences n’ont plus de sens de nos jours surtout avec le nombre croissant des traités bilatéraux d’encouragement et de protection des investissements signés par les États en question. Ces traités reconnaissent à l’investisseur étranger une liberté presque absolue de créer et de gérer son investissement dans un grand nombre de secteurs.

B. L’obligation à l’investisseur d’utiliser de la main-d’oeuvre locale

L’obligation pour l’investisseur étranger d’embaucher de la main-d’oeuvre locale est prévue par la majorité des législations arabes d’investissement ou celles des sociétés[82]. Elle constitue l’une des grandes tendances actuelles qui se traduit par une réglementation du travail plus stricte et des contraintes en matière d’embauche[83]. Cette condition est souvent accompagnée par la fixation d’un taux minimum que l’investisseur étranger doit respecter. L’obligation, telle qu’elle est prévue par ces législations, est soit une condition de base déterminant l’admission ou le refus de l’investissement, soit une raison d’accorder plus d’avantages et de garanties aux projets d’investissement remplissant cette exigence. Enfin, selon certains textes, l’investisseur étranger n’est pas seulement obligé d’utiliser des travailleurs locaux, mais encore de contribuer plus largement à la formation de ces derniers.

Le taux minimum que doit respecter l’investisseur lors de l’embauche de la main-d’oeuvre locale est variable selon les secteurs ou les régions dans lesquels l’investissement est réalisé. Les trois législations en question fixent un pourcentage élevé de 75 % ou plus[84]. L’article 3 de la Décision égyptienne n° 485 de 2010 concernant les règles et les procédures exécutives de permis de travail pour les étrangers précise en ce sens que le nombre de travailleurs étrangers dans tout établissement sur le territoire égyptien ne doit pas être supérieur à 10 % de l’ensemble de ces travailleurs[85]. Cette exigence a été reprise par l’article 21 du nouveau Projet de loi égyptien sur l’investissement de 2016[86]. L’article 3 de la décision égyptienne prévoit aussi la possibilité de déroger jusqu’à 20 % à ce pourcentage, mais seulement dans le cas où il n’est pas possible pour l’investisseur de trouver de la main-d’oeuvre locale équivalente. La même disposition a été reprise par le projet de loi égyptien[87]. De même, en vertu de l’article 6 du nouveau code tunisien, toute entreprise ne peut recruter des cadres de nationalité étrangère au-dessus de la limite de 30 %. Ce taux doit être ramené à 10 % à partir de la quatrième année de la création de l’entreprise ou de la date d’entrée en activité au choix de l’entreprise[88]. Enfin, selon les nouvelles réglementations publiées par l’Autorité générale saoudienne pour l’investissement, la délivrance d’une autorisation d’investissement est conditionnée par l’obligation d’embaucher une majorité de la main-d’oeuvre locale. L’obligation, telle qu’elle est prévue, précise que le pourcentage maximum des travailleurs de nationalité étrangère ne doit pas être supérieur à 25 % de l’ensemble des travailleurs de l’entreprise[89].

D’une manière générale, la détermination d’un pourcentage concernant l’embauche de la main-d’oeuvre locale dépend de la situation économique de l’État hôte et du taux de chômage. Un tel pourcentage est susceptible d’être modifié à tout moment par une décision de l’État hôte. Il est permis de penser qu’une dérogation du principe général reste envisageable lorsqu’il s’agit d’un secteur réglementé ou dans le cas d’un grand projet d’investissement permettant à l’investisseur de négocier de nouvelles conditions de son contrat.

Le choix d’imposer à l’investisseur étranger d’embaucher de la main-d’oeuvre locale est adopté par un grand nombre de pays en voie de développement. C’est notamment le cas du Brésil, Chili ou de la Malaisie. Ces pays ont opté pour la pratique de local content avec plusieurs entreprises étrangères présentes dans les secteurs des hydrocarbures et des mines[90].

D’autres pays en voie de développement comme la Côte d’Ivoire réfléchissent à l’instauration de quotas réservés à la sous-traitance locale sur les grands projets d’investissement. Le Ghana devrait également adopter une loi obligeant les investisseurs étrangers à ouvrir 30 % de leur capital à des entreprises du pays. Le Mozambique et la Guinée ont déjà introduit une contrainte similaire auprès des groupes miniers[91].

Il est évident que derrière cette obligation d’utiliser de la main-d’oeuvre locale les États arabes visent deux objectifs à la fois : la création d’emplois et le transfert de compétences. Selon Olivier Caslin, « en astreignant les grands majors situés en haut de la pyramide à s’approvisionner localement, les gouvernements espèrent bénéficier en retour — et « en toute légitimité », selon les experts — d’effets en cascade. Le local content est une opportunité formidable pour créer des capacités »[92].

Enfin, l’obligation pour l’investisseur étranger d’utiliser la main-d’oeuvre locale ne lui serait désavantageuse que dans l’hypothèse où les salaires dans le pays de l’investisseur seraient moins élevés que ceux dans l’État hôte. Dans la pratique, une telle hypothèse existe rarement car dans la majorité des cas les investisseurs sont des citoyens des pays développés dans lesquels le niveau de vie est supérieur à celui de l’État hôte[93].

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Malgré le fait que les législations des États étudiés dans cet article prévoient le principe de la liberté d’investir, ce point est toutefois loin d’être acquis dans les faits. Il y a lieu de s’interroger sur la réelle liberté de l’investissement quant à chaque phase de l’investissement, il faut demander une autorisation et attendre le feu vert d’une autorité administrative qui doit, elle-même, consulter une commission pour avoir son avis. De même, il est permis de s’interroger sur l’application de la liberté d’investir lorsque celle-ci n’est pas reconnue pour un investissement dans un secteur vital de l’État, ou lorsque l’investisseur ne peut pas gérer librement son investissement ou doit s’associer avec l’État majoritaire en ce qui concerne l’investissement dans les secteurs importants. Eu égard à l’instabilité politico-économique actuelle dans laquelle ces États se trouvent, ceux-ci ne doivent pas hésiter à offrir le maximum de liberté et de protection aux investisseurs étrangers en vue de les attirer. La reconnaissance de la liberté d’investir est une nécessité qui ne doit pas être négligée. Cela exige nécessairement la reconnaissance des dispositions claires et détaillées en la matière dans les législations internes et non seulement la conclusion des accords bilatéraux en matière d’encouragement et de protection des investissements.