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1. Introduction

Dès la troisième année de scolarisation, la compréhension de lecture (CL) est l’un des déterminants les plus documentés en matière de réussite scolaire (Hattie, 2009). Afin de favoriser la réussite et la persévérance scolaires, il importe de soutenir le développement des habiletés en CL chez les élèves. Plusieurs initiatives en ce sens sont d’ailleurs en place dans le système scolaire québécois, notamment le Programme de recherche sur l’écriture et la lecture du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES, 2013) de même que différents projets dans les commissions scolaires pour soutenir le développement des compétences des élèves du primaire en lecture.

Pendant la deuxième moitié du parcours au primaire, les élèves doivent non seulement continuer d’apprendre à lire, mais également lire pour apprendre (Bishop, 1997; Schleicher, 2010). La CL est une compétence complexe qui nécessite l’orchestration réussie d’une multitude d’aspects. Plus spécifiquement, la CL repose sur des habiletés langagières et cognitives construites à l’oral (Nation, Clarke, Marshall et Durand, 2004) car, au-delà de la capacité à identifier les mots lus, elle nécessite de tirer le sens du message qui est véhiculé. Afin que le lecteur puisse se faire une représentation mentale cohérente d’un texte, les connaissances sémantiques (vocabulaire), les connaissances syntaxiques et la capacité à générer des inférences sont reconnues comme des éléments centraux dans la compréhension d’un texte écrit (Oakhill et Cain, 2004).

Les études effectuées auprès d’enfants avec et sans difficulté documentent une forte relation entre les habiletés inférentielles et la CL (Cain et Oakhill, 2015). Plus particulièrement, les travaux de Oakhill et Cain (2012) ont mis en exergue la contribution spécifique des habiletés inférentielles aux compétences en CL chez des enfants âgés entre 7 et 11 ans. La conceptualisation de la capacité inférentielle et de son développement chez l’enfant est un domaine en pleine effervescence et plusieurs cadres de référence ont été mis de l’avant depuis les 20 dernières années (p. ex. modèle Construction-Intégration [Kintsch, 2004], théorie constructionniste [Graesser et Kreuz, 1993], Landscape Model [Van den Broek, Young, Tzeng, et Linderholm, 1998]). La nature et les types d’inférences ont conséquemment été analysés selon différentes perspectives, ce qui a mené ou non à certains consensus. Par exemple, dans un récit, il est admis que les inférences liées aux relations explicatives et causales permettent respectivement de relier les actions des protagonistes à leurs buts et les causes à leurs effets (p. ex. Van Kleek, 2008; Lynch et Van den Broek, 2007; Casteel, 1993). Les inférences référentielles permettent quant à elles de maîtriser les procédés anaphoriques de la langue (p. ex. relier un pronom au bon groupe nominal dans un paragraphe) (p. ex. Ackerman, 1986). Tel que recensé par Vachon (2013), la diversité de nomenclature dans le domaine des inférences est remarquable mais, peu importe le cadre de référence, les auteurs s’entendent pour souligner le rôle central des inférences en CL.

Nombre d’études se sont intéressées aux meilleures pratiques enseignantes pour favoriser la CL relativement aux inférences. Auprès d’élèves de 6 à 10 ans, McGee et Johnson (2014) ont comparé un enseignement explicite des inférences à un enseignement composé d’exercices standards de compréhension. L’enseignement explicite, avec des activités visant à 1) enseigner aux enfants à déduire le sens des mots nouveaux, 2) générer des questions au sujet du texte et 3) prédire certains éléments du texte à partir des informations connues, s’est avéré plus efficace pour le développement de la compréhension inférentielle que l’enseignement dit plus implicite. Dans sa recension des écrits, Kispal (2008) est arrivé à des conclusions similaires: l’enseignement explicite du raisonnement inférentiel soutient le développement de la CL. Plus précisément, trois aspects sont documentés comme optimisant la CL chez les élèves: 1) l’enseignement de stratégies de génération d’inférences du mot (p. ex. la recherche sur la signification d’un mot nouveau, en prenant en compte à la fois le contexte de lecture et la morphologie) et du texte (p. ex. la mise en évidence de la structure et de la nature du texte de même que des repères disponibles comme le titre, les images, etc.), 2) un modelage du processus de pensée (description à voix haute par l’enseignant de son propre raisonnement) et 3) le questionnement à l’élève et par l’élève. À cet effet, les questions ouvertes menant à la mise en relation des informations contenues dans le texte avec les connaissances antérieures de l’élève favorisent la génération d’inférences (Hall, 2015) alors que celles sollicitant chez l’élève la verbalisation de son processus de pensée favorisent la prise de conscience de ses propres stratégies et de sa compréhension (Westby, 2014). Enfin, Ukrainetz (2015a) et Alsami et Hart (2015) proposent d’autres pratiques enseignantes reconnues comme étant optimales pour amener les élèves à devenir des lecteurs stratégiques, notamment rappeler à l’élève de garder en tête le but de la lecture et de mettre les nouvelles informations en lien avec ses connaissances. En somme, un enseignement explicite combinant stratégies métalinguistiques et métacognitives qui soutiennent la génération d’inférences favorise de façon significative le développement de la compétence en CL chez les élèves.

La richesse de l’enseignement et des activités vécues en classe par les enfants pour soutenir les habiletés inférentielles est donc essentielle au développement harmonieux de la CL chez l’enfant. Si les compétences en lecture des élèves sont un bon prédicteur de la réussite scolaire, il en est tout autant de la qualité de l’enseignement qu’ils reçoivent en cette matière, notamment sur le plan des stratégies et des rétroactions (Hattie, 2009). Les enseignants ont un rôle incontournable à jouer pour outiller leurs élèves à devenir des lecteurs stratégiques afin qu’ils comprennent bien ce qu’ils lisent.

2. Les connaissances des enseignants sur le langage pour l’enseignement de la lecture

Afin de soutenir et guider les élèves dans le développement de leur compétence en lecture, les enseignants possèdent une variété de connaissances théoriques concernant la lecture, tels que le développement de la littératie, le principe alphabétique, les stratégies de compréhension, le vocabulaire et la fluidité des habiletés de lecture (Piasta, Connor, Fishman et Morrison, 2009). Certaines de ces connaissances concernent l’identification de mots, alors que d’autres touchent également la CL. Le niveau de connaissances des enseignants quant à l’identification de mots est documenté depuis plus de 15 ans, à tout le moins aux États-Unis. Plusieurs études soulignent un niveau généralement faible de connaissances sur le plan de la phonologie (phonèmes et conscience phonologique) et du principe alphabétique (p. ex. Bos, Mather, Dickson, Podhajski et Chard, 2001; Fielding-Barnsley et Purdie, 2005; Mather, Bos et Babur, 2001; Moat et Foorman, 2003). Un écart est également observé entre le niveau de connaissances perçu par les enseignants et leur niveau réel de connaissances, écart reflétant souvent une surestimation (Cunningham et al., 2004; Spear-Swerling, Brucker et Alfano, 2005). De façon plus précise, les enseignants interrogés dans l’étude de Cunningham et al. (2004) ont démontré certaines habiletés à qualifier avec justesse leurs propres connaissances dans le domaine de la littérature jeunesse, alors que ce n’était pas du tout le cas en ce qui a trait à la conscience phonologique et l’application du principe alphabétique.

Pour ce qui est de la CL et des habiletés langagières qui la sous-tendent, nous avons répertorié une seule étude, celle de Spear-Swerling et Cheesman (2012), qui a interrogé spécifiquement les connaissances d’enseignants sur les habiletés langagières (dont les inférences) impliquées en CL. Toutefois, certaines limites méthodologiques de cette étude ne permettent pas de tirer de conclusion pour mieux comprendre cette problématique.

3. Les pratiques enseignantes en compréhension de lecture portant sur les habiletés inférentielles

Il est démontré que les pratiques et les stratégies que les enseignants mettent en place dans leur classe ont un impact significatif sur le développement de la compétence de leurs élèves en CL (National Reading Panel, 2000; Roberts et Meiring, 2006). À cet effet, les résultats d’études descriptives et corrélationnelles montrent que les élèves dont les enseignants ont des pratiques enseignantes basées sur un bagage suffisant de connaissances théoriques ont le plus souvent des habiletés de lecture plus développées (p. ex. Foorman et Moats, 2004; Foorman et Schatschneider, 2003). Alors que les enseignants ont tout avantage à intégrer des activités soutenant les habiletés inférentielles dans leur enseignement, ces pratiques sont toutefois peu décrites. Klingner, Urbach, Golos, Brownell et Menon (2010) rapportent nombre d’études effectuées avec des enseignants oeuvrant auprès d’enfants ayant des troubles d’apprentissage: le temps consacré à la CL est particulièrement faible, tout comme la place accordée à l’enseignement de stratégies visant à soutenir la compréhension (p. ex. prédiction, établissement de liens, modelage). Afin de documenter la compétence en lecture des jeunes à l’échelle mondiale, l’Association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire (AIE) mène une vaste enquête (PIRLS) à tous les cinq ans. Celle-ci cible les élèves de 10 ans (4e année) et vise à mesurer leurs compétences en lecture tout comme à comparer les performances obtenues entre les différents pays participants. L’enquête de 2011 (Mullis, Martin, Foy et Drucker, 2012) révèle que la fréquence des pratiques relativement à la CL qui sont déclarées chez les enseignants québécois est inférieure à la moyenne internationale (49 pays). Aussi, il s’avère que 69 % des élèves se sont vu demander d’utiliser des habiletés de prédiction dans des activités de CL au moins une fois par semaine, alors que ce pourcentage diminue à 55 % pour les habiletés inférentielles. À l’inverse, l’étude québécoise de Martel et Lévesque (2010) a dressé un portrait positif des pratiques enseignantes déclarées en matière de CL aux deuxième et troisième cycles du primaire. Les participants de cette étude rapportent, pour la majorité, soutenir leurs élèves à faire des prédictions et autres types d’inférences pendant la lecture. Toutefois, la fréquence de ces pratiques rapportées n’y a pas été documentée et ces pratiques n’ont pas été observées directement par les chercheurs.

Afin de poursuivre l’élaboration du portrait des pratiques enseignantes documentées en CL, il est pertinent de s’attarder plus spécifiquement aux habiletés inférentielles et aux stratégies pédagogiques qui leur sont associées afin de déterminer si les pratiques déclarées mises en place par les enseignants dans leur classe sont guidées par des connaissances théoriques à ce sujet qui sont adéquates et suffisantes pour favoriser le développement de la CL chez leurs élèves.

4. La mise en application des connaissances théoriques dans les pratiques enseignantes

Les actions pédagogiques que les enseignants mettent en place pour l’atteinte d’un objectif d’apprentissage sont guidées par leur degré de connaissances dans le domaine ciblé. Ainsi, il est généralement accepté qu’un enseignement efficace et optimal de la lecture ne peut être intuitif et qu’un bagage de connaissances spécialisées au sujet des concepts liés à la littératie en est le prérequis (Piasta et al., 2009).

Les connaissances théoriques et les pratiques dans le domaine de la lecture ont été questionnées principalement en début d’apprentissage de la lecture. Plusieurs études ont démontré que l’amélioration de la connaissance des enseignants quant à la phonologie et aux patrons orthographiques des mots influence positivement leurs pratiques et les optimisent (p. ex. McCutchen et al., 2002). Relativement à la relation entre les valeurs des enseignants sur la lecture et la diversité de leurs pratiques, Cunningham, Zibulsky, Stanovich et Stanovich (2009) ont démontré que les diverses pratiques pédagogiques adoptées par les enseignants et le temps qui leur est consacré en classe variaient selon leur philosophie pédagogique: ceux qui mettaient en place un enseignement orienté vers le développement des habiletés de lecture (skills-based instruction) consacraient du temps d’enseignement à une variété de pratiques pédagogiques (plus de 5 % du temps pour 7 des 12 pratiques ciblées) dont plusieurs portaient sur des habiletés contribuant directement à l’apprentissage du langage écrit (p. ex. activités de conscience phonologique, de grammaire et orthographe, de CL). Ceux qui privilégiaient un enseignement basé sur la littérature (literature-based instruction) tendaient à être plus exclusifs dans leur enseignement, en consacrant principalement le temps d’enseignement à des activités de littérature, de lecture guidée, de lecture autonome et d’écriture (avec moins de 5 % du temps pour chacune des autres pratiques ciblées).

Aucune des études recensées ne portaient, chez les enseignants questionnés, sur l’application de leurs connaissances théoriques sur les inférences dans leurs pratiques en CL. Cet aspect est toutefois particulièrement important étant donné le rôle de ces habiletés et l’impact que peut avoir le choix des stratégies pédagogiques de l’enseignant sur le développement de cette compétence chez les élèves. Cette utilisation des connaissances de nature scientifique pour identifier et mettre en place des pratiques reconnues efficaces est à la base des Evidence Based Practices (EBPs) (Cook et Odom, 2013), d’abord développées dans le domaine de la médecine. Dans le domaine de l’enseignement, la conceptualisation de high-leverage teaching practices (HLTP) s’y apparente grandement. Plus précise que la notion de best practices, l’utilisation de HLTP dans l’enseignement vise à délimiter un ensemble de pratiques reconnues comme ayant le plus grand impact sur l’apprentissage de l’élève (Cummings Hlas et Cummings Hlas, 2012). La présente étude s’inscrit dans ce cadre théorique et a été élaborée dans le but de contribuer à pallier le manque de connaissances relativement à l’application des connaissances par les enseignants pour guider leurs pratiques.

5. Objectif

De façon spécifique, cette étude vise à dresser, avec un questionnaire, un portrait préliminaire des connaissances d’enseignants et d’enseignantes du primaire quant aux inférences et à leur prise en compte dans leur pratique en classe pour favoriser le développement de la CL chez leurs élèves. Notre étude vise à répondre aux questions de recherche suivantes: 1) quel est le niveau de connaissances des enseignants relativement aux inférences et à leur implication en CL; 2) quelles sont les pratiques privilégiées qui sont déclarées par les enseignants en CL pour soutenir la production d’inférences chez leurs élèves; 3) comment le niveau de connaissances théoriques des enseignants est-il relié aux pratiques déclarées?

6. Méthodologie

Dans cette étude, une approche quantitative a été privilégiée pour dresser un portrait des connaissances et des pratiques en compréhension de lecture chez les enseignants québécois du primaire. Une enquête a été élaborée de façon à couvrir deux aspects, soit les connaissances théoriques et les pratiques déclarées quant aux habiletés inférentielles.

6.1 Participants

6.1.1 Recrutement

Les 15 participantes, recrutées par le biais d’invitations électroniques, étaient des enseignantes impliquées dans l’École en Réseau. Ce modèle et les enseignants qui s’y impliquent ont été choisis sur la base de certains critères d’inclusion, soit d’enseigner à l’ordre primaire dans des milieux ruraux et défavorisés. En effet, de manière plus large, la recherche menée vise à offrir des formations et de l’accompagnement en matière d’inférences dans l’enseignement en CL dans ces milieux où moins de ressources sont disponibles. Il s’agit donc d’un échantillonnage non probabiliste. Quatre participantes ont dû être exclus (ordre préscolaire (2), ordre secondaire, direction d’établissement).

6.1.2 Caractéristiques sociodémographiques

Tel que présenté au tableau 1, les participantes sont âgées de 35 à 39 ans (33 %), ont en moyenne 17 années d’expérience d’enseignement, proviennent de dix régions à travers le Québec et oeuvrent dans dix commissions scolaires (CS), et ce, dans 15 écoles primaires.

Tableau 1

Répartition des participantes selon les caractéristiques démographiques (N=15)

Répartition des participantes selon les caractéristiques démographiques (N=15)

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6.2 Matériel

6.2.1 Questionnaire

Un questionnaire a été élaboré pour documenter les connaissances et les pratiques déclarées (enseignement/évaluation) des enseignants dans le domaine de la CL, du langage réceptif et des inférences. Ce questionnaire totalise 216 questions réparties en trois types: 1) des jugements d’énoncés de types Likert à six choix de réponses allant de «totalement en désaccord» à «totalement en accord» tout en incluant «je ne sais pas» et «ne s’applique pas», 2) des questions ouvertes et 3) des questions à choix multiples traduites (avec autorisation) issues du Teacher Knowledge Survey (TKS) (Spear-Swerling et Cheesman, 2012). Afin de dresser un portrait des connaissances et des pratiques déclarées des enseignantes en CL quant aux inférences spécifiquement, 115 questions ont été analysées dans le cadre de l’étude. Les parties du questionnaire sont décrites plus bas.

Les données sociodémographiques ont été collectées par des questions à choix multiples relativement aux participants, à leur groupe d’élèves de référence et leur formation professionnelle (de base et continue).

Les connaissances des enseignantes sur la CL et les inférences ont été mesurées par des jugements d’énoncés de type Likert (p. ex. «Certaines inférences sont obligatoires à la compréhension du texte alors que d’autres ne sont pas essentielles.»), et par une question ouverte («Nommez les types d’inférences que vous connaissez»). Cinq indicateurs ont guidé la création et la sélection des énoncés: 1) la nature des inférences; 2) le contexte cognitif permettant la réalisation d’une inférence (le «quand» et le «pourquoi»); 3) les éléments sur lesquels s’appuie la réalisation d’une inférence (le «comment»); 4) le développement des habiletés inférentielles; 5) les facteurs influençant la réalisation d’une inférence. Les énoncés ont principalement été élaborés à partir des éléments théoriques de la recension des écrits de Vachon (2013). Certains de ces éléments théoriques correspondent à des connaissances jugées élémentaires pour le domaine de l’enseignement (p. ex. Pour bien comprendre un texte, il est primordial que les élèves sachent lire entre les lignes). Ces connaissances sont considérées de niveau général. D’autres éléments théoriques sont associés à des connaissances plus expertes (p. ex. Associer un pronom à l’antécédent auquel il renvoie est une inférence). Elles sont considérées d’un niveau plus approfondi.

Les pratiques déclarées des enseignants ont été mesurées par des jugements d’énoncés de type Likert (p. ex. «En présence d’une erreur à une question inférentielle en compréhension de texte, je demande à l’élève de m’expliquer son raisonnement pour pouvoir lui venir en aide.»). Ces énoncés ont été élaborés sur la base des meilleures pratiques, telles que documentées dans les écrits scientifiques. Ceux-ci visaient à déterminer les types de stratégies pédagogiques quant à la CL et aux habiletés inférentielles qui sont déclarées ou non par les enseignants dans leur pratique.

6.3 Procédure

Le questionnaire a été élaboré en format électronique, a été rendu disponible en ligne dès septembre 2014 et a été accessible jusqu’en février 2015.

6.4 Analyses

6.4.1 Connaissances théoriques

Étant donné le nombre de participantes et d’items du questionnaire, les analyses effectuées sont descriptives. Les choix de réponses de l’échelle de Likert «tout à fait en accord» et «en accord» ont été regroupés, de même que «en désaccord» et «tout à fait en désaccord», pour établir une cotation binaire. Ainsi, lorsque la réponse attendue est ciblée par la participante, celle-ci est interprétée comme étant le reflet de connaissances adéquates tandis que la réponse incorrecte est considérée comme étant le reflet de connaissances inadéquates. Les choix de réponse «je ne sais pas» et «ne s’applique pas» sont considérés comme un manque de connaissances ou une incertitude quant aux connaissances interrogées. Pour analyser les connaissances, la distribution des participantes dans chaque choix de réponse a été examinée. La comparaison des fréquences obtenues dans ces choix de réponses pour chaque question est à la base de la description effectuée.

6.4.2 Pratiques déclarées

Des analyses descriptives ont également été effectuées à partir des questions portant sur les pratiques déclarées des enseignantes. Comme pour l’analyse de leurs connaissances, la distribution des participantes dans chaque choix de réponse a été examinée. Plus précisément, lorsque la réponse attendue est ciblée par la participante, celle-ci est interprétée comme étant le reflet de pratiques souhaitées. Dans le cas contraire, la réponse incorrecte est considérée comme étant le reflet d’autres pratiques déclarées. Les choix de réponse «je ne sais pas» et «ne s’applique pas» sont considérés comme un manque de connaissances ou une incertitude quant aux pratiques interrogées. Pour analyser les pratiques, la distribution des participantes dans chaque choix de réponse a été examinée. La comparaison des fréquences obtenues dans ces choix de réponses pour chaque question est à la base de la description effectuée.

6.4.3 Liens entre les pratiques déclarées et les connaissances théoriques

Neuf énoncés relatifs aux connaissances ont été mis en relation avec neuf énoncés sur les pratiques enseignantes qui ciblaient un contenu similaire. Pour chaque participante, la réponse donnée dans le premier thème a été mise en relation avec celle obtenue dans le deuxième. Ceci vise à déterminer, à travers les pratiques déclarées, si les enseignantes utilisent leurs connaissances pour sélectionner et actualiser les pratiques reconnues comme ayant un grand impact sur l’apprentissage des élèves (HLTP) en compréhension de lecture. Les pratiques déclarées peuvent ainsi être considérées comme étant liées ou non aux connaissances théoriques démontrées. Ainsi, lorsqu’une paire d’énoncés comportaient les catégorisations «connaissances adéquates» et «pratiques souhaitées», «connaissances inadéquates» et «autres pratiques» ou «je ne sais pas (ne s’applique pas)» pour les deux énoncés, la connaissance théorique et la pratique déclarée ont été considérées comme étant liées entre elles. À l’inverse, lorsqu’une paire d’énoncés comportaient les catégorisations «connaissances adéquates» et «autres pratiques» ou «connaissances inadéquates» et «pratiques souhaitées», celles-ci ont été considérées comme n’étant pas liées entre elles. Enfin, lorsqu’une paire d’énoncés comportaient la catégorisation «je ne sais pas» ou «ne s’applique pas» combinée à un autre type de réponses, le lien entre les connaissances et la pratique était considéré indéterminé. La comparaison des fréquences obtenues dans ces choix de réponses pour chaque question est à la base de la description effectuée.

7. Résultats

7.1 Connaissances théoriques

Tableau 2

Connaissances sur les inférences: répartition des participantes (fréquence) selon le type de réponse donné dans chacune des catégories d’énoncés (n=15)[1]

Connaissances sur les inférences: répartition des participantes (fréquence) selon le type de réponse donné dans chacune des catégories d’énoncés (n=15)1

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7.1.1 Définition et caractéristiques des inférences

Comme présenté dans le tableau 2, l’ensemble des enseignantes mentionne que la capacité à faire des inférences pertinentes et adéquates est essentielle à la compréhension d’un texte alors qu’une majorité (80 %) indique que les élèves du 2e cycle sont en mesure d’en produire. Quant à la définition, 90 % des enseignantes démontrent la connaissance que l’habileté requise par les élèves pour comprendre un texte ne se résume pas à relier des mots ou des phrases entre eux, et qu’il est primordial qu’ils sachent «lire entre les lignes». Pour ce faire, 93 % des enseignantes sont en accord avec le fait que toutes les informations nécessaires à la production d’inférences ne se retrouvent pas à l’intérieur du texte. Par contre, le fait que la production des inférences puisse se faire de façon automatique, sans effort conscient (6,7 %), et que les élèves soient en mesure d’en faire sans aide (13,8 %) est mentionné beaucoup moins fréquemment.

7.1.2 Nature et types d’inférences

En référence au tableau 2, 73 % des enseignantes jugent que certaines inférences sont obligatoires à la compréhension du texte alors que d’autres ne sont pas essentielles. Plus de la moitié (60 %) des enseignantes considèrent que questionner les élèves sur les émotions ressenties par les personnages les amène à faire des inférences, et 53 % d’entre elles jugent qu’associer un pronom à l’antécédent auquel il renvoie est une inférence. À ce sujet, 27 % sont en mesure de repérer une inférence anaphorique dans un énoncé. À la question ouverte «Nommez les types d’inférences que vous connaissez», 46,7 % des enseignantes sont en mesure de nommer des types reconnus d’inférences. Les inférences correctement identifiées sont l’inférence pragmatique (85,7 %), l’inférence logique (57,1 %), l’inférence causale (28,6 %) et l’inférence anaphorique qui est nommée par 14,3 % d’entre elles. Les inférences lexicale, thématique ou prédictive n’ont été nommées par aucune participante.

7.1.3 Facteurs influents et impacts

Comme présenté dans le tableau 2, la majorité des enseignantes reconnait des facteurs pouvant influencer la capacité à produire des inférences chez leurs élèves. Les enseignantes considèrent que de bonnes habiletés de décodage en lecture n’éliminent pas la possibilité de difficultés inférentielles chez un élève (100 %), que la capacité mnésique d’un élève peut influencer son habileté à faire des inférences (86,7 %), et ce, tout comme ses connaissances du monde (100 %) et son vocabulaire (84,4 %). Les enseignantes questionnées sont aussi conscientes que les difficultés à produire des inférences en compréhension écrite peuvent se répercuter dans d’autres disciplines que le français (93,3 %).

7.2 Pratiques enseignantes déclarées

Tableau 3

Pratiques enseignantes quant aux inférences: Répartition des participantes (fréquences et intervalles) selon leurs types de pratiques dans chacune des catégories énoncées (n=15)

Pratiques enseignantes quant aux inférences: Répartition des participantes (fréquences et intervalles) selon leurs types de pratiques dans chacune des catégories énoncées (n=15)

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7.2.1 Activités ciblées/stratégies pédagogiques

Tel que présenté dans le tableau 3, la majorité des enseignantes (80 %) rapporte planifier des activités en situation de lecture qui ciblent les inférences. Moins de la moitié (46,7 %) le feraient toutefois de façon régulière. Quant aux stratégies pédagogiques utilisées pour soutenir la production d’inférences en CL, une majorité d’enseignantes (93,3 %) indique demander aux élèves de justifier leurs interprétations en s’appuyant sur des extraits du texte. Elles rapportent offrir de l’aide lorsqu’un élève répond incorrectement à partir de l’explication de son raisonnement. Toutes les enseignantes rapportent dire le but précis de la lecture aux élèves et lire des textes à voix haute en leur permettant d’intervenir. Alors que la majorité (86,7 %) indique qu’elles verbalisent aux élèves la réflexion qui les mène à produire des inférences, 40 % d’entre elles enseigneraient explicitement comment identifier les informations du texte permettant de produire des inférences. Près de la moitié (46,7 %) rapportent ne pas savoir si elles adoptent cette stratégie avec leurs élèves.

7.2.2 Inférences travaillées

En référence au tableau 3, la plupart des enseignantes (88,9 %) rapportent demander aux élèves de prédire des éléments du texte avant, pendant et après la lecture. La majorité (93,3 %) mentionne amener les élèves à identifier les éléments de la structure du récit, à observer les différentes façons de nommer les personnages dans un texte et à s’intéresser aux émotions ressenties par les personnages. La majorité des enseignantes rapporte tenir compte du vocabulaire (80 %) et du niveau de complexité de l’implicite (86,7 %) lorsqu’elles travaillent les inférences avec leurs élèves.

7.3 Liens entre les connaissances théoriques et les pratiques enseignantes déclarées

Tableau 4

Répartition des participantes (fréquences et intervalles) selon la mise en relation de leurs connaissances et de leurs pratiques quant aux inférences (n=15)

Répartition des participantes (fréquences et intervalles) selon la mise en relation de leurs connaissances et de leurs pratiques quant aux inférences (n=15)

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7.3.1 Caractéristiques des inférences

Comme rapporté dans le tableau 4, toutes les enseignantes considèrent important que les élèves appuient leur interprétation sur des éléments du texte et indiquent qu’elles demandent aux élèves de le faire pour justifier leurs interprétations. La majorité (93,3 %) considère l’intention de lecture importante en CL tout en rapportant dire aux élèves le but précis de la lecture. Il en est de même pour le modelage dans l’utilisation de stratégies de lecture. Une majorité d’enseignantes (93,3 %) le considère comme aidant les élèves à faire des inférences. Conséquemment, elles rapportent lire à haute voix des passages d’un texte en verbalisant la réflexion menant à la production des inférences. Ces comparaisons reflètent que les connaissances théoriques et les pratiques rapportées par les enseignantes sont liées positivement entre elles. Relativement à l’influence du vocabulaire dans la production d’inférences adéquates, 66 % des enseignantes considèrent que l’enrichissement du vocabulaire favorise le développement des habiletés inférentielles et inversement, tout en rapportant tenir compte du vocabulaire lorsque les inférences sont travaillées en classe. Plus du quart (26,7 %) ont indiqué une réponse «je ne sais pas» ou «ne s’applique pas» combinée à un autre type de réponses. Ceci reflète un lien entre la théorie et la pratique qui est indéterminé quant à cet élément. Enfin, le tiers des enseignantes (33,3 %) rapporte enseigner explicitement à leurs élèves comment identifier les informations dans un texte afin de développer leur autonomie, sans toutefois juger que l’élève est capable de cibler les informations pertinentes d’un texte sans aide. 40 % des enseignantes ont pour leur part indiqué une réponse «je ne sais pas» ou «ne s’applique pas» avec un autre type de réponses. Ces combinaisons de réponses reflètent une absence de lien entre théorie et pratique dans le premier cas, et un lien indéterminé dans le deuxième.

7.3.2 Types d’inférences

Plus de la moitié des enseignantes (53,3 %) indiquent que questionner les élèves sur les émotions ressenties par les personnages les amène à faire des inférences et le rapportent dans leur pratique. Plus du tiers (33,3 %) mentionnent à la fois que l’anaphore est une inférence et qu’ils font souvent des exercices de grammaire en contexte de CL, alors que la combinaison des réponses données reflète une absence de lien pour plus de la moitié d’entre elles (53,3 %). Enfin, bien qu’aucune enseignante n’ait nommé l’inférence prédictive dans la question ouverte, la majorité (88,7 %) rapporte amener les élèves à faire des prédictions avant, pendant et après la lecture.

8. Discussion

La présente étude visait à dresser le portrait préliminaire de connaissances d’enseignants du primaire sur les inférences et leur prise en compte dans leur enseignement en CL. En réponse à la première question de recherche, les résultats indiquent un niveau de connaissances générales sur les inférences et de leur apport à la CL qui est jugé adéquat, mais qui mériterait d’être approfondi. En effet, la majorité des participantes possède des connaissances élémentaires sur le sujet et est en mesure de reconnaitre des facteurs soutenant la production d’inférences chez les élèves. Par contre, certaines connaissances plus expertes, notamment la définition et les divers types d’inférences ciblés dans l’étude, n’apparaissent pas connues ou consolidées. Concrètement, la maîtrise ou non de ces notions peut se répercuter sur la complexité des textes et des questions qui sont sélectionnés par l’enseignante dans les activités en classe, et par conséquent sur la façon dont les habiletés inférentielles sont travaillées avec les élèves. Tel que souligné dans l’introduction, la nomenclature utilisée pour nommer ou définir les inférences est variable vu les nombreux cadres théoriques existants. À titre d’exemple, les termes «logique» et «pragmatique» ont pris plusieurs connotations dans les écrits au fil des années. Le choix des concepts et la formulation des énoncés dans le questionnaire ont été fait de façon à correspondre le plus possible, et à notre connaissance, aux notions véhiculées dans le milieu scolaire. Cette diversité peut sans contredit avoir eu un impact sur les réponses données. Il s’agit de la première étude s’intéressant de façon aussi ciblée aux connaissances des enseignants sur le sujet. Les résultats mitigés qui ont été obtenus relativement à des connaissances plus expertes sur les inférences seront à clarifier avec des études ultérieures. Ceux-ci sont toutefois en cohérence avec les études portant sur les connaissances plus approfondies des enseignants sur les habiletés langagières sous-jacentes à l’identification de mots, qui sont généralement qualifiées comme faibles (p. ex. Bos et al., 2001).

La présente étude nous amène à questionner si les enseignants possèdent des connaissances suffisamment étoffées sur les inférences pour adopter des stratégies pédagogiques qui favorisent le développement de la compétence en CL. Les effets possibles dans les choix pédagogiques sont multiples. Tout d’abord, comme l’ont démontré Piasta et al. (2009), un niveau de connaissances insuffisant peut entrainer des stratégies pédagogiques moins efficaces et ne pas soutenir l’apprentissage des élèves. De plus, il est documenté que le niveau de connaissances des enseignants dans un domaine donné influence leur enseignement, les types de pratiques mis en place (p. ex. McCutchen et al., 2002) de même que le temps qu’ils y consacrent dans les activités en classe (Cunningham et al., 2009). Ainsi, un niveau de connaissances insuffisant au sujet des inférences pourrait avoir comme effet que les enseignants minimisent l’importance du langage dans le développement de la CL et, conséquemment, qu’ils axent principalement l’enseignement et les activités d’apprentissage sur la motivation, ou l’intérêt quant à la littérature, par exemple. Tel que soulevé par Cunningham et al. (2004), certaines connaissances moins bien maitrisées peuvent placer les enseignants à risque d’adopter des stratégies en classe qui sont peu ou moins appropriées et d’être moins ouverts à la formation continue.

En réponse à la deuxième question de recherche portant sur les pratiques déclarées par les enseignants, les résultats révèlent d’abord que la majorité des enseignantes de l’étude planifie des activités ciblant les inférences dans leur enseignement en CL, mais qu’elles ne les réalisent pas forcément de façon régulière, résultat cohérent avec l’étude du PIRLS (Mullis et al., 2012) qui rapporte une fréquence moyenne de l’utilisation des stratégies de compréhension en deçà de la moyenne internationale chez les enseignants québécois. Pourtant, le dosage (c’est à dire la fréquence des activités dans lesquelles une habileté langagière est travaillée de façon explicite) est documenté comme un ingrédient essentiel pour une intervention optimale (Ukrainetz, 2015b). Aussi, pour la réalisation des activités en CL, les participantes de la présente étude rapportent prendre en compte des facteurs influençant la capacité à produire des inférences, travailler différents éléments en lien avec divers types d’inférences et mettre à profit des stratégies métacognitives et de modelage, ce qui est documenté dans les meilleures pratiques (Kispal, 2008; Ukrainetz, 2015a). La stratégie de guider les élèves explicitement dans la recherche d’informations a toutefois été très peu rapportée. La déclaration des pratiques ciblant certains types d’inférences chez la plupart des enseignantes questionnées peut être mise en relation avec les résultats obtenus par Martel et Lévesque (2010) qui rapportent ces pratiques déclarées chez 78 % à 89 % des enseignants de leur étude. Par ailleurs, l’enseignement et l’utilisation des stratégies de compréhension avec les élèves apparaissent davantage rapportés par les enseignants québécois que ce qui est observé chez les enseignants américains (Klingner et al., 2010). D’une part, la méthodologie utilisée peut expliquer cette différence dans les résultats, une pratique déclarée se basant tout d’abord sur la perception qu’a l’enseignant de sa pratique et non sur l’observation de ce qu’il fait concrètement en classe. D’autre part, la plupart des pratiques ciblées par le questionnaire étaient bien connues ou répandues dans le domaine de l’enseignement, et ont par ailleurs été ciblées pour cette raison. Ces pratiques peuvent donc être considérées comme étant d’un niveau «général» et ne pas reposer sur une connaissance particulièrement approfondie ou experte. Quoi qu’il en soit, le fait que la majorité des enseignantes déclare des pratiques relatives aux inférences suggère que leurs actions pédagogiques soutiennent globalement l’enseignement qu’ils offrent en CL. Le manque de régularité déclaré par les participantes peut toutefois diminuer les effets positifs sur les apprentissages des élèves. La mise en relation entre des pratiques enseignantes déclarées et les performances des élèves en CL à proprement parler serait à documenter dans de futures études.

Concernant la troisième question au sujet de la mise en relation des connaissances théoriques et des pratiques déclarées, les résultats démontrent un lien entre la théorie et la pratique qui se concrétise dans des proportions différentes selon l’élément questionné. Alors qu’il est présent chez la majorité des enseignantes pour l’intention de lecture, la justification de la réponse par l’élève et le modelage, le lien diminue considérablement quant aux pratiques soutenant le vocabulaire et la génération d’inférences. Enfin, une absence de lien ou encore une relation indéterminée entre la théorie et la pratique est mise en relief chez la majorité des enseignantes quant à la nécessité d’une guidance pour la sélection des informations pertinentes d’un texte. Il apparaît également que, bien qu’elles aient des connaissances limitées des définitions des différents types d’inférences ciblées dans le questionnaire, les enseignantes rapportent les travailler en classe.

En somme, les résultats de l’étude montrent une cohérence entre connaissances et pratiques lorsque l’application de ces dernières repose sur des connaissances théoriques d’ordre général ou qui sont plus élémentaires. Lorsque les enseignantes ont la connaissance, celles-ci l’utilisent concrètement pour guider leur enseignement, et vice versa. Une ambigüité apparaît toutefois dans les pratiques lorsque celles-ci s’appuient sur des connaissances théoriques plus expertes (p. ex. vocabulaire; sélection des informations nécessaires comme étape inhérente au processus inférentiel). Les enseignantes ayant démontré ce niveau de connaissances théoriques rapportent ne pas savoir si elles mettent en place des pratiques qui en découlent, alors que les notions et les termes utilisés dans les énoncés du questionnaire étaient similaires dans les deux cas. Il apparaît, par leurs pratiques déclarées, que les enseignantes utilisent de façon variable leurs connaissances pour sélectionner et utiliser des pratiques HLTP. À l’inverse, les enseignantes déclarant des pratiques concernant les types d’inférences n’ont pas clairement démontré la connaissance théorique qui leur est sous-jacente.

À notre connaissance, le lien existant entre les connaissances théoriques et les pratiques déclarées n’est pas abordé dans les écrits scientifiques et il s’agit ici de premiers jalons. Néanmoins, l’étude de Piasta et al. (2009) avait révélé que la compétence des élèves en identification de mots était prédite par l’actualisation du degré de connaissances de l’enseignant à travers les pratiques qu’il met en place en classe. De la même façon, nos résultats permettent l’interprétation suivante au sujet du lien entre les connaissances et les pratiques déclarées: 1) un niveau de connaissances suffisant permet la mise en place de pratiques ciblées, ce qui augmente le potentiel de l’enseignement d’avoir des impacts positifs sur l’apprentissage des élèves; 2) un niveau de connaissance insuffisant peut mener à une absence de pratiques reconnues comme étant efficaces, à une incertitude ou ambivalence quant à leur mise en place effective ou encore à la mise en place de pratiques souhaitées, mais sans que la justification théorique soit forcément comprise. Conséquemment, les effets positifs de l’enseignement sur l’apprentissage des élèves risquent d’être variables, voire nuls, selon ce qui est effectivement fait en classe. Ainsi, les informations collectées quant aux liens entre les connaissances et les pratiques déclarées dans cette étude suggèrent que les connaissances plus approfondies, et donc plus expertes, des enseignants sur le plan des inférences gagneraient à être développées pour favoriser la mise en place d’un ensemble de pratiques documentées comme optimisant les apprentissages en CL, c’est-à-dire HLTP.

Force est de constater que l’étude comporte certaines limites. En premier lieu, étant donné que le questionnaire abordait une multitude d’aspects, le nombre de questions portant sur les connaissances et les pratiques relativement aux inférences était, somme toute, assez restreint pour couvrir un domaine aussi vaste. Concernant le thème des connaissances, les types d’inférences étaient questionnés par des jugements d’énoncés qui ne ciblaient que certains d’entre eux et dont la formulation pouvait laisser place à différentes interprétations vu la diversité de la nomenclature dans le domaine. Ils étaient également documentés par une question ouverte. Ce type de question exige de réactiver une connaissance et de la rappeler explicitement, alors que ce n’est pas le cas dans les jugements d’énoncés. La réponse donnée ne reflète donc pas forcément l’entièreté de la connaissance et conséquemment le niveau de connaissances réel des enseignantes de l’étude. Ainsi, le degré de difficulté inhérent à la question peut avoir interféré dans l’établissement d’un lien entre la théorie et la pratique. Il serait judicieux, dans une étude ultérieure, de couvrir l’ensemble des types d’inférences avec des jugements d’énoncés, tout en utilisant une nomenclature transparente pour les enseignants. Concernant le thème des pratiques, la proportion d’un type de pratique par rapport à une autre n’a pas été prise en compte (p. ex. inférences et métacognition; inférences et plaisir de lire) dans l’élaboration du questionnaire. Toutefois, cette considération dans une étude ultérieure permettrait une comparaison documentant de façon plus précise l’organisation de l’enseignement en CL, de même que la priorisation que font les enseignants dans leurs choix pédagogiques. En second lieu, les jugements d’énoncés portaient sur diverses connaissances et pratiques à un niveau soit général soit plus approfondi, sans toutefois permettre de cerner l’ampleur de l’expertise chez les enseignants. Afin de dégager divers niveaux de connaissances et de pratiques déclarées, il serait intéressant, dans une étude ultérieure, qu’un contrôle systématique du degré de difficulté des énoncés soit effectué afin de déterminer des profils novices, intermédiaires et avancés et ainsi qualifier davantage le portrait obtenu chez les enseignants. Enfin, le nombre de participants étant restreint, il n’est pas possible de généraliser les résultats obtenus. Toutefois, la diversité de l’échantillon (p. ex. cycles enseignés, régions) permet une représentativité de diverses réalités scolaires pour l’objectif poursuivi, soit l’établissement d’un portrait préliminaire. Finalement, il aurait été pertinent de trianguler nos résultats avec une observation réelle des pratiques enseignantes, de même qu’avec des entrevues semi-dirigées, afin de mieux relier la qualité des pratiques et des connaissances en matière d’inférences et de compréhension de lecture.

9. Conclusion

En somme, la majorité des enseignantes de cette étude démontre un niveau adéquat de connaissances générales relativement aux inférences et à la CL. Toutefois, une minorité seulement apparaît démontrer un niveau de connaissances plus approfondies, connaissances qui contribuent pourtant à la mise en place de pratiques enseignantes documentées par la recherche comme favorisant la CL chez les élèves (HLTP). Aussi, les pratiques déclarées chez la plupart d’entre elles sont adéquates pour soutenir les apprentissages en CL. Enfin, les connaissances et les pratiques déclarées sont cohérentes pour près de trois enseignantes sur quatre. Ce portrait préliminaire est une contribution originale dans le domaine, car il permet de jeter un certain éclairage sur une thématique encore très peu abordée jusqu’ici. Les pratiques enseignantes ayant un impact significatif sur la qualité d’apprentissage des élèves et la qualité de l’enseignement étant l’une des clés de leur réussite scolaire, il est primordial que les enseignants soient en mesure de travailler de manière appuyée et soutenue en matière de compréhension de lecture afin d’outiller l’ensemble de leurs élèves à devenir des lecteurs compétents. De fait, afin d’enseigner de façon optimale, les enseignants doivent appréhender avec justesse les concepts à la base de la lecture et posséder une connaissance spécialisée afin de les enseigner avec succès. Les résultats obtenus dans cette étude indiquent qu’il serait pertinent de développer un dispositif de développement professionnel en regard de la CL et des inférences qui tienne compte des connaissances actuelles en relation avec ce sujet crucial pour la réussite scolaire des enfants.