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Ville comme corpus et réseau de signes. Des séries de relations (dans les deux sens de relier et de relater) qui ne sont pas toutes visibles : disons que le cinéma nous confronte à ce qui de chaque ville filmée ne se réduit justement pas à sa dimension visible, et c’est en ce sens d’abord que l’approche cinématographique diverge de celle des pouvoirs qui tentent de contrôler les villes : le temps de l’histoire et le temps de l’oubli sont pris en charge par les films bien davantage que les espaces sur lesquels et les visibilités par lesquelles s’exercent le contrôle urbain.

Jean-Louis Comolli (2004, p. 246)

Notre article se propose d’étudier la décision d’Eugène Green de montrer la ville de Rome dans son long-métrage La Sapienza (2014). Le film raconte le voyage en Italie d’un architecte suisse francophone reconnu, Alexandre Schmidt (Fabrizio Rongione), et de son épouse Aliénor (Christelle Prot-Landman), fuyant un Paris désespérant. Ils partent sur les traces de l’architecte Francesco Borromini, afin d’en écrire la biographie. À Stresa, non loin de Bissone, ville natale du maître baroque, le couple rencontre un frère et une soeur, Goffredo (Ludovico Succio) et Lavinia (Arianna Nastro), quand celle-ci fait un malaise. Aliénor décide de rester auprès d’elle un temps et propose au jeune homme, étudiant en architecture, d’accompagner son mari, récalcitrant, à Turin, puis à Rome. Ils découvriront l’oeuvre et la vie du Tessinois : son influence sur le géométrique Guarini, sa rivalité avec le spectaculaire Bernin, sa faute (la mort d’un ouvrier nommé Bussone) et sa mort. Ce parcours dans l’espace-temps romain, guidé par celui qui inspira Alexandre, s’achève sur la découverte de ce qu’il y a « au-delà de la science et la beauté », la chapelle Saint-Yves-de-la-Sapience (Sant’Ivo alla Sapienza). Sa visite le libérera, lui, sa femme et les deux adolescents de leurs fantômes, afin de construire un lieu qui accueillera une vie nouvelle. De retour à Stresa, Alexandre est réuni à Aliénor, il deviendra professeur. Goffredo se sépare de Lavinia, guérie de ses langueurs chroniques.

La Sapienza montre donc la cité éternelle dès le second plan du générique sur le Magnificat de Monteverdi. Les oeuvres du maître tessinois du xviie siècle, Saint-Jean-de-Latran, Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines, le palais Falconieri, l’oratoire des Philippins, le palais Barberini et surtout Saint-Yves-de-la-Sapience réunissent dans une commune admiration un architecte désabusé et un étudiant enthousiaste. Or, cela paraît contredire une option esthétique assumée dans le premier film d’Eugène Green, Toutes les nuits (2001). Celle-ci, pour part involontaire, était justifiée par le réalisateur dans l’ouvrage Présences : Essai sur la nature du cinéma (2003).

Toutes les nuits, adaptation de la première version de L’éducation sentimentale de Flaubert, devait montrer les vacances de Jules (Adrien Michaux) et Henry (Alexis Loret) à Rome, ville où leur amitié trouvait son achèvement sous la tutelle invisible de leur amour commun, Émilie (Christelle Prot). Pour des raisons économiques, ces séquences ne furent pas tournées. Racontant cela, le réalisateur convertit cette contrainte effective en élément signifiant : l’épisode est là, « passé dans la collure » (cité dans Rivette, Pierre et Narboni 1969, p. 33). Il se justifie, irréversible, par la raison de ses effets, par son impact sur le cours de la narration. En amont, l’épisode est annoncé par la séquence où les amis dorment côte à côte. En aval, par l’accroissement des ellipses temporelles, le film témoigne de l’éloignement des deux amis. Hors champ, Rome n’est pas absente, mais « ville cachée ». Dès lors, pourquoi rouvrir la collure romaine ? Soit il y a une incohérence manifeste entre la pratique filmique et la théorie d’Eugène Green, soit « ville cachée » ne signifie pas exclusivement « ville hors champ ». Nous écarterons la première hypothèse, et ce, pas uniquement en raison d’un principe de charité, mais pour deux raisons.

Premièrement, l’auteur ne justifie pas cette présence paradoxale par le seul montage, mais aussi par le cadrage. La composition de certains gros plans évoque ainsi des vanités : une bougie devant une fenêtre, dans la séquence précédant le voyage, et des pieds dans l’eau d’un ruisseau dans l’une de celles qui suivront. Ces plans ne sont nullement localisés à Rome par la diégèse, mais à Paris et Avignon. Néanmoins, ils signifient la ville par leur composition de vanités. Deuxièmement, Eugène Green (2003, p. 233) écrit peu après, dans son ouvrage Présences :

Par ailleurs, cette évocation de Rome a une portée plus large encore. Cette ville est à la fois un sujet idéal et une illustration de l’acte cinématographique. Feinte permanente en mouvement perpétuel, débauche de matière, coquille vide, la ville visible est investie depuis toujours de la présence réelle d’une ville cachée qui, elle, est réalité absolue et immuable, forme immatérielle, vide plein : rendre appréhensible la seconde en captant la première, c’est faire du cinéma.

Cela signifie, d’une part, que la ville, pour son hôte (l’architecte et le visiteur), et le cinéma, pour le cinéaste et le cinéphile, entretiennent une relation réciproque, une correspondance de dispositifs. La ville est à la fois « sujet idéal » d’un film et une « illustration » de l’acte cinématographique — non restreint, nous semble-t-il, à la seule opération de montage.

Deuxièmement, l’adjectif « cinématographique » et l’expression « faire du cinéma » (soit faire acte de cinématographiste) nous paraissent présupposer un partage entre cinéma et cinématographe dans le sillage de Robert Bresson et de ses Notes sur le cinématographe (1975). Le réalisateur jugerait possible de distinguer une pratique et une expérience essentiellement cinématographiques de celles qui ne le sont pas, ou qui ne le sont qu’accidentellement. Le cinématographe serait révélateur, par les apparences mêmes, d’une présence au-delà des apparences, de la réalité du réel. Le cinéma est, quant à lui, divertissant : il répond à une logique de pouvoir qu’il dissimule. Corrélativement, s’opposeraient une architecture urbaine et une expérience de la ville essentiellement culturelle (en ce qu’elle favorise la relation des personnes), et une architecture dégradante et une expérience dégradée, spectaculaire ou sordidement fonctionnelle.

Enfin, la ville est un thème majeur de la filmographie et de l’oeuvre littéraire de l’auteur. Paris, Lisbonne, Londres, voire Saint-Jean-de-Luz, chacune s’y présente comme lieu commun profane et sacré, lieu de signes pour des personnes y découvrant une ouverture au monde et à autrui. Cependant, Rome, en explicitant cette communauté, est un prototype. Le rôle de médiation de l’architecte (donc du cinéaste) dans la création de ces signes y est lui-même explicité. La Sapienza, mettant en lumière cette médiation, n’est pas redondant en regard de la vacance romaine de Toutes les nuits. Elle en explicite la dimension kénotique, rend évident son évidement. Rome est la ville qui, en nous en mettant plein les yeux, par son théâtre d’histoires et de pouvoirs foisonnants et protéiformes, nous appelle paradoxalement à voir au-delà, à contempler un vide accueillant la lumière derrière les apparences.

En développant ces trois remarques, nous nous proposons d’élucider la relation de la Rome baroque du xviie siècle, théâtre de la rivalité de Borromini et du Bernin, avec la ville et le cinéma, et la place qu’occupent architecte et cinéaste.

Cinecittà et Cinematographicacittà

Dans cet antre noir, boîte noire des origines, présentes, absentes, cachées sous l’écriture de ce latin qui signifie caché, de cette boîte noire fusent, jaillissent, le sens, l’écriture, la trace, le mugissement brut, le son, la voix, l’histoire, l’origine, dans tous les sens. Le détail du temps et ses conditions.

Michel Serre (1983, p. 26)

Que signifie que Rome est « à la fois un sujet idéal et une illustration de l’acte cinématographique » (Green 2003, p. 233) ?

Sujet, la ville l’a souvent été comme décors de fictions ou documentaires cinématographiques, italiens ou non, voire quasi-personnage. Avant le passage de Présences que nous citions, Eugène Green offre six exemples néoréalistes, deux pour chacun des trois réalisateurs cités, à savoir Roberto Rossellini, Pier Paolo Pasolini et Federico Fellini. Ainsi mentionne-t-il Roma, città aperta (1945) et Europa 51 (1952) de Rossellini, Accatone (1961) et Mamma Roma (1962) de Pasolini et, enfin Roma (1972) et surtout La dolce vita (1960) de Fellini.

Outre la présence récurrente de la « Louve » et mater dolorosa, Anna Magnani, dans trois films sur six, le point commun de ces films serait de montrer deux faces de Rome : la virtù (la force et la morale) qui divertit, et la religio (ce qui relie les hommes entre eux, ce qui relie l’immanent au transcendant, ce qu’il faut relire attentivement) qui convertit.

Ces films critiquent les images ou symboles de pouvoir. Ils exhibent le double discours, la contradiction des présupposés des institutions économiques, techniques, politiques, juridiques et culturelles censées régler les échanges interindividuels et produisant une identité romaine commune, normale. Ils critiquent le dispositif [1] qu’est Rome. Ce faisant, ils en exhument le fond de violence hypocrite aliénant : en sanctionnant les échanges déviants, ils en produisent d’autres pour mieux les sanctionner derechef. La critique de cette violence ne se résout ni politiquement ni rationnellement mais par un sacrifice (un homicide, une exclusion, un internement) qui est l’authentique unité ouvrant Rome à la relation personnelle.

Ainsi la ville comme virtù, ordre de la force, est un environnement social traversé et régulé par une violence intestine. Cet ordre est produit par la violence et la contient par l’imaginaire, le divertissement. La virtù diffère dans l’espace et le temps l’exercice de la violence, tout en cachant ce différé par un corps de règles, une hiérarchie, des symboles culturels, du décorum. La violence s’ordonnant devient alors pouvoir spectaculaire dont l’architecte est l’un des metteurs en scène. Cet ordre martial cache l’origine arbitraire de son divertissement, de son théâtre, de son cinéma : un sacrifice dont la révélation va être le coeur d’une unité commune plus profonde, une présence réelle qui relie et sauve les apparences.

La dualité de la ville révélée par le cinéma n’est pas le seul fait de la fiction, le documentaire aussi peut mettre en lumière la théâtralité urbaine et son fond de violence sacrificielle. On peut penser aux deux « côtés » de Nice : côté promenade des Anglais clinquant et côté faubourgs misérables unis dans un même carnaval final dans À propos de Nice (Jean Vigo et Boris Kaufman, 1930). Et quant au rôle orphique, dionysiaque, voire christique, du cinéaste dans cette révélation, notons que le pierrot du carnaval est Jean Vigo.

Illustration. Filmer Rome de la sorte, comme virtù et religio, revient donc à ironiser sur le fait que Rome « fasse son cinéma » pour mieux en révéler le coeur. Cela implique que filmer est un acte lui-même ambigu qui est virtù et religio. Filmer relève du cinéma et du cinématographe pour reprendre une opposition bressonienne chère à Eugène Green. Cette seconde opposition peut être schématiquement assimilée à celle de la production de divertissements et de la création d’oeuvres « à message », voire « d’auteurs ».

Rome est donc telle qu’en étant représentée par l’acte cinématographique, elle représente elle-même l’acte cinématographique. Cette relation de représentation réciproque est appelée « présence réelle » par opposition à « présence symbolique ». L’auteur nous paraît assumer ici l’héritage des réflexions sur la représentation, la nature du signe et de la figure rhétorique développées par Port-Royal et Pascal [2]. « Présence réelle » et « présence symbolique » est une distinction provenant de la théologie chrétienne relative à l’adoration du Saint-Sacrement (l’Eucharistie), voire à la vénération des icônes — quoique dans ce dernier cas on parle plutôt de « présence intentionnelle ». Elle oppose, en théorie, réformés et catholiques, quant à la question de la transsubstantiation et est formalisée lors du concile de Trente. C’est l’un des ressorts spirituels et politiques de la contre-réforme dont l’art baroque du xvie et du xviie siècle sera une émanation. Cette querelle approfondit également termes et thèmes de la controverse byzantine entre iconoclastes et iconophiles du ixe siècle, et entre iconographie chrétienne et iconoclasme juif et musulman (voire platonicien), mais aussi idolâtrie païenne.

Selon le dogme catholique, le Christ est présent dans les offrandes consacrées du pain et du vin qui, pourtant, ne lui ressemblent pas physiquement. Accepter ces signes requiert l’intervention du « coeur » au sens pascalien, c’est-à-dire une confiance de principe en l’autorité paradoxale d’un Dieu caché plus qu’une explication rationnelle du cérémonial qui rendrait plus sceptique qu’autre chose. Les offrandes ne sont donc pas des « symboles », c’est-à-dire des phénomènes visibles que la seule intelligence des membres de l’assemblée peut associer à l’idée de Dieu, voire de Jésus, en fonction de règles logiques formelles, grammaticales, voire d’analogies.

Pour le réalisateur, la théologie du Dieu caché et de la présence réelle est reprise par le théâtre baroque profane qui joue sur deux tableaux. D’une part, il met l’accent sur les apparences sans fond que son intelligence révèle au sujet moderne et qui l’isole d’un monde devenu objet, une mécanique de rêves, de bruits et de fureurs. Toutefois, en accentuant cette dimension phénoménale, l’esthétique nous ramène à l’Être même, suggérant l’invisibilité et le caractère intuitif du lien qui unit le sujet au Monde ainsi qu’à Autrui. La tragédie européenne de la fin du xvie et du xviie siècle serait donc l’expression d’un oxymore. Stylistiquement, cette parole tragique affirme conjointement d’un même référent deux propriétés logiquement contraires, et présente le sacrifice d’un « innocent coupable ». Cette thèse est proche de celle de Girard (1990) sur le théâtre élisabéthain et la poésie de Shakespeare [3]. Pour l’anthropologue, cette oeuvre révèle les mécanismes du désir mimétique et de sa radicalisation cyclothymique culminant dans le lynchage d’une victime, un quidam sacralisé car maudit et béni simultanément. Dans Les Sonnets, cette ambivalence sacrée et érotique se retrouve particulièrement dans l’emploi d’oxymores (ibid., p. 480-488).

Eugène Green prolonge cette esthétique du Grand Siècle au-delà de son activité théâtrale et littéraire dans sa pratique et sa théorie cinématographiques. Ce qui confirme la reprise qu’en offrait déjà Bazin dans « Théâtre et cinéma » (1951) et dans « L’ontologie de l’image photographique » (1945, p. 13-17), où il déclarait que la photographie « achève le baroque », résolvant le fragment pascalien : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux ! » (Pascal 1670, p. 504)

De même que « vanité » a ici un double sens, « achever » est la tension de ce qui met fin et qui accomplit tout ensemble, plus qu’un dépassement. La photographie, contrairement à la peinture, est définie comme empreinte, image achiropoïétique. Le négatif est une trace lumineuse du réel à révéler. Jouant sur l’homonymie, Bazin considère que cette révélation est physicochimique, dans le positif, et métaphysique ; en l’extrayant du devenir, la photo éternise le réel. La photographie sort d’une logique de ressemblance modèle/copie avec le réel, elle est du réel et signifie l’absence actuelle de ce qu’elle représente. L’image cinématographique est donc un signe car elle rend signifiant le réel. Aussi le choix du terme « illustration » pour déterminer la relation de représentation entre Rome et l’acte cinématographique confirme-t-il que la représentation cinématographique de Rome nous éclaire sur la nature de la ville et du cinéma. Étymologiquement, illustration, du latin illustratio, veut dire « éclairer » ; le mot est composé du radical lux, « la lumière », et signifie ce qui manifeste, voire ce qui se manifeste.

L’énergie spirituelle

Ce n’est pas que le passé projette sa lumière sur le présent ou le présent sa lumière sur le passé, mais l’image est ce en quoi ce qui a été s’unit d’un trait de foudre avec le maintenant en une seule constellation. En d’autres termes : l’image est dialectique en position d’arrêt.

Walter Benjamin (1927-1940, p. 479)

Comment La Sapienza prétend-elle montrer cette identité paradoxale, cinématographique, de la ville et de Rome ? Toutes les nuits amorce une solution. Rome est présente hors champ et dans des plans emblématiques : la bougie se reflétant dans la vitre et les pieds dans l’eau du ruisseau, le bruit de son écoulement et les voix off de Jules et Henry. Ces procédés de photographie, cadrage, montage, musique et mixage témoignent d’un entrelacs du cadre et du hors-champ au cinéma. L’espace cinématographique est vivant, clos ou ouvert, et le plan y est « lieu du pas-tout-voir [4] », y est caché. Filmer Rome dans La Sapienza (comme Paris et Lisbonne dans les génériques du Pont des Arts [2004] et de A Religiosa Portuguesa [2009]) consistera dans les faits à capter l’énergie de lieux signifiants : une rue, une place, un édifice public ou privé, des ruines, des jardins que le montage, le mixage, la musique et le cadrage agenceront dans un espace commun jamais totalement visible.

Nous empruntons l’expression de « cache » à Jean-Louis Comolli (2005, p. 137-138) qui écrit : « La ville invisible est au bord du cadre. Le cadre devient cache [5] — rôle qu’il ne joue que peu dans la photographie, où les places sont fixées. » Pour ce dernier, plus que tout autre art, sinon l’architecture, le cinéma est à même de saisir l’expérience d’orientation en milieu urbain. Ce qui s’offre à la perception et au mouvement actuels d’un individu en milieu urbain est double : il s’oriente par rapport à une histoire des lieux, des dispositifs d’un autre temps, et par rapport à l’orientation des autres. Les monuments, les cimetières et les ruines sont autant de symboles du pouvoir que de traces d’absents, de morts et disparus. L’invisible traverse le visible par la vie au coin de la rue, derrière les façades, les égouts sous nos pieds contrariant la prétention d’un regard aquilin offert par une perspective Nevski aspirant au contrôle.

L’expérience cinématographique de la ville suppose ce dédoublement spatial et temporel. Dédoublement spatial car au cinéma, la présence du champ visible repose sur la présupposition du hors-champ par le cadre, le mixage et le montage. Dédoublement temporel car le présent du cinématographe a quelque chose qui ne passe pas, dans les deux sens de cette expression. La réception d’un plan suppose que ce que représente la prise est passé, quoique nous devions le considérer comme présent lors de la projection pour comprendre qu’il ne l’est pas.

Eugène Green (2009, p. 83) explique que « le cadre est une limite imposée au plan qui rend visible une petite partie du monde et en exclut le reste. Il faut le concevoir de telle sorte que ce qu’il nous montre nous mette en contact avec ce qu’il nous cache. » Ce qu’apporte La Sapienza à cette compréhension de l’espace est le mouvement. Les plans ne sont pas des divisions d’un espace isotrope partes extra partes euclidien, mais plutôt celles d’un espace minkovskien. Les raccords montrant les interactions des corps avec l’environnement ne donnent pas au plan une valeur de symbole, comme les raccords regards ou mouvements au cinéma exprimant une intention psychologique ou cinétique rationnelle. Ils ont plutôt valeur de signes porteurs de sens, car ils scandent un rythme organisant une relation harmonique, une correspondance, entre les images cinématographiques.

Les plans sont des pans d’espace-temps déterminés par l’angle, l’axe, l’échelle organisant des tensions (symétrie et asymétrie) entre et avec les sujets composant le champ. Ils sont dynamisés par un mouvement dans le cadre et de la caméra quand elle épouse les mouvements du sujet. L’extension filmique dépend dès lors de champs de force, d’« énergie » de la lumière et de ses effets sur les sujets filmés, en révélant les virtualités propres. Que ceux-ci soient vivants ou inertes, comme la ville ou le paysage, ils ont tous un mouvement, un passage, puisqu’ils laissent tous une trace lumineuse sur le celluloïd qui les révélera présents (voir Green 2009, p. 96). C’est ce que capte la prise de vue et que le montage informera et composera par des intervalles selon un rythme assonant ou dissonant, à l’instar d’un compositeur ou d’un architecte qui imprime un tempo au bâtiment.

Dans La Sapienza, cela s’exprime par la manière dont sont filmées, montées et mixées les oeuvres de Borromini, du Bernin, de Maderno, de Guarini, de Michel-Ange. Pour ne pas tenir du symbole, du cliché touristique (comme le Colisée devant figurer dans toute profondeur de champ de certains films dont l’histoire se situe à Rome), tout en mettant l’accent sur la dimension pédagogique de son propos, Eugène Green filme monuments (memento mori) et immeubles en en montrant le mouvement intérieur par les travellings, panoramiques, opposition d’angles de prises de vue, rythme de succession des divers plans. Ce mouvement des immeubles témoigne du style baroque de l’architecture [6]. Dans La parole baroque, Eugène Green (2001) écrit que depuis le xviiie siècle et la définition qu’en produisit Voltaire, le baroque est associé à l’informe et à la vitalité matérielle, à l’exubérance et à l’asymétrie, à l’imaginaire et à la passion (l’hystérie ?), contrairement au classicisme français soucieux des règles. Or, dans la continuité de cet essai, le regard que propose le film de ces oeuvres ne reconduit pas strictement cette opposition, en tout cas pour Borromini, quoiqu’il soit admis que la saisie des règles techniques ne suffit ni à leur production ni à leur compréhension.

Cadre, montage et mixage montrent chez le Tessinois la présence de forces physiques en tension manifeste (dans la dialectique du concave/convexe, des jeux de contractions pour ouvrir l’espace…) dont l’équilibre ne dépend pas d’une stricte symétrie des formes des éléments les composant (les séquences spatiales ne dépendant pas d’une matrice invariable) pour ordonner la matière à un regard totalisant et rationnel. Cet équilibre est précaire, ouvert, supposant un dépassement de la forme même dans un mouvement ascensionnel et une dématérialisation dans la lumière. Cette unité ouverte se découvre le plus souvent par la voix off d’Alexandre qui tiendrait du commentaire explicatif et docte, si ce n’était le regard et l’attention de Goffredo. La présence du jeune homme triangule le rapport bipolaire de fascination et de ressentiment du regard d’Alexandre d’avec celui que lui offre Borromini. Plus Alexandre voulut imiter Borromini, plus il souffrit de ce qui l’en distinguait. En s’interposant, Goffredo empêche son maître d’être désespéré par l’admiration même qu’il voue à l’architecte tessinois, le contraignant à expliciter et donc à redécouvrir son émerveillement.

L’énergie romaine baroque animerait ainsi la cité d’un élan vertical en tension avec une horizontalité matérielle. Cet élan est ascendant chez Borromini, comme l’illustre la séquence de présentation de Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines, animée par des travellings horizontaux de droite à gauche en contre-plongée le long de la corniche ellipsoïde, une contre-plongée statique sur la coupole qui achève le mouvement précédent, attirant notre regard vers l’espace inaccessible de l’oculus, puis un panoramique vertical ascendant le long des colonnes vers un morceau de ciel visible en tant qu’il est, lui aussi, inaccessible, pour le cloître. Ici, il s’agirait de montrer la morphogenèse de la matière s’élevant vers le spirituel.

En revanche, l’élan est descendant et figé à Saint-André du Quirinal : la séquence s’ouvre sur un panoramique vertical de haut en bas sur le maître et l’élève dans l’église et une contre-plongée statique qui ne suit pas le mouvement elliptique de la coupole, qualifiée d’« ovale » par le commentaire d’Alexandre, et, comme telle, privée d’élan. Le regard ne peut tout simplement pas accéder à l’oculus, sinon en passant par la médiation imaginaire du regard des sculptures des chérubins qui ornent son contour. L’oeuvre du Bernin apparaît alors, dans La Sapienza, comme un ordre dont la force se manifeste sous une pluralité de formes sensibles et symboliques à travers lesquelles l’homme peut contempler l’unité de sa propre raison et sa virtuosité, la souveraineté de son ego.

Fig. 1

L’église Saint-Charles-aux-Quatre-Fontaines. La Sapienza (Eugène Green, 2014).

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Fig. 2

L’église Saint-André du Quirinal. La Sapienza (Eugène Green, 2014).

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Il Bernini sono Io

D’autant plus âpre et plus sanctifiante aussi

Que deux parts de son âme y pleurent, dans ce vide !

Paul Verlaine (1880)

L’opposition de Borromini et du Bernin, mais également celle d’Alexandre et François (son associé et rival qui s’est suicidé avant qu’il ne rencontre Aliénor) dans La Sapienza, rejoint l’opposition de la virtù et de la religio de la ville, nous interrogeant sur le dédoublement de l’auteur. La plupart des films du réalisateur sont marqués par la préoccupation de la représentation de soi en artiste [7]. Celle-ci ne se réduit pourtant pas à la distinction du narrateur (réalité textuelle, émetteur du récit) et de l’auteur (réalité historique et psychologique) thématisée par Lejeune dans Le pacte autobiographique (1975), ni même à l’opposition platonicienne de la diégèsis et de la mimèsis.

En effet, Eugène Green prétend ne pas produire des récits à focalisation zéro comme ceux des épopées et des romans où le narrateur se permet d’exposer les motivations psychologiques ou sociales des personnages. Une telle prise de parole partout et nulle part est celle d’une instance autoproclamée voyeur en chef. Elle refuse d’être elle-même évaluée et regardée par ses personnages et les objective grâce au code du quatrième mur au cinéma, en jugeant, symbolisant leurs comportements. Ce procédé ne fait pas droit à l’interpellation et la relation qu’implique le regard cinématographique.

À l’inverse, le réalisateur refuse la focalisation interne relativisant le « contenu » de l’image à un observateur déterminé et, multipliant les points de vue divergents, éliminerait la question d’une référence à un réel un et unique comme partiale [8]. L’image cinématographique, étant une trace d’énergie, se réfère à un passage que le tempo du montage permettra d’appréhender au présent, instaurant une relation entre le regard qui montre, ce qui est montré et le regard qui interprète.

Ici encore, les homonymies de l’« Ontologie de l’image photographique » sont fécondes, surtout celle de « l’objectif » de la caméra. L’objectif n’équivaut pas simplement à une vision mécanique, une disparition totale de la subjectivité du regard. C’est aussi un abaissement du moi souverain, de l’ego cogito porteur d’intentions symboliques. Le regard objectif du cinématographiste est une attitude d’humilité afin d’autrement voir. L’objectif cinématographique suppose ainsi un commerce des regards, une économie de l’ordre du don : l’auteur, en donnant à voir un acteur qui s’offre à lui, se donne lui-même à voir à notre regard, nous amenant à faire retour sur celui-ci. Il offre en retour à notre regard de spectateur ce que lui-même a reçu, c’est-à-dire ce qui se donne à son regard, l’interpellation par le regard de l’acteur. En retour, nous-mêmes interpellés par cette interpellation, reconnaissons la visibilité de cet échange comme un abaissement, une kénose. Cette attitude de imitatio Christi, ni omnisciente ni interne comme celle du voyeur, permet aussi de comprendre la manifestation à l’écran du réalisateur ainsi que le recours à des champs-contrechamps frontaux inspirés d’Ozu. Chez le cinéaste japonais, les regards en adresse des interprètes interpellent l’objectif et donc le spectateur tout autant que son interlocuteur, et s’accompagnent souvent de plans de coupe sur des espaces vides, nous invitant à interroger notre propre regard.

Ce qui fait la singularité de La Sapienza, et fait donc de Rome le prototype de la « ville cachée », c’est l’explicitation de cette économie du don de soi. Eugène Green s’y manifeste, metteur en scène, voire acteur, de la représentation du Malade imaginaire cachée car donnée hors champ par le Théâtre de la Sapience. Cette pièce, Aliénor et Lavinia l’interpréteront comme une oeuvre sur le sacrifice de Molière par laquelle il ressuscite son personnage, Argan. D’autre part, il est le Chaldéen errant, au fils lynché, qui lit les étoiles pour promettre à Aliénor l’avènement d’un lieu commun bâti par celui qui l’aime.

Cette manifestation est indissociable de la mise en abîme de la trinité des regards du spectateur, du réalisateur et de l’interprète dans la séquence de la découverte de Saint-Yves-de-la-Sapience : les regards d’Alexandre et Goffredo épousent celui de Borromini par le mystère de son suicide et la caméra nous rend témoins des noces, de la croisée de ces regards où l’intérieur et l’extérieur s’unissent sans se confondre. Le travelling circulaire en contre-plongée poursuit à l’intérieur le mouvement hélicoïdal extérieur de la lanterne, qu’un zoom parachève avec l’effet spécial de l’apparition de la colombe, simulant une surimpression, et un léger souffle en off. La colombe n’est pas qu’un expédient d’une psychologie empirique : la décision d’Alexandre d’être gentil avec Goffredo parce qu’ils se ressemblent au fond et qu’il va être son professeur. Elle est le signe d’un mouvement cinématographique intérieur, d’une circumincession trinitaire de la chapelle, d’Alexandre se découvrant père dans l’inspiration de Goffredo devenu fils, comme de la périchorèse du film, de son auteur et de son spectateur. Mais en tant que signe de ce mouvement de circumincession, la colombe est elle-même ce mouvement, cette circumincession : la Charité.

L’autorité dont il est ici question n’est donc ni politique ni souveraine. Ce n’est pas une instance de décision renvoyant à une subjectivité égocentrique. Ce n’est pas non plus simplement l’issue d’une lutte intersubjective pour la reconnaissance d’ordre juridique, Eugène Green rejetant pour part l’expression « politique des auteurs » dans La poétique du cinématographe (2009) — quoique le Normand à l’âne (Jacques Bonnaffé) du Fils de Joseph (2016) lancera le mot d’ordre : « Résistez ». L’autorité dépend d’un abaissement, d’un sacrifice du « moi » faisant advenir un Soi où le Monde et Autrui sont intimement liés. Elle prétend vider l’image de sa dimension symbolique, de sa dimension de manifestation du pouvoir, afin d’exhiber le fond de violence insignifiante à son origine. Ce faisant, elle ouvre un champ commun en rendant grâce à d’autres auteurs par une relecture (religio) de leurs propres sacrifices.

L’opposition de l’auteur politique et mystique, du cinéaste et du cinématographiste se retrouve dans la figure duelle d’Alexandre. Il reconnaît un désir d’imiter Borromini et parvient à analyser, en théorie, ce qu’il pense être désirable (beau et technique) dans son oeuvre, mais confesse dans la séquence de Saint-André du Quirinal qu’il lui manque quelque chose « au-delà de la science et de la beauté », est plutôt le Bernin, son bourreau. Sans doute ce qui lui manquait était-il que cet aveu de persécution de Borromini et de l’architecture, que cet aveu de son aliénation au pouvoir, au dispositif urbain moderne, fût repris par le regard de Goffredo.

Alexandre admet que son rationalisme fonctionnel a contribué à perpétuer une mécanique d’aliénation individuelle et collective. En l’occurrence, la tendance à produire du lieu strictement utile, à consommer, est le fait de l’économie (« pure activité de gouvernement qui ne poursuit rien d’autre que sa reproduction » [Agamben 2014, p. 46-50] parodiant l’économie trinitaire). Celle-ci contrôle les flux de population, mesurant et réglant les comportements par l’organisation des espaces d’autant plus efficacement que par un effet de feedback positif elle suscite des déviances de plus en plus violentes, un runaway. Ainsi Alexandre raconte-t-il à Maria Rosaria Vittori (Chiara Malta) que son hôpital à Sao Paulo, conçu sans fenêtres pour « un rigoureux contrôle des malades », eût comme effet d’en augmenter le taux de mortalité.

La première séquence de La Sapienza est encore plus éloquente puisqu’elle nous montre un environnement urbain pragmatique, suscitant des collectivités atomisées, des juxtapositions d’individus accaparés qui ne peuvent s’unir qu’en foules sans visage. Cette ouverture atteste de la part de politiques d’aménagement du territoire équivoques du mépris pour la dimension affective et écologique de l’environnement urbain. Elles reposent sur des exigences économiques sans perspective culturelle commune, si bien qu’elles deviennent contre-productives. La schizophrénie transparaît au moment du discours d’Alexandre sur la valeur socioculturelle « humaniste » de l’architecture à l’occasion de la remise du Cordeau d’or. Le propos du discours est battu en brèche par les plans d’une uniformisation du paysage urbain : d’autoroutes, de HLM, de bretelles encombrées par un trafic stagnant, de zones industrielles désaffectées et en ruine. Les quatrième et cinquième séquences montrent, dans les entretiens avec des fonctionnaires français, le désarroi d’Aliénor et Alexandre devant le phénomène des banlieues, de mise au ban de la population des quartiers de périphérie ; bannissement prétendument résolu par les politiques publiques de destruction et réitération d’un même modèle de parcage. Or, les époux préconisent une rénovation soucieuse de ce qui a été plutôt qu’une répétition d’innovations amnésiques délétères pour les minorités sociales y vivant. Cette rénovation intègre des créations originales dans un environnement naturel et un tissu urbain déjà chargé d’histoires, comme de la mémoire affective de ses habitants. Elle leur en offre une relecture revalorisant, en ce tissu, ce qui se cachait et qui les rendait présents les uns aux autres. Cet ouvrage est également celui que le regard du cinéaste entend porter sur la ville pour en faire un lieu authentiquement cinématographique, de relations, de signes et de mémoire vive par la médiation exemplaire de Rome.

L’auteur n’est donc pas un génie gouvernant toutes les étapes du procès de production, créateur d’une oeuvre, maître absolu de sa signification découlant exclusivement de son imagination et de ses compétences techniques. Même s’il révèle un imaginaire archaïque de persécution sociale et le profane en l’exhibant, il n’est pas un activiste politique. Le film (comme la ville), le cinématographiste (comme l’architecte) sont des êtres de relations, s’engageant auprès du regard d’un spectateur qui se singularise en étant mis en présence du regard du sujet filmé sous les attributs de l’objectif et du celluloïd et par la lumière.

Fig. 3

Paris – banlieue. La Sapienza (Eugène Green, 2014).

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Sans doute est-ce là où le bât blesse : peut-on faire totalement l’économie du problème de la lutte pour la reconnaissance, la dimension sociopolitique du rapport auteur/film/public, pour penser le commerce des regards comme échange de dons ? Le réalisateur ne reconduirait-il pas une certaine idéologie de « l’art pour l’art », de l’artiste total et solitaire bien distinct du technicien et du politique ? L’artiste orphique et dionysiaque comme être inspiré qui se sacrifie ne paraît pas résoudre la violence et le déni du cinéma, mais les pérenniser. Nous pourrions même le soupçonner, derrière sa profanation du cinéma et de ses stars, de proroger ce même déni persécuteur du cinéma en prétendant exhiber la vérité du cinématographe. En reprenant le partage bressonien, déjà discutable, ne risque-t-on pas de justifier, voire d’hypostasier, des manières de « faire du cinéma » tout aussi arbitraires que celles auxquelles on s’oppose ? L’ascèse de cette pratique se saisit dans le contexte d’une théorie métaphysique présupposée plus que démontrée. Mais sortie de ce contexte, qu’est-ce qui distinguerait les traits distinctifs de cette pratique du gimmick d’une collection de clichés de Rome ? Faire du cinéma qui s’estime plus malin que le dispositif ne se ramènerait-il pas à perpétuer le dispositif sous des dehors plus réactionnaires ?

Ce serait effectivement émettre un jugement critique… Mais un tel jugement table sur une sortie du dispositif audiovisuel multimédia par un regard positiviste sur l’image en distinguant celle-ci comme fait des valeurs ou normes dont elle est porteuse. Néanmoins, ce jugement lui-même privilégie, c’est-à-dire valorise l’étude de l’image comme fait. Partant, l’attitude critique elle-même ne justifie sa prédilection de l’effectivité, considérant cette justification des critères de justification comme étant une question « métaphysique », donc indémontrable. Dès lors, ce jugement prudent, restant dans les limites de la simple raison, détiendrait, certes, la science, mais pas la sapience. Celle-ci étant, selon l’exergue du film extrait du Pantagruel de Rabelais, une science portée par une réflexion sur ses conditions d’existence réintroduisant la question de la valeur de la vérité et du sens de la démarche du savant, c’est-à-dire animée par une volonté s’efforçant à la bonté, puisque « Sapience n’entre point en âme malivole ».

Nous reprendrons donc ce que nous affirmions en introduction, la compréhension de la cinématographie d’Eugène Green exige de saisir la cohérence de sa démarche mais, en dernière instance, requiert tout de même un principe de charité. On ne peut l’expliquer, et par là, départager le cinématographe du cinéma, qu’en faisant l’apologie de celui-là contre les mises en accusation de celui-ci. En nous en faisant l’avocat, nous nous mettons en demeure de comprendre, sans toujours le saisir symboliquement, en imitant le regard offert par l’objectif, ce qui distingue Alexandre, ou Eugène Green, du Bernin, et ce qui les rapproche de Borromini dans le lieu commun qu’est le film.