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Introduction

Depuis un certain temps la GRH connaît d’importantes mutations, car elle s’inscrit davantage dans une logique partenariale (Bories-Azeau et al., 2015) où l’inclusion d’une variété de partenaires externes à l’organisation occupe une place de choix. Parallèlement, la GRH devient plus sociale et pluraliste, entrant désormais dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ne se concentrant plus uniquement sur la diversité et la qualité de vie au travail, mais dépassant dorénavant les frontières organisationnelles[1]. En faisant preuve d’une plus grande flexibilité, cette nouvelle approche permet de faire face aux turbulences de l’environnement en ajustant la masse salariale, via notamment le prêt de main-d’oeuvre (Calamel et al., 2014).

Dans ce nouveau contexte, les salariés, quant à eux, voient leurs attentes et leurs intérêts davantage pris en compte grâce à leur participation au dialogue social et à la construction de cette nouvelle forme de GRH. Si les grandes entreprises ont été les premières à s’emparer de la RSE, les PME n’ont pas tardé à leur emboîter le pas en s’engageant dans cette démarche (Courrent, 2012). Celle-ci est généralement portée par le dirigeant au travers de ses convictions éthiques (Jones, 1999), ce qui influence généralement la GRH déployée (Mahé de Boislandelle, 2015).

Si le dirigeant peut être un facilitateur à la construction de cette GRH, en raison de la centralisation du pouvoir qui caractérise les PME (Julien, 2002), qu’en est-il en ce qui a trait à la GRH sociétale? Nous entendons par GRH sociétale, une GRH responsable et qui engage une pluralité d’acteurs, tant internes qu’externes.

En se fondant sur l’approche contextualiste de la GRH de Pichault et Nizet (2013), cette présente recherche a pour finalité de comprendre comment instaurer une GRH sociétale. Cette grille de lecture nous permet d’étudier le déploiement de cette forme alternative de GRH à travers trois réalités conceptuelles inter-reliées : le contexte, le contenu et le processus. Les pratiques de GRH effectives, les acteurs impliqués dans la construction, tout comme les facteurs internes et externes qui influencent cette GRH sociétale sont ainsi mis en lumière. C’est ce que nous analysons dans le cadre de l’étude d’une PME du secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS).

Dans une première partie, nous explorons, dans le cadre d’une revue de littérature, les liens existants entre le dirigeant de PME et sa GRH, ainsi que les nouvelles formes que cette dernière est susceptible de prendre dans ce type de structure. Dans un second temps, nous analysons le cas d’une PME française du secteur de l’économie sociale et sociale qui a construit une GRH sociétale. Quant aux résultats observés, ils sont discutés dans notre troisième et dernière section.

La GRH en PME et l’approche contextualiste

Si les PME ont un mode de gestion qui leur est propre, le bon sens voudrait que leur GRH possède des spécificités. De plus, celle-ci peut emprunter de nouvelles trajectoires d’évolution. Nous mobilisons l’approche contextualiste de la GRH de Pichault et Nizet (2013) afin de mieux comprendre le phénomène.

La PME : entre spécificités et proximité

Au-delà des critères quantitatifs relatifs à la taille des PME, des aspects plus qualitatifs apportent des éclaircissements sur ce type de structure. Julien (2002) lui attribue plusieurs spécificités. La gestion de l’entreprise est tout d’abord centralisée autour du dirigeant, renforçant ainsi son pouvoir. De plus, il existe une faible spécialisation des tâches compte tenu de la taille de l’effectif et la polyvalence est souvent nécessaire. La PME possède des systèmes d’information informels et simples au bénéfice de la communication directe en raison du faible nombre d’échelons hiérarchiques. Enfin, elle se reconnaît à la nature de la stratégie qualifiée d’implicite mise en oeuvre par le dirigeant et qui va de pair avec sa vision à court terme. En outre, spécificités riment également avec mode de gestion de proximité (Torrès et Enrico, 2014). Les PME sont des entreprises à taille humaine au sein desquels le dirigeant a tissé des liens affectifs avec ses collaborateurs en raison de la petite taille de l’entreprise et de la proximité hiérarchique. Wolff et Pett (2006) rappellent que, comme les PME possèdent des ressources limitées, leurs carences peuvent être multiples puisque celles-ci doivent être traités toutes les facettes de la réalité, soit aussi bien les aspects financiers, matériels qu’humains. En plus de ces diverses tâches, le manque de temps peut venir s’ajouter. Toutefois, la flexibilité reste l’apanage de ce type structure (Hausman, 2005). Habituellement, compte tenu de leur taille réduite, les PME peuvent plus rapidement et aisément s’adapter aux évolutions internes et externes auxquelles elles sont confrontées (Wolf, Kaudela-Baum et Meissner, 2012).

Les spécificités de la GRH en PME

Si la GRH des grandes entreprises est faite d’une myriade de procédures, celle des PME reste un peu plus obscure. Les PME étant hétérogènes, il n’existe pas de mode d’emploi en matière de GRH. Les pratiques dans ce domaine sont généralement peu formalisées (Storey et al., 2010) et elles s’avèrent souvent autocentrées sur le dirigeant. En effet, ce dernier, à travers ses caractéristiques personnelles, son réseau et sa vision stratégique, joue un rôle-clé et conditionne en bonne partie la GRH de son entreprise (Galang et Osman, 2014). Pour recruter, le dirigeant a tendance à se tourner vers son réseau personnel et professionnel (Torrès et Enrico, 2014). Pichault et Nizet (2013) constatent que l’évolution des salariés dépend en partie du bon vouloir du dirigeant. L’attribution des primes se fait également à la guise de celui-ci. De plus, le dirigeant souhaite généralement demeurer en vase-clos et il préfère souvent demander à ses collaborateurs de faire des heures supplémentaires, plutôt que de recruter de nouveaux salariés. Ainsi, la palette d’outils RH dont disposent les PME se révèle être assez étroite. La GRH en PME n’est pas prédéterminée, elle se construit chemin faisant et elle sera fonction des besoins de l’entreprise et des évolutions de son environnement externe.

Récemment, d’autres formes de GRH, plus adaptée à l’environnement socio-économique actuel, ont été mises en lumière. En effet, la RSE s’est invitée dans les entreprises et doit être articulée avec la GRH en raison de ses répercussions sur le mode de gestion des collaborateurs. Selon la norme ISO 26000, la RSE est principalement centrée sur la contribution au développement durable. Un comportement éthique tant sur le plan interne qu’externe et une communication transparente envers les parties prenantes en constituent les principes fondateurs. L’adoption de la RSE résulte davantage d’un choix du dirigeant fondé sur ses valeurs que d’un isomorphisme institutionnel (Murillo et Lozano, 2006). La transposition des valeurs éthiques du dirigeant s’inscrirait plus dans une perspective volontariste que déterministe. Au sein des PME, le dirigeant possède un pouvoir discrétionnaire qui lui offre la possibilité d’intégrer ses convictions éthiques au sein de sa GRH (Jones, 1999) et d’ainsi bouleverser les pratiques traditionnelles. St-Pierre et Cadieux (2011 : 39), dans leur typologie inhérente à la performance à travers le regard des dirigeants de PME, parlent de performance durable. Celle-ci repose sur le maintien des emplois, l’investissement dans la société, la qualité de vie du personnel, la réputation de l’entreprise, ainsi que sur l’équilibre entre santé financière, implication sociale et respect de l’environnement.

Afin de comprendre la dynamique d’évolution de la GRH en PME empreint d’une démarche de RSE et ouverte à des partenaires externes, nous avons choisi comme ancrage théorique l’approche contextualiste de Pichault et Nizet (2013) qui permet d’étudier la dynamique d’évolution des pratiques de GRH effectives placées dans un contexte de changement.

Une analyse contextualiste de la GRH

À l’instar de Ajzen et al., (2016), nous considérons le poids des variables contextuelles en TPE et PME nécessaire à l’étude de sa GRH. Cette GRH qui évolue, se transforme, s’adapte dans un environnement mouvant où la flexibilité est de rigueur. En outre, de plus en plus de chercheurs plaident davantage en faveur d’une approche contextualisée de la GRH, dépassant ainsi la vision unitariste (Boxall et Purcell, 2003). Allant à contre-courant des approches universalistes, nous considérons, à l’instar de ces auteurs, que la GRH se construit en fonction des contextes. En ce sens, le cadre général du contextualisme (Pettigrew, 1990) paraît pertinent. Celui-ci appelle à étudier le changement organisationnel en se focalisant sur trois concepts-clés et leurs interrelations — soit le contexte, le contenu, le processus.

Ce méta-cadre théorique adapté par Pichault et Nizet (2013) permet d’enchâsser une perspective contingente et une perspective politique afin de comprendre la diversité des pratiques de GRH. Le contenu représente les pratiques de GRH : celles-ci appelées par les auteurs « conventions ». Ils en distinguent cinq, soit les conventions discrétionnaire, objectivante, individualisante, délibérative et valorielle. La convention discrétionnaire contient des pratiques de GRH informelles et arbitraires au regard du rôle central joué par le dirigeant dont les décisions sont fondées sur des critères subjectifs.

La perspective contingente est mobilisée dans une optique de compréhension des choix en matière de GRH tributaires des contraintes du contexte interne (structure organisationnelle, stratégie, dirigeant) et externe. Parmi les facteurs externes, Boxall et Purcell (2003) ont mis en lumière le rôle-clé joué, entre autres, par l’environnement économique et la technologie. La perspective politique désigne le fait que les pratiques de GRH sont aussi le résultat des jeux de pouvoirs entre acteurs, en soulignant les tensions vécues. Pichault et Nizet (2013) décrivent les stratégies des acteurs et leur mobilisation des contextes dans le but de faire prévaloir les pratiques de GRH qui correspondent à leurs intérêts. La GRH doit posséder un caractère pluraliste. En effet même si les intérêts des dirigeants priment, il est primordial de créer des « compromis, implicite ou explicite, entre les intérêts des propriétaires et ceux des salariés, ainsi qu’entre les différents groupes d’employés » (Beer et al., 1984 : 22). Les auteurs appellent à trouver la meilleure adéquation possible entre les intérêts du salarié et ceux du management. Ces jeux d’acteurs ont lieu au sein de chaque convention, mais aussi entre conventions. Toutefois, les intérêts et les caractéristiques des salariés sont souvent occultés et leur contribution est peu prise en considération dans un contexte de mondialisation et de territorialisation de la GRH (Boxall, 2014). Dans les situations de changement organisationnel, ce processus politique affecte les dynamiques de transition en matière de GRH. Les tensions et conflits peuvent prendre la forme d’un système en équilibre dynamique par lequel la GRH s’ajuste aux évolutions des contextes internes et externes. À l’inverse, des situations de jeux politiques extrêmes peuvent conduire à une situation de blocage où la GRH reste déconnectée des évolutions des contextes (Graphique 1).

Graphique 1

L’approche contextualiste de la GRH adaptée à la PME

L’approche contextualiste de la GRH adaptée à la PME

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Au regard de l’essor du développement de la RSE et des relations nouées avec les partenaires externes, il convient de s’interroger sur la dynamique d’évolution des pratiques de GRH des PME qui sont le plus souvent arbitraires et informelles. Autrement dit, comment construire une GRH sociétale? Cette forme de GRH comporterait une double dimension. D’une part, elle possèderait un caractère pluraliste et social dans la mesure où les intérêts de la direction, des managers et des salariés seraient pris en considération (Beer et al., 1984; Legge 2005) et des pratiques de GRH davantage porteuses de sens et d’éthique (Taskin et Dietrich, 2016) seraient déployées. D’autre part, elle se veut ouverte puisqu’elle tient compte des évolutions de la société (Boxall et Purcell, 2003) et qu’elle intègre différents partenaires externes.

Vers la construction d’une GRH sociétale en PME

La méthodologie de l’étude conduite dans une PME française du secteur de l’économie sociale et solidaire, de même que les principaux résultats observés sont présentés dans les sections suivantes.

Méthodologie : une étude qualitative et longitudinale

Nous avons choisi d’étudier un cas unique de PME afin de décrire et comprendre l’émergence et la construction de sa GRH sociétale. Bien qu’une étude de cas unique possède un caractère idiosyncratique et rend difficile la généralisation des résultats (Hlady Rispal, 2002), elle présente un intérêt certain dans le cadre d’une approche renouvelée de la GRH. L’étude de cas permet également d’expliquer des dynamiques ou des processus complexes, ou encore rares, à la suite d’un examen détaillé des phénomènes observés (Yin, 2012). L’auteur rappelle qu’il est primordial de s’intéresser aux acteurs, ainsi qu’à leurs actions, tout en les resituant dans le contexte au sein duquel ils interagissent. Afin de comprendre et d’identifier le processus de construction de cette GRH alternative, une étude longitudinale a été menée (Iacobbucci et Rosa, 2010) sur une période de trois ans comprise entre 2014 et 2017. S’agissant d’une recherche à valeur exploratoire, une monographie réalisée de façon longitudinale a été menée auprès de la PME Persontop.

La PME Persontop, créée en 2000, est une plateforme d’intermédiation sociale. Initialement, le dirigeant a proposé ce dispositif sociétal à l’État dans le but d’en faire un service public. Devant les nombreux freins rencontrés, il a préféré créer une entreprise sociale et solidaire. Cette PME offre des prestations de conseil et d’accompagnement pour le compte d’organisations appartenant au secteur de la protection sociale, ce qui leur permet de répondre aux préoccupations de leurs bénéficiaires, dont le nombre a atteint les 12 millions aujourd’hui. Ses clients sont des groupes de la prévoyance sociale, des mutuelles, de grandes entreprises et diverses organisations.

En 2016, l’entreprise, dirigée par son fondateur, comprend 94 collaborateurs répartis entre trois sites en France. Cette PME participe à la vie du territoire sur lequel elle est implantée en intégrant des entreprises de démarrage (start-ups) et en accompagnant leur développement. Elle place l’humain au centre, et bien qu’elle ne soit pas certifiée ISO 26000, elle propose une approche qui va au-delà :

Je développe une démarche sur la prise en considération de la personne portée à l’échelle du conseil économique, social et environnemental avec une ambition très très forte ; on en a fait une démarche d’ambassadeurs, de la question de la personne comme objet économique et social.

Dirigeant

Ce cas nous paraît pertinent au regard de notre question de recherche puisque le secteur de l’ESS connaît d’importantes mutations qui mettent sous tension ces organisations. En outre, à partir de 50 salariés, une PME commence à structurer sa GRH, passant d’un niveau administratif à un niveau de gestion stratégique des ressources humaines (Mahé de Boislandelle, 2015), ce qui engendre alors des difficultés d’organisation. Enfin, le dirigeant a mis en oeuvre une GRH bienveillante et responsable, tout en collaborant avec des partenaires externes à l’organisation.

Après, une première rencontre avec la responsable RH et une visite de l’entreprise en 2014, nous avons mené au total 25 entretiens de 2015 à 2017 (voir Tableau 2 plus loin). Une première série d’investigation s’est déroulée en 2015 : deux récits de vie ont été récoltés auprès du dirigeant et du directeur général. Le récit de vie nous a permis de mieux cerner le profil des dirigeants. En effet, cette forme d’entretien procure l’occasion de « recueillir des réponses d’une dimension plus difficilement atteignable par l’approche par questions semi-directives » (Sanséau, 2005 : 34-35). La narration du dirigeant nous a aidés à retracer son parcours. Il s’agissait de faire ressortir sa personnalité et ses valeurs. Nous avons choisi de laisser les dirigeants s’exprimer librement à partir de la question suivante : « Pouvez-vous nous raconter comment vous avez organisé votre GRH? ».

Nous avons également réalisé des entretiens semi-directifs, notre guide était composé des trois thèmes suivants : 1- L’organisation et sa stratégie, 2- l’organisation et son environnement, et 3- la GRH. Quatre entretiens semi-directifs ont, ensuite, été menés avec des salariés. Une seconde série d’investigation reposant sur 14 entretiens semi-directifs a été réalisée en 2016. Enfin, en 2017, cinq entretiens semi-directifs ont été conduits auprès de partenaires externes. De plus, nous avons effectué de l’observation in situ. Celle-ci a consisté principalement à faire de la double écoute sur les plateaux téléphoniques avec les conseillers pendant deux jours afin d’identifier les relations interpersonnelles et de cerner, d’une façon plus générale, l’ambiance de travail. Par ailleurs, nous avons analysé des documents internes et externes à l’entreprise.

Tous les entretiens menés ont été enregistrés et intégralement retranscrits. Une fiche de synthèse de l’entretien a été envoyée et validée par chaque interlocuteur. Ces entretiens visaient à identifier la perception des acteurs en ce qui a trait à la dynamique d’évolution de cette politique de GRH. Parallèlement, trois restitutions de résultats ont été organisées : la première auprès d’autres PME et de chercheurs en GRH (2015), la deuxième auprès de l’équipe de direction (2016) et, en septembre 2017, une restitution finale auprès de PME de la région. La dernière restitution s’est déroulée de la manière suivante : un tour de table, un rappel des objectifs de l’étude, une présentation des principaux enseignements tirés, une discussion sur les pratiques présentées et une conclusion/synthèse. À l’issue de la restitution, un compte-rendu de la rencontre (executive summary en anglais) a été envoyé aux participants afin de bénéficier d’un nouvel effet miroir (Tableau 1).

Table 1

Présentation et détails de la méthodologie

Présentation et détails de la méthodologie

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Nous avons analysé nos résultats avec la Méthode Gioia (Gioia et al., 2013), méthode qui permet un couplage entre évolution de l’approche méthodologique et développement des modélisations processuelles (Langley, 1999, cité par Gioia et al., 2013). Elle est particulièrement adaptée à l’étude approfondie d’un cas unique dans la mesure où elle permet d’accéder à des données riches (Langley et Abdallah, 2011). Cette analyse nous a permis d’aboutir à une grille d’analyse thématique retraçant le processus de construction de cette GRH sociétale (Graphique 2).

Graphique 2

Grille thématique processuelle du cas étudié (inspirée de Gioia et al.,2013)

Grille thématique processuelle du cas étudié (inspirée de Gioia et al.,2013)

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Les résultats : la GRH sociétale, entre collaborations et frustrations

L’émergence d’une GRH sociétale : vers la création d’un pacte social

Afin de comprendre l’émergence de cette GRH, revenons sur le profil atypique de son dirigeant.

Diplômé d’une maîtrise (master) en psychologie du travail et en ergonomie, Claude a fondé Persontop en 2000. Avant de se lancer dans cette aventure, il a fait ses premiers pas au sein du groupe Orange, où il a occupé un poste de DRH. Très vite rattrapé par son envie d’entreprendre, il décide de créer un cabinet d’experts-conseils spécialisé dans l’accompagnement des politiques publiques. Lors d’un voyage au Québec (Canada), il découvre l’approche outre-Atlantique basée sur la prise en compte de la personne, approche dont il s’inspire pour créer Persontop :

De fil en aiguille, je me suis spécialisé, si j’ose dire, plutôt dans les problématiques de conduite du changement stratégique ou d’évolution de politiques publiques. (…) Tout ça, ça m’a animé pendant 10 ans. C’est dans ce parcours-là, dès 1997, que je me suis intéressé au système de santé qui faisait partie, pour moi, des chantiers sur lesquels je travaillais. Quand je dis système de santé, c’est au sens large, c’est-à-dire les politiques sociales et les politiques de santé. Donc, via le gouvernement qui travaillait beaucoup outre-Atlantique sur les réformes, on est allé copier un peu ce qu’il se passait au [Québec], Canada. J’ai été fortement inspiré, non pas d’aller au [Québec], Canada, mais de ce que j’ai rencontré là-bas : ça a été un grand choc.

Récit de vie du dirigeant

Claude est un entrepreneur social avec de fortes convictions tournées vers la prise en considération de l’humain, convictions auxquelles il attache une grande importance. Profondément ancrées dans l’entreprise, ses valeurs sont principalement : la solidarité, l’engagement et le respect. Il prête également attention au bien-être de ses collaborateurs :

Il me vient à l’idée, j’y étais quand même une fois par mois, de proposer finalement une approche du service dans une société où c’est de plus en plus complexe administrativement : de façon réglementaire, on n’y comprend rien, on ne sait pas à qui s’adresser. Et, a fortiori, quand on est une personne fragile. [L’idée de base,] c’est comment proposer un dispositif qui permet d’accompagner les gens et de les considérer comme une personne.

Dirigeant

Claude veille à ce que son entreprise se développe, tout en créant de la valeur et des externalités positives, afin de résoudre des problèmes sociaux. Pour ce faire, animé par la volonté de faire des rencontres, il développe de nouvelles collaborations avec des acteurs divers et variés de son écosystème. Ce dirigeant a mis en oeuvre une stratégie fondée sur la diversification des services, la différenciation par la qualité, ainsi que sur l’innovation.

Afin de développer une politique de GRH cohérente avec ses valeurs personnelles, il s’appuie, dans un premier temps, sur le directeur général, qui est le directeur des ressources humaines dans les faits, puis sur sa responsable des ressources humaines et sur les IRP (Instances représentatives du personnel), ainsi que sur des partenaires externes. Plus précisément, en 2011 dans un contexte de crise économique, sous l’impulsion de son dirigeant, le pacte social a été élaboré au sein de la PME Persontop. Il repose sur la collaboration de multiples acteurs de l’entreprise (direction, responsables de l’encadrement, représentants des salariés et employés) qui ont tous oeuvré conjointement à son émergence :

On a signé, en 2011, un pacte social. Le pacte social, c’est des engagements : c’est l’engagement de l’ensemble des acteurs de l’entreprise qui est mis sur la table pour que, collectivement, on tienne nos engagements en termes de respect, de bien vivre ensemble et de responsabilité collective.

Dirigeant

Un acteur-clé dans son émergence, outre le dirigeant, a été le directeur-général. Ce dernier, après avoir obtenu son diplôme d’expertise comptable, a exercé plusieurs années en tant que travailleur indépendant dans le domaine des assurances. En parallèle, il comptait également diverses expériences dans le milieu associatif, avant de rejoindre Persontop en 2008 :

J’ai fait des études d’expertise comptable, (…) après, j’ai travaillé en accompagnement pour des grands comptes dans le milieu assuranciel et j’ai aussi travaillé en milieu associatif pour une fédération nationale de sport collectif, le basket en l’occurrence, sur lequel j’étais en charge de l’intégration des politiques territoriales avant de rejoindre Persontop.

Récit de vie DG

Concernant l’entrée en fonction de ce nouveau venu, le dirigeant de Persontop ajoute :

À l’arrivée de notre DG, le service RH s’est vraiment impliqué un peu plus dans l’accompagnement, on a vu une GRH émergée. […] On a notre DG qui est moins dans la créativité, mais qui est [davantage] dans l’intention, et vu que tout passe par lui dans la validation des projets, je pense qu’il est un pilier de tout ça parce qu’évidemment sans sa validation, on ne peut rien faire.

RRH

Le directeur général vient donc en soutien au dirigeant afin de développer le pacte social.

La même année, le pacte social s’est progressivement accompagné de la mise en place d’une commission visant à assurer son évolution. À titre d’exemple, cette commission a permis de statuer de façon collégiale sur la rémunération du dirigeant qui ne doit pas être plus de six fois supérieure au salaire le plus bas de l’entreprise. De nombreux acteurs ont pris part à cette décision : des IRP, des collaborateurs, ainsi que le principal concerné, le dirigeant. Cette instance vise à faire vivre le pacte social, sujet à des propositions et à des remises en questions perpétuelles : « C’est une instance qui se réunit une fois tous les deux mois et qui est composé de tout type de métier au niveau hiérarchique, etc. » (RRH)

L’objectif du dirigeant est d’instaurer un véritable dialogue avec les salariés : il leur est demandé de faire part de leurs besoins au quotidien afin d’éviter toute forme de frustration qui pourrait nuire au climat social : « Répondre à des besoins exprimés, je ne sais pas faire des fois, mais au moins je peux les entendre, regarder si je peux y répondre, et si je t’apporte une réponse, en te disant : ‘Oui je peux répondre.’ ou ‘Non, je ne peux pas répondre.’, et le pourquoi. Au moins, tu sauras ! » (Responsable du service rendu)

Ce pacte social permet de consolider un contexte propice à de l’échange et de l’entraide, il est finalement le reflet de la culture de cette organisation : « Mais je pense que la culture d’entreprise est fortement en lien avec le pacte social et les valeurs de l’entreprise (…) où chacun est entendu. » (Responsable d’équipe 1)

Des communautés de pratiques internes avaient, également, été instaurées : « Je sais qu’il y a des ateliers qui sont mis en place où justement d’autres personnes parlent de leur façon de travailler, ça peut être le partage d’expérience » (Responsable Ingénierie métier). La GRH n’est pas dictée par un service dédié, mais elle émane de l’ensemble des collaborateurs, elle est donc partagée et co-construite.

L’évolution d’une GRH sociétale : entre adhésion et frustration

Progressivement, cette GRH, au travers de son pacte social, s’est développée, laissant place à l’adhésion et l’enthousiasme des collaborateurs, tout en générant quelques frustrations.

L’adhésion se traduit ici par de l’entraide entre salariés titulaires expérimentés et nouveaux venus en situation de précarité. En effet, lorsqu’un salarié dont le contrat va prendre fin est en recherche active d’emploi, un accompagnement est proposé afin de retravailler leur CV et de capitaliser sur leurs expériences : « Moi j’ai toujours proposé, y compris à des gens que l’on a eu en CDD, de les aider à mettre à jour leur CV en sortant de chez nous, de nous le faire relire pour voir s’ils ont bien expliqué ce qu’ils avaient appris. » (Responsable du Service rendu)

Il s’agit ici d’une co-construction entre salariés : l’objectif est de favoriser l’employabilité des collaborateurs, c’est-à-dire leur capacité à s’insérer rapidement sur le marché du travail. Cet objectif, présent dans le pacte social, génère une mobilisation collective de la part de l’ensemble des salariés. Il en est de même pour les personnes souhaitant se reconvertir ou étant en difficultés :

On a des personnes qui n’arrivent pas à suivre et qui demandent une reconversion professionnelle, on va les accompagner, ça fait partie de notre pacte social aussi, on les accompagne par le biais de la formation en général.

RRH

On dépense énormément d’heures à accompagner les gens, à reconnaître la difficulté, (…) le droit à l’erreur. Ça, pour moi, ça explique tout, quelqu’un est en difficulté, du coup l’entreprise va mettre les moyens pour l’accompagner.

Responsable du Service rendu

Les personnes du service RH, la RRH et l’assistante administrative, s’impliquent particulièrement dans la mise en place du pacte social :

On a aujourd’hui, un service RH qui est attentif à ses collaborateurs et qui est attentif à respecter justement le pacte social de l’entreprise et ça, c’est important et, pour moi, ça s’exprime vraiment.

Responsable d’équipe 1

On a un service RH dans le sens humain qui est finalement assez proche des salariés, ce n’est pas une tour d’ivoire, c’est vraiment, voilà, une proximité, il y a de l’écoute, des échanges et de l’accompagnement.

Directrice de l’innovation

Le pacte social repose également sur la mobilisation des managers de proximité, car ces derniers jouent un rôle central dans la transmission d’informations, en donnant du sens au travail et en étant à l’écoute des collaborateurs.

Ce pacte social fédère les collaborateurs autour d’un but commun, tout en générant, au fil des années, certaines difficultés :

Il y a un pacte social (…) Bien évidemment, ce n’est pas toujours simple, je veux dire comme dans toute organisation, il y a parfois des choses qui peuvent être compliquées, des situations qui peuvent être un peu délicates, mais, voilà, je pense que le coeur du fonctionnement de l’entreprise, en tout cas au niveau managérial, y est.

Responsable d’équipe 1

Progressivement en 2013, à la suite de la création du troisième site dans la même région, l’organisation se structure et se formalise. Il s’agit d’une forme de dénaturation de la PME initiale : celle-ci, qui se caractérisait avant tout par une proximité, vient de perdre certaines de ses spécificités, notamment lorsqu’elle prend de l’expansion.

Au cours d’une journée d’observation, nous avons échangé avec certains conseillers téléphoniques nous expliquant qu’ils constataient un recul du lien social : « Ce n’est plus comme avant… Avant, on échangeait tous les matins avec nos responsables! Aujourd’hui, on n’a plus le temps… C’est des réunions plus formelles, qu’on a tous les trimestres à peu près, ou des informations via l’intranet ».

Ce contexte de croissance amène progressivement le dirigeant à structurer son organisation et à formaliser certains outils. L’introduction de ces instruments de gestion sont générateur d’une forme de lassitude se traduisant, notamment par de l’absentéisme : « Ils sont en première ligne, on sent que certains sont fatigués… Cela peut se traduire par de l’absentéisme sur le plateau. » (Responsable d’équipe 2)

Le secteur de l’intermédiation sociale étant en constante évolution, du fait, notamment, de la transformation digitale, de changements législatifs et générationnels, l’organisation doit s’adapter en faisant évoluer les métiers des collaborateurs et leurs outils de travail :

J’aime ce métier, je me sens vraiment utile! Mais, c’est frustrant comme on a des objectifs très quantitatifs maintenant et des temps d’appels à ne pas dépasser… On avait plus de temps pour accompagner les bénéficiaires avant!

Tiré d’un échange avec un conseiller pendant une journée d’observation

En ce sens, la « quantophrénie » nuit à l’échange et au partage, symboles fondateurs du pacte social :

On a eu ce phénomène que j’évoquais, c’est-à-dire, transformation de l’entreprise, arrivée d’activités, etc. Tout ça se croise évidemment avec un pacte social qui sensibilise sur des aspects de responsabilités individuelles et collectives, les outils qui permettent d’accompagner ça, etc., etc.

Dirigeant

Ces propos tenus par le dirigeant illustrent une situation paradoxale : l’environnement évolue et le pacte social se transforme, sans pour autant s’adapter aux divers changements. Générant une perte de cohérence allant jusqu’à une forme de frustration des salariés, le pacte social semble figé au regard de la transformation du métier de cette PME.

Parallèlement au pacte social et à sa commission, un Comité santé bien-être a été créé en 2014. Fondé sur le volontariat, il est composé de membres de la direction, du service RH et du personnel de l’entreprise. Cette instance permet de travailler sur des problématiques rencontrées par les collaborateurs dans leur vie privée et qui impactent leur travail. La thématique actuelle est relative aux aidants et, par conséquent, des aménagements peuvent être réalisés si besoin afin de gérer au mieux l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle :

J’ai une maman qui a une maladie grave. Ça a commencé à m’impacter, j’ai été très fatiguée et je sentais que j’étais près de ne pas être bien... J’ai trouvé un vrai soutien auprès de mon directeur, grâce à des dispositions de réflexion et d’aménagement! Je suis vraiment touchée par rapport à l’attitude qu’à l’entreprise [à mon endroit]! Il y a une grande intelligence face à la situation.

Responsable pédagogique

L’objectif de la direction de Persontop est d’inscrire, dans la durée et dans la lignée des valeurs de son pacte social, une politique de santé et de bien-être qui favorise l’équilibre de vie de chaque collaborateur et permette une dynamique collective (document Politique santé et bien-être de Persontop). Le plan d’action du comité santé bien-être est composé de quatre axes : amélioration des habitudes de vie des salariés (sensibilisation à une alimentation saine), développement équilibre vie privée/vie professionnelle, instauration d’un cadre de travail agréable, développement des pratiques relationnelles, comme la mise en place d’une communication ouverte et transparente. Bien que son objectif soit cohérent avec la culture de cette organisation, dans un contexte mouvant, certaines frustrations apparaissent et les salariés se sentent perdus à cause des diverses commissions existantes et de leur rôle :

C’est vrai qu’il y a eu un gros flottement très compliqué! On posait une question ou on envoyait un courriel (mail) et [on se demandait] qui pouvait s’en saisir, ou au moins répondre… On ne savait pas trop à quoi tout ça servait et qui faisait quoi exactement dans tout ça…

Tutrice conseillère

Il s’agit ici d’un autre paradoxe, dans la mesure où le dirigeant vient ajouter une instance supplémentaire, alors que celle relative au pacte social peine à évoluer et à s’adapter. C’est dans ce contexte que le rôle des partenaires externes a été primordial.

La diffusion d’une GRH sociétale : à la rencontre des partenaires

Je passe mon temps à construire un écosystème ou à être dans un écosystème!

Dirigeant

Du fait de nombreuses frustrations perçues par le dirigeant, ce dernier mobilise les partenaires de son écosystème. Il s’agit d’articuler deux environnements, rendant ainsi les frontières organisationnelles plus perméables :

Nos collaborateurs, la logique RH, la transformation des métiers, l’émergence des nouveaux métiers, la manière dont on anime le collectif, le pacte social de l’entreprise qui est super important pour nous. La capacité à dire, à faire à l’intérieur de l’entreprise, à vendre à l’extérieur, c’est super important.

Dirigeant

Cette dynamique est également portée par d’autres acteurs internes, tels que la directrice de l’innovation qui considère que le pacte social doit s’enrichir par l’environnement :

Au coeur de cette boucle interne, il y a notre pacte social et, donc, c’est toute la politique RH et, en fait, cette boucle-là, par nos métiers, elle est corrélée à ce qu’on appelle la boucle externe, qui est la boucle de notre signature « tournée vers l’humain ».

Directrice de l’innovation

Les acteurs externes sont pleinement conscients de l’enjeu de ce pacte social et de son attrait pour les futurs collaborateurs :

Ce en quoi cette entreprise se distingue des autres clients qu’on peut avoir, c’est vraiment son côté humain et social qu’on trouve dans sa politique de GRH ou tout est pensé en faveur du salarié. On le met en avant et c’est ce qui la rend attractive.

Consultante RH senior cabinet de recrutement

Le pacte social constitue une sorte de modèle reflétant une GRH bienveillante et co-construite entre les acteurs. De fait, le dirigeant et son cercle rapproché sont régulièrement invités à partager leur expérience et à recevoir, en retour, des pistes visant à remettre en question ce pacte social :

Un jour, on avait organisé une table ronde avec plusieurs entreprises pour qu’elle échange sur leur pratique de recrutement et sur leur politique RH plus largement, [Persontop] avait expliqué aux autres son mode de fonctionnement atypique!

Consultante RH senior cabinet de recrutement

Cette organisation est reconnue pour ses pratiques de GRH atypiques, qui sont également alimentées par les partenaires externes.

Dans le cadre de la régulation sociale, la PME possède un Comité de réflexion éthique et scientifique au sein duquel siègent des acteurs externes à l’image du président d’une université française implantée sur son écosystème, ainsi que des experts appartenant au milieu de l’action sociale ou encore de la santé : « On a un comité d’éthique au sein de l’entreprise dans lequel il y a plusieurs personnes, dont le président de l’université » (Responsable de l’information). Le dirigeant de Persontop a aussi mis en place des ateliers externes avec des clients et d’autres partenaires en matière d’innovation : « Avec un client, on a fait une première journée de travail avec ses représentants ! Et on a en fait animé cette journée avec quatre ateliers. » (Directrice de l’innovation)

En outre, parmi les partenaires mobilisés dans le cadre de la formation, on recense des consultants locaux et des membres de la Confédération française démocratique du Travail (CFDT), faisant également partie des clients de l’entreprise, qui interviennent dans le but de familiariser les collaborateurs avec le langage spécifique utilisée dans la fonction publique. Dans le cadre de son offre de prévention santé, elle fait également appel à diverses associations, telles la Croix Rouge : « Il y a beaucoup d’intervenants extérieurs qui sont des intervenants de santé qui vont nous faire des formations sur le diabète, les malades cardio-vasculaires. » (Tutrice-Conseillère)

Par ailleurs, l’entreprise mobilise également des acteurs institutionnels afin de développer la sécurisation des parcours professionnels des collaborateurs. Ces acteurs lui offrent également la possibilité de mutualiser ses actions de formation avec d’autres PME compte tenu de leurs ressources limitées.

Ces relations interorganisationnelles favorisent le développement de nouvelles pratiques, telles que l’évaluation qui repose beaucoup plus sur des valeurs ou, encore, le télétravail :

Il se trouve qu’ils [partenaires d’innovation de Persontop] ont une façon de travailler par des logiques d’atelier etc. Et ça, ça a plu à Juliette! Elle trouve que c’est efficace comme modèle, que c’est à la fois ludique, parce qu’en fait, Juliette est très sensible à ça! Elle pense qu’il faut du plaisir sur les choses sur lesquelles on travaille.

Directrice de l’innovation

Le dirigeant fait appel à d’autres partenaires depuis 2015, tels que l’Institut d’accompagnement psychologique et de ressources (IAPR). Ce dernier gère les problématiques personnelles des collaborateurs ayant des répercussions sur leur travail : « On a un numéro vert que l’on peut appeler en cas de détresse perso ou pro, ou quoi que ce soit, 24h/24, 7j / 7 » (RRH). Il s’agit d’une GRH préventive et anticipative qui vise à écouter et à accompagner les collaborateurs en difficulté. Ces partenaires contribuent à l’évolution significative du pacte social et à pallier certaines difficultés, notamment des frustrations. Afin de nourrir le pacte, un blog a été créé visant à valoriser les réalisations de la PME, tout en donnant la parole aux partenaires. Cet outil permet de diffuser certaines pratiques de GRH dont la finalité est d’aboutir à une labellisation spécifique au secteur d’activité.

Enfin, la direction communique sur ses pratiques de GRH avec l’ensemble des membres de son réseau : clients, concurrents, prestataires de service, milieu communautaire, acteurs politiques, institutionnels, syndicaux, pôle de compétitivité... Si elle s’inspire en partie de pratiques de GRH observées au sein de son écosystème, plus particulièrement, de celles de son partenaire outre-Atlantique et de ses clients partenaires, elle oriente également les pratiques de certains grands groupes : « Le comité santé bien-être, notre réseau l’a mis en place parce qu’ils ont trouvé ça intéressant. Nos accords collectifs servent de temps en temps à des boîtes très grosses. D’ailleurs, notre pacte social aussi. Mais, moi aussi, je m’inspire de leurs méthodes! » (DG). Nous notons la présence d’une influence réciproque à travers l’adoption de comportements mimétiques.

Si la GRH de cette entreprise est socialement engagée, elle possède par ailleurs un caractère pluraliste. En effet, pour construire et développer cette GRH, le dirigeant a tiré profit des ressources offertes par le territoire, ainsi que des compétences disponibles sur celui-ci, tout en s’appuyant sur divers acteurs. Aussi, la dynamique de construction de cette GRH sociétale s’inscrit dans une logique processuelle d’itération qui nécessite la mobilisation et l’adhésion des partenaires internes et externes. Il s’agit d’une GRH conciliant les intérêts de la direction, des managers et des collaborateurs. Cette nouvelle forme de GRH partagée, davantage inclusive, s’étend au-delà des frontières de l’entreprise, grâce à l’intégration de ses diverses parties prenantes situées sur son territoire, en tenant compte des évolutions de la société. Ainsi, elle nécessite d’être articulée en fonction du contexte dans lequel elle évolue (Graphique 3).

Graphique 3

L’approche contextualiste adaptée à la GRH sociétale en PME

L’approche contextualiste adaptée à la GRH sociétale en PME

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Discussion

Nos résultats révèlent que les valeurs personnelles du dirigeant et de ses proches collaborateurs, notamment le DG, sont à l’origine de l’instauration d’une GRH sociétale dans cette PME. Cette dynamique d’évolution de cette GRH résulte davantage d’une perspective volontariste que déterministe (Murillo et Lazano, 2006) où le dirigeant serait soumis à une obligation de mise en conformité au regard de certifications ISO. Plutôt, ce dernier a privilégié l’instauration de pratiques de GRH en adéquation avec ses convictions, sa stratégie et son modèle organisationnel. Il n’en demeure pas moins que l’activité de l’entreprise n’y est pas étrangère et elle a eu un effet multiplicateur sur son engagement social compte tenu de sa forte articulation interne et externe. Les contextes interne et externe, auxquels font référence Pichault et Nizet (2013) dans l’approche contextualiste de la GRH, sont entremêlés en raison de la relation dialogique entre le dirigeant et l’environnement : il ne paraît donc pas opportun de les dissocier. En outre, le dirigeant se fait l’ambassadeur d’une nouvelle approche alternative centrée sur la prise en considération de la personne, allant au-delà de la RSE traditionnelle, approche qu’il porte auprès d’autres acteurs socio-économiques aussi bien privés qu’institutionnels. En quête de création de valeur qualitative, il en fait un élément de réputation, synonyme de capital immatériel. Il en a résulté un phénomène de mimétisme de la part des membres de son écosystème en ce qui concerne les pratiques de GRH, et réciproquement.

Le dirigeant a choisi de transposer et de formaliser son engagement dans un pacte social co-construit avec les représentants du personnel, les responsables de l’encadrement et les salariés. La centralisation du pouvoir (Julien, 2002) est donc à nuancer dans le cas présent. En outre, le pacte social n’est pas figé et a vocation à évoluer en fonction de la conjoncture socio-économique et des problématiques rencontrées par les collaborateurs. Les politiques RH présentées dans ce document ont pour objet de développer les compétences des collaborateurs, de sécuriser leur parcours professionnel, de respecter une politique de rémunération cohérente avec le modèle économique de la PME, de favoriser le soutien et l’accompagnement managérial et d’enrichir le dialogue social. La GRH informelle et autocentrée sur le dirigeant, propre à la PME (Mahé de Boislandelle, 2015), a cédé sa place à une GRH plus formelle et partagée. Elle n’entre pas, non plus, dans le cadre d’une convention discrétionnaire (Pichault et Nizet, 2013) : elle est plutôt teintée d’une convention individualisante au regard de l’accompagnement personnalisé dont bénéficient les collaborateurs dès leur intégration, mais également tout au long de leur parcours professionnel.

Néanmoins, reléguant la performance individuelle au second plan, la GRH de Persontop, dont le fer de lance est la responsabilité collective, ne semble pas s’inscrire pleinement dans ce type de convention. La GRH de l’entreprise comporte un caractère humain et pluraliste compte tenu des pratiques effectives instaurées dans cette PME qui prend en considération les divers intérêts en tentant de les faire converger contrairement à une GRH plus stratégique (Haines III, Brouillard et Cadieux, 2010). En outre, en plus d’être sociale, la GRH de Persontop est ouverte et elle intègre les partenaires externes. En effet, le dirigeant s’appuie sur une diversité d’acteurs pour déployer cette GRH atypique. En outre, les séances et ateliers de travail, organisés tant avec les clients de l’entreprise qu’avec ses partenaires en matière d’innovation, constituent de véritables leviers de développement des compétences pour les collaborateurs. Fonctionnant en logique étendue, Persontop peut compter sur un partenaire externe, l’association IAPR, pour aider à améliorer les conditions de travail et être à l’écoute des collaborateurs. Le milieu communautaire mobilisé dans le cadre de l’activité de l’entreprise bénéficie également aux salariés. Le dirigeant capitalise sur la confiance développée dans le cadre de ses relations partenariales (Russo et Perrini, 2010). Enfin, Persontop échange sur ses pratiques et les diffuse aux partenaires de son réseau, qui eux peuvent, à leur tour, les transposer à l’intérieur de leur GRH.

Ainsi, au sein de Persontop, les frontières de cette GRH mono-organisationnelle tendent à disparaître. L’entreprise est en train de réinventer les contours d’une GRH davantage pluraliste, qui se situe dans une perspective de complémentarité institutionnelle, en raison de l’invitation d’une variété d’acteurs issus de son écosystème à y prendre part.

Boxall et Purcell (2003) soulignent l’enjeu pour la GRH d’imposer ses contraintes à la stratégie. En ce sens, la GRH n’est plus au service de la stratégie, mais elle doit être développée parallèlement à cette dernière. Cette approche réduit ainsi son rôle opérationnel. Allant plus loin, Léonard et Taskin (2010) considèrent qu’il ne s’agit pas de parler de fonction stratégique des RH, mais bien de capacités stratégiques des acteurs. Celles-ci consistent en une capacité d’adaptation à des contextes et des populations hétérogènes : ce qui est d’autant plus important en contexte de PME, comme le montrent nos résultats. En ce sens, nos travaux rejoignent ceux de Purcell (1999), en soulignant que les systèmes de GRH ne peuvent être génériques. En effet, ces derniers doivent prendre en compte le contexte et la culture de l’organisation.

En outre, cette GRH sociétale doit permettre un alignement des politiques de RH sur la volonté des salariés, réduisant ainsi l’écart entre les politiques voulues et réellement mises en place (Purcell et Hutchinson, 2007). En d’autres termes, il s’agit ici d’une conception partagée de la GRH entre la direction, les managers et les salariés (Legge, 2005). La fonction RH ne doit pas être réduite à une gestion administrative du personnel qui n’est pas corrélée aux autres services d’une organisation. Cette conception invite notamment les managers à jouer un rôle-clé en matière de GRH. Ainsi, la sensibilisation de ces derniers, tout comme leur formation, peuvent constituer un levier de la construction de cette GRH sociétale. La GRH sociétale rejoint en cela les travaux de Taskin et Dietrich (2016) qui insistent sur la nécessité de replacer l’individu au coeur de la GRH grâce à des pratiques bienveillantes et responsables qui vont permettre de réintroduire de l’humain dans le travail et mener à prendre soin des collaborateurs. Si l’éthique occupe une place prépondérante dans cette approche, il est également primordial de prendre en compte les évolutions de la société et du travail. Cette GRH trouve ses racines dans le concept de « dénaturalisation » au sens de Nizet et Pichault (2015) qui vise à souligner la grande relativité des phénomènes et à bannir les pratiques dites « universelles ». Nous désirons cependant souligner les limites des conventions de Pichault et Nizet (2013) qui occultent la dimension sociétale de la GRH.

Le principal apport de cette étude se révèle être la proposition d’une convention sociétale regroupant des pratiques de GRH partagée tant en interne qu’en externe avec les acteurs du territoire. Toutefois, cette convention n’est qu’une tentative de proposition d’un cadre qui devra faire l’objet d’une déconstruction dans la perspective des Critical Studies Management. En effet, nos résultats invitent à creuser la piste de cette GRH sociétale : est-elle une condition sine qua non à la pérennité de l’organisation? Comment sensibiliser les managers à la nécessité d’une GRH bienveillante et partagée? Pour aller plus loin, nous rejoignons les propositions de Nizet et Pichault (2015) qui encouragent les chercheurs du courant Critical StudiesManagement à dépasser les frontières occidentales et à élargir les recherches à « d’autres réalités socioculturelles et politiques ». En ce sens, il serait opportun d’étudier la GRH sociétale dans ces contextes spécifiques. En outre, nous considérons que celles-ci doivent faire l’objet d’études ancrées sur le terrain et de restitutions auprès des acteurs concernés. La vulgarisation de nos recherches alternatives en GRH permettra incontestablement de les enrichir.

Conclusion

Cette étude avait pour objectif de mettre en lumière une nouvelle forme GRH en PME. Prenant comme ancrage théorique, l’approche contextualiste de la GRH de Pichault et Nizet (2013), nous avons étudié la dynamique d’un processus de construction d’une GRH sociétale en PME. Nos résultats dévoilent qu’elle résulte davantage de la latitude managériale du dirigeant que d’un déterminisme environnemental.

Toutefois, s’agissant d’une forme de GRH évolutive et imbriquée à un contexte organisationnel et environnemental mouvant, certaines frustrations n’ont pas tardé à se manifester. Nous invitons donc le dirigeant à mettre en place des espaces de dialogue qui permettront d’entendre ces frustrations dans le but de donner plus de sens au travail. Il peut s’agir d’une salle dédiée au dialogue, voire à de la créativité, afin de donner l’occasion aux collaborateurs d’émettre leurs idées et de les impliquer dans l’évolution de cette GRH. Ainsi, ces idées pourront se transformer, à terme, en innovation sociale ou managériale (Adla et Gallego-Roquelaure, 2016). Nos recommandations plaident en faveur d’une GRH qui émane des collaborateurs et qui est impulsée par le dirigeant, garant donc de sa co-construction. Cela pourrait se traduire également par la mise en place de rencontres mensuelles interservices qui viseraient à faire évoluer la politique de GRH. Nous encourageons, en parallèle, le dirigeant à reconnaître et à valoriser le travail fourni par les salariés : cette recherche nous a, en effet, permis de constater qu’une approche contraignante n’est pas systématique prédominante dans ce type de structure. Notre étude invite aussi à interroger des modèles alternatifs de GRH, à l’instar des entreprises libérées qui prônent une GRH bienveillante et partagée (Colle et al., 2017). Les managers qui donnent du sens au travail dans cette PME pourraient ainsi jouer un rôle d’accompagnateur, de guide vers l’évolution de cette GRH sociétale. On peut également envisager la mise en place de rencontres récurrentes avec des partenaires de l’écosystème, sous forme d’ateliers de réflexion. En définitive, il convient de s’interroger sur l’évolution de cette GRH dans un contexte d’élargissement des frontières : cette PME va-t-elle tendre vers une GRH sociétale interorganisationnelle?

Enfin, cette étude comporte un certain nombre de limites qui nous conduisent à proposer de nouvelles pistes de recherche. Les entretiens menés auprès des membres du personnel ne comportaient qu’une collaboratrice. Les autres personnes interrogées étaient des managers ou faisaient partie de l’équipe de direction. Aussi, notre recherche souffre d’une faible confrontation de perceptions de différentes populations étudiées. Par ailleurs, bien que la monographie fournisse des données riches permettant de comprendre en profondeur un phénomène, nous envisageons de comparer nos résultats en effectuant une étude qualitative auprès de PME n’appartenant pas au secteur de l’économie sociale et solidaire, et en menant de nouveaux entretiens auprès des collaborateurs de terrain de l’entreprise Persontop, cela afin de mieux croiser les différentes perceptions. Ces pistes de réflexion seront à peaufiner lors de prochaines rencontres avec les dirigeants de PME et les partenaires externes afin d’aider à contribuer à redessiner les contours de cette forme alternative de GRH.