Corps de l’article

Pour souligner le 70e anniversaire de la Conférence de San Francisco et de la Charte de l’Organisation des Nations Unies (Onu), cet ouvrage est l’aboutissement de la mise en commun de recherches les plus diverses. La trame principale de cet ouvrage, dirigé par Dan Plesch et Thomas G. Weiss, est née de leur propre intérêt pour le renouvellement des perspectives de l’étude de l’Onu. L’ensemble des auteurs étaient appelés à jeter un pont entre la discipline historique et celle des sciences politiques afin d’explorer la manière dont les principes fondateurs de l’Onu – pensés par des États encore embourbés dans les méandres de la Seconde Guerre mondiale – expliquent le rôle et le fonctionnement actuels de différents organes onusiens. Il s’agissait en outre d’extrapoler sur les futurs respectifs de ces organes. Les collaborateurs ont ainsi structuré leur article en trois temps : l’historique, ou les idées transnationales au coeur des politiques et des organes onusiens ; l’état actuel, ou la capacité de résolution des problèmes dépassant les cadres nationaux parmi les 193 membres ; un stade futur, ou une analyse prospective basée sur l’évolution recensée entre les deux premières phases.

Cet ouvrage collectif réunit dix articles sous trois thèmes principaux : Planning and propaganda, Human security et Economic development. De manière globale, l’ouvrage s’écarte des récits diplomatiques sur la poursuite de la guerre et tente de cerner plus spécifiquement le moment où les États ont entamé la formulation de leurs espoirs pour l’après-guerre ainsi que leur perspective sur la manière de créer un ordre mondial stable, voire un multilatéralisme qui ne répéterait pas les erreurs de la Société des Nations (sdn).

La première section est axée sur la manière dont les gouvernements européens et étatsuniens ont établi, en fonction de leurs intérêts, leurs positions par rapport à l’instauration d’un organisme multilatéral à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Ces réflexions ont ainsi donné lieu, dans le second « temps » de la section, à des questionnements sur l’éventualité d’une autre tabula rasa – une troisième guerre mondiale – en tant que passage obligé pour modifier en profondeur les fonctionnements des organes onusiens désormais mal adaptés aux réalités du système international actuel. Le second article nuance ce raisonnement en soutenant que, dans la pratique, l’objet des instances onusiennes peut être modifié afin de réaliser une avancée vers le caractère postnational des Nations Unies. Giles Scott-Smith rapporte le cas du Département de l’information qui a dérivé de sa fonction informative d’origine vers une mission de promotion et de soutien pour certaines causes centrales au sein de l’Onu, comme les crises humanitaires liées aux situations de pauvreté extrême.

La seconde section, Human security, tend quant à elle à se distancier des analyses axées sur la centralité de l’Occident dans la conception des instances onusiennes. Dans l’article de Dan Plesch, portant sur le rôle de la Commission des Nations unies pour les crimes de guerre, qui se superpose aux justices nationales et qui en constitue un soutien (légitimité, logistique, etc.), le gouvernement chinois est présenté comme le premier adhérent à la déclaration du président Roosevelt en janvier 1942 sur le « Punishment for War Crimes » (p. 82). L’ensemble des articles montre par ailleurs la manière dont les gouvernements nationaux de l’immédiat après-guerre ont rétabli l’état de droit et l’autorité souveraine, comme c’est le cas en Inde, ainsi que la façon dont ces efforts, réunis sous la bannière de l’Onu, ont permis l’instauration de l’autorité morale des instances onusiennes.

La troisième section se concentre sur les dimensions économiques qui constituent un pan intrinsèque de la question de la sécurité (alimentaire, humaine, etc.) et du développement. Alors que l’article de John Burley et Stephen Browne critique la voie empruntée à travers les réformes du Programme des Nations unies pour le développement (pnud), Pallavi Roy revendique franchement une refonte du système issu des accords de Bretton Woods (sbw). Pour les premiers, le pnud ne correspond pas aux défis transnationaux imposés aux États, alors que pour Roy le sbw ne parvient à être ni l’instrument par lequel les pays en développement financent des firmes ni une structure institutionnelle qui jaugerait leur capacité à acquérir l’expérience pour réaliser des investissements. Cette section se termine par une réflexion de Plesch et Weiss sur l’incapacité à conserver, en science politique, une mémoire à long terme, étant affligé d’une « espèce de maladie d’Alzheimer inversée ». Les chercheurs sont dès lors invités à retourner aux sources des débats contemporains et à adapter les théories existantes aux nouvelles données que cette méthode apporte.

La conception de l’ouvrage est, en somme, novatrice dans le domaine des Relations internationales. Le pont que les éditeurs souhaitaient établir entre l’histoire de l’Onu et son credo actuel ou futur est une démarche louable, favorisant un plus grand dialogue entre deux disciplines connexes. Le caractère audacieux de l’ouvrage réside d’abord dans l’éclatement des cadres temporels usuels utilisés pour jalonner le xxe siècle. Remonter à une période où les États imaginaient, dans l’univers des possibles, les institutions de l’après-guerre qui refléteraient adéquatement l’ordre mondial établi permet aux auteurs de saisir l’atmosphère d’incertitude présente entre 1939 et 1945. La mise en exergue de ces fondements idéels et leur application actuelle constituent le point central sur lequel reposent principalement l’ouvrage et ses objectifs. Cette dilatation temporelle comporte cependant le danger de créer une distorsion de perception, comme si un déroulement rectiligne s’était effectué pour en arriver au résultat actuel. Cette structure argumentative flirte ainsi avec une vision téléologique de l’histoire de l’Onu, mais n’est-ce pas une contrainte inhérente à la conjonction de l’histoire et des Relations internationales ?