Corps de l’article

Relations amoureuses et sexuelles à l’adolescence

L’adolescence[1] est une période charnière pour le développement des premières relations amoureuses et sexuelles. Ces deux expériences vont d’ailleurs souvent de pair car la plupart des relations sexuelles durant cette période vont avoir lieu dans le cadre d’une relation amoureuse (Boislard et Van De Bongardt, 2017). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2006), la santé sexuelle est « un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité. Elle requiert une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence » (p. 4).

Alors que la majorité des études à ce jour se sont intéressées aux comportements sexuels à risque à l’adolescence (p. ex. absence de protection lors des relations sexuelles, infections transmissibles sexuellement et par le sang, grossesse précoce, violence, etc.), plus rares sont celles qui se sont attardées aux aspects positifs de la sexualité. Or, certains auteurs soulignent l’importance d’appréhender la sexualité comme un aspect normatif et potentiellement bénéfique au développement de l’adolescent (Fortenberry, 2016 ; Harden, 2014). En effet, la sexualité à l’adolescence peut être associée à plusieurs conséquences positives (p. ex. bien-être, estime de soi, affects positifs, fonctionnement sexuel à l’âge adulte, etc. ; voir Harden, 2014 pour une recension). Ainsi, il importe de mieux comprendre les corrélats de la qualité de vie sexuelle chez les jeunes afin de promouvoir le développement de relations sexuelles harmonieuses durant cette période. Le concept de qualité de vie sexuelle, tel que décrit par l’OMS (WHOQOL Group, 1998), fait appel à l’appréciation subjective par l’individu du bien-être qu’il ressent par rapport à sa vie sexuelle. Ce concept s’apparente à celui de la satisfaction sexuelle puisque dans les deux cas, la perception subjective de l’individu est mise en avant. C’est dans ce contexte que la présente étude vise à cerner les mécanismes et les facteurs associés à la qualité de vie sexuelle des jeunes en s’intéressant au rôle de deux variables clés, soit l’attachement amoureux et la communication des besoins sexuels.

Attachement amoureux

La théorie de l’attachement a été développée par Bowlby (1969), puis adaptée aux relations amoureuses par Hazan et Shaver (1987). Les styles d’attachement correspondent aux représentations cognitives de soi et des autres que développe l’individu à travers ses relations avec des figures d’attachement significatives. Ces représentations mentales guident ultimement la manière dont l’individu interprète ses interactions interpersonnelles et orientent ses réponses cognitives, émotionnelles et comportementales face à celles-ci (Mikulincer et Shaver, 2016). Dans le contexte des relations amoureuses, l’attachement est généralement conceptualisé selon deux dimensions principales, à savoir l’anxiété d’abandon et l’évitement de l’intimité (Brennan, Clark et Shaver, 1998). De ces deux dimensions découlent quatre styles d’attachement dont le style sécurisant (faible anxiété et faible évitement) et trois styles insécurisant : craintif (anxiété élevée et évitement élevé), préoccupé/anxieux (anxiété élevée et évitement faible) et détaché/évitant (anxiété faible et évitement élevé). L’individu qui fait preuve d’un attachement sécurisant a généralement des représentations cognitives positives de lui-même (sentiment d’être digne d’amour et d’affection) et de l’autre (sentiment que la figure d’attachement est fiable et peut offrir du soutien). Inversement, un niveau élevé d’anxiété d’abandon est généralement caractérisé par un fort besoin d’approbation et une hyper-sensibilité aux signaux de rejet de la part du partenaire (représentation négative de soi), alors qu’un niveau élevé d’évitement de l’intimité est caractérisé par un inconfort face à l’intimité et un besoin excessif de maintenir son indépendance à l’égard du partenaire (représentation négative de l’autre ; Mikulincer et Shaver, 2016). Une récente méta-analyse révèle d’ailleurs des différences entre les hommes et les femmes sur le plan de l’attachement, les hommes rapportant davantage d’évitement de l’intimité et présentant moins d’anxiété d’abandon que les femmes (Del Giudice, 2010). Les spécificités de genre demeurent toutefois peu documentées chez les adolescents, alors qu’à la période de l’adolescence les rôles de genre ont tendance à être stéréotypés (Wright, 2009).

Selon Dewitte (2012), l’attachement amoureux serait le déterminant relationnel le plus important pour expliquer les interactions sexuelles. La théorie de l’attachement postule que les individus qui rapportent davantage d’anxiété d’abandon ont tendance à avoir recours à la sexualité pour obtenir l’approbation et l’affection de leur partenaire. La sexualité au sein du couple est alors envisagée comme un baromètre du statut de la relation intime (Davis et al., 2006). Ces relations intimes sont donc souvent accompagnées d’inquiétudes et de sentiments d’anxiété, ce qui entraîne des difficultés à se détendre et à éprouver du plaisir (Mikulincer et Shaver, 2016). Quant à eux, les individus qui rapportent un niveau plus élevé d’évitement ont tendance à être mal à l’aise avec la proximité et l’intimité tant psychologiques que physiques vécues dans les rapports sexuels. Ils seraient donc plus enclins à détacher les activités sexuelles de l’intimité et ce, même dans le contexte d’une relation de couple (Dewitte, 2012). Une recension systématique des écrits conclut d’ailleurs que l’évitement de l’intimité et l’anxiété d’abandon sont associés à une satisfaction sexuelle moins élevée chez l’adulte, ce qui semble confirmer les hypothèses de la théorie de l’attachement amoureux (Stefanou et McCabe, 2012).

Peu d’études se sont pourtant penchées sur l’attachement amoureux dans le contexte des interactions sexuelles à l’adolescence. À ce propos, Tracy et al. (2003) ont constaté que les adolescents dont l’attachement est de style sécurisant rapportent des relations sexuelles plus fréquentes et affichent un sentiment de compétence plus élevé sur le plan de la sexualité que les adolescents qui présentent un attachement de style insécurisant. Ces adolescents dont l’attachement est sécurisant ont aussi davantage tendance à s’engager dans des relations sexuelles pour exprimer leur amour à leur partenaire et à vivre des émotions positives et, en retour, à éprouver moins d’émotions négatives lors de leurs interactions sexuelles. Quant aux adolescents qui ont un style d’attachement évitant, ils ont tendance à avoir leurs premières relations sexuelles plus tardivement, ces relations sexuelles seraient moins fréquentes, et ils seraient peu enclins à l’intimité sexuelle. Finalement, les adolescents ayant un attachement de style anxieux seraient plus susceptibles de s’engager dans des relations sexuelles par peur de perdre leur partenaire ou pour lui exprimer leur amour et ressentiraient moins d’émotions passionnées lors de leurs interactions sexuelles. En somme, il ressort de ces résultats que les adolescents qui ont un style d’attachement insécurisant seraient moins satisfaits de leur vie sexuelle. Or, à notre connaissance, peu d’études se sont spécifiquement penchées sur la qualité de vie sexuelle des adolescents. Les variables pouvant expliquer l’association entre l’attachement amoureux et la qualité de vie sexuelle chez les adolescents demeurent à explorer.

Communication des besoins sexuels

Davis et al. (2006) suggèrent que l’association entre l’attachement insécurisant et l’insatisfaction sexuelle peut être partiellement expliquée par une expression inhibée des besoins sexuels. En effet, Byers et Rehman (2014) soutiennent que la communication sexuelle, c’est-à-dire discuter librement de ses préférences sexuelles, est un prédicteur important de la satisfaction sexuelle. D’après certains auteurs, l’association entre la communication des besoins sexuels et la satisfaction sexuelle s’expliquerait de deux façons (MacNeil et Byers, 2009; Cupach et Metts, 1991). Une première explication, de type instrumental, est que la communication permettrait aux partenaires de connaître les activités sexuelles qui sont ou non désirées de part et d’autre, ce qui augmenterait les probabilités qu’ils s’engagent dans des activités sexuelles plaisantes. Selon une deuxième explication, de type expressif, le dévoilement des préférences sexuelles aurait pour effet d’augmenter la satisfaction sexuelle en accroissant l’intimité au sein du couple. La théorie de l’attachement amoureux pose que les individus qui ont un attachement insécurisant sont moins enclins à communiquer leurs besoins sexuels. Les motivations qui sous-tendent ces réticences varieraient toutefois selon les dimensions de l’attachement. D’une part, les individus qui présentent un niveau plus élevé d’anxiété d’abandon ont tendance à éviter de partager leurs besoins sexuels par crainte que la communication de ces besoins n’interfère dans leur relation. Ces individus recherchent l’affection et l’approbation du partenaire, ils sont alors plus susceptibles d’inhiber l’expression de leurs propres besoins sexuels afin de privilégier ceux du partenaire. D’autre part, les individus qui présentent davantage d’évitement de l’intimité ont plutôt tendance à inhiber l’expression de leurs besoins sexuels en raison de leur malaise vis-à-vis de l’intimité et de la proximité que ce dévoilement exige (Mikulincer et Shaver, 2016; Davis et al., 2006). Les études réalisées auprès de populations adultes semblent confirmer le rôle de la communication des besoins sexuels dans l’association entre l’attachement et la satisfaction sexuelle (bien que des divergences soient observées sur le plan des résultats). Une étude réalisée par Khoury et Findlay (2014) rapporte que l’évitement de l’intimité est associé négativement à la communication des besoins sexuels qui, en retour, est associée à une moins bonne satisfaction sexuelle. Les chercheurs n’ont toutefois pas observé ces associations en ce qui a trait à l’anxiété d’abandon. L’étude de Leclerc et al. (2015), qui a été effectuée auprès de couples dont la femme souffre de douleur sexuelle, a trouvé que l’anxiété d’abandon et l’évitement de l’intimité étaient tous deux associés à une satisfaction sexuelle moins élevée chez les partenaires et que l’affirmation de soi sexuelle était un médiateur de cette association chez les femmes. De son côté, l’étude de Brassard et al. (2015), effectuée auprès de jeunes femmes âgées de 18 à 30 ans, a bien observé une association entre les deux dimensions de l’attachement et une moins bonne satisfaction sexuelle, mais l’affirmation de soi sexuelle n’était pas associée à l’attachement. En somme, des études sont nécessaires pour mieux cerner le rôle de la communication des besoins sexuels dans l’association entre l’attachement et la qualité de vie sexuelle, et c’est ce que la présente étude propose de faire, plus spécifiquement auprès des adolescents.

Objectifs et hypothèses

La présente étude vise donc à explorer l’association entre l’attachement amoureux, la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle auprès des adolescents engagés dans une relation de couple. Plus précisément, une association négative est attendue entre les deux dimensions de l’attachement insécurisant (c.-à-d. anxiété d’abandon et évitement de l’intimité) et la qualité de vie sexuelle et ce, tant chez les filles que chez les garçons. Il est aussi attendu que l’association observée entre l’attachement insécurisant et la qualité de vie sexuelle sera partiellement expliquée par la communication des besoins sexuels.

Méthode

Participants et procédures

Les données qui font l’objet de la présente analyse s’inscrivent dans une étude plus vaste qui avait pour objet la communication et la gestion des conflits chez les adolescents. Quatre-vingt-seize couples hétérosexuels (n = 192) âgés de 15 à 21 ans (M = 18,43 ans, ÉT = 1,47) de la région du Grand Montréal ont été recrutés dans les milieux scolaires (c.-à-d. kiosques, présentations en classe et envoi promotionnel par courriel) et par l’entremise du volet 1 de l’Enquête sur le Parcours Amoureux des Jeunes (PAJ). Pour être éligibles, les participants devaient être engagés dans une relation amoureuse depuis au moins deux mois (M = 17,64 mois, ÉT = 14,96), ne devaient pas cohabiter ensemble et ne devaient pas avoir d’enfants à charge. Ces critères ont été choisis afin d’assurer une certaine homogénéité de l’échantillon et de refléter la réalité adolescente. La collecte de données a eu lieu au Laboratoire d’études sur la violence et la sexualité à l’Université du Québec à Montréal (durée moyenne d’environ 2 h 30). Après avoir été accueillis par les assistantes de recherche, les participants ont été informés du déroulement de la recherche et le consentement libre et éclairé a été obtenu auprès de chaque membre du couple. Les partenaires ont complété les questionnaires individuellement et dans des locaux distincts (durée moyenne de 40 minutes). Une compensation financière de 25 $ a été remise à chaque partenaire à la fin de l’étude. Le projet de recherche a été approuvé par le comité d’éthique de l’Université du Québec à Montréal.

Instruments

Trois questionnaires autorapportés ont été utilisés pour évaluer l’ensemble des variables à l’étude. Une version abrégée (Wei et al., 2007) du Experiences in Close Relationship Scale (ECR ; Brennan, Clark et Shaver, 1998) a été utilisée pour mesurer l’attachement amoureux. Ce questionnaire, composé de 12 items (échelle de Likert de 1 à 7), permet d’évaluer l’attachement sous deux dimensions : l’évitement de l’intimité (α = ,67 pour les filles et les garçons dans la présente étude) et l’anxiété face à l’abandon (α = ,65 pour les filles et de α = ,57 pour les garçons dans la présente étude). Le score continu pour chacune de ces dimensions a été utilisé lors des analyses afin de prendre en considération la variabilité sur le plan des insécurités d’attachement. La communication des besoins sexuels a été évaluée à l’aide du Couple Communication Scale (CCS ; Welsh et al., 2003). Le CCS permet de mesurer la qualité de la communication au sein des relations amoureuses des adolescents. Dans le cadre de cette étude, seule la sous-échelle permettant d’évaluer la communication des besoins sexuels a été utilisée (échelle de Likert de 0 à 5, α = ,70 pour les filles et α = ,72 pour les garçons dans la présente étude). Les quatre items qui composent cette échelle sont les suivants : « Je discute librement de sexualité avec mon/ma partenaire » ; « Je dis honnêtement à mon/ma partenaire quand je ne suis pas intéressé/e à m’engager dans une activité sexuelle » ; « Je communique à mon/ma partenaire quand je veux essayer de nouvelles expériences sexuelles » ; et « J’exprime à mon/ma partenaire mes fantasmes sexuels ». Finalement, une sous-échelle du World Health Organization Quality of Life Assessment (WHOQOL Group, 1998) a été utilisée pour évaluer la qualité de vie sexuelle des adolescents. Cette échelle permet d’obtenir une appréciation générale du bien-être subjectif de l’individu par rapport à sa vie sexuelle. Les quatre questions suivantes composent cette échelle : « Jusqu’à quel point tes besoins sexuels sont-ils comblés ? » ; « Es-tu dérangé/e par une difficulté quelconque dans ta vie sexuelle ? » ; « Es-tu satisfait/e de ta vie sexuelle ? » ; et « Comment évalues-tu ta vie sexuelle ? » (échelle de Likert allant de 1 à 5, α = ,77 pour les filles et α = ,78 pour les garçons dans la présente étude).

Analyses

Les analyses statistiques ont été effectuées à l’aide du logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS) version 24 et du programme MPLUS version 8.0. (Muthén et Muthén, 2017). Des tests t pour échantillons appariés ont tout d’abord été effectués afin de repérer la présence de différences significatives entre les filles et les garçons relativement aux différentes variables. Puis des corrélations ont été réalisées afin de s’assurer que les conditions préalables aux analyses de médiation soient respectées. Par ailleurs, des covariables comme l’âge des adolescents et la durée de la relation de couple ont aussi été incluses dans les analyses de corrélation afin de contrôler leurs effets au besoin. Pour procéder à une analyse de médiation, une corrélation doit être observée entre la variable indépendante (ici l’attachement) et la variable de médiation (ici la communication des besoins sexuels), ainsi qu’entre la variable de médiation et la variable dépendante (ici la qualité de vie sexuelle). Afin de vérifier si les effets indirects étaient significatifs, des analyses par bootstrap à 95 % d’intervalle de confiance (5000 rééchantillonnages) ont été effectuées (MacKinnon, Fairchild et Fritz, 2007).

Résultats

Tout d’abord, des tests t pour échantillons appariés ont été effectués afin de vérifier la présence de différences significatives entre les garçons et les filles au niveau des variables à l’étude. Aucune différence significative, t (95) = 1,04, p = ,30 n’a été relevée sur le plan de l’anxiété d’abandon entre les garçons (M = 2,93, ÉT = ,94) et les filles (M = 3,07, ÉT = 1,01), de la communication des besoins sexuels, t (95) = 1,00, p = ,32 (filles : M = 4,34, ÉT = ,79 et garçons : M = 4,23, ÉT = ,86) et de la qualité de vie sexuelle, t (95) = 1,38, p = ,17 (filles : M = 4,35, ÉT = ,57 et garçons : M = 4,25, ÉT = ,67). Les garçons rapportent toutefois un niveau d’évitement de l’intimité (M = 1,92, ÉT = ,78) significativement plus élevé, t (95) = -3,62, p < ,001, d = ,37 que les filles (M = 1,57, ÉT = ,66).

Par la suite, des corrélations ont été effectuées entre les différentes variables à l’étude (tableau 1). Les recommandations de Cohen (1992) ont été suivies pour déterminer la taille d’effet des corrélations (grande taille : r = ,50, taille moyenne : r = ,30 et petite taille : r = ,10). La durée de la relation est associée négativement à la qualité de vie sexuelle chez les filles et l’âge des garçons est associé positivement à la qualité de vie sexuelle de ces derniers. Ces corrélations sont toutefois plutôt faibles, donc ces variables n’ont pas été incluses comme covariables dans les analyses subséquentes. Chez les filles, l’anxiété d’abandon n’est pas associée à la communication des besoins sexuels ou à la qualité de vie sexuelle. Une corrélation négative de petite taille est toutefois observée entre l’évitement de l’intimité et la communication des besoins sexuels. De plus, une corrélation modérée est observée entre la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle chez les filles. Chez les garçons, des corrélations négatives de petite taille sont observées entre l’anxiété d’abandon ainsi que la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle. De plus, des corrélations négatives, de taille moyenne à grande, sont observées entre l’évitement de l’intimité ainsi que la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle. Par ailleurs, une corrélation positive de grande taille est observée entre la qualité de vie sexuelle et la communication des besoins sexuels chez les garçons.

Finalement, des analyses acheminatoires ont été effectuées afin d’examiner le rôle de la communication des besoins sexuels dans la relation entre l’attachement et la qualité de vie sexuelle. Étant donné que ces variables ne se distribuaient pas normalement, une méthode d’estimation robuste a été utilisée. Chez les filles (figure 1), un effet indirect de l’évitement de l’intimité sur la qualité de vie sexuelle via la communication des besoins sexuels est observé, β = -,07, IC 95 % [-,18 ; -,02]. Aucun effet indirect n’a été retrouvé pour l’anxiété d’abandon, puisque l’anxiété d’abandon chez les filles n’était pas associée à la communication des besoins sexuels ou à la qualité de vie sexuelle. Le modèle explique 10 % de la variance de la qualité de vie sexuelle.

Tableau 1

Corrélations entre l’âge, la durée de la relation et les variables à l’étude selon le genre

Corrélations entre l’âge, la durée de la relation et les variables à l’étude selon le genre

* p < ,05 ** p < ,01

-> Voir la liste des tableaux

Figure 1

Modèle acheminatoire de la qualité de vie sexuelle chez les filles. Les coefficients du modèle sont standardisés

Modèle acheminatoire de la qualité de vie sexuelle chez les filles. Les coefficients du modèle sont standardisés

* p < ,05 ** p < ,01

-> Voir la liste des figures

Chez les garçons (figure 2), l’évitement de l’intimité prédit la qualité de vie sexuelle de manière indirecte via la communication des besoins sexuels, β = -,17, IC 95 % [-,30 ; -,07]. La communication des besoins sexuels ne permet toutefois pas d’expliquer l’association entre l’anxiété d’abandon et la qualité de vie sexuelle. Les effets directs de l’anxiété d’abandon sur la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle sont d’ailleurs non significatifs indiquant que le poids relatif de l’évitement de l’intimité est supérieur à celui de l’anxiété d’abandon dans le modèle. Ce modèle explique 27 % de la variance de la qualité de vie sexuelle.

Figure 2

Modèle acheminatoire de la qualité de vie sexuelle chez les garçons. Les coefficients du modèle sont standardisés.

Modèle acheminatoire de la qualité de vie sexuelle chez les garçons. Les coefficients du modèle sont standardisés.

* *p < ,01 *** p < ,001

-> Voir la liste des figures

Discussion

La présente étude visait à examiner l’association entre l’attachement, la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle chez des adolescents engagés dans une relation amoureuse. Il était attendu que la communication des besoins sexuels permettrait d’expliquer partiellement le lien entre l’attachement et la qualité de vie sexuelle. Les hypothèses ont été partiellement confirmées.

En accord avec les hypothèses avancées, les filles et les garçons qui obtiennent un score plus élevé sur le plan de l’évitement de l’intimité ont tendance à moins communiquer leurs besoins sexuels à leur partenaire et à rapporter une moindre qualité de vie sexuelle. Les garçons rapportent d’ailleurs un degré plus élevé d’évitement de l’intimité que les filles. Cette différence entre les genres a aussi été observée dans une récente méta-analyse effectuée par Del Giudice (2011). De manière générale, les associations obtenues sur le plan de l’évitement de l’intimité sont similaires à celles recensées auprès de populations adultes en ce qui a trait à la satisfaction sexuelle (Stefanou et McCabe, 2012; Øverup et Smith, 2017) et à la communication des besoins sexuels (Khoury et Findlay, 2014 ; Davis et al., 2006). Les résultats semblent donc converger avec la théorie de l’attachement amoureux selon laquelle les adolescents qui rapportent un attachement évitant seraient particulièrement réticents à développer un lien intime avec leur partenaire (Tracy et al., 2003). En effet, ils seraient généralement mal à l’aise face à l’intimité et la proximité que sous-tend la communication des besoins sexuels ou les activités sexuelles, ce qui expliquerait leur niveau plus faible de qualité de vie sexuelle. À cet égard, le modèle acheminatoire a révélé que la communication des besoins sexuels permet d’expliquer partiellement l’association observée entre l’évitement de l’intimité et la qualité de vie sexuelle chez les garçons et les filles. Ainsi, les résultats montrent que les adolescents qui ont un niveau d’évitement de l’intimité plus élevé communiquent moins leurs besoins sexuels, ce qui serait associé, en retour, à une vie sexuelle de moindre qualité. Ces résultats soulignent notamment l’importance de la communication des besoins sexuels au sein des couples adolescents. Selon MacNeil et Byers (2009), la communication des besoins sexuels favoriserait une plus grande satisfaction sexuelle en accroissant l’intimité dans le couple et en augmentant les probabilités que les partenaires s’engagent dans des activités sexuelles plaisantes. Les mécanismes qui sous-tendent l’association entre la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle à l’adolescence devraient toutefois être approfondis dans des études ultérieures.

Contrairement à ce qui était attendu, l’anxiété d’abandon n’est pas associée à la communication des besoins sexuels et à la qualité de vie sexuelle chez les filles. De plus, malgré le fait que des corrélations négatives aient été observées entre l’anxiété d’abandon et les variables à l’étude chez les garçons, celles-ci n’étaient plus significatives dans le modèle acheminatoire (c’est-à-dire lorsque la covariance entre les deux dimensions de l’attachement était considérée). Plusieurs pistes d’explication peuvent être formulées pour rendre compte de l’absence de résultats significatifs sur le plan de l’anxiété d’abandon.

D’une part, une étude récente effectuée auprès d’adultes a observé que l’anxiété d’abandon était associée à la communication ou à la satisfaction sexuelle seulement lorsque les participants étaient en couple depuis plus de 9 mois (Khoury et Findlay, 2014). Selon les auteurs, cela coïnciderait avec la fin de la « lune de miel », période qui est généralement caractérisée par une satisfaction conjugale élevée. En effet, une étude a démontré que la satisfaction sexuelle atteint un sommet à la fin de la première année d’une relation, puis diminue significativement par la suite (Schmiedeberg et Schröder, 2016). Étant donné que les participants étaient en relation depuis 1 an et demi, en moyenne, et qu’ils ne cohabitaient pas ensemble (donc qu’ils étaient peu confrontés aux défis de la vie commune), il est probable qu’ils aient été encore dans la phase « lune de miel » de leur relation, ce qui expliquerait l’absence de résultats quant à une association entre l’anxiété d’abandon et la qualité de vie sexuelle. À cet égard, les moyennes observées sur le plan de la communication des besoins sexuels et de la qualité de vie sexuelle sont particulièrement élevées dans la présente étude, ce qui est conforme à l’hypothèse de la phase « lune de miel ». Par ailleurs, il est important de souligner que les individus qui présentent davantage d’anxiété d’abandon ont tendance à voir la sexualité comme un baromètre de la qualité de leur relation (Davis et al., 2006). Ainsi, puisque les participants dans cette étude rapportent une qualité de vie sexuelle généralement élevée, il est possible que l’anxiété d’abandon ne soit pas actuellement associée à la satisfaction ou à la communication de besoins sexuels chez ces couples. Or, si la satisfaction sexuelle décline au fil du temps, il est alors possible que ceci soit perçu comme une menace pour la relation de couple chez les individus qui rapportent davantage d’anxiété d’abandon. Selon Khoury et Findlay (2014), ces individus seraient d’ailleurs peut-être plus susceptibles de répondre activement à une baisse de la satisfaction sexuelle dans le couple (c.-à-d. en communiquant davantage leurs besoins sexuels) afin de maintenir sa cohésion.

D’autre part, Øverup et Smith (2017) notent que, chez les couples adultes, l’anxiété d’abandon est associée à la satisfaction sexuelle seulement lorsque la satisfaction sexuelle perçue du partenaire est prise en compte. Ainsi, si son partenaire semble satisfait sexuellement, l’individu qui présente davantage d’anxiété d’abandon aurait alors tendance à être aussi satisfait, et vice et versa. Le fait que la perception de la satisfaction sexuelle du partenaire n’a pas été considérée dans la présente étude pourrait expliquer les résultats obtenus en ce qui a trait à l’anxiété d’abandon. Finalement, il est important de souligner que plusieurs mécanismes peuvent expliquer l’association entre l’attachement et la qualité de vie sexuelle. Dans le cadre de cette étude, seule la communication des besoins sexuels a été considérée. En ce qui concerne l’anxiété d’abandon, il est possible que certaines variables concourent à une plus grande satisfaction (p. ex., désir d’intimité), alors que d’autres contribuent à une plus faible satisfaction (p. ex., doutes sur l’apparence, estime sexuelle plus faible, anxiété de performance) chez les adolescents.es. Ces divers mécanismes pourraient se contrecarrer, expliquant l’absence de lien direct entre l’anxiété d’abandon et la qualité de vie sexuelle.

Retombées en termes d’intervention

Les adolescents qui ont participé à cette étude rapportent des moyennes relativement élevées sur le plan de la communication de leurs besoins sexuels et de la qualité de leur vie sexuelle. Ces résultats donnent à penser que, contrairement à ce qui est souvent véhiculé, la sexualité à l’adolescence n’est pas uniquement associée à des conséquences négatives et peut être vécue comme une expérience satisfaisante. Ainsi, comme le suggère Fortenberry (2016), les intervenants ne devraient pas seulement s’occuper des comportements sexuels à risque chez les jeunes, mais devraient aussi offrir un accompagnement qui favorise l’épanouissement de la qualité de vie sexuelle. À cet égard, les résultats obtenus soulignent l’importance de la communication des besoins sexuels dans les relations de couple chez les adolescents. Ces derniers devraient être encouragés à ouvrir le dialogue avec leur partenaire au sujet de la sexualité, par exemple, apprendre à communiquer leurs désirs et leurs besoins en matière de sexualité et à exprimer à leur partenaire leur envie ou non de s’engager dans une activité sexuelle. Il serait pertinent d’approfondir les raisons pour lesquelles certains adolescents sont réticents à communiquer leurs besoins sexuels et les obstacles auxquels ils font face. La présente étude révèle que plus les adolescents rapportent un score élevé sur le plan de l’évitement de l’intimité, moins ils sont susceptibles de discuter de leurs besoins sexuels. Comme il a été mentionné précédemment, cette tendance à éviter l’intimité relève souvent d’une croyance que le partenaire ne sera pas disponible ou fiable en cas de besoin. Il serait donc aussi pertinent d’aborder ce type d’insécurité avec eux afin de promouvoir le développement d’une sexualité harmonieuse à l’adolescence.

Limites

Bien que cette étude ait permis de mieux cerner les facteurs associés à la qualité de vie sexuelle à l’adolescence, il est important de souligner plusieurs limites. Tout d’abord, il est impossible d’affirmer un lien causal entre les variables à partir de cette étude. Les résultats doivent donc être interprétés avec prudence car des modèles alternatifs pourraient être proposés. Ces modèles devraient idéalement être testés dans le cadre d’une étude longitudinale. De plus, les échelles utilisées pour examiner la communication des besoins sexuels et la qualité de vie sexuelle étaient plutôt brèves, ce qui pourrait expliquer partiellement la faible variabilité des scores observés. Des échelles plus exhaustives devraient être utilisées dans les études à venir afin de prendre en considération les différentes dimensions et subtilités de ces construits. Par ailleurs, les indices de cohérence interne des dimensions évaluant l’attachement étaient moins élevés dans notre échantillon que ceux rapportés dans les études antérieures, ce qui pourrait notamment expliquer l’absence de résultats significatifs concernant l’anxiété d’abandon. Notons également que cette étude est limitée sur le plan de la généralisation des résultats. En effet, l’échantillon était uniquement composé de couples adolescents se définissant comme hétérosexuels, qui ne cohabitaient pas ensemble au moment de l’étude et dont la majorité des membres étaient d’origine canadienne-française. D’autres études devront donc être effectuées auprès d’échantillons plus diversifiés. Finalement, des analyses dyadiques tenant compte de l’interdépendance entre les partenaires pourraient offrir une analyse plus raffinée des résultats.

Conclusion

Cette étude est l’une des premières dans le domaine à avoir examiné les corrélats de la qualité de vie sexuelle chez les adolescents qui sont en couple. Les résultats indiquent que l’évitement de l’intimité est associé négativement à la communication des besoins sexuels et à la qualité de vie sexuelle chez les filles ainsi que chez les garçons. La communication des besoins sexuels agit d’ailleurs comme médiateur de l’association entre l’évitement de l’intimité et la qualité de vie sexuelle.