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Les crises sanitaires internationales, en particulier lorsqu’elles se produisent dans des pays fragiles[1] ou en développement[2], peuvent devenir des menaces pour la stabilité de la communauté internationale. En effet, la mondialisation et la propagation des maladies ont fait de la santé publique un sujet de préoccupation internationale. La circulation plus rapide et plus facile des personnes et des biens a facilité non seulement la propagation des maladies infectieuses, mais aussi leur émergence et réémergence, aussi bien chez les animaux que chez les humains[3]. Cela est particulièrement vrai pour des crises sanitaires transfrontalières, comme ce fut le cas du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003, des flambées de grippe H1N1 en 2009, de l’épidémie de choléra à Haïti en 2010, et plus récemment de celle de la fièvre hémorragique Ebola en 2014, ou celle, en cours, du virus Zika en Amérique latine[4]. Par conséquent, ces problématiques ne peuvent plus être exclusivement traitées par des États, dans leurs actions individuelles, mais doivent plutôt l’être par la communauté internationale, dans son action collective. En la matière, l’organisation mondiale de la santé (ci-dessous OMS), institution spécialisée des Nations Unies (ci-dessous ONU), joue un rôle fondamental dans la lutte contre les urgences de santé publique.

Cependant, même dans ce cadre, la communauté internationale ne dispose pas d’instrument juridique global et contraignant pour faire face aux urgences sanitaires mondiales. Les pandémies et les épidémies précédentes ont montré que, très souvent, les pays conservent une importante marge de manoeuvre dans leurs réponses aux menaces d’ordre sanitaire, en imposant notamment leurs propres précautions internes, qui ne sont pas toujours efficaces ou conformes à leurs obligations internationales[5]. Par ailleurs, la mise en application dans le monde entier des droits de propriété intellectuelle, notamment les accords dits « ADPIC-Plus », conclus entre États occidentaux et États pauvres, qui contiennent des dispositions dont l’effet est de rendre bien plus difficile les mécanismes dérogatoires contenus dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’Organisation mondiale du commerce (ci-dessous OMC), ainsi que le Cadre de préparation en cas de grippe pandémique, définissent un ordre juridique qui perpétue les inégalités en matière de santé publique entre pays; inégalités aggravées lors d’une crise sanitaire mondiale[6]. Enfin, les États fragiles, à faibles revenus, qui ont besoin de ressources financières conséquentes pour faire face à ces types de crise, sont généralement « surendettés » et doivent composer avec les régimes stricts de prêts ou de dons des bailleurs de fonds internationaux[7].

Au regard de toutes ces problématiques, l’intervention récente du Conseil de sécurité, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en matière de santé publique, constitue une véritable opportunité pour le renforcement de la lutte internationale contre ce genre de crise. En effet, lors de la virulente épidémie de fièvre hémorragique Ebola, qui a sévi en Afrique de l’Ouest, précisément en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria, en 2013-2014, faisant à ce jour près de 11 315 morts[8], le Conseil de sécurité a, pour la première fois, dans sa résolution 2177 du 18 septembre 2014[9], considéré une épidémie de portée internationale comme une menace contre la paix et la sécurité internationales.

Étant l’unique organe d’une organisation internationale doté du pouvoir de contraindre unilatéralement les membres de la communauté internationale et de porter ainsi atteinte à leurs engagements normatifs internationaux[10], il est intéressant d’analyser comment et dans quelle mesure les pouvoirs détenus par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies sont, ou peuvent être, invoqués et exercés par ce dernier pour lutter efficacement contre ces fléaux.

Dans cette perspective, nous allons tenter d’analyser, dans un premier temps, l’attrait des préoccupations sanitaires internationales dans le domaine de compétence du Conseil de sécurité (I), avant de voir les moyens dont il dispose pour faire efficacement face à ces crises (II).

I. L’attrait de la lutte contre les pandémies dans la sphère de compétence du Conseil de sécurité, agissant au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies

L’attrait de la lutte contre les pandémies dans la sphère de compétence du Conseil de sécurité repose tout d’abord sur la corrélation que l’on peut établir entre crises sanitaires internationales et maintien de la paix et de la sécurité internationales (A); corrélation qui a fini par conduire le Conseil de sécurité, eu égard aux circonstances de l’espèce cependant, à qualifier une épidémie de grande ampleur comme une menace contre la paix, même si la portée de cette qualification, dans la gestion plus globale des urgences sanitaires mondiales, doit tout de même être nuancée (B).

A. Corrélation entre crises sanitaires internationales et maintien de la paix et de la sécurité internationales

La corrélation entre crises sanitaires et maintien de la paix, du moins, maintien de la sécurité internationale, est établie de longue date. Elle a en effet été un des puissants vecteurs de la coopération intergouvernementale, avec notamment le développement des tout premiers systèmes de mise en quarantaine des navires afin d’éviter la propagation des maladies infectieuses, et l’expansion du commerce international qui, rendant nécessaire un approfondissement des mesures de protection, a donné naissance aux premières conventions sanitaires internationales[11]. Aujourd’hui, on retrouve les traces de cette corrélation non seulement dans la Charte des Nations Unies, mais aussi dans la Constitution de l’OMS et dans le Règlement sanitaire international (ci-dessous RSI) (1). Cependant, c’est seulement à une époque récente que cette corrélation a réellement été assumée par les différents acteurs internationaux (2).

1) Une interdépendance consacrée au sein des principaux instruments juridiques internationaux dédiés au maintien de la paix et à la protection de la santé publique

Au sein de la Charte des Nations Unies, l’interdépendance entre le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la protection de la santé publique est clairement soulignée par son article 55 qui déclare qu’« [e]n vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, les Nations Unies favoriseront : […] (b) La solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes, et la coopération internationale dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation »[12].

L’on a souvent pu lire, en doctrine notamment, que cet article renvoie à une paix dite « structurelle » ou « positive », entendue généralement comme « l’établissement de conditions propices au développement politique, économique et social des États »[13]. Cette paix relèverait, par nature, de la compétence de l’Assemblée générale ou du Conseil économique et social et non de celle du Conseil de sécurité[14], destiné à ne connaître que des questions liées à la dimension « négative » de cette même paix, entendue comme « absence de conflit armé »[15]. Poutant, la Charte des Nations Unies non seulement ne définit la notion de paix, ni dans l’article 39 qui détermine les conditions d’intervention du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII, ni dans aucun autre de ses articles. Elle ne délimite pas non plus les champs d’intervention entre le Conseil de sécurité et les autres organes principaux de l’ONU[16]. Par conséquent, dans le cadre de sa responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales[17], le Conseil est effectivement habilité à intervenir à l’égard de questions diverses telles que celles liées à la pauvreté, la famine, la criminalité, les atteintes aux droits de l’homme, les risques environnementaux, la traite des humains ou les maladies[18], pour peu que celles-ci constituent des menaces à la paix.

À l’image de la Charte des Nations Unies, la Constitution de l’OMS fait également une forte référence à l’interdépendance entre maintien de la paix et protection de la santé mondiale lorsqu’elle déclare, notamment dans son préambule, que « [l]a santé de tous les peuples est fondamentale pour la réalisation de la paix et de la sécurité; elle dépend de la pleine coopération des individus et des États »[19]. La référence à la paix dans le mandat de l’OMS avait, en fait, pour but de créer des communautés professionnelles transnationales qui briseraient ou éroderaient progressivement les principales sources de discorde entre les États, et de résoudre les problèmes de santé au plan international afin d’extirper les racines de la guerre et ainsi préserver la paix[20]. Ce lien repose également sur l’impact de la guerre sur la santé. En effet, la guerre est parfois à l’origine de la destruction des institutions et des services de santé, de la contamination de l'environnement, de la hausse ou de la résurgence des maladies épidémiques, de l'augmentation de la pauvreté, de la famine et des flux de réfugiés. Il est donc logique que l’OMS soit compétente lorsque de tels problèmes de santé publique sont liés aux problématiques sécuritaires internationales.

Par ailleurs, le Règlement sanitaire international dans sa version de 2005[21] est sans doute l’instrument, adopté au sein de l’OMS, qui matérialise le mieux cette affirmation[22]. Selon les mots du Conseil de sécurité, il « contribue à la sécurité mondiale dans le domaine de la santé publique »[23]. En effet, depuis cette révision, le champ d’application du RSI ne se limite plus à une liste exhaustive de maladies, mais est davantage centré sur les notions d’« événement » et d’« urgence de santé publique de portée internationale » (ci-dessous USPPI), qui s’appliquent à toute cause de propagation de maladies internationales, indépendamment de leur origine ou de leur source[24]. Par conséquent, étant donné qu’une crise sanitaire internationale peut tirer son origine de la libération accidentelle ou intentionnelle d'agents biologiques, radiologiques ou chimiques, ou de l’usage d’armes chimiques, nucléaires ou d’actes de bioterrorisme[25], celle-ci relèvera de la compétence du RSI[26], voire du Conseil de sécurité si elle constitue en même temps une menace pour la paix, liant ainsi encore plus étroitement protection de la santé publique et maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Cependant, ce lien, qui n’a pas toujours été autant revendiqué au demeurant[27], n’a réellement pénétré la pratique des principaux acteurs internationaux que depuis la fin de la guerre froide.

2) Une interdépendance progressivement assumée, en pratique, par les principaux acteurs internationaux

L’interdépendance entre le maintien de la paix et la protection de la santé publique s’est réellement manifestée dans la pratique des organisations internationales au début des années 90, notamment à l’OMS, mais surtout à l’ONU[28].

Dans sa pratique, l’OMS n’a pas hésité en effet à rendre ce lien palpable. Déjà, en 1962, l’Assemblée mondiale de la santé avait adopté une résolution dans laquelle elle réaffirmait que l’amélioration de la santé dans le monde contribuerait de manière importante à la paix, tout en ajoutant que la paix à son tour était une condition essentielle pour la préservation et l'amélioration de la santé des personnes dans le monde. Depuis lors, de nombreuses missions d’urgence de l’OMS sont liées au maintien de la paix[29].

L’évolution la plus significative est sans doute celle qui a eu lieu aux Nations Unies. En effet, la baisse des conflits interétatiques, consécutivement à la fin de la guerre froide, et la multiplication des conflits internes qui ont suivi ont conduit la communauté internationale à s’intéresser à d’autres formes de menaces contre la paix. Cette évolution a débuté, pour l’ensemble des nouvelles menaces, dites « menaces d’ordre économique et social »[30], avec la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité du 31 janvier 1992[31], suivie par l’« Agenda pour la paix » du Secrétaire général[32]

Pour la menace d’ordre sanitaire spécifiquement, il faut remonter au début des années 2000, avec le débat au Conseil de sécurité sur « l’impact du Sida sur la paix et la sécurité internationales »[33]. Si, à cette occasion, le Conseil n’a pas considéré le VIH/SIDA comme une menace contre la paix[34], il a tout de même relié les mandats et la formation des opérations de paix à la prévention de la propagation du VIH/SIDA[35]. De plus, en 2011, le Conseil de sécurité a consacré une autre de ses résolutions, toujours en dehors du chapitre VII[36], à la question du VIH/SIDA[37]. Cependant, si la référence au VIH/SIDA dans ses résolutions traduit une sensibilité du Conseil de sécurité aux questions sanitaires, cela ne saurait être considéré comme un précédent pertinent pour élever les crises sanitaires au rang de menace contre la paix. En effet, mis à part le fait que ces résolutions n’ont pas pour fondement le chapitre VII, le Conseil de sécurité y envisage surtout les risques de diffusion du SIDA du fait des situations conflictuelles et non une menace à la paix du fait d’une pandémie.

Le pas ne sera franchi qu’avec l’épidémie d’Ebola qui a sévi en Afrique de l’Ouest dès 2013. En effet, les membres du Conseil de sécurité, d’abord « extrêmement préoccupés par l’épidémie due au virus Ebola »[38], se sont, par la suite, dits « gravement préoccupés par l’ampleur de l’épidémie due au virus Ebola en Afrique de l’Ouest, en particulier au Libéria, en Guinée et en Sierra Leone »[39], sans que ce constat ne conduise à une invocation du chapitre VII. Il a fallu attendre le 18 septembre 2014, avec la résolution 2177 (2014), pour que le Conseil de sécurité juge, à l’unanimité de ses membres, qu’une urgence sanitaire internationale, en l’occurrence l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales[40]. Cette détermination sera réitérée par le Président du Conseil dans une déclaration faite le 21 novembre, au nom du Conseil[41].

Cependant, même s’il est vrai que cette résolution constitue une intervention d’envergure du Conseil de sécurité à l’égard des questions de santé publique, elle ne règle pas pour autant toutes les questions liées au rapport que ce dernier pourrait entretenir avec la lutte globale contre les pandémies.

B. Portée et limites de la qualification, par le Conseil de sécurité, de l’épidémie d’Ebola comme menace contre la paix dans la lutte globale contre les pandémies

En effet, bien que la qualification, par le Conseil de sécurité, de l’épidémie d’Ebola comme une menace contre la paix enrichit la liste des questions dont il peut se saisir au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (1), celle-ci reste une réponse essentiellement sécuritaire, qui n’aborde les préoccupations sanitaires que de manière incidente (2).

1) Érection des préoccupations de santé publique au rang de menace contre la paix de l’article 39 de la Charte des Nations Unies

La résolution 2177 (2014) est sans ambiguïté sur ce point. En fait, généralement, lorsque le Conseil de sécurité veut éviter de procéder à la découverte d’une « nouvelle menace contre la paix », le considérant de principe, celui contenant la qualification, n’indique pas toujours clairement les fondements de la qualification retenue[42]. Le Conseil procède généralement ainsi lorsqu’il se saisit pour la première fois d’une situation atypique au titre du chapitre VII.

Dans le cas de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en revanche, la position du Conseil est assez claire, notamment lorsqu’il « jug(e) », dans son considérant de principe, « que l’ampleur extraordinaire de l’épidémie d’Ebola en Afrique constitue une menace pour la paix et la sécurité internationales »[43].

Le fait que le Conseil de sécurité ait été aussi décisif sur cette question repose aussi, en partie, sur le consensus qu’il y a eu autour de l’éventualité de son intervention en la matière, de la part des principaux acteurs internationaux concernés par les questions de paix et de santé publique[44]. Cependant, dire que le Conseil de sécurité a enfin quitté son domaine traditionnel d’intervention, c'est-à-dire les conflits armés, le terrorisme, etc.[45], pour s’intéresser à une crise, notamment sanitaire, en période de paix, est certainement excessif. Même dans ce contexte, l’approche du Conseil semble demeurer sécuritaire, nous amenant ainsi à nous interroger sur les critères guidant ou devant guider l’action du Conseil sur de telles questions.

2) Une approche essentiellement sécuritaire, n’abordant les préoccupations sanitaires que de manière incidente

La priorité accordée à la dimension sécuritaire lors de la crise transparaît à travers deux aspects retenus par le Conseil : le contexte dans lequel sévit l’épidémie (a), et la dangerosité de celle-ci (b).

a. Le cadre contextuel dans lequel sévit l’épidémie d’Ebola comme critère déterminant pour une action du Conseil de sécurité à l’égard d’une crise sanitaire

Le Conseil de sécurité n’est pas toujours prolixe lorsqu’il s’agit d’évoquer les motivations derrière ses constatations. De toute façon, il n’est pas tenu, en droit, de le faire[46], mais quand il le fait, on ne peut l’ignorer dans l’interprétation de sa volonté[47].

De telles motivations sont présentes dans la résolution 2177 (2014), révélant ainsi les critères retenus par le Conseil pour s’estimer compétent. On constate à ce propos que le Conseil ne manque pas d’établir un lien entre la crise sanitaire en cause et la survenance de conflit armé : c’est le cas lorsqu’il

consid[ère] que les acquis obtenus par les pays les plus touchés en matière de consolidation de la paix et de développement risquent d’être réduits à néant par l’épidémie d’Ebola et soulign[e] que cette épidémie compromet la stabilité des pays les plus touchés et que, si elle n’est pas jugulée, elle peut provoquer de nouveaux épisodes de troubles civils et de tensions sociales, une détérioration du climat politique et une aggravation de l’insécurité.[48]

Au regard de ce qui précède, il est clair que la menace à laquelle le Conseil de sécurité veut faire face est tout d’abord une menace d’ordre sanitaire : l’épidémie d’Ebola. Toutefois, il ne s’intéresse à cette crise que parce qu’elle touche en premier lieu des États fragiles[49] engagés dans un processus de consolidation de la paix[50] après des conflits armés, de telle sorte que, sans son intervention, les bénéfices obtenus dans le cadre de ce processus risquent d’être annihilés[51]. En définitive, ce sont donc les ramifications économiques et sociales menaçant d’annuler les dividendes de la paix dans les pays touchés et de replonger ceux-ci dans le chaos qui justifient l’intervention du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII. Si la menace résulte donc au départ d’une crise sanitaire, elle est devenue par la suite une menace économique, sociale, politique, et en définitive sécuritaire, nécessitant de ce fait une intervention contraignante du Conseil de sécurité.

Cependant, il est important de souligner que certains auteurs localisent la menace contre la paix dans les effets induits par l’épidémie d’Ebola et non dans l’urgence sanitaire elle-même[52]. À ceux-là on pourrait répondre que sans la crise sans précédent de fièvre hémorragique Ebola en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria, il n’y aurait jamais eu d’instabilité économique, sociale ou sécuritaire, aussi bien dans les pays touchés que dans les pays voisins. Par conséquent, l’épidémie d’Ebola est bien l’origine de la menace contre la paix constatée par le Conseil de sécurité[53].

Par ailleurs, il est intéressant de se demander si le Conseil de sécurité se considère comme compétent pour intervenir à l’égard d’une crise sanitaire similaire, mais sévissant en dehors de tout contexte conflictuel. En théorie, cela ne soulève aucune difficulté[54]. Cependant, concrètement, le texte de la résolution 2177 (2014) n’envisage pas une telle possibilité[55]. En outre, l’analyse de la pratique antérieure du Conseil de sécurité ne permet pas non plus de trancher définitivement la question. En effet, s’il est vrai que le Conseil s’estime de plus en plus compétent à l’égard des phénomènes qui mettent en péril les vies humaines[56], dont font partie les épidémies, et qu’à ce titre il pourrait intervenir à l’égard de telles menaces, même en période de paix, la même pratique révèle également que chaque fois qu’il a découvert de nouvelles menaces contre la paix, celles-ci ont toujours été en lien avec son champ sécuritaire traditionnel d’intervention[57]. Cela dit, peu importe le contexte dans lequel le Conseil compte intervenir, il ne peut le faire, nous semble-t-il, qu’à l’égard d’une crise sanitaire présentant une certaine dangerosité pour l’espèce humaine.

b. La dangerosité, pour l’espèce humaine, d’une épidémie comme critère déterminant pour une intervention du Conseil de sécurité à l’égard d’une crise sanitaire

Il est clair que le Conseil de sécurité n’est pas un « Conseil de la sécurité sanitaire internationale », qui serait de ce fait amené à réagir à l’égard de toutes les préoccupations de santé publique. Ce serait d’ailleurs incompatible avec son mandat et avec la répartition de compétences entre les différents organes des Nations Unies. En vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité n’intervient que lorsque les situations en cause présentent, ou ont atteint, un certain seuil de dangerosité[58]. C’est le cas de l’épidémie d’Ebola, en 2013-2014 en Afrique de l’Ouest, que le Conseil de sécurité a jugé être d’une « ampleur extraordinaire »[59]. Ce qui veut dire, a contrario, qu’une épidémie ordinaire ne saurait relever de la compétence du Conseil[60].

Une question cruciale serait de savoir quand est-ce que l’on sort de la « crise sanitaire ordinaire » pour entrer dans une « crise sanitaire extraordinaire » susceptible de provoquer une intervention du Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII.

Un début de réponse peut être trouvé dans le rôle que joue l’OMS en la matière. En effet, au titre du RSI (version 2005), le Directeur général de l’OMS dispose du pouvoir de déclencher une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI). L’activation de cette dernière signifie qu’il existe une crise de maladies infectieuses susceptibles d’avoir une portée internationale[61]. Celle-ci fonctionne donc comme un « signal d’alarme » pour l’ensemble de la communauté internationale, annonçant qu’une grave crise sanitaire susceptible de se propager au-delà des frontières existe et qu’il faut urgemment y faire face, soulignant ainsi, par la même occasion, les conditions nécessaires pour une intervention du Conseil de sécurité : gravité, urgence et effets transfrontaliers[62].

Cependant, ceci ne devrait pas nous amener à conclure, d’un point de vue purement juridique, à une limitation ou restriction du pouvoir de qualification du Conseil de sécurité[63]. Ce pouvoir demeure en effet essentiellement discrétionnaire[64]. Cependant, en pratique, il serait tout de même malaisé de voir le Conseil de sécurité procéder à la qualification d’une menace contre la paix sur la base d’une crise sanitaire avant même que l’institution spécialisée en la matière ne se soit prononcée sur le sujet. En outre, le Conseil de sécurité n’a ni les compétences techniques, ni l’expérience de ce genre de question[65]. Le rôle fondamental du Directeur général de l’OMS est d’ailleurs souligné par le Conseil de sécurité lui-même dans la résolution en cause, lorsqu’il « prend acte, du rôle clef que joue l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a décrété que l’épidémie d’Ebola constituait une urgence de santé publique de portée internationale »[66].

Une autre question est de savoir si le Conseil de sécurité ne doit se saisir que des crises sanitaires extraordinaires.

En effet, il ne faut pas oublier que le Conseil n’est pas seulement un organe de réaction ou de répression, mais aussi un organe d’anticipation ou de prévention[67]. Par conséquent, dire que le Conseil ne doit intervenir que lorsque les crises ont atteint une portée extraordinaire, comme le laisse penser le texte de la résolution 2177(2014), reviendrait à le réduire à un rôle de réaction qui, au demeurant, est inadapté à ce genre de crise.

Le vrai critère pour une intervention du Conseil de sécurité en matière de santé publique ne devrait pas être l’intensité d’une crise, mais sa nature, sa dangerosité pour les vies humaines, c'est-à-dire, sa létalité. Par conséquent, l’action du Conseil de sécurité, en vertu du chapitre VII, ne devrait concerner que les maladies infectieuses susceptibles de causer rapidement la mort. Ainsi, les épidémies de VIH/SIDA, par exemple, qui conduisent à une mort lente des personnes infectées, ne devraient pas relever de la compétence du Conseil de sécurité[68], tandis que les épidémies plus virulentes comme celle de la fièvre hémorragique à virus Ebola, qui entraînent rapidement le décès des personnes infectées[69], devraient l’être, et ce peu importe leur intensité réelle[70].

En somme, on est encore loin d’un Conseil de sécurité qui place toutes les épidémies au centre de ses préoccupations, mais il s’agit là, déjà, d’un grand pas; d’autant plus qu’en le franchissant, le Conseil met les pouvoirs qu’il est le seul organe au monde à détenir au service de la lutte contre les pandémies.

II. Les moyens d’action à la disposition du Conseil de sécurité pour une lutte efficace contre les pandémies

Dans le cadre de la résolution 2177 (2014) pour la lutte contre l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, le Conseil de sécurité n’a adopté aucune mesure contraignante ou coercitive. Il s’est contenté de faire des recommandations[71], qui n’ont aucune force juridique obligatoire. D’un point de vue strictement juridique, cela ne soulève aucun problème. Il reste en effet à la discrétion du Conseil de décider, non seulement de la qualification ou non d’une situation comme menace contre la paix, mais également de l’utilisation ou non des moyens mis à sa disposition par la Charte des Nations Unies pour y faire face[72].

De même, dans le cas où le Conseil décide d’adopter des mesures pour donner effet à ses décisions, la force juridique à attribuer à celles-ci relève, une fois de plus, de son pouvoir discrétionnaire[73]. Cependant, nombreux sont les observateurs qui ont considéré qu’eu égard à la nature de la menace, il aurait été inapproprié, voire insensé, de recourir à des mesures contraignantes ou coercitives[74]. Nous ne partageons pas entièrement cet avis; aussi, allons-nous tenter, dans les développements suivants, de mettre en évidence les mesures obligatoires que le Conseil de sécurité peut mettre en place pour lutter efficacement contre des menaces sanitaires à la paix, et ce sans sortir du cadre constitutionnel de ses pouvoirs. Il s’agit, certes, des mesures traditionnelles d’intervention du Conseil dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales (A), mais aussi de celles, plus novatrices, nées avec les nouvelles menaces à la paix des vingt dernières années (B).

A. Mesures classiques d’intervention du Conseil de sécurité dans le cadre du maintien de la paix et de la sécurité internationales, au service des préoccupations sanitaires internationales

Par mesures classiques, il faut entendre les sanctions économiques et le recours à la force, d’une part (1), et les opérations de maintien de la paix, d’autre part (2). À notre sens, les unes et les autres peuvent utilement être employées à des fins sanitaires.

1) L’utilisation des sanctions économiques pour des finalités de santé publique

Les observateurs ci-dessus évoqués ont, nous semble-t-il, raison sur un point : il serait, en effet, inapproprié et insensé de recourir à la force armée dans la lutte contre une menace d’ordre sanitaire qui, par définition, est une menace dont le responsable est « invisible ». Il serait donc absurde de chercher à l’atteindre par l’usage de la force[75].

En revanche, la logique des sanctions économiques permet leur usage non seulement à l’égard des États tiers (a), mais également à l’égard des États précédemment touchés par une crise sanitaire internationale (b), comme le Conseil a pu le faire dans d’autres circonstances.

a. L’usage des sanctions économiques à l’égard des États tiers

Pour saisir l’utilité du recours aux sanctions économiques à l’égard des États tiers dans le cadre d’une urgence sanitaire internationale, il faut se remémorer les réactions des États lors de la récente épidémie d’Ebola, et la gestion de cette crise par le Conseil de sécurité et l’OMS. En effet, face à la virulence de la maladie, la peur de sa propagation à l’extérieur de l’Afrique de l’Ouest a incité un grand nombre de pays à imposer diverses mesures réglementaires afin d’en empêcher l’infiltration sur leur territoire.

Cependant, s’il est vrai que les experts en santé publique reconnaissent la nécessité d’une prudence accrue de la part des États pour faire face à de telles crises, ils insistent sur le fait que les réponses draconiennes, telles que les interdictions de voyage et les quarantaines forcées, en plus de semer la peur, n’empêchent pas la propagation de la maladie[76], mais surtout exacerbent l’épidémie en entravant le flux des ressources médicales critiques pour les pays infectés et dissuadent les travailleurs de la santé de s’y rendre[77].

Sur la base de ces considérations, le Directeur général de l’OMS a déclaré, le 8 août 2014, que l’épidémie d’Ebola était une « urgence de santé publique de portée internationale », et a émis des « recommandations temporaires », adressées en partie aux pays touchés et en partie aux États tiers, visant à prévenir une nouvelle propagation de la maladie tout en évitant que les pays tiers n’adoptent des mesures disproportionnées ou n’isolent inutilement les pays touchés. Pour ce faire, il a par exemple déclaré que les pays tiers ne devaient pas imposer des interdictions générales de voyages ou d’échanges à l’encontre des pays ouest-africains frappés par le virus Ebola. Ces recommandations ont été étendues et révisées le 22 septembre et le 23 octobre de la même année[78]. Dans sa résolution 2177 (2014), le Conseil de sécurité les a réitérées[79]. Au paragraphe 9 de celle-ci, par exemple, il « demande instamment » aux États membres de mettre en oeuvre les recommandations temporaires émises en vertu du RSI (2005).

Ces recommandations ont été respectées de manière inégale par les différents États membres de la communauté internationale. Certes, beaucoup les ont suivies[80], mais selon le récent « Rapport du Groupe d’experts chargés de l’évaluation intérimaire de la riposte à Ebola », à peu près un quart des États membres de l'OMS les ont ignorées[81], en prenant notamment des mesures excessives[82].

La raison d’une telle disparité dans l’application de ces recommandations réside, nous semble-t-il, dans leur force juridique. En effet, les recommandations du Directeur général de l’OMS, formulées sur la base du RSI (2005), ne sont pas contraignantes, mais représentent de simples indications. Les États sont tout de même tenus de justifier leur action s’ils décident d’aller au-delà de celles-ci[83]. Par conséquent, le Conseil de sécurité, en les reprenant de nouveau sous forme de recommandations, n’apporte aucune plus-value « juridique » aux prescriptions du Directeur général. En réalité, ces mesures auraient également pu être adoptées par le Conseil, soit dans une forme contraignante, soit appuyées par un régime de sanctions. Ceci n’est pas contraire à la logique de l’article 41 de la Charte des Nations Unies, auquel elles sont souvent rattachées, qui consiste à amener les entités responsables de la menace contre la paix, ainsi que ceux qui, par leur comportement, la prolongent ou l’entretiennent, à justement changer leur comportement de telle sorte que celui-ci ne soit pas ou plus un obstacle à la restauration de la paix et de la sécurité internationales[84].

Cependant, force est de constater que cette approche reste largement hypothétique tant elle est déconnectée de la réalité du fonctionnement du Conseil et de la prudence de ces programmes d’imposition de sanctions. Toutefois, il n’est pas impossible de la voir prendre forme dans un avenir proche, du moins, dans le cadre exclusif de l’OMS. En effet, dans le récent « Rapport du Groupe d’experts chargés de l’évaluation intérimaire de la riposte à Ebola », contenant des propositions concrètes pour réformer certains mécanismes juridiques de l'OMS pour la réponse aux urgences de santé, il y a une proposition qui envisage la possibilité d’imposer des sanctions en cas de non-conformité avec les recommandations techniques temporaires.

Par ailleurs, il n’est pas impossible de voir le Conseil de sécurité sanctionner également des États précédemment affectés par une crise sanitaire internationale.

b. L’usage des sanctions économiques à l’égard des États précédemment affectés par une crise sanitaire internationale

L’idée de sanctionner les États victimes d’épidémies a également été évoquée sur la scène internationale. En effet, lors de l’épidémie de SRAS en 2002-2003, des experts se sont demandé si les États qui ne partagent pas les informations de foyer doivent être sanctionnés par des organisations internationales telles que le Conseil de sécurité, l'OMC ou le Fonds monétaire international (FMI)[85]. Cependant, cette option reste hypothétique, car elle reviendrait à accabler davantage des États déjà affaiblis par la lutte contre le fléau qui les assaille.

Ce qui serait, en revanche, plus aisément envisageable serait l’adoption de sanctions à l’encontre d’États précédemment affectés par une épidémie de portée internationale. Ainsi, dans un contexte post-crise sanitaire, lorsque, par exemple, les dirigeants politiques des pays concernés refusent de faire les réformes structurelles nécessaires en matière de santé publique pour ne plus connaître ce genre de situation, des sanctions pourraient être adoptées à leur encontre. En effet, puisque depuis quelques années, l’action du Conseil de sécurité ne se limite plus à faire cesser une menace contre la paix, mais également à traiter les causes sous-jacentes qui ont conduit à celle-ci, une lutte efficace contre les pandémies passerait aussi nécessairement par le renforcement post-crise des systèmes de santé. Une approche similaire est tentée par le Conseil dans sa résolution 2177 (2014) lorsqu’il « [e]ncourage les Gouvernements libérien, sierra-léonais et guinéen à poursuivre leurs efforts pour maîtriser ou atténuer les effets plus généraux de l’épidémie d’Ebola sur les plans politique, sécuritaire, socioéconomique et humanitaire, ainsi qu’à mettre sur pied des mécanismes de santé viables, efficaces et réactifs »[86]. Mais il s’agit là encore de simples recommandations dépourvues de toute force juridique et non de mesures véritablement contraignantes.

Ce dernier type de mesures demeure cependant possible dans un tel contexte. Le Conseil a, en effet, déjà agi de la sorte, notamment au Libéria, au milieu des années 2000, lorsqu’il a conditionné la levée post-conflit des sanctions économiques à la mise en place de réformes économiques structurelles afin d’instaurer la transparence et la bonne gouvernance dans ce pays[87]. D’un point de vue pratique, la pertinence de ce précédent pour la présente situation doit tout de même être nuancée, car dans ce dernier cas, le pays en cause faisait déjà l’objet de mesures de sanctions économiques de la part du Conseil de sécurité. Il lui était donc plus facile de les maintenir à l’issue du conflit, chose moins évidente pour un État non préalablement soumis à un tel type de mesures et, de surcroît, ayant fait face à une crise sanitaire aigüe. En outre, le cas échéant, un défi supplémentaire serait de déterminer dans quels secteurs ou activités de telles sanctions pourraient être efficacement adoptées[88].

2) La création d’opérations de maintien de la paix d’ordre sanitaire

L’exemple concret d’opération de maintien de la paix employée pour faire face aux préoccupations sanitaires internationales est sans conteste la « Mission des Nations Unies pour l’action d’urgence contre Ebola (MINUAUCE) », créée le 19 septembre 2014, non pas par le Conseil de sécurité, mais par le Secrétaire général[89], et formalisée par l’Assemblée générale[90]. La MINUAUCE représente une synthèse de la dimension sanitaire et des dimensions humanitaire, politique et sécuritaire plus larges de l’action entreprise. Elle n’est ni une « opération de maintien de la paix », ni une « mission politique »; selon les mots du Secrétaire général, sous l’autorité duquel elle est déployée, elle est une « mission d'urgence de santé des Nations Unies »[91]. Elle a pour mandat de diriger et de coordonner la réponse du système des Nations Unies au virus Ebola en Afrique de l'Ouest[92].

Il n’est donc pas impossible que, lors d’une future crise similaire, le Conseil s’inspire de ce précédent pour mettre en place une opération de maintien de la paix semblable, et même sur une base contraignante[93]. Par ailleurs, il faut souligner que même si le Conseil n'a pas adopté de mesures d'application dans le cadre de sa résolution 2177 (2014), encore que, eu égard à son pouvoir discrétionnaire en la matière, il n’est pas tenu de le faire, sa détermination sur les implications de sécurité de l'épidémie d'Ebola a tout de même eu des effets normatifs et influencé, indirectement, ses actions en vertu du chapitre VII dans la sous-région, leur donnant une portée de plus en plus sanitaire[94].

À côté de ces mesures classiques, le Conseil dispose également de mesures plus novatrices pour faire face à ce nouveau type de menace.

B. Mesures novatrices d’intervention du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII, au service des préoccupations sanitaires internationales

Depuis le début des années 2000, notamment avec l’accroissement de la lutte contre le terrorisme, le Conseil de sécurité est amené à prendre des mesures inédites. Celles-ci, pour la lutte contre les pandémies, peuvent se manifester par la coopération ou l’appui du Conseil de sécurité à des mesures prises ou recommandées par d’autres entités sur la scène internationale, notamment l’OMS et l’OMC d’une part (1), et les bailleurs de fonds internationaux d’autre part (2). La dissociation entre ces deux grandes familles d’institutions se justifie, dans notre étude, par la nature des prestations fournies.

1) Coopération ou appui du Conseil de sécurité aux actions de l’OMS et l’OMC dans la lutte contre les pandémies

a. L’appui du Conseil de sécurité aux actions de l’OMS dans la lutte contre les pandémies

Cet aspect ayant déjà été abordé[95], il ne sera développé ici que de manière succincte. En effet, comme nous l’avons vu plus tôt, à l’occasion d’une crise sanitaire le Directeur général de l’OMS peut prononcer une USPPI. Celle-ci lui donne le droit de faire des recommandations aux États sur la conduite à tenir pour juguler la crise, mais ces recommandations n’ont pas de force juridique contraignante. Par conséquent, le Conseil de sécurité peut les reprendre sous forme de décision dans ses résolutions afin de leur octroyer une force contraignante à l’égard de leurs destinataires. Une telle approche est sans doute moins brutale et radicale que le recours aux sanctions économiques pour les mêmes fins.

b. L’appui du Conseil de sécurité aux actions de l’OMC dans la lutte contre les pandémies

Le Conseil de sécurité peut encore jouer un rôle important, cette fois dans le système OMC, en maintenant, de manière contraignante, les dispositions dérogatoires de l’accord portant sur les « aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce »[96], telles que réinterprétées par la « Déclaration ministérielle adoptée à Doha en novembre 2001 sur l'Accord sur les ADPIC et la santé publique »[97]. En effet, conformément à ces dernières, confronté à un problème sanitaire, un pays peut autoriser sur son territoire l'importation ou la fabrication de produits génériques copiés du médicament sous brevet sans l'accord de son titulaire, le cas échéant moyennant une modeste redevance. Or, ces dernières années, un nombre grandissant de pays ont été amenés à adopter des législations pour mettre en oeuvre des accords internationaux multilatéraux ou bilatéraux, dit « ADPIC-Plus »[98], renforçant considérablement la protection conférée aux droits de propriété intellectuelle[99].

Dans un tel contexte, pour permettre aux pays touchés par des épidémies de grande ampleur de faire face à de telles crises, le Conseil de sécurité pourrait suspendre temporairement[100] l’applicabilité de telles dispositions, et laisser s’appliquer pleinement les dérogations prévues par le texte de l’ADPIC, même si celles-ci sont difficiles à mettre en oeuvre.

2) L’appui du Conseil de sécurité aux actions des bailleurs de fonds internationaux dans la lutte contre les pandémies

La coopération entre le Conseil de sécurité et les bailleurs de fonds internationaux, publics comme privés, dans la lutte contre les pandémies pourrait prendre une forme tout à fait différente de celle entretenue avec les précédentes institutions. Il ne s’agira pas pour lui, en effet, de rendre obligatoire une quelconque décision de ces institutions, mais plutôt de suspendre certaines de leurs activités à l’égard des pays touchés par de graves crises sanitaires afin de permettre à ceux-ci de se relever de la crise qui les affecte. En effet, dans la majorité des cas, les pays victimes d’une crise sanitaire internationale sont souvent des pays fragiles ou en développement[101], lourdement endettés[102].

Certains observateurs ont pu constater que les opérations de prêts de certains bailleurs de fonds ou le remboursement de la dette contractée antérieurement peuvent saper les efforts de relèvement économique et social entrepris par des États victimes. Dans ces cas, à défaut d’imposer des politiques de prêts précises aux bailleurs de fonds[103], ce qui pourrait être considéré comme ultra vires [104], le Conseil peut se contenter de suspendre toute action en réclamation de la part des créanciers desdits États afin de leur permettre d’assurer leur redressement économique et social, comme ce fut le cas en Irak, à travers la résolution 1483 (2003), lors du processus international de reconstruction de cet État, à la suite de l’invasion américano-britannique[105].

Enfin, il faut aussi rappeler le rôle de « catalyseur » de fonds que joue le Conseil de sécurité en situation de crise. L’histoire a montré que chaque fois que le Conseil s’est saisi d’une question, cela a apporté une lumière particulière sur la situation en cause et démultiplié les promesses et les décaissements d’aide[106]. À défaut donc de contraindre les bailleurs de fonds sur leur politique de prêts, le Conseil de sécurité arrive quand même, cependant, à sensibiliser la communauté internationale aux problèmes qu’il traite.