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Introduction

Le mentorat, qui constitue un élément central du capital social, a fait l’objet de nombreux travaux au cours des trois dernières décennies en raison de ses liens établis avec la réussite de carrière (Bozionelos et al., 2016), l’engagement organisationnel (Craig et al., 2013; Donaldson et al., 2000), les comportements de citoyenneté organisationnelle (Ghosh et al., 2012; Kwan et al., 2011), le stress (Qian et al., 2014) et la rétention des employés (Craig et al., 2013; Payne et Huffman, 2005). En dépit de cette littérature scientifique abondante, et à l’exception de quelques rares études (Godin et Le Louarn, 1986), ce n’est que récemment que les chercheurs francophones se sont penchés sur la question des retombées positives de la relation mentorale sur les protégés (Abonneau et Campoy, 2014).

Bien que les chercheurs et les praticiens reconnaissent l’impact du mentorat sur la réussite de carrière, force est de constater que la majorité des recherches ont occulté la multi-dimensionnalité du construit. Or, comme le précisent Abonneau et Campoy (2014), l’effet des différentes fonctions de mentorat n’est point systématique et équivalent, d’où la nécessité de distinguer les effets propres de chacune de ses fonctions. De surcroît, la plupart de ces recherches ont négligé le succès subjectif, pourtant crucial de nos jours (Herrbach et Mignonac, 2012). Cet article tente de prendre en compte les deux fonctions du mentorat, ainsi que les deux facettes de la réussite de carrière.

Par ailleurs, nombre de recherches sur le mentorat ont rendu compte de la richesse et de la pertinence d’incorporer les spécificités féminines (Ehrich et Kimber, 2016; O’Brien et al., 2010). Dans cette veine, nous estimons que la compréhension de l’effet du mentorat sur la réussite de carrière serait améliorée par l’intégration du genre comme variable modératrice. Ainsi, nous allons tenter, dans le cadre de cet article, de démontrer que le genre joue un rôle modérateur entre le mentorat reçu — estimé par ses deux fonctions instrumentale et psychosociale — et la réussite de carrière aussi bien objective que subjective. Pour ce faire, nous exposerons, dans la première partie de cet article, le cadre théorique et formulerons les hypothèses de recherche. Puis, nous présenterons la méthodologie adoptée. La troisième section sera dédiée aux résultats issus d’une étude empirique menée auprès d’un échantillon de 237 employés appartenant au secteur bancaire tunisien. Ces résultats seront discutés dans un quatrième temps. Nous conclurons, finalement, en présentant les principales limites de cette étude et en suggérant certaines avenues de recherche.

Cadre théorique et hypothèses

La réussite de carrière

La réussite de carrière est définie en termes d’évaluation des réalisations de l’individu dans le cadre de ses expériences de travail (Seibert et Kraimer, 2001 : 2). Ce succès de carrière est un concept d’évaluation et le jugement dépend de la personne qui le porte. Ainsi, il peut être conceptualisé selon deux perspectives, à savoir objective et subjective.

La première perspective repose sur des critères dits extrinsèques. La réussite de carrière objective est ainsi définie comme le jugement porté par d’autres personnes sur les réalisations de carrière d’un individu à l’aide de critères observables et tangibles, tels le salaire, la promotion et le niveau hiérarchique (Judge et al., 1995; Nicholson, 2000). Dans cette visée, Eby et al. (2005) expliquent que les personnes qui ont été rapidement promues, qui ont gravi la hiérarchie organisationnelle et qui gagnent les salaires les plus élevés, sont considérées comme des personnes prospères dans leur carrière. Le succès de carrière objectif se réfère donc à ce que la société considère être de la réussite.

Quant à l’approche subjective, elle repose sur des critères intrinsèques, tels le sentiment d’accomplissement et la satisfaction qu’un individu peut éprouver face à son travail ou à sa carrière (Herrbach et Mignonac, 2012; Nicholson et de Waal-Andrews, 2005). Le succès de carrière subjectif est défini par la satisfaction de la personne pour son emploi actuel et par la satisfaction de carrière qui, elle, se définit comme la satisfaction provenant des aspects intrinsèques et extrinsèques de la carrière, englobant le salaire, l’avancement et le développement des possibilités (Hall et Chandler, 2005).

El Akremi et al. (2006) révèlent que la plupart des études se sont focalisées sur la réussite de carrière objective en mesurant le niveau hiérarchique atteint et le niveau salarial. Toutefois, Hennequin (2009) souligne que, même si elles ont longtemps privilégié la dimension objective, les recherches sur le succès de carrière portent désormais davantage sur les deux perspectives. Dans cette veine, nombre d’études démontrent que la réussite de carrière objective et la réussite de carrière subjective sont généralement reliées de manière modérée (Judge et al., 1995). À titre d’exemple, une méta-analyse menée par Ng et al. (2005) a révélé l’existence d’une relation positive entre les deux facettes du succès de carrière. Ainsi, dans les études recensées par Ng et ses collègues, il existe une corrélation de .22 entre les promotions obtenues par les employés et leur réussite de carrière subjective et une corrélation de .30 entre leur salaire et leur réussite de carrière subjective, conceptualisée comme la satisfaction à l’égard de leur carrière.

À ce titre, plusieurs auteurs (Hall et Chandler, 2005; Nicholson et de Waal-Andrews, 2005; Spurk et Abele, 2014; Tremblay et al., 2014; Yap et al., 2010) établissent un lien de causalité entre la réussite objective et la réussite subjective de la carrière. En effet, selon la théorie de l’attribution, les personnes qui reçoivent des récompenses concrètes (salaire et niveau hiérarchique) sont plus susceptibles de les attribuer à des facteurs internes, conduisant à une auto-perception positive de la réussite, et conséquemment à un sentiment plus élevé de réussite de carrière (Stumpf et Tymon, 2012). Les signes tangibles de la réussite professionnelle permettent aux personnes de se percevoir positivement, leur permettant ainsi de développer une plus grande estime d’elles-mêmes et, par la suite, une plus grande satisfaction à l’égard de leur carrière. Par ailleurs, selon la théorie de la comparaison sociale (Festinger, 1954), le niveau hiérarchique et le salaire peuvent être perçus comme des normes sociales de comparaison, sur lesquels se basent les individus pour construire leur propre évaluation de leur réussite de carrière (Judge et al., 1995).

Le mentorat

Le concept de mentorat n’est pas récent. Il faut retourner à l’Antiquité grecque pour en trouver l’origine. Dans l’Odyssée, Ulysse, pendant son long périple, confie l’éducation de son fils Télémaque à son ami Mentor. Ce dernier occupa le rôle de précepteur, de tuteur et de guide auprès de Télémaque (Benabou, 1995).

La revue de littérature montre qu’il n’existe ni une définition du mentorat communément admise par les différents auteurs ni une description acceptée des rôles du mentorat. Les définitions du mentorat varient selon certaines dimensions structurelles et personnelles (Gibson, 2004). Dans une méta-analyse réalisée à partir de plusieurs définitions du mentorat dans les domaines de l’administration, de la psychologie et de l’éducation, Jacobi (1991) en relève pas moins de quinze. Plus récemment, Haggard et al. (2011) ont repéré approximativement une quarantaine de définitions du mentorat dans le cadre d’une revue de la littérature depuis 1980. Ces auteurs suggèrent qu’afin de reconnaître une relation mentorale, trois éléments doivent être présents, à savoir une relation de réciprocité, qui offre des bénéfices développementaux pour le protégé, notamment pour la carrière de ce dernier, en plus d’interactions substantielles et régulières s’inscrivant dans une perspective à long terme.

Comme le mentionnent Ivanaj et Persson (2012), dans une sémantique francophone, le mentorat diffère du tutorat qui est davantage technique. En effet, si le tutorat concerne des activités d’apprentissage et des savoirs professionnels orientés surtout vers le savoir-faire, le mentorat se réfère plutôt aux activités d’apprentissage orientées vers le savoir-être. Aussi, Ivanaj et Persson (2012) distinguent-ils l’accompagnement ou « coaching » du mentorat. Ce dernier « se positionne dans une perspective interpersonnelle et intergénérationnelle alors que le coaching de type cognitivo-comportemental vise clairement une efficacité définie à court-terme » (p. 80).

Toujours dans une tentative de clarification du concept de mentorat, plusieurs auteurs ont essayé de décrire les divers rôles et fonctions du mentorat. À ce titre, le travail de Kram (1983) demeure parmi les recherches les plus fréquemment citées dans la littérature. Cette auteure a proposé un modèle conceptuel identifiant la carrière et le développement psychosocial comme les deux rôles fondamentaux du rapport mentoral. Ainsi, selon Kram (1983), le rôle instrumental englobe les activités qui servent à favoriser l’avancement du protégé. Quant au rôle psychosocial, il inclut l’ensemble de fonctions susceptibles de favoriser le sentiment de compétence et d’affirmation de l’identité du mentoré, ce qui d’ailleurs renforcerait indirectement les possibilités d’évolution. Par ailleurs, Kram (1983) suggère que les fonctions relatives à la carrière émergent au début de la relation mentorale, tandis que les fonctions psychosociales deviennent plus importantes dans les phases finales.

Faute de définition consensuelle, nous retenons la plus répandue et la plus couramment mobilisée dans la littérature en gestion des ressources humaines, à savoir celle de Ragins (1989 : 2) qui considère le mentor comme « un individu d’un rang supérieur et influent qui a beaucoup d’expérience et de connaissances et qui s’attache à favoriser la mobilité verticale et à soutenir la carrière d’un protégé » et nous adoptons la typologie établie par Kram.

Une étude scientométrique menée par Persson et Ivanaj (2009), à partir de 956 articles puisés dans les principales revues académiques anglo-saxonnes, fait ressortir que la carrière et le genre demeurent les principales thématiques abordées dans les études sur le mentorat. C’est justement dans cet ordre d’idées que les sections suivantes seront consacrées à l’exposition de nos hypothèses de recherche.

Mentorat et réussite de carrière

Notre cadre théorique de base s’appuie sur la théorie des signaux, élaborée par Spence (1973). En ce sens, nous nous inscrivons dans la lignée des travaux de Ramaswami et al. (2010) et Dougherty et al. (2013). Selon cette théorie, un signal est l’annonce d’une action potentielle ou en cours qu’un agent diffuse intentionnellement dans le but de permettre à d’autres, mal ou peu informés, d’en déduire sa situation actuelle ou future. À cause du manque d’informations exhaustives, les décideurs dans les organisations doivent souvent se fier aux signaux envoyés par les individus sur leurs capacités, notamment relationnelles. Dans cette visée, les chercheurs ont souvent fait valoir que le mentorat profite aux protégés, dans la mesure où la relation qu’ils tissent avec un cadre de rang supérieur et influent constitue un signal de leur valeur au sein de l’organisation.

Les recherches montrent que le mentorat est positivement corrélé à la réussite de carrière objective incluant des retombées sur le niveau du salaire (Turban et Dougherty, 1994; Wallace, 2001), la mobilité dans la carrière (Fagenson, 1989; Scandura, 1992), ainsi que le nombre de promotions obtenues (Aryee et al., 1996; Dreher et Ash, 1990).

Comme l’explique Guay (1997), le mentorat facilite le développement et l’avancement de carrière des protégés, car il leur permet d’augmenter leur crédibilité et leur visibilité, ainsi que de se constituer un réseau qui leur facilitera l’accès aux informations privilégiées, notamment celles relatives aux postes disponibles.

En reprenant les rôles d’un mentor tels que définis par Kram (1983), il s’avère que les fonctions relatives au coaching, à la visibilité, au soutien et à la protection auraient un impact positif sur l’avancement de carrière (Allen et al., 2004; Wanberg et al., 2003). De même, en assumant leur rôle psychosocial, les mentors favorisent le développement personnel de leurs protégés au niveau de la connaissance de soi et de leur estime personnelle, ce qui se répercute sur leur avancement de carrière (Wanberg et al., 2003). La théorie de l’apprentissage social (Bandura, 1977) peut être mobilisée afin d’expliquer le lien entre le mentorat psychosocial et la réussite de carrière. En effet, cette théorie stipule que l’individu est capable de reproduire un comportement observé grâce à l’imitation d’un modèle. Or, l’une des fonctions de base du mentorat est celle de modèle de rôle. Ainsi, le protégé peut apprendre en observant le comportement de son mentor, ses attitudes et ses comportements. Dans leur méta-analyse, Allen et al. (2004) précisent que le rôle professionnel aurait un impact sur la réussite de carrière objective plus significatif que celui du rôle psychosocial.

Aussi, de nombreuses recherches ont montré que le mentorat est positivement corrélé à la réussite subjective de carrière des protégés (Fagenson, 1989; Joiner et al., 2004; Lo et Ramayah, 2011; Murphy et Ensher, 2001; Van Emmerik, 2004; Wallace, 2001). À cet égard, Allen et al. (2004) concluent, dans leur méta-analyse, que le mentorat est davantage lié aux indicateurs de la réussite professionnelle subjective de carrière, à l’instar de la satisfaction de carrière et de la satisfaction au travail, plutôt qu’à ceux de la réussite objective de carrière. Selon ces auteurs, le plus grand bénéfice du mentorat serait son effet sur les réactions affectives des employés dans leur milieu de travail. Par ailleurs, la récente méta-analyse de Ng et Feldman (2014) montre que l’absence de mentor (−.17), ainsi qu’un faible niveau de mentorat reçu aux niveaux instrumental, psychologique et global sont négativement associés à la réussite subjective de carrière (−.30, −.27 et −.35).

Selon Kammeyer-Mueller et Judge (2008), l’effet du mentorat sur la réussite subjective est susceptible de passer par deux voies distinctes, à savoir directement ou par le truchement de la réussite objective de carrière. En effet, comme nous l’avons mentionné précédemment, de nombreuses recherches ont mis en évidence un lien de causalité entre la réussite objective et la réussite subjective de la carrière (Bozionelos et al., 2016; Nicholson et de Waal-Andrews, 2005; Spurk et Abele, 2014; Tremblay et al., 2014; Yap et al., 2010).

Ces raisonnements invitent à formuler les hypothèses suivantes :

  • h1 : Le mentorat instrumental (H1a) et le mentorat psychosocial (H1b) agissent positivement sur la réussite objective de carrière.

  • h2 : Le mentorat instrumental (H2a) et le mentorat psychosocial (H2b) agissent positivement sur la réussite subjective de carrière.

  • h3 : La réussite de carrière objective exerce un effet médiateur entre le mentorat instrumental (H3a), le mentorat psychosocial (H3b) et la réussite subjective de carrière.

Rôle modérateur du genre

La théorie du mentorat diversifié avancée par Ragins (1997) procure un cadre théorique valable à notre hypothèse de modération. Cette théorie stipule que la composition démographique de la relation mentorale influence le type de soutien fourni par le mentor à son protégé.

Mentorat : quelles différences à la lumière du genre ?

Un facteur-clé explicatif des éventuelles disparités entre hommes et femmes en termes de réussite de carrière, notamment la perpétuation du plafond de verre, demeure le capital social possédé. À titre d’exemple, une étude de Catalyst (2012) qui porte sur des femmes cadres travaillant dans le secteur financier indique que le manque de mentorat arrive en tête des obstacles au développement de la carrière.

Dans cette veine, plusieurs études ont cherché à appréhender les barrières entravant l’accès des femmes aux relations mentorales. D’abord, les femmes éprouveraient des difficultés à nouer des relations mentorales, car elles ne seraient pas intégrées aux réseaux informels et ne se trouveraient, par conséquent, pas en situation de rencontrer un éventuel mentor et de nouer une relation avec lui (Bruna, 2013; Noe, 1988a).

Une autre barrière aux relations de mentorat résiderait dans les stéréotypes. En effet, certains mentors potentiels estimeraient que toute relation de mentorat serait, selon eux, une perte de temps parce qu’ils croient que les femmes manquent de compétences ou ne seraient pas intéressées par leur avancement. Toujours selon eux, quand ces dernières réussissent, leur succès serait souvent attribuable à la chance, plutôt qu’à la compétence. Au surplus, Noe (1988a) affirme que les femmes occupant des postes élevés dans des organisations masculines sont considérées comme figures de proue. Subséquemment, des mentors éventuels pourraient, selon lui, hésiter à s’engager dans une relation avec une personne aussi visible.

Finalement, la question des relations entre les sexes constituerait, selon certains, l’un des grands obstacles à la relation mentorale pour les femmes (Morgan et Davidson, 2008). La perception de relations plus intimes entre des individus de sexe différent est généralement sujette à des rumeurs et, comme la plupart des mentors sont des hommes (O’Brien et al., 2010), leur choix pour des femmes serait critiqué. Morgan et Davidson (2008) trouvent que, dans la mesure où ce qui caractérise une bonne relation de mentorat se rapproche de ce qui caractérise une relation romantique, il faudrait éviter les relations mentorales entre hommes et femmes.

Ainsi, même la littérature scientifique sur le sujet serait, elle aussi, marquée par les préjugés.

Mentorat et réussite de carrière : l’effet du genre

Si certaines recherches tendent à montrer que l’impact du mentorat sur la réussite de carrière demeure identique pour les hommes et les femmes (Dreher et Ash, 1990; Turban et Dougherty, 1994), plusieurs autres reconnaissent, en revanche, l’existence d’un effet plus significatif pour les femmes (Dougherty et al., 2013; Noe et al., 2002; Tharenou, 2005). Selon plusieurs auteurs, la qualité de la relation mentorale est particulièrement importante pour les femmes (Burke et McKeen, 1990; Liang et al., 2002; McDowall-Long 2004; Ragins, 1999). À leurs dires, les femmes éprouveraient un besoin plus important de mobiliser une relation mentorale pour pouvoir avancer, dans la mesure où elles sont confrontées à davantage d’obstacles que leurs homologues masculins (Ragins et Cotton, 1999; Schor, 1997; Wanberg et al., 2003).

Face à leur difficulté d’accès aux réseaux informels et à la discrimination à leur endroit dans le domaine d’avancement, les femmes auraient davantage besoin d’être « sponsorisées » et « coachées ». Burt (1998) affirme que le « sponsoring » ou parrainage n’était pas important pour les hommes, tandis que pour une femme, il serait crucial puisqu’il lui procurerait la visibilité, la crédibilité et la légitimité nécessaires à son avancement. Coacher une femme peut l’aider lors de la négociation d’une promotion. Johnson et Scandura (1994) ont trouvé que le parrainage ou « coaching » était positivement corrélé au salaire des femmes, mais non avec celui des hommes. En lui conférant des missions comportant un défi ou chalenge, le mentor procure à sa protégée davantage de crédibilité et de visibilité, éléments essentiels à sa progression de carrière (Tharenou, 2005).

Ragins (1999) recommande aux chercheurs souhaitant étudier les différences entre hommes et femmes l’utilisation distincte des deux facettes du mentorat. Toutefois, rares sont les recherches ayant distingué les effets spécifiques de chacune des fonctions de mentorat. La majorité des études précédemment citées ont appréhendé le mentorat comme un construit global. Conformément à ces recommandations, nous proposons d’examiner le rôle modérateur du genre en distinguant les deux types du mentorat.

Certains auteurs suggèrent un lien positif entre le mentorat instrumental et la réussite objective de carrière, élément davantage important pour les femmes. À ce titre, les résultats obtenus par Tharenou (2005) montrent que les femmes bénéficient plus que leurs collègues masculins du soutien à la carrière prodigué par le mentor, en obtenant davantage de promotions. Pour leur part, Forret et Dougherty (2004) ont mis en évidence que la visibilité interne (un élément du mentorat de développement de carrière) était significativement liée à la réussite professionnelle subjective pour les femmes, mais pas pour les hommes.

Lyness et Thompson (2000) stipulent que le lien entre le soutien psychosocial et le nombre de promotions obtenues s’avère non significatif, voire négatif pour les femmes. En effet, en mettant la focale sur les émotions d’une femme et sur les facteurs psychologiques internes (par exemple, l’acceptation), le mentor peut désavantager l’avancement de sa protégée (Tharenou, 2005). Par ailleurs, étant donné qu’aucune étude n’a, à notre connaissance, considéré le rôle modérateur du genre dans la relation entre mentorat psychosocial et réussite subjective, nous nous abstiendrons de formuler une hypothèse en ce sens.

À l’issue de cette discussion, nous pouvons donc envisager les hypothèses suivantes :

  • h4 : Le genre modère le lien entre le mentorat instrumental et la réussite objective de carrière, cela de manière à ce que la relation positive soit plus forte pour les femmes.

  • h5 : Le genre modère la relation entre le mentorat psychosocial et la réussite de carrière objective. Plus spécifiquement, cette relation sera plus forte pour les hommes.

  • h6 : Le genre modère le lien entre le mentorat instrumental et la réussite subjective de carrière, cela de manière à ce que la relation positive soit plus forte pour les femmes.

Le modèle théorique développé dans le cadre de cette étude est présenté à la Figure 1.

Figure 1

Illustration du modèle théorique

Illustration du modèle théorique

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Méthodologie

Procédure et échantillon

La majorité des études sur le mentorat étant nord-américaines, nous avons donc estimé pertinent de mener une enquête dans un contexte culturel différent, comme le recommande Bozionelos (2006). Dans la mesure où la réussite de carrière pourrait être corrélée au secteur d’activité (Seibert et al., 2001), nous avons jugé opportun de ne pas disperser notre travail en nous attaquant à une population hétéroclite. En conséquence, nous avons préféré focaliser notre étude du terrain sur une catégorie d’entreprises, soit les banques tunisiennes.

Ce choix du secteur bancaire est motivé, primo, par le fait qu’il occupe une place non négligeable dans l’économie nationale. Les services financiers contribuent, en effet, à environ 3% au produit intérieur brut. Ce secteur connaît actuellement des transformations majeures dont dépend le redémarrage de l’activité économique tunisienne, notamment dans le contexte postrévolutionnaire (Jouini et Saidane, 2014). Secteur très atomisé, avec 21 banques résidentes relativement de petites tailles, comparées aux banques de la région, des restructurations ont cours actuellement, remettant ainsi en cause la gestion des carrières. Secundo, le secteur bancaire demeure un des secteurs les plus féminisés en Tunisie. En effet, la proportion des femmes dans le personnel des banques est estimée à 37,7% en 2014 contre un taux d’activité des femmes dans l’économie tunisienne ne dépassant pas 25,8%. Tertio, nous avons pu recenser d’autres études empiriques ayant examiné l’effet du mentorat sur la réussite de carrière dans les banques à la lumière du genre, comme Metz et Tharenou (2001) en Australie, et Lyness et Thompson (2000) aux États-Unis. Enquêter dans le même secteur nous autoriserait ainsi à confronter certains de nos résultats avec ceux de ces recherches.

Cette recherche a été effectuée à partir d’une enquête par questionnaire. À l’issue d’une phase de pré-test auprès d’une dizaine de banquiers, un questionnaire format papier a été distribué à 400 cadres moyens et supérieurs. Une lettre a été jointe aux questionnaires assurant la confidentialité et l’anonymat des répondants. L’étude repose sur un échantillon de convenance. Au total, 253 questionnaires nous ont été retournés pour un taux de participation de 63,25 %. Un examen minutieux des données recueillies nous a permis de repérer quelques valeurs extrêmes ou aberrantes. Après leur exclusion, 237 observations ont été conservées pour l’analyse. Soulignons que la taille de l’échantillon final reste acceptable selon les recommandations de Kline (2005) pour mobiliser les méthodes d’équations structurelles, notamment les analyses multigroupes. L’échantillon final est composé de 137 hommes et 100 femmes. L’âge moyen des répondants est de 38 ans. Quant à leur ancienneté moyenne, elle varie entre 10 et 20 ans (44,3 %).

Instrument de mesure

Tous les énoncés de mesure ont été évalués au niveau individuel à l’aide d’échelles validées par des recherches antérieures. La traduction des échelles en français a été réalisée à l’aide d’un professionnel.

Dans la lignée des travaux les plus récents, nous avons opérationnalisé la réussite objective de carrière par le biais d’une échelle mono-item portant sur le nombre de promotions obtenues (Bozionelos et al., 2016; Tremblay et al., 2007; Wu et al., 2008). Suivant les recommandations de Bozionelos (2004), le nombre de promotions obtenues a été statistiquement contrôlé par l’ancienneté organisationnelle. D’ailleurs, plusieurs études récentes établissent un lien significatif entre l’ancienneté et la réussite objective (Bozionelos et al., 2016; Turban et al., 2017).

Pour mesurer la réussite de carrière subjective, notre choix s’est porté sur l’échelle de Turban et Dougherty (1994) en raison de ses bonnes qualités psychométriques vérifiées par nombreuses études [α = 0,88 pour Forret et Dougherty (2004); α = 0,92 pour Kirchmeyer (1998)]. Des exemples d’énoncés sont : « En comparaison avec vos collègues, comment estimez-vous votre carrière ? » et « À quel point, les autres estiment-ils que votre carrière est réussie? ». Les participants ont répondu sur une échelle de type Likert à cinq points (1 = pas du tout réussie, 5 = très réussie).

Pour évaluer le mentorat, les répondants devaient se rapporter à la définition suivante :

Le mentor est un individu d’un rang supérieur et influent qui a beaucoup d’expérience et de connaissances sur votre environnement de travail et qui s’attache à favoriser votre mobilité verticale (promotion) et votre carrière. Il peut être votre supérieur hiérarchique direct.

Ragins et al., 2000 : 1182

Précisons, à ce stade, que dans le contexte tunisien, contrairement à la culture anglo-saxonne qui prône la mise en place de programmes de mentorat formel, les relations mentorales se développent plutôt dans le cadre de relations hiérarchiques de proximité sans intervention externe, autrement dit, sous forme de mentorat informel. Pour emprunter l’expression d’Ivanaj et Persson (2010), le mentorat en Tunisie demeure « une pratique qui ne dit pas son nom ».

Ce mentorat informel « se constate en aval, au prix d’une investigation a posteriori qui suppose de faire appel à la mémoire subjective des acteurs » (Chouki et Persson, 2016 :156). Afin de mesurer le mentorat, nous avons opté pour l’échelle développée par Noe (1988b) de type Likert à cinq points (1 = pas du tout d’accord, 5 = tout à fait d’accord). La version originale comporte 21 items dont sept relatifs au soutien dans la carrière et 14 au soutien psychologique. Prenant en considération le critère de la longueur, nous avons opté pour une version écourtée de cette échelle déjà utilisée par Sosik et Godshalk (2000) qui ont obtenu une consistance interne satisfaisante (α = 0,86 pour le soutien dans la carrière et α = 0,87 pour le soutien psychologique). Par conséquent, la dimension instrumentale du mentorat a été mesurée à l’aide de sept items (ex. : « Mon mentor m’a confié des tâches qui ont fait augmenter la fréquence de mes contacts avec des personnes haut placées dans l’organisation »). Quant à la dimension psychologique du mentorat, elle a été mesurée à l’aide de dix items (ex. : « Mon mentor m’a encouragé(e) à lui faire part de mes peurs et de mes appréhensions au travail »).

L’ancienneté organisationnelle a été intégrée comme variable catégorielle variant de 1 = moins de 2 ans à 5 = 20 ans et plus. L’âge a été mesuré grâce à une variable continue. Quant au genre, il a été codé 0 = homme et 1 = femme. En nous basant sur les recommandations de Becker (2005), nous avons gardé l’ancienneté organisationnelle comme variable de contrôle étant donné qu’elle était reliée aussi bien aux variables indépendantes que dépendantes (voir Tableau 2 plus loin).

Résultats

Analyses préliminaires

Qualités psychométriques des mesures

Afin de nous assurer de la validité des variables étudiées, nous avons au préalable procédé à une analyse en composantes principales sous SPSS. À l’issue de ce travail d’épuration, le nombre d’énoncés gardés fut de quatre pour « la réussite subjective de carrière », huit pour « le mentorat psychosocial » et de six pour « le mentorat instrumental ». Ensuite, une analyse factorielle confirmatoire a été réalisée sous AMOS. Le modèle de mesure présente un bon ajustement aux données avec un χ2/ddl = 2,082; AGFI = 0,856; CFI = 0,961; TLI= 0,953; RMSEA = 0,068. Par ailleurs, comme l’indique le Tableau 1, à l’exception d’un item, tous les poids factoriels standardisés dépassent le seuil de 0,70 (Gerbing et Anderson, 1988), montrant donc une bonne validité convergente.

Afin de conférer davantage de robustesse à nos résultats, nous avons aussi procédé au test de la variance moyenne extraite (AVE). Il en ressort que la variance moyenne extraite pour chacun des trois facteurs dépasse le seuil de 0,50 (Tableau 1). En plus de l’évaluation de la validité convergente de nos échelles de mesure, nous avons pu attester leur validité discriminante (chaque facteur affiche une racine carrée de la variance moyenne extraite supérieure à n’importe quelle corrélation avec les autres facteurs). Les coefficients alpha de Cronbach sont également présentés dans le Tableau 1. Nous remarquons que la cohérence interne des échelles est satisfaisante avec des valeurs dépassant 0,90. Par ailleurs, les mesures de la fiabilité composée (CR), qui varient entre 0,90 et 0,93, fournissent un support additionnel à la fiabilité de nos construits.

Biais de variance commune

Dans la mesure où les données ont été recueillies auprès de la même source et en un seul temps, il existe un risque potentiel de biais de variance commune (Podsakoff et al., 2003). La méthode classique du facteur unique de Harman devenant de plus en plus critiquée, nous lui avons privilégié la méthode du facteur latent commun (CLF). Nous avons donc créé un facteur latent que nous avons pris soin de relier à l’ensemble des indicateurs de nos variables. Ce nouveau modèle présente un ajustement quasi-équivalent à celui de notre modèle de mesure avec un χ2/ddl = 2,04; AGFI = 0,857; CFI = 0,963; RMSEA = 0,066. Néanmoins, en calculant l’écart entre le poids factoriel avant et après introduction du facteur latent pour chaque item, nous n’avons pu déceler aucune différence dépassant le seuil de 0,2 préconisé par Gaskin (2016) sur la base de la taille d’effet « d » de Cohen. Le problème de la variance de la méthode commune ne serait donc pas présent.

Tableau 1

Poids factoriels standardisés et qualités psychométriques des mesures

Poids factoriels standardisés et qualités psychométriques des mesures

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Invariance des mesures

Étant donné que, dans cette étude, nous cherchons à investiguer le rôle modérateur du genre, il nous a semblé nécessaire de vérifier l’invariance de notre modèle de mesure. D’abord, en scindant l’échantillon en deux groupes (hommes et femmes), nous remarquons que le modèle de mesure présente des indices d’ajustement globalement satisfaisants (χ2/ddl = 1,687; AGFI = 0,790; CFI = 0,949; TLI = 0,940; RMSEA = 0,054) ce qui prouve l’invariance configurale. Ensuite, le test de variation du chi-deux nous a permis de confirmer l’invariance métrique (Δχ2(18) = 21,063; p = 0.276). Ainsi, le modèle de mesure serait identique pour les deux groupes (hommes et femmes).

Statistiques descriptives

Le Tableau 2 présente les moyennes, les écarts-types, ainsi que les corrélations bivariées entre les variables du modèle distinctement pour les hommes et les femmes. Il est important de préciser que si certains coefficients de corrélation entre les indices semblent assez élevés, ces coefficients n’ont toutefois pas atteint des niveaux critiques. En effet, selon Hair et al. (1998), seules les corrélations supérieures à 0,90 suggèrent que les variables présentent des problèmes de multi-colinéarité.

Tableau 2

Statistiques descriptives et corrélations selon le genre

Statistiques descriptives et corrélations selon le genre

Note. N = 237, ** p<0,01; * pp<0,05. Les coefficients de corrélation des hommes sont reportés à gauche de la diagonale et les coefficients de corrélation des femmes à droite de la diagonale

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À la suite de l’estimation des corrélations, nous avons effectué le Test t de Student afin de voir s’il existe des différences significatives entre les moyennes des femmes et des hommes quant à la réussite de carrière et au mentorat reçu.

Le Tableau 2 montre que le nombre de promotions obtenues par les hommes est significativement plus élevé comparativement aux femmes. En moyenne, ces dernières ont eu entre 3 et 4 promotions dans leur carrière et les hommes entre 5 et 6. Les hommes auraient donc un niveau de succès objectif de carrière plus élevé que celui des femmes. Aussi, le test de Student montre-t-il que les hommes perçoivent davantage de réussite subjective de carrière que les femmes (t = 5,035). Ces dernières sont significativement moins satisfaites de leur carrière que ne le sont leurs collègues de la gent masculine.

Le Tableau 2 fait également ressortir le fait que les cadres bancaires féminins et masculins de notre échantillon présentent une différence significative au niveau du mentorat reçu. En effet, les cadres bancaires masculins semblent bénéficier davantage de cet élément du capital social comparativement à leurs collègues de la gent féminine. Ils reçoivent, notamment, plus de soutien psychologique que les femmes (conseil, amitié, assurance). Cette différence significative est attestée par le test de Student (t = 3,473). En revanche, ce tableau ne semble pas refléter de différences statistiquement significatives entre hommes et femmes quant au mentorat instrumental reçu, soit le soutien à la carrière (support, visibilité, protection).

Vérification des hypothèses

Afin de tester nos hypothèses, la méthode des équations structurelles (Amos21) a été utilisée. La qualité de la correspondance du modèle structurel a été estimée en nous basant sur les indices communément utilisés, à savoir : a- le test du Chi-Deux normé, b- l’adjusted goodness of fitindex (AGFI); c- le comparative fit index (CFI), et d- le root mean square error of approximation (RMSEA).

L’hypothèse de médiation a été testée en recourant à la technique du bootstrap avec une génération de 1000 sous échantillons (Preacher et Hayes, 2008). En effet, cette méthode est désormais considérée comme beaucoup plus robuste que celle de Baron et Kenny (1986). Ainsi, l’effet indirect est accepté lorsque l’intervalle de confiance du bootstrap (CI) à 95% n’inclut pas la valeur zéro.

L’analyse multigroupes par la technique des modèles hiérarchiques a été mobilisée pour tester l’hypothèse de modération. Cette méthode consiste à comparer le Chi-Deux d’un modèle contraint à un modèle non contraint. Toute différence significative de Chi-Deux indique que l’hypothèse d’invariance des paramètres en question est rejetée et confirme le rôle modérateur du genre. Notons que cet écart est significatif s’il dépasse le niveau de 3,84.

Enfin, pour conférer davantage de robustesse aux résultats de la médiation modérée (effet indirect conditionnel), nous avons effectué le test d’hétérogénéité en calculant le score Z. L’effet médiateur est significativement modéré (différent selon les groupes) lorsque la valeur de ce test dépasse le seuil de 1,96.

Le modèle global, ainsi que ceux spécifiques aux hommes et aux femmes, présentent un bon ajustement aux données. Dans le Tableau 3, nous présentons les coefficients non standardisés pour chaque relation examinée dans notre modèle de recherche. Soulignons que ce choix de reporter les paramètres non standardisés plutôt que ceux standardisés est vivement recommandé par les chercheurs pour les analyses multigroupes visant la comparaison (Asher, 1976; Kline, 2005; Schumacker et Lomax, 2004).

Tableau 3

Liens structurels entre les variables à l’étude

Liens structurels entre les variables à l’étude

Note. N = 237, 137 hommes, 100 femmes. Coefficients non standardisés. SMC (Squared Multiple Correlations) correspondent aux coefficients de détermination.

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Nous avons formulé l’hypothèse d’un lien positif entre les deux formes du mentorat et la réussite objective de carrière. Les liens structurels entre ces construits s’avèrent significativement positifs, aussi bien pour le mentorat instrumental (b = 0,417, p<0,05) que pour le mentorat psychosocial (b = 0,550, p<0,01). H1 est donc vérifiée.

L’hypothèse H2, selon laquelle le mentorat, sous ses deux variantes, est positivement associé à la réussite subjective de carrière n’est pas vérifiée pour l’échantillon global (mentorat psychosocial : b = 0,011, p>0,05) et (mentorat instrumental: b = -0,080, p>0,05).

L’effet indirect du mentorat instrumental sur la réussite subjective de carrière par l’entremise des promotions obtenues s’avère non significatif (p = 0,058), la valeur nulle étant incluse dans l’intervalle de confiance du bootstrap [-0,005; 0,270]. L’hypothèse H3a n’est donc pas vérifiée. En revanche, nos résultats montrent que l’effet du mentorat psychosocial sur la réussite subjective de carrière est médiatisé par la réussite objective. L’intervalle de confiance du bootstrap ne contient pas zéro [0,048; 0,336], p=0,006. L’hypothèse H3b est donc vérifiée pour l’échantillon total.

L’analyse multigroupes fait ressortir des résultats mitigés pour les hommes et les femmes. Ainsi, le mentorat instrumental est positivement associé à la réussite objective de carrière des femmes (b = 0,587, p<0.01), tandis qu’il ne semble pas avoir un impact sur le succès objectif des hommes (b = 0,483, p>0.05). Ces résultats semblent plaider en faveur de l’hypothèse 4. Toutefois, pour leur conférer plus de robustesse, nous avons effectué le test de différence du chi-deux qui s’est révélé non significatif (Δχ2(1) = 0,085<3,84; p=0,775). L’hypothèse H4 est ainsi partiellement soutenue par nos résultats.

En examinant le modèle spécifique aux hommes, le lien structurel entre le mentorat psychosocial et la réussite objective est significatif. (b = 0,852, p<0,01). Cette relation demeure non vérifiée chez les femmes. En effet, le coefficient liant le mentorat psychosocial à la réussite objective est non significatif (β = -0,051, p>0,05). Nous serions donc tentés d’affirmer notre hypothèse 5 qui stipule que le genre modère la relation entre le mentorat psychosocial et la réussite de carrière objective ; de manière à ce que cette relation soit plus forte pour les hommes. Le test d’invariance structurelle s’avère significatif et corrobore nos attentes (Δχ2(1) = 5,551 >3,84; p = 0,018). L’hypothèse H5 est donc vérifiée.

L’hypothèse H6, selon laquelle le genre modère le lien entre le mentorat instrumental et la réussite subjective de carrière de manière à ce que la relation positive soit plus forte pour les femmes, n’a pas été corroborée. Ce lien est non significatif aussi bien chez les hommes (β = 0,058, p>0,05) que chez les femmes (β = -0,078, p>0,05).

L’effet indirect du mentorat sur la réussite subjective de carrière, via la variable médiatrice (réussite objective de carrière), varie en fonction du genre. Ainsi, l’effet indirect de la dimension instrumentale est vérifié seulement pour les femmes [0,045, 0,396] puisque le zéro appartient à l’intervalle de confiance pour les hommes [-0,054, 0,374]. Toutefois, cette médiation modérée n’est pas statistiquement significative (z = 0,365; p = 0,715). A contrario, l’effet indirect de la dimension psychosociale est vérifié uniquement pour les hommes [0,068, 0,510] tandis que chez les femmes, l’intervalle de confiance du bootstrap inclut zéro [-0,204, 0,164]. Cette médiation modérée est statistiquement significative (z = 1,971; p = 0,049).

Discussion

Le but de ce travail est de cerner les différences liées au genre dans l’impact du mentorat sur la réussite de carrière. Dans la littérature, de nombreux travaux soutiennent l’influence du mentorat sur le succès de carrière (Allen et al., 2004; Bozionelos et al., 2016) et plusieurs recherches mettent en exergue l’effet modérateur du genre dans cette relation (Dougherty et al., 2013; Ragins et Cotton, 1999; Tharenou, 2005). Toutefois, à notre connaissance, aucune étude empirique n’a testé jusqu’ici les liens entre ces trois variables dans un unique et même modèle conceptuel, en intégrant aussi bien les deux aspects de la réussite de carrière que les deux types du mentorat reçu. Ce constat nous amène à affirmer que notre étude serait la première à incorporer ces trois variables, tout en considérant leur dimensionnalité.

Tout d’abord, nos analyses descriptives montrent que les femmes ont obtenu moins de promotions, ce qui corrobore des études antérieures ayant mis l’accent sur la persistance du plafond de verre (Yap et Konrad, 2009). Les femmes semblent aussi moins satisfaites de leur carrière. Ceci remet en question les résultats d’études antérieures (Stumpf et Tymon, 2012) où les femmes auraient un niveau de succès de carrière subjectif équivalent à ceux des hommes en dépit du plafond de verre étant donné qu’elles ont moins d’attentes (Schweitzer et al., 2011). Au regard des résultats de notre recherche, il ressort aussi que les femmes perçoivent moins de soutien de la part de leur mentor, notamment d’ordre psychosocial. Un facteur explicatif permettant d’interpréter le faible niveau du mentorat psychosocial perçu par les femmes pourrait être que le rôle de mentor incombe essentiellement aux hommes et que peu de femmes remplissent ce rôle pour leurs collègues féminins. Or, il ressort des recherches antérieures que les protégés impliqués dans une dyade de sexe opposé rapportent recevoir moins de soutien sur le plan psychosocial que les protégés de dyade de même sexe (Avery et al., 2008; Sosik et Godshalk, 2000).

Si la présente recherche démontre que pour les hommes, comme pour les femmes, le soutien prodigué par le mentor est associé à la réussite de carrière objective, il n’en demeure pas de même pour le type du mentorat à l’origine de cette réussite. En effet, en nous intéressant aux résultats pour le groupe des femmes et en reprenant les rôles de mentor tels que définis par Kram (1983), il s’avère que les fonctions relatives au rôle professionnel englobant les activités qui servent à favoriser l’avancement de la protégée sont les seules associées à leur progression de carrière. A contrario, il s’avère que seules les fonctions relatives au coaching, à la visibilité, au soutien et à la protection auraient un impact positif sur le nombre de promotions obtenues par les hommes. En assumant son rôle psychologique, le mentor favorise le développement personnel de ses protégés masculins au niveau de leur estime personnelle, de la connaissance de soi, du sentiment de compétence et d’affirmation de l’identité, ce qui se répercute sur leur réussite objective de carrière (Wanberg et al., 2003).

Nos résultats vont dans le sens de ceux rapportés par Schor (1997) qui a trouvé que les femmes, contrairement à leurs collègues de la gent masculine, insistaient sur l’importance des mentors pour leur réussite de carrière. Ce résultat est corroboré par d’autres recherches, à l’instar de Johnson et Scandura (1994), qui n’ont pas pu établir de relation significative entre les fonctions psychosociales assumées par le mentor et le niveau de salaire des femmes. D’ailleurs, selon certains, l’aide psychosociale pourrait venir entraver l’avancement des femmes puisqu’elle fait plutôt appel aux émotions (Lyness et Thompson, 2000 ; Tharenou, 2005). Dans la mesure où elles sont confrontées à plus d’obstacles que leurs collègues masculins, les femmes auraient, afin de briser le plafond de verre, davantage besoin d’être coachées et sponsorisées pour pouvoir gravir les échelons. Ces résultats permettent de relativiser ceux obtenus par Metz et Tharenou (2001) faisant état de l’inexistence de l’effet du mentorat sur l’avancement de carrière des femmes cadres (inférieures et supérieures), voire d’un lien négatif pour les cadres intermédiaires dans les banques australiennes. En effet, au lieu d’appréhender le mentorat comme un construit global, une analyse plus fine nous a permis d’apporter une précision quant à la nature du mentorat affectant la réussite de carrière.

Contrairement à nos hypothèses, la présente étude montre l’inexistence d’un lien direct entre les fonctions du mentorat et la réussite subjective et ce, aussi bien pour les hommes que les femmes. Ces résultats vont à l’encontre des études qui rapportent une contribution majeure du mentorat au succès de carrière subjectif (Allen et al., 2004; Bozionelos et Wang, 2006; Ng et Feldman, 2014), mais confirment tout de même certaines recherches antérieures au sujet du rôle controversé du mentorat dans le succès subjectif de carrière (Lortie-Lussier et Rinfret, 2005). Ce résultat va aussi dans le même sens que celui de Bozionelos (2006) qui n’a pu établir aucun lien reliant le mentorat à la réussite de carrière intrinsèque chez les employés de banque en Grèce.

Toutefois, les résultats permettent de mettre en lumière un effet indirect du mentorat psychosocial sur la réussite subjective des hommes par le biais de leur succès objectif. Plus un soutien psychologique de la part du mentor est perçu, plus les hommes arrivent à obtenir des promotions et plus ils estiment avoir réussi leur carrière. En effet, en lui servant de confident, en le sécurisant, le mentor est susceptible de motiver son protégé à gravir les échelons et pourrait faire en sorte que ce dernier se sente plus satisfait de sa carrière. Quant aux femmes, elles ne parviennent pas à instrumentaliser le mentorat psychosocial reçu, d’ailleurs moins important que celui dont bénéficient leurs collègues masculins, afin de réussir leur carrière aussi bien objective que subjective.

Conclusion

Le principal apport de cette étude est d’avoir permis de mettre en évidence le rôle modérateur du genre sur la relation entre mentorat et réussite de carrière. Nos résultats viennent supporter l’idée selon laquelle les fonctions de mentorat ne participent pas de façon équivalente au succès de carrière des hommes et des femmes. Les managers devraient être particulièrement attentifs à ces différences.

Cette recherche apporte de nouveaux éclairages pour mieux appréhender certaines pratiques de gestion des carrières susceptibles de réduire les inégalités envers les femmes. Les responsables de ressources humaines pourraient aider ces dernières dans leur carrière en mettant en place des programmes de mentorat formel et en améliorant les dispositifs de coaching. Les bonnes pratiques consistent aussi à soutenir la formation de réseaux féminins, créant une dynamique du changement de sorte que la protégée soit accompagnée par une femme mentor. Ce type de dyade semble fournir davantage de soutien psychosocial (Blake-Beard et al., 2011).

En dépit de ces apports, il importe de reconnaître que cette recherche comporte un certain nombre de limites. D’abord, sur le plan méthodologique, la réussite de carrière objective a été mesurée par une échelle mono-item, soit le nombre de promotions obtenues. Même si ce choix est défendable, il aurait été intéressant d’inclure le salaire comme second critère de mesure. Cela ne nous a pas été possible car la rémunération demeure un sujet sensible dans le contexte tunisien où la majorité des répondants sont réticents face à ce type de question. Une autre faiblesse méthodologique réside dans notre méthode de traduction des échelles puisque la traduction inversée aurait été plus fiable. De plus, notre étude présente une validité externe limitée étant donné que les répondants proviennent uniquement du secteur bancaire tunisien, limitant ainsi la généralisation de nos résultats. Ces derniers auraient une portée plus grande si, dans les futures recherches, on répliquait l’étude dans d’autres environnements sectoriels, voire dans d’autres contextes culturels. D’ailleurs, hormis les éventuelles différences interculturelles, nous suggérons de tester notre modèle à la lumière des différences intergénérationnelles. En effet, trois générations cohabitent dans les banques tunisiennes (baby-boomers, X et Y); une avenue de recherche serait donc d’investiguer les implications de cette diversité générationnelle sur la relation entre mentorat reçu et réussite de carrière. De surcroît, la forte intégration des TIC dans le secteur bancaire peut être une piste pour étudier le mentorat inversé, où ce sont plutôt les jeunes qui soutiennent leurs aînés. Par ailleurs, dans la mesure où nous avons fait appel à un devis transversal, il demeure impossible de confirmer le sens des causalités supposées. Dès lors, il serait opportun de mener dans le futur une étude longitudinale qui permettrait de pallier cette limite. Enfin, une piste intéressante serait d’examiner le rôle modérateur du genre dans la relation entre mentorat et réussite de carrière du mentor et non du protégé.