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L’ouvrage de Bill Marshall, The French Atlantic. Travels in Culture and History[1], s’intéresse à la question de la francité telle qu’elle se donne à lire, dans sa dispersion et sa diversité, par le prisme atlantique. « Les sept chapitres de ce livre, écrit l’universitaire britannique, offrent au lecteur un trajet vers six villes et un archipel de l’Atlantique français : Nantes, La Rochelle, Saint-Pierre et Miquelon, Québec, la Nouvelle-Orléans, Cayenne et Montevideo[2]. » À propos du dernier chapitre de son livre, Marshall précise que « l’hypothèse de ce chapitre repose sur l’idée que l’Atlantique (français) est l’angle le plus approprié pour réfléchir aux relations culturelles qui unissent la France et l’Uruguay[3] ». La section « Poets » du chapitre s’inscrit évidemment dans ce paradigme, sa première phrase postulant d’entrée de jeu que Laforgue, Ducasse et Supervielle constituent à cet égard des cas exemplaires. C’est cette section que l’on a souhaité donné à lire avec la présente traduction[4].

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C’est notamment le cas des trois célèbres poetas franceses. En 1969, la ville de Paris a même offert à la ville de Montevideo un lieu de mémoire qui leur est dédié : une nef de Lutèce (le vaisseau qui figure sur le blason de Paris), sculptée par Guy Lartigue, accompagnée de la devise de la ville, Fluctuat Nec Mergitur (« Il est battu par les flots mais ne sombre pas », devise qui provient de la Corporation des Nautes de Lutèce). Situé derrière le Teatro Solis, au coin des rues Reconquista et Juncal, le monument fut récemment enlevé afin qu’on puisse rénover le théâtre ; il doit être érigé à nouveau à proximité du lycée français Jules Supervielle.

Des trois poètes qui nous concernent, Jules Laforgue est celui qui retiendra moins notre attention même si la question franco-atlantique reste chez lui significative : qu’on pense à son influence sur T. S. Eliot et Ezra Pound ou à ses traductions de Whitman. Les références à l’Uruguay restent éparses dans son oeuvre : il relate, dans ses Conversations politiques et littéraires, des souvenirs d’une enfance bourgeoise calme et heureuse, par exemple celui de nager dans la mer. Dans une lettre de décembre 1881 envoyée à Charles Henry depuis l’Allemagne où il fut lecteur à la cour de l’Impératrice, Laforgue évoque le triste et ennuyeux voyage qu’il a fait en France : « Je m’ennuie prodigieusement. Depuis que j’ai traversé l’Atlantique (6 ans, couchant sur la mer) je n’avais eu d’aussi noires crises de spleen[5]. » Pourtant, sa jeunesse et la trajectoire de sa famille donnent un aperçu assez typique de ce qu’était la population française de Montevideo. Enfant de Charles Laforgue et de Pauline Lacolley, Jules Laforgue est né en 1860 sur la rue Juncal. Charles est lui-même né à Tarbes en 1833, sa famille a émigré à Montevideo tout juste deux semaines avant le siège de 1842. D’abord éduqué à l’Institution des Belles Lettres, dirigée par un ecclésiastique corse, il entreprend de suivre les traces de son père et de devenir tailleur. Amputé d’une main à l’âge de dix-huit ans à la suite d’un accident, il apprend alors le latin et dirige une petite école sur la rue Rincón de 1852 à 1859, après quoi il travaillera dans une banque. La mère de Jules, Pauline Lacolley, est née au Havre en 1838. À Montevideo, sa famille dirige une boutique de chaussures de bonne réputation, la Zapatería de París. Son père, Louis, a combattu avec la Légion française pendant le siège. Charles, Pauline et leur famille sont retournés en France en 1869.

Bien que souvent négligé, le lien à l’Uruguay est de grande importance dans le cas d’Isidore Ducasse, le « comte de Lautréamont ». Le père d’Isidore, François Ducasse, est né à Tarbes dans les Pyrénées en 1809. Issu d’une famille de fermiers, il est instituteur dans la décennie de 1830. Ayant eu vent d’une vacance à un poste d’employé de bureau au consulat français de Montevideo, il quitte Bayonne en 1839 avec deux de ses frères encouragés par des agents d’immigration (ils deviendront meuniers à Mercedes en Argentine). À la suite d’une promotion, François Ducasse servira comme chancelier au consulat de 1848 à 1873 ; il aurait donc été au coeur des questions concernant les réfugiés français en Argentine ou la force expéditionnaire navale française pendant les années du siège, tout comme celle des envoyés, tel Walewski qui resta au consulat en 1847. La mère d’Isidore, Célestine-Jacquette Davezac, est née en 1821. Elle quitte Sarniguet, près de Tarbes, pour Montevideo en 1842, soit l’année la plus importante de la migration française. Elle épouse François Ducasse en février 1846 et Isidore naît au mois d’avril suivant ; elle meurt en décembre 1847 (son frère, Jean, fait partie de la Légion française pendant le siège). À l’âge de treize ans, Isidore quitte le Lycée de Tarbes. Il revient visiter Montevideo dans la seconde moitié de 1867 et c’est alors que son père lui offre son soutien dans ses projets de carrière littéraire à Paris. Les Chants de Maldoror sont publiés en 1869 sous le pseudonyme « comte de Lautréamont », et les Poésies sont publiées l’année suivante sous son nom réel. Isidore Ducasse meurt à Paris en novembre 1870 à l’âge de vingt-quatre ans.

Nous savons si peu de choses à propos de la courte vie d’Isidore Ducasse que les biographes ont souvent tendance à évoquer le contexte montévidéen pour ensuite spéculer, et ce, parfois de manière affligeante, sur son influence dans le développement de la poétique de l’écrivain. Édouard Peyrouzet, dans sa Vie de Lautréamont, s’intéresse par exemple à des questions comme les histoires sanglantes du siège et de la guerre ou celles du folklore de La Plata, que les serviteurs auraient fait entendre à Isidore alors qu’il était un enfant sans mère, voire les impacts de l’épidémie de fièvre jaune qui a fait près de neuf cents morts à Montevideo en février et mars 1857[6]. Ces circonstances expliqueraient la violence et la fantaisie des Chants. Les travaux des Uruguayens Alvaro et Gervasio Guillot-Muñoz contribuent à perpétuer cette idée de l’importance du contexte alors que, à la suite d’entrevues menées dans les années 1920 avec des personnes prétendant connaître Isidore Ducasse[7], ils livrent un récit invraisemblable, énigmatique et pittoresque, qui fournira ensuite aux surréalistes idolâtres exactement ce qu’ils souhaitaient, avant d’être repris dans La Quinzaine littéraire en 1972. Et cependant, Lautréamont clamerait fièrement ses origines à la fin du premier Chant, même s’il le fait de manière ambiguë :

[Le poète] est né sur les rives américaines, à l’embouchure de la Plata, là où deux peuples, jadis rivaux, s’efforcent actuellement de se surpasser par le progrès matériel et moral. Buenos-Ayres, la reine du Sud, et Montevideo, la coquette, se tendent une main amie, à travers les eaux argentines du grand estuaire. Mais, la guerre éternelle a placé son empire destructeur sur les campagnes, et moissonne avec joie des victimes nombreuses[8].

Dans son étude monumentale sur Lautréamont et Mallarmé, qui fait plus de six cents pages, Julia Kristeva ne mentionne que deux fois la connexion uruguayenne. Le premier passage s’inscrit dans une discussion du contexte de la mort de Lautréamont, soit la guerre franco-allemande et de la Commune qui vient quelques mois plus tard. Ainsi donc, le jeune Isidore Ducasse a été marqué par une autre guerre :

Cette première guerre éveille chez Lautréamont une désapprobation générale de l’injustice qu’il va explicitement reprocher à son père. Mais le poète en retient probablement beaucoup de choses implicitement, si l’on pense aux bouleversements incessants d’une vie et d’un discours qu’aucune fixité ne retient, sauf à les relancer vers d’autres heurts[9].

Dans cette section de son ouvrage, Kristeva dresse une analogie entre la logique des Poésies (où, à l’opposé des Chants, se trouve une ratification positive de la loi qui est ouverte tout à la fois à l’ironie et à la transformation – elle élabore sur le fait qu’Isidore utilise le nom de son père) et la Commune (une nouvelle, « impossible » positivité, plus concernée par le mouvement que la conquête du pouvoir).

Le second passage, plus significatif, se trouve dans la section sur « La traversée des frontières » :

Lautréamont et Mallarmé n’ont pas plus une carte d’identité française que n’est identique à lui-même le sujet en procès. Le latino-américain issu de parents français, né sur les rives de la Plata et traversant [Kristeva écrit ici « peut-être »] à deux reprises l’océan, condense dans sa biographie même cette tendance propre à l’expérience textuelle d’être transnationale en même temps que trans-subjective[10].

La réputation de La Révolution du langage poétique en tant que moment fondateur d’une appropriation (féministe) de la psychanalyse lacanienne ne doit pas gommer le fait que l’ouvrage est aussi une tentative très sophistiquée d’articuler la relation entre le texte et le contexte, qui contient des développements substantiels (largement absents de la traduction anglaise) sur les changements de régime politique en France (la fin du Second Empire, les débuts de la Troisième République), le colonialisme républicain et le développement du capitalisme au dix-neuvième siècle.

Le fait que ces poètes ne soient pas explicites quant aux questions politiques s’explique par les enjeux du « sujet en procès » non-identique, soit la dialectique du « sémiotique » et du « symbolique ». Le « sémiotique » relève du domaine du chora pré-oedipien, en se projetant sur le corps et les pulsions de la mère ; le « symbolique » relève du domaine du langage, qui est selon Lacan structuré comme un inconscient. Une homologie est conséquemment établie entre le « manque » immanent au signifiant et le scénario oedipien de la castration. L’articulation entre les deux est la phase « thétique », coupure qui produit, selon Kristeva, la position de la signification. La poésie, avant Lautréamont, était « une nullité ornementale qui ne mettait en cause aucun sujet contemporain de son temps ». Les « positions maîtresses » du capitalisme, de la science et du colonialisme avaient conséquemment besoin d’être contestées par le biais de la logique psychique sur laquelle l’ordre social s’érige : « [S]ignifier la véhémence pulsionnelle dans et à travers le code moral, scientifique, quotidien, journalistique, moderne, familial, économique… interminable[11]. » Le texte de Lautréamont est donc basé sur le rejet de la fonction paternelle qui sert de support au langage et à l’ordre social.

L’analyse de Kristeva est précieuse pour dégager le poète de la canonisation problématique prononcée par Breton et les surréalistes. En 1943, Aimé Césaire a écrit dans ses Tropiques un éloge à Lautréamont qui suit le modèle surréaliste[12], se concentrant, dans une suite de dix-neuf fragments lapidaires, sur sa modernité, sa révolte, son imagerie et son humour. Le texte contient des allusions à ce qui pourrait constituer une lecture « caribéenne » ou « américaine » de Lautréamont en regard de sa « dignité magico-pulsionnelle » (je souligne), « le grand tam-tam aveugle » du néant, l’« expropriation » du titre de Césaire qui combine la révolte culturelle à l’économique.

Le célèbre essai d’Alejo Carpentier sur « lo real maravilloso » qui sert de prologue à son roman El reino de este mundo (1949) dont l’action se situe à Haïti, cherche à lire l’oeuvre de Lautréamont à partir de Breton et des surréalistes tout en réglant ses comptes avec Breton. Il oppose la « foi » en la magie qui serait propre à ce qu’on appellerait aujourd’hui le réalisme magique caribéen et latino-américain, telles les légendes entourant Mackandal, le marron rebelle et empoisonneur de Saint-Domingue, avec l’imagerie forcée de Lautréamont qu’il situe dans une tradition européenne figée de « littérature merveilleuse », et qui donne lieu à « una escuela literaria de vida efímera » (« une école littéraire éphémère »). L’argumentation de Carpentier n’est toutefois pas sans faille quand il concède dans une parenthèse :

Hay por otra parte, une rara casualidad en el hecho de que Isodoro Ducasse, hombre que tuvo un excepcional instinto de lo fantástico-poetico, hubiera nacido en América y se jactara tan enfáticamente, al final de uno de sus cantos, de ser Le Montevidéen[13].

Comme son essai porte sur Breton lecteur de Lautréamont plutôt que sur Lautréamont lui-même, Carpentier ne réussit pas à voir au-delà de l’ironie du poète et de sa révolte à l’égard des traditions littéraires européennes. Il ne s’avise conséquemment pas des nombreux éléments latino-américains des Chants de Maldoror[14].

La tentative de contextualisation de Lautréamont offerte par Kristeva est irrécusable dès lors qu’on cherche à le comparer avec l’un de ses contemporains, José Maria de Heredia, un autre poète américain franco-latin. Né à Santiago de Cuba en 1842, fils de propriétaires de plantation exilés de Saint-Domingue, Heredia a écrit une oeuvre impersonnelle, formellement « parnassienne », mais néanmoins attentive à la question de la filiation.

Des sonnets comme « À un fondateur de la ville » et « À une ville morte », publiés dans Les Trophées en 1893, opposent la gloire passée à la décadence actuelle à travers le culte nostalgique de l’ascendance conquistador, notamment le lien avec Don Pedro de Heredia, qui a participé à l’expédition de Bartolomeo Colomb, le frère de Christophe, aux Antilles et qui fonda Cartagena (« une nouvelle Carthage ») en Colombie. La juxtaposition d’un grand récit colonial personnalisé et d’allusions aux questions de perte et de fugacité, l’association d’une « immortalité » héroïque à la marche du temps et de la nature s’inscrivent implicitement dans « Brise marine », un poème où l’Atlantique offre une présence tangible en devenant le véhicule grâce auquel Heredia évoque sa relation à Cuba alors que le poète détecte l’« arôme subtil » de ses Antilles natales que l’Atlantique a transporté vers le morne promontoire breton. Chez Lautréamont, l’adresse à l’Atlantique – le « vieil océan » – du premier Chant projette le lecteur dans un monde différent où sont remises en question les doxas de l’humanisme, du progrès et de la paternité. En indiquant qu’« il n’y pas si longtemps que j’ai revu la mer et foulé le pont des vaisseaux, et mes souvenirs sont vivaces comme si je l’avais quittée la veille », il fait surgir un bestiaire, un choc entre les catégories sensibles et les substances, qu’il est intéressant de comparer à la mélancolie solitaire d’Heredia en Bretagne, érigée quant à elle sur les grands récits de conquête et de colonisation. Il apostrophe un poulpe : « [T]on ventre de mercure contre ma poitrine d’aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j’adore[15] ! » (les Chants sont très côtiers, les références aux « rives » y sont fréquentes). Un océan enveloppe un vaisseau « pour aller voir, sans chemin de fer, comment se portent les poissons[16] », et fait la même chose avec les combats navals (« La gueule est formidable[17] »). L’océan, que l’intervention humaine tente conséquemment d’ériger comme espace de technologie et d’histoire, a plus à voir avec les alliances hétérogènes que les filiations, étant à la fois maternel (« tes mamelles fécondes[18] »), célibataire[19] et fraternel (« veux-tu être mon frère[20] ? »).

La division fondamentale entre le langage et la subjectivité, que l’ordre dominant refuse de reconnaître, constitue le fondement de l’argumentation de Kristeva relative aux dualités contenues dans les Chants de Maldoror, entre Maldoror et le sujet de l’énonciation, tout autant que dans les formulations explicites du texte (« la dualité qui me compose[21] ») : « Ainsi pluralisé, “je” n’est plus une instance » mais « un mouvement rythmique, une dynamique ondulatoire[22] », soit la dimension hermaphrodite, bisexuelle[23]. Kristeva sous-estime toutefois totalement le fait qu’Isidore Ducasse était bien entendu bilingue. Son texte fait allusion à cette possibilité pour l’évacuer rapidement : « S’il est vrai que le référent culturel reste celui de la langue maternelle, écrit-elle, ce référent subit un dépaysement qui est certes dû à l’économie spécifique du sujet et du langage, mais qui est historiquement réalisé grâce au chavirement des frontières » que les événements de 1870 ont intensifié. L’argument est problématique : le français n’est pas la langue « maternelle » d’Isidore au sens strict, mais bien plutôt de manière équivoque dans la mesure où il a à peine connu sa mère ; et si les Chants de Maldoror sont dévolus à la perturbation de la fonction paternelle, il faut ajouter à l’argument de Kristeva relatif à la langue du Père (« l’économie spécifique du sujet et du langage »), l’expérience de la langue paternelle en contexte de bilinguisme. Plus encore, l’accent sur ce que nous appellerons des développements « généralisants » sur le capitalisme après l’année de la mort d’Isidore Ducasse sous-estime systématiquement l’élément qui, outre bien sûr ses fissures psychiques, le rend « étranger à lui-même ». La section « Toccata et fugue pour l’étranger » qui ouvre Étrangers à nous-mêmes de Kristeva[24] pourrait être relue en ayant en tête le cas du jeune Isidore Ducasse arrivant au lycée de Tarbes en 1859, lieu d’une culture et d’une langue françaises légitimées et intégrées : la « confiance » négative de l’étranger pris entre l’humiliation et le courage (« Je fais ce qu’on veut, mais ce n’est pas “moi” – “moi” est ailleurs, “moi” n’appartient à personne[25] ») ; le croyant qui anticipe passionnément le succès mais aussi l’ironiste désillusionné (une combinaison que Kristeva décrit comme irréconciliable, sauf dans le cas de l’ambition poétique de Ducasse ?) ; l’« orphelin[26] ».

Pour poursuivre sur la notion imparfaite de dépaysement utilisée par Kristeva, des travaux plus récents sur Lautréamont ont porté sur sa relation à la langue et aux cultures hispaniques. Montevideo, dans les années 1840 et 1850, était une Babel. La diglossie hispano-française des jeunes années d’Isidore Ducasse n’existe que dans la coprésence du patois pyrénéen pratiqué par certains des immigrants récents ; on a même spéculé sur le fait que ce patois fut la langue principale de sa mère, issue d’une classe sociale inférieure à celle de François Ducasse. Nous sommes ici plus proches de Montréal que de Paris (ou Tarbes). Charles Taylor, un philosophe dont la « montréalité » est moins connue hors des frontières canadiennes, utilise la notion gadamérienne de « fusion des horizons » pour défendre l’idée que le bilinguisme constitue une manière d’habiter la doxa tout en voyant au-delà : « [A]pprendre à exister dans un horizon plus large, où l’arrière-plan acquis de notre compréhension peut être pensé comme une possibilité parmi les différents contextes d’une culture inconnue[27]. » Ceci, ainsi que l’expérience même de la migration, contribue au dualisme incessant de la réalité notée plus tôt : Lautréamont est donc « un auteur qui glisse sans arrêt entre deux espaces-temps, entre deux idées opposées » ; « tout être allant d’une périphérie vers le centre engendre en lui deux instances mobiles et simultanées[28] ».

Ces dualismes, et les partitions qu’ils évoquent, permettent la juxtaposition d’hétérogénéités en même temps qu’une défamiliarisation concomitante au langage et à son rapport au réel :

Le bilingue maintient, face à la langue, cette attention au signifiant qui est propre aux enfants, au moment où ils apprennent des mots nouveaux, et aux poètes, qui gardent à jamais cette attention et cette jouissance. Tandis que le monolingue associe le mot à l’idée d’une façon insoluble, le bilingue conserve toujours la « vision » et « l’audition » de chaque signifiant, dans sa matérialité et son arbitraire[29].

Si la relation d’Isidore à la langue française est donc « externe », il en irait de même de sa relation à la culture littéraire de la France. Nous savons, par ses annotations (rédigées en espagnol, en tant qu’« Isidoro ») d’une traduction espagnole de l’Iliade, qu’il connaissait l’histoire de la poésie espagnole. Jose Gómez Hermosilla (1771-1837), malgré les préceptes néo-classiques anachroniques de son Arte de hablar (1827) qui ont dominé l’enseignement de la poétique et de la rhétorique dans le monde hispanophone au XIXe siècle, a donné une traduction du texte d’Homère plus sanglante et violente que les traductions françaises alors existantes. Cette influence sur les Chants de Maldoror offre par conséquent un éclairage supplémentaire sur les spéculations de Peyrouzet à propos des récits sanglants du siège de Montevideo. En outre, le jeune Ducasse connaissait certainement les courants de la poésie baroque espagnole comme celles de Balbuena et de Lope de Vega. L’interlocuteur autoritaire des Chants est associé à un type de discours savant que Ducasse a connu au lycée de Tarbes, quand il a intégré la classe de sixième à l’âge de treize ans, soit avec deux ans de retard. De ce point de vue, on pourra interpréter la lutte qu’on trouve dans les Chants comme une lutte entre la tradition classique française et les excès du baroque. Nous avons vu que Ducasse peut être considéré en France comme un ironiste tout autant qu’un croyant. Un aspect de la dualité de sa vie en France, l’étranger/outsider dont l’environnement social n’appuie pas la parole, peut donc être interprété comme une complicité avec le baroque si l’on suit Kristeva :

Dans ces conditions, si elle ne sombre pas dans le silence, elle devient d’un absolu formalisme, d’une sophistication exagérée – la rhétorique est reine et l’étranger un homme baroque. Gracián [Baltasar Gracián y Morales, 1601-58, dont le Criticón dépeint la France comme une terre d’hypocrites et de lunatiques] et Joyce devaient être étrangers[30].

« Maldoror » lui-même trouve peut-être son origine en espagnol : matador, mal dolor, mal olor, mal d’horror, le toponyme uruguayen Maldonado. Le texte contient plusieurs hispanismes : « met-te-le dans la tête » (métetelo ou póntelo en la cabeza)[31] ; « rappelle-toi-le-bien » (recuérdatelo bien)[32] ; « Est-ce possible que tu sois encore respirant ? » (¿es posible que estés aun respirando ?)[33].

Lautréamont se situe dans la lignée d’une minorisation atlantique de la langue et de la culture françaises. Avec Deleuze et Guattari, on dira que son bilinguisme est simplement une commodité. Tel Kafka qui écrit en allemand dans une Prague bilingue, Isidore Ducasse se trouve au coeur de forces et de positions majeures et mineures. Le français était alors une langue majeure, le temps du second empire colonial français approchait, des éléments néocoloniaux existaient alors dans les relations culturelles et économiques avec l’Amérique du Sud. Le français était toutefois minoritaire à Montevideo, et même si un certain uruguayen « français » avait subsisté, il aurait été « mineur » en regard du français métropolitain comme en fait foi le français québécois. Plus encore, le patois pyrénéen existait alors concurremment. Ducasse/Lautréamont cherchait donc à construire

un continuum de variation, négociant toutes les variables pour, à la fois, resserrer les constantes et étendre les variations : faire bégayer la langue, ou la faire « piauler »…, tendre des tenseurs dans toute la langue, même écrite, et en tirer des cris, des clamés, des hauteurs, durées, timbres, accents, intensités[34].

Telle est la clé (atlantique) de l’usage du français par Lautréamont quand on se rappelle avec Glissant qu’on écrit « en présence de toutes les langues du monde[35] ».

Jules Supervielle (1884-1960), le troisième poeta francés, trouve aussi ses origines dans le sud-ouest de la France même si sa place dans l’histoire de la migration française vers l’Uruguay est plus inhabituelle. En 1862, l’adolescent Bernard Supervielle, qui deviendra l’oncle et le père substitut de Jules, quitte la maison familiale située à Oloron-Sainte-Marie, au sud-ouest de Pau, où son père était horloger et orfèvre. Après avoir voyagé en Afrique, il débarque en Amérique du Sud, s’installant par hasard à Montevideo à la suite du naufrage de son vaisseau. Aventurier-entrepreneur, il deviendra banquier en fondant la Banco Supervielle en 1880 dans le contexte d’un pays qui, se stabilisant, offrait la possibilité d’une expansion économique et, conséquemment, nécessitait de telles institutions financières. Il fait venir son frère, prénommé Jules, en renfort ; les deux hommes épousent des soeurs issues d’une famille basque-uruguayenne, Munyo, leur beau-père ayant combattu avec la Légion française pendant le siège. À la naissance du futur poète, le couple quitte pour la France mais le choléra (ou de l’eau contaminée) les emporte ; le jeune Jules sera finalement élevé par Bernard Supervielle et sa femme.

Issu d’un milieu aisé, Jules Supervielle appartient à la grande bourgeoisie, et grand bourgeois il restera sa vie durant, bénéficiant d’une rente à partir de la mort de Bernard en 1899 jusqu’à ce que la banque familiale fasse faillite en 1940 (sa famille deviendra propriétaire de la Banco Banex, et le patronyme sera à nouveau utilisé après 2005 quand la Société Générale, qui avait pris les rênes de la Banco Supervielle en 1964, se départit de ses activités en Argentine). En un sens, son identité binationale et bilingue, associée à sa vocation poétique, a permis à Supervielle d’échapper au destin de sa classe sociale. Les nombreuses traversées atlantiques (vingt-cinq au total) et le paysage sud-américain jouent un rôle primordial dans sa poétique. S’il a fréquenté un lycée à Paris de 1894 à 1902, s’il a aussi fait son service militaire en 1904 et combattu pendant toute la durée de la Première Guerre mondiale, il est régulièrement retourné en Uruguay, parfois même annuellement, pour ses vacances ou pour participer à des événements littéraires. Il passe l’entièreté de la Seconde Guerre mondiale en Uruguay et revient s’installer de manière définitive en France en 1946, quand il est nommé attaché culturel de l’ambassade d’Uruguay.

Sa poésie est cependant difficile à classifier et a été longtemps considérée surannée : Supervielle a toujours gardé ses distances face aux écoles littéraires du XXe siècle ou aux mouvements comme le Surréalisme et l’Existentialisme. La clarté « classique », référentielle, de ses oeuvres explique qu’elles résistent à la priorité accordée à la question de la problématisation du langage et de la représentation comme c’est par exemple le cas pour Tel Quel. Qui plus est, le fait qu’il se situe à l’intersection d’au moins deux langues ne mène pas chez lui vers un « écart » face aux normes « majeures » de la langue française. Son gendre et biographe, le poète Ricardo Paseyro, fulmine, dans son récit de vie de Supervielle, contre le dialecte bâtard de la région de la Río de la Plata : « Sale, dissonant, contagieux, ce charabia de basse extraction sera un cancer dont les pays du Plata ne guériront jamais[36]. » Supervielle lui-même préférait le français à l’espagnol :

J’ai toujours délibérément fermé à l’espagnol mes portes secrètes, celles qui s’ouvrent sur la pensée, l’expression et, disons, l’âme. Si jamais il m’arrive de penser en espagnol, ce n’est que par courtes bouffées. Et cela se traduit, plutôt que par des phrases constituées, par quelques borborygmes du langage[37].

Il a toutefois été plongé dans la langue et la culture espagnoles : il décroche une licence en espagnol à Paris en 1904 ; sa thèse portait, en 1910, sur la nature dans la poésie hispano-américaine et, comme nous le soulignerons plus loin, il fréquente les cercles littéraires latino-américains de France et rencontre même en 1912 Rubén Darío, poète de très grande importance et fondateur nicaraguayen du modernismo. En 1936, sa pièce Bolívar est produite à la Comédie française.

Un de ses premiers poèmes, « Dans la pampa[38] » (1919), s’ouvre ainsi :

Je m’éveille : la nuit noire roule ses vagues.

Mais le cri d’un grillon qui semble la vriller

Monte, se tait ; j’entends d’épais silence vagues

 Gravement fourmiller.

On trouve ici une conscience centrée, ou qui tente à tout le moins de se situer et de se centrer, une position dans le temps et l’espace que l’éveil ne confère pas automatiquement (comme dans l’incipit d’À la recherche du temps perdu). L’allitération de « nuit noire » confirme un néant qui s’étendrait alors que le statut, solide ou liquide, du sujet actif (« roule ») est incertain. Le cri du grillon semble percer l’immensité comme s’il échouait à trouver la présence à soi recherchée, correspondant en cela à l’émergence répétée du « je », lui-même incertain et sans situation face à l’adjectivation du mot « vagues » qui qualifie désormais le silence, un néant mystérieusement perceptible par touches et par sons qui contient des entités – sans doute le monde – à la fois multiples (« fourmiller ») et profondes. La strophe suivante offre une « réponse » à cette énigme :

 MIDI

Où suis-je ? Le rancho. Tout autour, au repos,

S’étire jusqu’à l’horizon la pampa rude

Que ne connaît que l’ombre errante des troupeaux

Et parfois un ombú, courbé de solitude…

Le caractère explicite et familier des coordonnées temporelles et spatiales de cette strophe prolonge néanmoins les abstractions de la première strophe par l’évocation d’horizons vastes, de jeux de lumière (« midi ») ou de l’ombre errante. Si elles assurent une position cognitive de sujet stable au « je », c’est à titre de point de rencontre entre les paysages mental et physique ouvrant non pas tant un sophisme pathétique qu’un jeu sur les significations externes et internes et leurs possibilités : l’ombú, l’« arbre » national qui n’en est pas un, pousse seul dans les pampas « comme s’il n’était pour la plaine qu’un profond désir de bois, de feuillage, péniblement réalisé[39] ». Le poète écrit dans la section suivante : « De mon être en suspens la lumière recule, / Je me sens devenir aussi du crépuscule. »

Ce poème est typique de la poésie de Supervielle et il offre une vision assez juste de la perspective du poète sur l’Atlantique français : le rapport de continuité entre le monde, le ciel et la mer ouvert par l’analogie entre les pampas et l’océan, les ambivalences qui se déplacent de la solitude à la multitude, de l’intension à l’extension, des contractions aux dilatations, de la territorialisation à la déterritorialisation, des restrictions aux libérations, d’une perspective construite à l’échelle individuelle à celle d’une échelle non-humaine. L’abstraction agit ici comme la tentation d’un paysage sans subjectivité humaine. À propos de la pampa sans vent : « Ah ! demeurer ainsi sans souffrir et sans être / Et, pour toute âme, avoir l’âme de la fenêtre ! » (Dans le poème « Prophétie » de Gravitations, le recueil de 1925 qui l’a fait connaître, Supervielle imagine un monde apocalyptique où ne restent que les traces vaporeuses de la conscience humaine.) Les pampas/océan sont un espace de pure virtualité, d’un « devenir-imperceptible[40] », où la relation sujet-objet et la conscience cartésienne de l’espace sont défaites à la faveur d’une ontologie et d’un cosmos de molécules et de particules qui tout à la fois séduisent et dégoûtent le poète, « tiraillé entre l’obsession d’une errance vertigineuse et un besoin d’ordre et de stabilité[41] », tiraillé, donc, entre la partance et l’appartenance. La redécouverte de Supervielle est sans doute nécessaire maintenant que la pensée de Henri Bergson a obtenu une faveur plus grande dans les deux dernières décennies, cela en partie grâce à Deleuze, dont le concept de plan d’immanence réaffirme de manière spinozienne la vision bergsonienne d’un univers compris comme une luminosité évolutive immanente à la matière où la « créature » élabore des images et des perceptions partielles. Supervielle est lui aussi bergsonien dans la mesure où c’est la mémoire qui articule chez lui les opérations du temps et du mouvement, mais aussi parce que sa poétique et son dilemme identitaire se situent au coeur d’enjeux concurrents qui, au XXe siècle, découlent de la pensée bergsonienne : la durée comme centre, domaine intérieur du moi profond, libéral et bourgeois (la mémoire en nous), ou, plus précisément, comme domaine décentré, supra-personnel de l’univers lui-même.

La pampa présente cependant une autre dimension importante. « Insomnie », la dernière section de « Dans la pampa », raconte le sort du « vieux mouton » tondu une dernière fois, et parqué avant d’être abattu le lendemain. La section appelle une méditation sur la mort qui, une fois encore, relie la terre aux cieux, le cosmos à la fragilité de la présence : « La lune, au loin, n’est plus qu’un peu de laine morte. » Cette section est tout entière consacrée à la relation entre le paysage, avec toutes ses connotations déjà évoquées, et le travail humain, et donc aussi l’histoire : au début du XXe siècle, les pampas étaient un espace strié et inégal, et l’encerclement des prairies par des barbelés a été une étape cruciale dans la construction de la nation uruguayenne, cela tant à la campagne que du point de vue du développement économique, en permettant notamment le contrôle des espèces et d’autres facteurs. Dans cette section du poème, le travail est effectué par une série de « on » anonymes (« on a tondu… ») alors que la tâche de la boucherie du lendemain revient à un « boucher orageux » que le poète entend dormir.

La question de l’histoire, et de l’éveil à l’histoire, reste une difficulté chez Supervielle même s’il est possible d’alléguer qu’elle serait parfaitement compatible avec son esthétique si le poète arrivait à agencer le « moléculaire » aux formules historiques. « Retour à l’estancia », publié dans le recueil Débarcadères en 1922, raconte sa visite en Uruguay après ses sept années de service militaire, période pendant laquelle il a aussi participé aux combats de la Première Guerre mondiale : « Je m’enfonce dans la plaine qui n’a pas d’histoire » écrit-il, alors que celle-ci refuse de « ressembler à ces paysages manufacturés d’Europe, saignés par les souvenirs[42] ». Un côté de l’Atlantique supplée ici l’autre, ce qui se reproduira dans les poèmes ultérieurs. Dans Gravitations, le poème « Équateur », dont le sous-titre est « Choeurs d’une exposition coloniale », fait référence aux mythes classiques (Cérès/Déméter pour le blé) et au langage « poétique » pour tenter avec humour d’associer les produits (et non pas les producteurs) aux « ardeurs volantes » et le « ciel pur » des « colonies ». L’incongruité repose ici sur une juxtaposition à la trivialité de la vie quotidienne et à la forme des produits : du sucre, il écrit, « Se pourrait-il que tant de poésie / Se fragmente rectangulaire[43] ».

D’évidence, le rapport du poète à la ville est ici décisif. Dans Uruguay, son ouvrage de 1928 où prédominent les questions de mémoire, Montevideo est le point de départ d’un périple vers l’estancia [ranch], prétexte à l’évocation du temps passé et perdu. L’espace urbain partage toutefois avec l’espace rural un même cosmos actif et déséquilibrant : « Le ciel descend sur la chaussée, se mêle aux voitures, s’assied à côté des cochers. Et dans toutes les rues qui avoisinent le port, la mer ne veut pas qu’on l’oublie. Dès qu’on lève la tête, elle vous entre dans les yeux[44]. » Le phare au sommet du Cerro, qui fait cent cinquante mètres de hauteur, sert de relais entre la ville et la campagne ; visible à plus de quarante kilomètres à l’intérieur des terres, il est conséquemment bien ancré dans la contrée de l’estancia. Le phare est à la fois dans et hors de l’histoire. Sa construction, en 1804, fournit donc une « leçon » historique, mais sa permanence depuis lors à travers les vicissitudes de l’Histoire signifie aussi que le flash régulier de sa lumière qui accompagnait l’insomnie du poète agit comme une étoile du cosmos (on dirait de nos jours un pulsar) régnant sur le cycle de vie et de mort propre aux créatures vivantes. Supervielle commémore les « longues tranchées posthumes » auxquelles sont voués le bétail et les moutons dans les navires frigorifiques qui attendent tout près dans le port.

« Montevideo », dans Gravitations, s’ouvre sur ces vers :

Je naissais, et par la fenêtre

Passait une fraîche calèche[45].

Ce poème ne porte toutefois pas sur les origines, encore moins sur le lieu de naissance (comme dans « je suis né »), d’où l’usage répété qui y est fait de l’imparfait. (En effet, il devient rapidement évident que le temps verbal peut être lu tout à la fois comme une action continue se situant dans le passé [« étais né »] et une action ordinaire [« étais »].) En outre, la rime interne entre « être » et « fenêtre » ajoute une charge phonétique à la sensation physique offerte par la fenêtre agissant comme relais entre l’intérieur et l’extérieur. Les huit prochains distiques mettent en scène des fragments d’aurore qui offrent une autre définition du « je » : un cosmos actif et personnifié en accord avec le paysage urbain (« Les murs s’éveillaient », « Le cocher réveillait l’aurore ») ; dilatation et contraction associées à la relation entre la grandeur et la petitesse (« D’un petit coup de fouet sonore ») ; l’interpénétration des éléments (« L’air était si liant ») et la synesthésie des perceptions (« Flottait un archipel nocturne / Encore sur le jour liquide ») ; ainsi que la relation entre l’extension, la mobilité et le moléculaire :

Un peu de mon âme glissait

Sur un rail bleu, à contre-ciel,

Et un autre peu se mêlant

À un bout de papier volant.

Supervielle prend des fragments du paysage urbain – fenêtre, calèche, murs et plâtre, rail de chemin de fer, déchets, maisons – pour établir à travers cette molécularisation un lien de continuité avec une vision cosmique plutôt que sociale ou historique de la ville et de sa place dans le monde : « Dans l’Uruguay sur l’Atlantique. » Ce prolongement atteint son point culminant dans les deux derniers quatrains alexandrins, qui font suite dans le poème à des distiques octosyllabiques, alors que l’océan et la nature y triomphent sur le paysage urbain. Les plages atlantiques de Montevideo sont le lieu de l’éternel retour de la Terre (« toujours recommençant sa ronde »), et ses particules de lumière et d’air entrent en contact avec les corps des nageurs.

***

La section « Poets » de The French Atlantic se termine donc sur ces mots. En guise de conclusion, nous reprendrons donc simplement ce qu’écrit Bill Marshall à propos de la situation de Montevideo dans l’horizon atlantique français :

La présence de populations françaises en Uruguay est la conséquence de circonstances régionales propres au sud-ouest de la France. La poésie de Lautréamont est le témoignage le plus éloquent d’une Babel qui incluait des variations régionales du français parmi plusieurs formes linguistiques. Ces possibilités mineures et moléculaires ne durèrent toutefois pas dans la mesure où le Français, en Uruguay, en vint à représenter, vers la fin du XIXe siècle, un élément culturel et social de la vie urbaine et nationale qui cherchait entre autres à se définir à travers les traditions françaises et plus largement européennes[46].