Corps de l’article

La revue Criminologie fête en 2018 ses 50 ans de publication. Son fondateur, Denis Szabo, souhaitait au départ « assurer à long terme le prestige scientifique » de la toute nouvelle discipline de la criminologie (Szabo, 2008). Aujourd’hui, avec plus de 700 articles scientifiques publiés, la revue Criminologie est manifestement devenue une référence incontournable. En effet, non seulement chaque numéro édité par les Presses de l’Université de Montréal continue d’être distribué à plus de 250 fidèles abonnés, mais la page de la revue a été consultée plus de 215 000 fois en 2016 sur la plateforme Érudit, qui héberge l’ensemble de son contenu électronique. Bien que nichée dans une discipline encore limitée à quelques institutions universitaires, Criminologie se situe parmi les revues les plus consultées sur le site de l’Université de Montréal et sur la plateforme Érudit, qui accueillie près de 150 revues.

Si la revue connaît un tel succès, c’est très certainement grâce à ses précieux collaborateurs qui, année après année, continuent de proposer, développer et réviser un contenu de qualité qui sait intéresser les lecteurs. Ce numéro spécial est l’occasion de leur rendre hommage à tous et de les remercier pour leur contribution. Il s’agit d’un numéro anniversaire résolument axé sur le passé, dans lequel les archives électroniques de la revue constituent le coeur des analyses et des réflexions. En effet, une trentaine d’auteurs ont été invités à réfléchir à l’évolution d’un aspect ou d’une thématique de notre discipline en utilisant comme point de départ les articles parus dans Criminologie. L’objectif était de faire un numéro où les archives et les données de la revue étaient mises à contribution. L’équipe de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante s’est jointe à l’équipe de la revue pour la préparation de ce numéro anniversaire. Elle a rassemblé les données sur la revue, qui ont ensuite été partagées avec des chercheurs en sciences sociales et en sciences de l’information pour qu’ils puissent, ensemble, analyser et réfléchir à l’évolution de notre discipline.

Cette introduction présentera d’abord les données utilisées pour analyser les 50 ans d’histoire de la revue. Puis seront présentés brièvement les collaborateurs associés à la revue, ainsi que la forme et le contenu des articles qui y sont parus au cours des 50 dernières années. Puisque l’article de Kaminski (2008) avait déjà fait une grande partie de ce travail lors du 40e anniversaire de la revue, le but ici est plutôt de rappeler certaines tendances et de souligner les plus récentes. L’introduction se termine par la présentation des différents articles qui composent ce numéro anniversaire.

Le corpus de données

Comme la politique éditoriale de Criminologie est de publier des recherches empiriques originales, nous souhaitions que les réflexions sur l’histoire de la revue soient ancrées dans un matériel empirique et les données relatives aux articles précédemment publiés dans la revue nous apparaissaient être un matériel riche et peu exploité. Chaque publication renferme une importante quantité d’informations sur notre discipline et les différentes manières de l’aborder. En effet, les métadonnées associées à chaque publication nous permettent de cerner à la fois les caractéristiques sociodémographiques des auteurs, le contexte collaboratif dans lequel les travaux sont menés, les thématiques couvertes ainsi que la provenance à la fois géographique et disciplinaire des influences intellectuelles.

Ainsi, une base de données comprenant chaque article de la revue a été créée à partir des champs balisés sur la plateforme Érudit, qui héberge les archives électroniques. Ces métadonnées incluent, entre autres, l’année de publication, le titre du numéro et son responsable, le titre de l’article et son résumé, les noms et affiliations des auteurs, ainsi que l’ensemble des références citées par les auteurs. Au moment de la création de la base de données, les archives de Criminologie comptaient 811 publications, les articles parus en 2017 n’y étant pas inclus. Afin de complémenter ces données, Fyscillia Ream, qui agissait alors comme assistante à la rédaction pour la revue, a compilé pour chacun des documents publiés par la revue un certain nombre d’informations en consultant le titre, le résumé et au besoin le corps du texte : (1) s’agit-il d’un article scientifique revu par les pairs (oui/non) ? ; (2) de quel type de contribution s’agit-il (article empirique, recension des écrits, contribution théorique, autre) ? ; (3) quelle méthodologie a été employée (article non empirique, méthodologie qualitative, méthodologie quantitative, méthodologie mixte) ? ; et (4) quelles sont les thématiques de l’article (crime, criminel, sécurité/police, criminalisation primaire, tribunaux, prison, jeunes, victimes, femmes et intervention) ? Afin de repérer les thématiques, une première recherche par mots clés a été effectuée à partir du site d’Érudit pour associer chaque texte à une ou plusieurs thématiques (voir le Tableau 1 pour la liste des mots clés pour chaque thématique). Puis chaque texte a été consulté (titre, résumé et corps du texte au besoin) afin de valider l’identification des thématiques. Des textes ont été retirés de certaines thématiques (par ex. : un article sur l’extrême droite qui aurait été classé dans la thématique des tribunaux à cause du mot « droit »), mais aucune nouvelle thématique n’a été créée par ce codage manuel.

Les producteurs du savoir criminologique

Au cours des 50 dernières années, les directeurs, les responsables de numéro et les auteurs ont tous, à leur manière, orienté les savoirs parus dans Criminologie. Denis Szabo a non seulement créé la revue, mais c’est également lui qui a assuré la plus longue direction (1968 à 1986), durant près de 20 ans, et environ 30 % des articles ont été publiés sous sa direction. La revue a également été dirigée par Serge Brochu, Pierre Landreville et Dianne Casoni, chacun pour une période de huit années, ainsi que par Jo-Anne Wemmers et André Normandeau, pour deux plus courts mandats, respectivement de trois et deux ans.

Tableau 1

Mots clés utilisés pour le repérage des thématiques de recherche

Mots clés utilisés pour le repérage des thématiques de recherche

Tableau 1 (suite)

Mots clés utilisés pour le repérage des thématiques de recherche

L’astérisque indique une recherche de mots de même étymologie.

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Les 68 numéros thématiques qui sont parus au fil des années ont été dirigés par plus de 72 responsables différents. Bien qu’une majorité de ces responsables provenaient de l’École de criminologie de l’Université de Montréal et que certains, comme Pierre Landreville et Jean-Paul Brodeur, en ont dirigé plusieurs (respectivement six et quatre), on reconnaît la contribution significative des professeurs du Département de criminologie de l’Université d’Ottawa et d’autres départements de l’Université de Montréal qui, au cours de la dernière décennie, représentent chacun près de 20 % des responsables de numéros. Il est intéressant de souligner que le pourcentage de femmes responsables d’un numéro thématique est passé de 30 % entre 1988 et 2007, à près de 60 % à partir de 2008, ce qui coïncide avec l’arrivée des femmes à la direction de la revue.

Les 811 contributions parues dans Criminologie ont été écrites par 711 auteurs différents. Bien que la majorité des auteurs (86 %) aient contribué à un seul article parmi les 692 revus par les pairs, on trouve un certain nombre de fidèles collaborateurs. En effet, les 14 auteurs qui ont écrit cinq articles ou plus ont contribué collectivement à 16 % de la production scientifique de la revue. Ces fidèles collaborateurs sont : Alice Parizeau (14), Marc Le Blanc (13), Jean-Paul Brodeur (11), Maurice Cusson (9), Pierre Landreville (8), André Normandeau (8), Pierre Tremblay (8), Sylvie Frigon (7), Denis Szabo (6), Marie-Andrée Bertrand (6), Micheline Baril (6), Mylène Jaccoud (5), Benoit Dupont (5) et Daniel Élie (5).

La provenance des premiers auteurs montre, comme l’avait déjà constaté Kaminski en 2008, une ouverture toujours grandissante aux auteurs non canadiens. En effet, ces derniers constituent, au cours de la dernière décennie, près du tiers des auteurs, comparativement à seulement 10 % au cours des deux premières décennies de la revue. Criminologie a historiquement accordé une place importante aux chercheurs non universitaires, qui signaient entre 15 et 22 % des contributions comme premier auteur. Or, au tournant des années 2000, leur place diminue grandement (ils signent dès lors 5 % des articles) au profit des étudiants, dont le volume des contributions double lors de la dernière décennie, atteignant 26 % des contributions. La place des femmes parmi les auteurs de la revue est également en croissance au cours de la période étudiée. Si un peu plus du tiers des articles étaient signés par des femmes comme première auteure au cours des deux premières décennies, ce pourcentage est en croissance et la parité (49 %) est atteinte au cours de la dernière décennie.

La production du savoir criminologique

Les archives électroniques de la revue renseignent également sur la production criminologique en elle-même. Comment se structure le savoir ? Quelle forme prennent les numéros et les articles ? Quel type de savoir est produit (recherche empirique, etc.) ? Quelles sont les stratégies de recherche des auteurs ?

Les données montrent que le style des numéros a considérablement changé au fil des années. Lors de sa création et jusqu’en 1975, la revue – alors nommée Acta Criminologica – publiait des numéros qui comptaient entre 3 et 5 articles parmi lesquels certains faisaient plus d’une trentaine de pages, voire au-delà d’une centaine de pages. Certains articles étaient d’ailleurs en anglais (36 %). La revue avait alors un style beaucoup plus près des monographies, principal mode de diffusion des connaissances à l’époque. En 1975, la revue connaît plusieurs changements majeurs. D’abord, elle change de nom pour Criminologie et se spécialise dans un contenu francophone (cela fait d’elle aujourd’hui la seule revue de criminologie francophone en Amérique du Nord). Ensuite, elle passe à deux numéros par an et devient une revue thématique. Jusqu’en 2008, elle publie alors une douzaine d’articles par année (entre 10 et 17 selon les années) qui font en moyenne une vingtaine de pages. En 2009, le nombre d’articles par numéro passe à 12, ce qui augmente la moyenne annuelle à 24 articles.

Lorsque l’on s’intéresse au type d’articles écrits, on constate que dans l’ensemble, 22 % des publications de Criminologie sont des articles qualitatifs, 24 % sont de nature quantitative et 45 % sont des articles non empiriques, présentant soit une réflexion théorique ou une recension des écrits. La place accordée aux articles non empiriques tend à diminuer dans le temps, principalement au profit des articles qualitatifs. Ces derniers représentent, au cours des dix dernières années, près du tiers des articles d’un numéro. Cette place importante accordée au qualitatif – qui représente 40 % des contributions empiriques – contraste avec la tendance observée dans les revues anglophones à haut facteur d’impact, au sein desquelles ces types de travaux ne comptent rarement plus de 5 % des contributions empiriques (Copes, Tewksbury et Sandberg, 2016).

Les thématiques des numéros sont variées. Bien que l’on puisse a priori attribuer une thématique en fonction du titre d’un numéro, force est d’admettre qu’au sein même de chaque numéro thématique, il existe souvent une grande diversité de thèmes. Par exemple, associé au thème « crime », le numéro spécial sur le cybercrime contient, au final, un article sur le crime, un sur le délinquant, un sur les jeunes et cinq sur la police ou les questions de sécurité. Aussi, lorsque l’on regarde les thématiques couvertes par numéro, on constate que la très forte majorité d’entre eux (90 %) contient des articles sur au moins deux thématiques et que le tiers des numéros couvre au moins cinq thématiques différentes. Cette hétérogénéité du contenu des numéros spéciaux est en croissance au cours de la période, passant de trois thématiques en moyenne entre 1975 et 1984 à six lors des dix dernières années.

Les thématiques associées aux articles varient à travers le temps, mais on n’observe pas de tendances stables ou dominantes dans ces variations. Contrairement aux numéros thématiques, les articles abordent généralement un seul thème (85 % des articles). Les thèmes les plus souvent associés sont les jeunes et l’intervention (10 articles), les jeunes et les victimes (10 articles), les tribunaux et la prison (8 articles) et les tribunaux et les victimes (8 articles), mais ils demeurent minoritaires au sein du corpus d’articles.

Le contenu du numéro spécial

Le numéro est divisé en trois grands axes. Le premier s’intéresse aux influences intellectuelles de la criminologie, le deuxième examine l’évolution des approches théoriques et méthodologiques et le troisième l’évolution des différentes thématiques de recherches.

Axe 1 : Les influences intellectuelles

Dans le premier axe, composé de quatre articles, l’accent est mis sur les producteurs du savoir criminologique ; par quoi sont-ils inspirés et comment arrivent-ils à leur tour à influencer leurs pairs ? Le premier article de France Nadeau, Philippe Mongeon et Vincent Larivière met la table de ce numéro spécial. Il s’agit du seul article qui ne porte pas sur la revue Criminologie, mais qui décrit les influences intellectuelles de la criminologie anglophone. Dans cet article, les auteurs analysent les références citées dans les revues indexées par Web of Science pour comprendre la place occupée par les différentes disciplines au cours des vingt dernières années et présentent une réflexion intéressante sur les influences disciplinaires. Ils découvrent notamment différents profils de revues selon les origines disciplinaires des auteurs et des revues qu’ils citent. Si la forte majorité de ces revues ont un profil interdisciplinaire (42 %), on trouve également bon nombre de revues qui publient des travaux principalement de type sociocriminologique (22 %) ou psychologique (22 %).

Les autres articles de ce premier axe se penchent sur les influences intellectuelles propres à la revue Criminologie. David Décary-Hétu et Sabrina Vidal s’intéressent plus spécifiquement aux producteurs de connaissances, soit les auteurs de la revue Criminologie. Ils analysent le réseau de collaboration des auteurs de la revue et s’intéressent tout particulièrement à son évolution au cours des dernières décennies. Ils constatent, comme cela s’observe dans toutes les sphères de l’édition savante, une augmentation des collaborations dans le temps. Bien qu’ils notent la création de certaines cliques, ils remarquent que le corpus d’auteurs demeure varié et qu’il se renouvelle constamment au fil de la période étudiée.

L’article de Chloé Leclerc, Fyscillia Ream, David Décary-Hétu, Benoît Macaluso et Vincent Larivière porte quant à lui sur les sources d’influence des auteurs de la revue et analyse les 19 813 références qu’ils ont citées. Il présente les auteurs, les revues et les disciplines qui ont marqué leur production et s’intéressent à la relation entre ces sources d’influence et les caractéristiques des articles qui les citent (décennie, provenance de l’auteur, thématique, etc.). Les auteurs constatent que les sources d’influence de la revue sont très diversifiées et décentralisées et que les auteurs et les revues qui ont su se tailler une place importante sont ceux qui ont su se diversifier et retenir l’attention d’un large lectorat travaillant dans des traditions de recherche différentes.

Finalement, l’article de Sarah Cameron-Pesant, Maxime Sainte-Marie, Yorrick Jansen et Vincent Larivière examine l’usage des articles de Criminologie, mesuré au moyen des téléchargements qu’ils ont reçus sur la plateforme Érudit. Si les auteurs mettent de l’avant la grande popularité de la revue (les articles sont deux fois plus téléchargés que ceux parus dans des revues similaires), ils constatent que cette popularité est l’affaire de quelques articles ou numéros qui font l’objet d’un grand nombre de téléchargements – ce qui suit la tendance habituellement observée, tant en termes de téléchargements que de citations. Après avoir présenté quelques caractéristiques du lectorat de Criminologie, les auteurs se penchent sur ces articles et numéros spéciaux qui ont su retenir l’attention de nombreux lecteurs.

Axe 2 : L’évolution des approches théoriques et méthodologiques

Le deuxième axe qui compose ce numéro spécial s’intéresse à l’évolution des approches théoriques et méthodologiques mobilisées dans les articles de Criminologie. Le premier article d’Isabelle Fortin-Dufour, Marie-Pierre Villeneuve et Joane Martel analyse les courants théoriques et les approches méthodologiques des contributions parues au cours des dix dernières années. Elles constatent que la revue publie des articles présentant une diversité d’approches (criminologie traditionnelle, critique et zémiologie) et que la provenance disciplinaire (criminologie vs autres disciplines) et universitaire des auteurs (École de criminologie de l’Université de Montréal vs autres) a un impact important sur les approches qu’ils mobilisent dans leurs publications.

Les deux articles suivants retracent l’évolution respective des méthodologies quantitatives et qualitatives. L’article de Yanick Charette, Pierre Tremblay et Nadine Deslauriers-Varin analyse les 185 articles scientifiques parus dans la revue qui utilisaient des données quantitatives. Les auteurs s’intéressent à l’évolution du contenu empirique et plus précisément à l’importance accordée aux publications quantitatives. Ils décrivent comment la place des recherches quantitatives varie selon les époques, les thématiques abordées, mais aussi les innovations mises en place par les directeurs de la revue (par ex. : la création d’une section hors thème, l’ouverture à une plus grande diversité d’auteurs, etc.). Les auteurs présentent les articles publiés dans Criminologie qui ont apporté des innovations sur le plan des méthodes quantitatives.

L’article de Jean Poupart et Amélie Couvrette porte quant à lui sur les 114 publications de Criminologie qui mobilisaient des données qualitatives. Les auteurs décrivent le type de méthode utilisée, la justification proposée par les auteurs et les ancrages théoriques de ces articles, et donnent des exemples concrets de recherches qualitatives qui reflètent les grandes tendances observées.

Axe 3 : L’évolution des thématiques de recherche

Pour le dernier axe de ce numéro spécial, plusieurs auteurs ont été invités à analyser les articles de la revue Criminologie qui ont porté sur la thématique de recherche dans laquelle ils se spécialisent. Sept articles composent cet axe.

Le premier article est de Rémi Boivin et aborde la place du crime dans la revue. L’auteur présente d’abord les grands principes des analyses classiques ou néoclassiques de la criminologie qui font du crime ou de la criminalité leur objet d’analyse. Il recense et présente brièvement les 94 articles qui portent sur le crime, mais il centre ensuite son analyse sur 11 de ces articles qui accordent une place plus centrale au crime. Il présente comment ces recherches s’inscrivent ou se distinguent des études généralement produites dans ce champ d’étude.

Le deuxième article est de Frédéric Ouellet et Valérie Thomas et analyse les articles portant sur le criminel. Les auteurs sont partis de 76 contributions très différentes, allant de l’étude des enfants soldats à la représentation du criminel dans les pièces de Molière, pour analyser plus précisément 24 articles qui avaient pour objet principal le criminel, et qui présentaient une méthodologie détaillée et un devis reproductible. À partir de ces articles, ils décrivent comment le criminel a été représenté dans la revue à travers le temps (comment il est défini, opérationnalisé) et comment la recherche s’est saisie de cet objet d’étude (quels sont les objectifs, les devis, etc.).

L’article de Catherine Rossi et Arlène Gaudreault analyse 89 articles du champ de la victimologie. Les auteures trouvent que si une bonne partie des thèmes victimologiques traités dans la revue (62 % du corpus) reflète l’histoire de la victimologie au Canada et à l’international, certains articles (le tiers) parlent en revanche des victimes sur un ton très « criminologique » (une particularité propre à la revue). Après avoir présenté le bilan de ces différents types de publications, les auteures terminent en soulignant les thèmes typiques de l’évolution de la victimologie qui sont pourtant absents du contenu de la revue.

L’article de Bastien Quirion analyse 60 articles qui portent sur l’intervention criminologique. Il observe que les articles qui traitent de la prise en charge abordent les programmes et des modèles d’intervention avec une prédominance marquée pour l’approche cognitivo-comportementale (associée aux institutions correctionnelles canadiennes) et l’approche développementale (très populaire auprès des jeunes en difficulté). Il propose ensuite un plaidoyer pour une conception plus globale de l’intervention criminologique dans laquelle la relation d’aide constituerait le principal vecteur de l’activité professionnelle du criminologue. Il suggère que la prise en charge a surtout été investie dans le passé par la criminologie traditionnelle et qu’adopter une approche critique permettrait de se porter à la défense des plus vulnérables, de remettre en question les concepts et les définitions qui proviennent des institutions pénales et d’offrir des interventions plus variées qui répondent davantage aux besoins spécifiques et variés des justiciables.

L’article de Francis Fortin, Maxime Bérubé et Benoit Dupont analyse 73 articles sur la police ou la sécurité, dont 49 sont parus dans différents numéros spéciaux portant sur ces thématiques. Les auteurs regroupent les parutions en quatre groupes : (1) les travaux sur les fondements d’une criminologie critique de la police (inspirés par Brodeur) ; (2) les articles sur l’évaluation quantitative de la police (influencés par Ouimet et Tremblay) ; (3) les recherches sur les transformations du marché de la sécurité et l’émergence d’acteurs travaillant en réseaux (inspirées par Dupont) ; et (4) le développement d’un policing plus diversifié et internationalisé. Les auteurs présentent un bilan des études recensées pour chacun de ces groupes.

L’article de Dan Kaminski et Sophie de Saussure analyse 63 contributions qui portent sur les tribunaux. Ils concluent qu’il y a peu de recherches sur l’action de juger (coupable vs non-coupable) et que l’attention est surtout portée sur la détermination de la peine, probablement parce qu’on attribue plus de pouvoir discrétionnaire au juge à cette étape. Les auteurs trouvent également que la question des inégalités est présente dans une grande partie des publications, mais laissent entendre que la critique du système est souvent de « premier ordre » et que peu d’auteurs au final étudient le système en échappant à la logique de la rationalité pénale moderne qui le domine.

Finalement, l’article de François Fenchel fait une sélection parmi la centaine de textes qui touchent à la prison pour présenter l’évolution du savoir autour de quatre thématiques, soit (1) les origines de la prison et ses incarnations au Québec et au Canada ; (2) la volonté de transformer le régime carcéral par la reconnaissance des droits des détenus ; (3) la reconstruction de la personne carcérale sous le prisme du risque ; et (4) la situation des femmes incarcérées.

Ce numéro a volontairement été porté vers le passé par des analyses des archives de la revue. Or, nous espérons que ce retour en arrière, cette remise en perspective du savoir hérité des 50 dernières années, saura stimuler de nouvelles réflexions et alimentera les recherches de demain.