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1. Introduction

Les extrêmes hydrologiques sont des phénomènes hydroclimatiques, calqués sur les contrastes de saison, de longueur relative, tant en Afrique qu’ailleurs. Autrement dit, ce sont des variations cycliques du régime hydrologique dans le temps. Les fluctuations de ces débits (Q) extrêmes peuvent être marquées par une hausse ou une baisse, voire une stabilité, selon l’évolution temporelle des séries. Ces variables servent de base à l’évaluation des ressources en eau à l’échelle annuelle et saisonnière, voire pluriannuelle. Dans ce sens, RODIER (1981) précise que des données extrêmes (sécheresses et crues exceptionnelles) aident à évaluer les ressources en eau de surface d'un pays ou d'une région, et aussi à concevoir des projets d'aménagement. À cet effet, les extrêmes hydrologiques intègrent les crues et inondations, et les étiages, avec leurs degrés variés de sévérité. Aussi, décrivent-ils les événements extrêmes, c.-à-d. la manifestation en termes de violence des crues d’inondations et étiages critiques (longueur de sécheresse, étiages sévères). Le concept d’événements extrêmes est plus commun de nos jours, dans le cas des impacts sociétaux de la variabilité ou du changement climatique. Ce phénomène affecte les ressources en eau en impactant la hauteur, la variabilité, la durée, la forme et l’intensité des précipitations (ADAMS et PECK, 2008). Dans ce contexte, les sécheresses et inondations exceptionnelles peuvent être alimentées par le réchauffement global. Ces extrêmes climatiques peuvent aussi être définis par l’impact qu’un événement a sur la société, entraînant de pertes en vies humaines, ou de grosses pertes économiques (EASTERLING et al., 2000).

BRAVARD (2000) a essayé de comprendre les extrêmes hydrologiques comme soit des handicaps réductibles, soit des composantes patrimoniales à sauvegarder, du fait de l’enjeu de la biodiversité et des activités humaines appropriées dans les plaines d’inondation. Car ils sont admis depuis le début des années 90 comme une nouvelle donne scientifique et sociétale. Cela suppose que de la « suppression » de ces extrêmes commanditée par des siècles d’aménagements sur les lits fluviaux, il faudrait les restaurer en vue d’activer un fonctionnement « naturel » des hydrosystèmes. Quant à NGUIMALET et NDJENDOLE (2008), ils ont approché ces extrêmes hydrologiques comme des indicateurs d’évaluation des ressources en eau, c.-à-d. une base pour apprécier l’impact hydrodynamique du plateau gréseux de Mouka-Ouadda en tant que gisement hydraulique. Car les débits écoulés en crue ou étiage à l’exutoire sont la réponse du cours d’eau à la capacité de transfert de son bassin versant selon les saisons ou les années. Dans cet article, les débits de crue et d’étiage, révélateurs aussi bien de ressource que de risque pour les communautés riveraines de l’Oubangui à Bangui, voire à l’échelle du bassin, sont des témoins de variabilités de son régime hydrologique. Ces phénomènes saisonniers, voire intrasaisonniers, s’opèrent à l’échelle pluriannuelle. Or le régime fluvial est en général influencé par l’occupation du sol, l’hétérogénéité spatiale, les dépôts alluviaux le long des hydrosystèmes, diverses natures de sous-bassins supérieurs et par nombre d’influences humaines directes (extraction d’eau et contrôle de débits fluviaux, pompage des eaux souterraines, schémas de réservoir d’eau et de protection contre les inondations). À cet effet, les changements du régime de l’Oubangui s’observent dans l’évolution des débits de crue (Qmax) et critiques d’étiage (Qmin) annuels depuis 1911 et surtout avec l’assèchement climatique qui a débuté en 1970 en Afrique centrale et occidentale (OLIVRY, 1987; LARAQUE et al., 1998; OLIVRY et al., 1998; SERVAT et al., 1999; ARDOIN-BARDIN, 2004). Ainsi, nous faisons l’hypothèse que la sécheresse actuelle a moins marqué les Qmax que les Qmin de cette rivière, car des cours d’eau d’ordres 1 et 2 ont tari depuis des années dans le haut bassin versant. Quelle est donc la sensibilité de ces variables à l’effet dudit phénomène? Cet article caractérise les fluctuations des Q extrêmes et les tendances enregistrées sur l’Oubangui à Bangui dans le temps, au regard de la variabilité hydrologique observée depuis 1971 sur son régime.

2. Données et méthodes

L’Oubangui est une rivière née de la réunion du Mbomou et de l’Uélé (4°07'25'' N, 22°26'13'' E) au village Bema, sous-préfecture de Ouango en Centrafrique. Son bassin à Bangui est transfrontalier, s’étendant en RDC sur une superficie de 499 000 km2 (Figure 1). Selon ORANGE (1996), le bassin de l’Uélé représente 22 % de la superficie du bassin de l’Oubangui à Bangui avec 139 700 km2, et sa confluence avec le Mbomou est une confluence à trois, avec la Bili à l’intersection des deux. Cette artère fluviale est le principal affluent nord du Congo et fait 546 km à l’exutoire de Bangui.

Figure 1

Le bassin de l’Oubangui à Bangui (NGUIMALET, 2014)

The Oubangui River catchment at Bangui (NGUIMALET, 2014)

Le bassin de l’Oubangui à Bangui (NGUIMALET, 2014)

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Son régime est influencé par quatre variantes du climat tropical humide (guinéen-forestier, soudano-oubanguien, soudano-guinéen et soudano-sahélien) selon un gradient pluviométrique sud-nord (1 600-1 000 mm), mais la soudano-guinéenne prédomine sur la majeure partie du bassin. Aucune station pluviométrique de la RDC n’a été prise en compte dans la pluviosité du bassin, par le défaut de disponibilité des données, bien que la pluie moyenne dépasse les 1 700 mm dans le bassin de l’Uélé et de la Bili (Figure 1). En effet, les stations de Bondo et d’Aketi en RDC n’ont que de très courtes séries (respectivement en 1960-1964 et 1953-1961) et donc inexploitables. À propos, CALLEDE et al. (2009) ont calculé la pluviosité sur le bassin de l’Oubangui sur la période 1940-1961 avec et sans les données de la RDC. Les résultats obtenus ont donné une bonne corrélation (R = 0,874); ceci montre que l’absence des données de pluie de la partie congolaise n’a d’incidence sur les analyses. Ainsi, la pluie moyenne interannuelle sur son bassin est de 1 475 mm sur la période 1935-2015. Cette série temporelle étudiée par NGUIMALET et ORANGE (2015) confirme deux périodes autour de la rupture de 1970 : une humide (1935-1970) avec 1 522 mm de moyenne, et une sèche (1971-2014) avec 1 436 mm, ce qui correspond à une diminution de 5 % de la moyenne interannuelle. Alors comment cette faible réduction pluviométrique sur le bassin versant a-t-elle marqué l’évolution des crues et étiages depuis 1970, voire depuis 1911 à l’exutoire de Bangui?

Nous avons obtenu des données de débits de la base de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), jusqu’en 2000, et des Voies navigables (VN), depuis 2001, lesquelles gèrent la station hydrométrique de Bangui depuis lors. Les données ont été disposées selon l’année hydrologique (du 1er avril au 31 mars) avant d’être traitées et analysées. Celles qui ont été utilisées dans ce travail sont des Q moyens journaliers extrêmes (maximum et minimum) sur la période 1911-2014. Les données Qmax et Qmin sur la période 1921-1934 ont été estimées par CALLEDE et al. (2009) car elles ont été soit erronées, ou n’ont pas été collectées. Des tests statistiques (indices d’irrégularité R, recherche des tendances et changements de dates d’apparition des crues et étiages, etc.) ont été appliqués à ces extrêmes hydrologiques afin de caractériser leur sensibilité à l’effet de la sécheresse actuelle. L’indice d’irrégularité R, rapport Qmax annuel/Qmin annuel (COSANDEY et al., 2003), a permis de mesurer la variabilité interannuelle du régime des Q moyens journaliers annuels. Aussi, les dates d’apparition des pics annuels de crue et d’étiage de l’Oubangui à Bangui ont-elles été utilisées avec le logiciel HYFRAN Plus pour déceler les changements de leurs dates d’occurrence dans le temps. De plus, pour analyser les variations extrêmes aléatoires du cours d’eau, la puissance de crue avec le coefficient A ou de Pardé (A = Qmax [m3∙s-1]/√S [km2]), a été calculée, et son évolution a été comparée à celle de la Sangha à Ouesso (158 500 km2), République du Congo, second affluent nord du Congo après l’Oubangui.

Des coefficients de tarissement ont été aussi calculés pour apprécier l’ampleur de la sécheresse hydrologique sur la charge hydraulique du bassin, laquelle détermine la vidange de la nappe aquifère de l’Oubangui à Bangui, censée soutenir les débits de base en l’absence de pluie. Enfin, souvent appliqué aux données de pluie annuelle et/ou de modules, nous avons vérifié le caractère aléatoire et détecté des ruptures dans les séries de débits extrêmes de l’Oubangui à Bangui avec Khronostat 1.01. Les tests de Rang, de Buishand, de Pettitt, de Lee-Heghinian (méthode bayésienne), et de Hubert (donnant l’année des différentes ruptures constatées sur la série avec les moyennes et écarts-types des différents segments) (HUBERT et al., 1998; LARAQUE et al., 1998) ont été appliqués. L’intérêt a été de déterminer des périodes de stabilité ou d’instabilité (hausse ou baisse de régime) dans les séries hydrométriques extrêmes pour établir si possible des séquences d’écoulement homogènes, au-delà des fluctuations de régimes observés.

La signification des tests de Rang et de détection de ruptures a été fonction de l’évolution de chaque série extrême étudiée. Sur les Qmax, le test de Rang a défini le caractère aléatoire de cette série dont l’hypothèse nulle a été rejetée au seuil de confiance 99 %, 95 % et 90 % (valeur de la variable de calcul : -5,1689). Sur les ruptures, le test de Buishand n’en a détecté aucune; cependant, celui de Pettitt a décrit une probabilité de dépassement de sa valeur critique, 1,43E-07 en 1974. La méthode bayésienne a révélé un point de rupture 0,1900 en 1974. Cela a été confirmé par la segmentation de Hubert. Quant aux Qmin, l’hypothèse nulle a été rejetée à 99 %, 95 % et 90 % par le test de rang (valeur de calcul -6,9785) sur cette série aléatoire. Aucune rupture n’est détectée avec les tests de Buishand et de Pettitt (probabilité de dépassement de la valeur critique du test à 7,27E-13 en 1969). La méthode bayésienne, quant à elle, a montré un point de rupture 0,5821 en 1969. Enfin, la segmentation de Hubert a un niveau de signification du test de scheffé à 1 %, décelant de nombreuses ruptures (1961, 1963 et 1982) et Qmin homogènes.

Une recherche des tendances (linéaire) a été, en outre, appliquée aux résultats de ces tests statistiques (coefficient A, indice R, coefficient de tarissement, etc.) en vue d’apprécier leur évolution globale sur la période d’étude.

3. Résultats et discussion

3.1 Les Q extrêmes de l’Oubangui à Bangui, entre épisodes secs et humides

Des périodes humides et sèches ont marqué l’évolution hydroclimatique en Afrique centrale (ORANGE et al., 1995; WESSELINK et al., 1996; LARAQUE et al., 1997 et 1998). LARAQUE et al. (1997 et 1998) ont montré que le fleuve Congo en Afrique Centrale a connu du début du 20e siècle à 1960, une phase dite normale ou stable, une phase humide ou d'écoulement excédentaire durant la décennie 1960, puis à partir de 1971, deux phases de baisses successives de ses écoulements, la première depuis 1971 et la seconde de 1982 à nos jours, la plus marquée. Pour l’Oubangui à Bangui, ORANGE et al. (1995) et WESSELINK et al. (1996) ont mis en évidence, sur la base des modules, trois périodes climatiques bien différenciées : i) 1911-1954, une évolution cyclique de faible amplitude, ii) 1955-1970, phase la plus humide du 20e siècle, et iii) depuis 1971, la phase climatique actuelle marquée par un assèchement. Des découpages proposés dans les deux cas de figure, une nuance subsiste dans la définition de la seconde période (Tableau 1), notamment celle-ci a commencé cinq années plus tôt dans le bassin de l’Oubangui au nord (1955) que dans celui du Congo au sud (1960). Est-ce dû au balancement du gradient nord-sud de la manifestation de ces fluctuations hydroclimatiques, par lequel un décalage spatiotemporel s’observe dans l’enregistrement des changements entre les bassins situés au nord comparés à ceux localisés au sud selon une méridienne? Aussi, les deux phases successives de baisse des modules identifiées sur le Congo le sont-elles sur l’Oubangui, et l’année 2000 a semblé annoncer un nouveau cycle de baisse (NGUIMALET et ORANGE, 2013), mais celui-ci s’est estompé depuis (Figures 2 et 3). Néanmoins, les degrés d’humidité, moyenne ou exceptionnelle, et de sécheresse se sont enregistrés à divers degrés dans les séries extrêmes de l’Oubangui étudiées, entre périodes de stabilité et/ou d’instabilité (Figure 4). Ainsi, l’évolution des Q extrêmes montre une tendance linéaire à la baisse, laquelle est relativement plus accentuée sur les Qmin (R = 0,69 ; Figure 4a) que sur les Qmax (R = 0,59 ; Figure 4b). Si l’on considère les moyennes interannuelles dans les deux cas, la baisse des Q est notable à partir de 1977 (sur les maximum) et à deux niveaux sur les minimum : d’abord de 1971 à 1980, et ensuite de 1982 à 2013 (Figure 4b). La stabilité marque la première période hydroclimatique dans le bassin hydrographique du Congo, incluant celui de l’Oubangui, alors que l’instabilité ou la dégradation hydrologique s’est installée depuis 1971, s’amplifiant en 1982 avec cet assèchement persistant jusqu’aujourd’hui, établissant des déficits hydrologiques sur l’Oubangui à Bangui (Figures 2 et 3). Ceci démontre l’effet de la sécheresse hydrologique dans ces bassins (Tableau 1), lequel n’épargne pas le régime de ces Q extrêmes (Figures 4a et 4b). Il reste à savoir comment ces crues et étiages du cours d’eau étudié sont affectés par cet assèchement.

Tableau 1

Évolution des périodes hydroclimatiques dans les bassins du Congo et de l’Oubangui

Evolution of hydroclimatic periods into Congo River and Oubangui River basins

Évolution des périodes hydroclimatiques dans les bassins du Congo et de l’Oubangui

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Figure 2

Indices d’écoulement de l’Oubangui à Bangui (1911-2014)

Flow indices of the Oubangui River at Bangui (1911-2014)

Indices d’écoulement de l’Oubangui à Bangui (1911-2014)

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Figure 3

Évolution du débit annuel de l’Oubangui à Bangui, de 1935 à 2014, et analyse des ruptures (NGUIMALET et ORANGE, 2015)

Evolution of the Oubangui River at Bangui’s annual discharge 1935-2014, and analysis of breaks points (NGUIMALET and ORANGE, 2015)

Évolution du débit annuel de l’Oubangui à Bangui, de 1935 à 2014, et analyse des ruptures (NGUIMALET et ORANGE, 2015)

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Figure 4

Évolution du débit moyen journalier a) maximum et b) minimum de l’Oubangui à Bangui de 1911 à 2014

Evolution of the Oubangui River at Bangui’s a) maximum and b) minimum daily mean discharge 1911-2014

Évolution du débit moyen journalier a) maximum et b) minimum de l’Oubangui à Bangui de 1911 à 2014

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3.2 Dynamique des extrêmes hydrologiques de l’Oubangui à Bangui, de la crue à l’étiage

3.2.1 Puissance des crues ou de l’évolution du coefficient A

La crue de référence sur l’Oubangui à Bangui a été enregistrée en octobre 1916 (coefficient A = 23); elle est suivie par celles de 1961 (coefficient A = 20,39) et 1964 (coefficient A = 20). Les crues de 1975 (A = 18) et de 1999 (A = 17,1) sont les deux dernières et les plus importantes des 40 dernières années sur l’Oubangui à Bangui. En revanche, la plus faible crue est observée en 1990 (coefficient A = 6,98). Le coefficient A moyen est de 14 sur la période 1911-2014. Ce coefficient moyen est de 15,3 sur la période 1911-1970 et de 12 sur la période 1971-2014. Ces résultats montrent que leur puissance s’est néanmoins maintenue et les crues sont quelque peu stables (R = 0,56, tendance à la baisse, et forte variabilité d’une année sur l’autre), même si l’assèchement hydrologique est relativement accentué dans les décennies 1980 et 1990, exposant notamment des coefficients A < 10 en 1983, 1984, 1990, 1991, 1993, 1997 et 2000 (Figure 5). Depuis 2000, les coefficients A atteignent régulièrement 11 et exceptionnellement 12 (2010 et 2012) ou 13 (2002). Cela veut dire que les crues de coefficients A ≥ 17 (12 000 m3∙s-1) sont rares dans ce contexte déficitaire, et donc les effets de cette variabilité hydrologique ne sont plus à démontrer dans les deux dernières décennies, surtout en termes d’irrégularité d’occurrence des inondations : depuis 1970, il n’y en a eu que deux à Bangui (1975 et 1999). Une comparaison du coefficient A de l’Oubangui à celui de la Sangha à Ouesso sur la période 1970-2010 présente de très mauvaises corrélations (R = 0,23 sur l’Oubangui et R = 0,05 sur la Sangha) qui décrivent une tendance nulle pour la Sangha et une très faible baisse des crues de l’Oubangui sur 41 ans, avec aussi l’évidence des crues de 1975 et 1999 à Ouesso (Figure 6). Mais entre ces deux périodes, les crues de la Sangha sont beaucoup plus stables, comparées à celles de l’Oubangui. Cela s’expliquerait à la fois par l’impact d’écran forestier et des grès de Carnot, lequel a maintenu le niveau des crues au-delà de la variabilité hydrologique ayant sévi en Afrique centrale. Ces effets ne sont peut-être pas les mêmes sur l’évolution des étiages.

Figure 5

Évolution des coefficients A ou coefficients de Pardé sur l’Oubangui à Bangui (1911-2014)

Evolution of A coefficients or Pardé coefficients over the Oubangui River at Bangui (1911-2014)

Évolution des coefficients A ou coefficients de Pardé sur l’Oubangui à Bangui (1911-2014)

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Figure 6

Évolution comparée des coefficients A ou coefficients de Pardé sur l’Oubangui à Bangui et la Sangha à Ouesso (1970-2010)

Evolution of A coefficients or Pardé coefficients over the Oubangui River at Bangui and the Sangha River at Ouesso (1970-2010)

Évolution comparée des coefficients A ou coefficients de Pardé sur l’Oubangui à Bangui et la Sangha à Ouesso (1970-2010)

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3.2.2 Les étiages, indicateurs de changements : instabilité ou dégradation hydrologique

L’indice d’irrégularité R et le coefficient de tarissement ont permis d’analyser le régime des étiages. Les résultats de ces tests appliqués à une tendance linéaire ne révèlent pas un même niveau de relation aussi bien pour l’indice R (R = 0,83) que pour le coefficient de tarissement (R = 0,59), bien qu’ils expriment tous deux une hausse des variables. Ces résultats compléteront ceux sur les dates de crue et d’étiage, et de recherche de ruptures dans les séries étudiées.

3.2.2.1 Approche par l’indice d’irrégularité R

Le coefficient d’irrégularité moyen interannuel est de R = 16 sur la période 1911-2014 alors que celui-ci est de R = 13 sur la période 1911-1970, indiquant de faibles variabilités, et de R = 21 de 1971 à 2014, révélant d’écarts prononcés entre Qmax et Qmin. Cela démontre le creusement des écarts entre ces extrêmes hydrologiques depuis 1971 (Figure 7) et surtout depuis 1982. En effet, la tendance globale est à la hausse des écarts entre les Q extrêmes (R = 0,83), soulignant une bonne relation linéaire sur les indices R décennaux (Figure 8). En effet, les indices R moyens décennaux vont en crescendo à partir de 1981-1990 où les coefficients sont ≥20, et le R record (25,4) est noté dans la décennie en cours. L’importance de la sécheresse en cette année 2016 (janvier et février) ne pourrait que confirmer la tendance actuelle. Ces résultats établissent la faiblesse des changements avant 1970, et progressivement amplifiés depuis 1971, telles de marches d’escalier, surtout depuis 1983 avec R = 25 (Figure 7). Dans cette période, les forts coefficients ont varié de R = 20 (1995-1996) à R = 43 (2012-2013) quand la rivière Oubangui a recueilli son plus faible débit d’étiage le 13 avril 2012 (207 m3∙s-1, équivalant 0,37 L∙s-1∙km-2), battant le record du 12 avril 1990 (227 m3∙s-1) avec -9 % de réduction. Cette évolution confirme l’effet de la variabilité hydrologique sur les étiages dans ces décennies sèches.

Figure 7

Indices d’irrégularité R

R irregularity indices

Indices d’irrégularité R

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Figure 8

Évolution des indices d’irrégularité R décennaux

Evolution of decennial R irregularity indices

Évolution des indices d’irrégularité R décennaux

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3.2.2.2 Du coefficient de tarissement

La durée du tarissement augmente avec le temps dans la période 1911-2014, fluctuant d’année en année, bien qu’il y ait eu de tarissements notables dans la décennie 1940 (Figure 9), notamment en 1944-1945 (0,022 par jour) et en 1949-1950 (0,021 par jour). Le coefficient de tarissement moyen interannuel est de 0,0187 par jour, pendant que les coefficients extrêmes s’observent en 1935-1936 ou 1953-1954 (0,0133 par jour) et en 2000-2001 (0,251 par jour). La tendance linéaire est moyennement positive (R = 0,59) depuis 1971 sur l’Oubangui à Bangui. En effet, la cassure climatique de 1970 a marqué un « bond » du coefficient de tarissement sur l’Oubangui : de 0,016 par jour en 1969-1970, le coefficient a atteint 0,022 par jour en 1970-1971, soit une différence de 0,006 par jour en une année hydrologique (Figure 9). Cette tendance s’est maintenue depuis, confirmée par l’indice calculé du tarissement avec davantage de valeurs positives de 1971 à nos jours, comparé à ceux de la période d’avant (Figure 10).

Figure 9

Évolution du tarissement de l’Oubangui à Bangui (1935-2014)

Evolution the Oubangui River depletion (1935-2014)

Évolution du tarissement de l’Oubangui à Bangui (1935-2014)

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Figure 10

Indice du tarissement (1935-2014)

Depletion indices (1935-2014)

Indice du tarissement (1935-2014)

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3.3 Tendances des changements hydrologiques remarqués

Les modifications sur les extrêmes hydrologiques sont certes des phénomènes cycliques « ordinaires », mais ils semblent alimentés ou accentués par l’impact de la sécheresse actuelle, lequel a tendance soit à stabiliser, soit à déstabiliser le régime de l’Oubangui. Ces témoins de changements dans la dynamique hydrologique s’apprécient d’abord dans les dates d’occurrence de ces extrêmes hydrologiques sur ce cours d’eau, et ensuite, dans les ruptures et Q extrêmes homogènes recueillis dans ce contexte déficitaire.

3.3.1 Effets sur l’occurrence des crues et étiages

Une mise en relation linéaire des Qmax et Qmin dévoile une corrélation moyenne (R = 0,55), ce qui signale qu’il n’y a pas de relation statistique établie entre Qmax élevé et Qmin élevé (Figure 11). Les conséquences sont la dispersion des points symbolisant les couples Qmax/Qmin (exemples de 1916, 1969 ou 1999), laquelle est due soit à des Qmax élevés ne convenant pas aux faibles Qmin d’une année, et vice-versa. On note ainsi que les Qmax s’associent aux Qmin faibles à très faibles. Dans ce sens, les Qmax élevés ne correspondent pas forcément aux Qmin élevés. Aussi, l’effet de cette variabilité hydrologique a-t-il été recherché sur les occurrences de crue et d’étiage pour identifier de possibles changements de dates entre la période globale 1911-2014 et la période d’assèchement 1971-2014. Ainsi, les dates de crue sont passées du mois d’octobre (45 %), suivies de celles de novembre (38 %) et septembre (10 %) en 1911-2014 à novembre (18 %), secondées par octobre (15 %) et septembre (3 %) en 1971-2014. Pour les étiages, les dates d’occurrence ont varié entre les mois de mars (46 %) et avril (46 %), comparés au mois de mai (5,5 %) ou février (2 %), voire juillet (0,5 %) en 1911-2014, et ceux d’avril (19 %), relayés par mars (15 %), mars ou juillet avec 1 % chacun en 1971-2014. Au regard de ces résultats, est-on en droit de se demander si ces changements impactent aussi la modification de l’année hydrologique en République centrafricaine (1er avril au 31 mars) avec le passage du dernier mois de saison sèche de mars à avril, et vraisemblablement aussi le rallongement de la durée de la saison sèche, et donc de la sécheresse hydrologique. Ceci reste à démontrer.

Figure 11

Relation Qmax/Qmin de l’Oubangui à Bangui (1911-2014)

The Qmax/Qmin relation of the Oubangui River (1911-2014)

Relation Qmax/Qmin de l’Oubangui à Bangui (1911-2014)

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3.3.2 Des ruptures et débits extrêmes homogènes sur l’Oubangui à Bangui : preuves de stabilité ou d’instabilité en sécheresse hydrologique?

Des ruptures ont été significativement décelées dans ces Q extrêmes avec la segmentation de Hubert. Les résultats du test de Hubert confirment la date de Pettitt dans les Qmax (1974) et donnent trois dates dans les Qmin; ils ont permis de noter deux comportements très différents de ces variables hydrologiques (Figures 12 et 13). Le premier se rapporte aux Qmax moyens journaliers qui n’ont montré qu’une seule rupture et deux débits homogènes sur toute la période 1911-2014 : i) 10 688,750 m3∙s-1 sur la longue période 1911-1974 et ii) 8 197,641 m3∙s-1de 1975 à 2013 (Figure 12, Tableau 2). Avec une seule rupture recueillie, les Qmax semblent caractérisés par une certaine stabilité, et donc assujettis à une faible modification de leurs régimes; la tendance moyenne à la baisse de cette série montre une bonne corrélation (R = 0,84). L’autre comportement décrit quatre Qmin moyens journaliers homogènes avec une variabilité plus élevée en 1963-1981 et 1911-1960 (écarts-types respectifs de 270,965 et 230,001) qu’en 1961-1962, très courte période ayant le Qmin record (1 445 m3∙s-1), et en 1982-2013, une sous-séquence la plus sèche de cet assèchement, dont les écarts-types sont de 176,777 et 107,883 respectivement (Figure 13, Tableau 3). La tendance linéaire, aussi à la baisse, exposée par les Qmin décrit une forte relation (0,81). Le fait d’enregistrer plusieurs ruptures (1961, 1963 et 1982) souligne un fort impact de la variabilité hydrologique, sinon une agressivité climatique sur les Qmin, et notamment une réductibilité importante des ressources en eau du bassin, car la dynamique pluriannuelle des étiages en est révélatrice. D’ailleurs, l’indice du tarissement établit cette faible tendance à la hausse (R = 0,59), explicitant la dégradation de l’écoulement (Figure 10). En effet, le déficit hydrologique sur les Qmin est plus important (-47 %) dans cette dernière période hydroclimatique, par rapport à la moyenne interannuelle de cette série, comparé à celui sur les Qmax (-16 %) sur la période 1975-2013, soit trois fois plus faible.

Figure 12

Segmentation des chroniques des Qmax moyens journaliers (1911-2014)

Statistical segmentation of chronic daily averages Qmax (1911-2014)

Segmentation des chroniques des Qmax moyens journaliers (1911-2014)

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Tableau 2

Segmentation statistique de la série des Qmax moyens journaliers (1911-2014)

Statistical segmentation of daily averages Qmax series (1911-2014)

Segmentation statistique de la série des Qmax moyens journaliers (1911-2014)

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Figure 13

Segmentation des chroniques des Qmin moyens journaliers (1911-2014).

Statistical segmentation of chronic daily averages Qmin (1911-2014)

Segmentation des chroniques des Qmin moyens journaliers (1911-2014).

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Tableau 3

Segmentation statistique de la série des Qmin moyens journaliers (1911-2014)

Statistical segmentation of daily averages Qmin series (1911-2014)

Segmentation statistique de la série des Qmin moyens journaliers (1911-2014)

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4. Conclusion

L’évolution du régime hydrologique de l’Oubangui à Bangui est examinée, notamment celle des crues et étiages sous l’effet de la variabilité hydrologique établie depuis la cassure majeure de 1970 sur ce cours d’eau en Afrique centrale. Les principaux changements survenus sur ces extrêmes hydrologiques, en termes de réduction par rapport au Q moyen interannuel dans chacun des cas, coïncident avec la période d’assèchement climatique actuelle, laquelle s’est davantage remarquée par une sévérité des étiages (-47 %), comparée à une faible modification de l’importance des Qmax de -16 % seulement, soit trois fois moins que sur les Qmin. Ces évolutions ne sont dues qu’à une très faible réduction pluviométrique (5 %), ce qui pousserait à rechercher d’autres arguments pour expliquer l’ampleur relative de la dégradation hydrologique sur cette rivière. Ceci montre, en effet, un impact ambivalent ou mitigé de cette sécheresse sur ces Q extrêmes : tendance à la baisse des crues et étiages et hausse de la sévérité d’étiage. Bien que cette baisse se soit observée dans les cinq dernières décennies, elle n’est pas assez forte dans l’ensemble, ce qui n’est pas aujourd’hui une situation alarmante. Cette situation indiquerait un abaissement du toit de la nappe phréatique du bassin (une réduction moyenne entre 1935-1970 et 1971-2014 de 53 à 35 km3) qu’on ne saurait impliquer à une forte anthropisation sur le bassin, vu la faiblesse d’activités humaines sur le système fluvial, ne dépassant pas 3 % de sa superficie (NGUIMALET et ORANGE, 2013). Celle-ci serait en général à l’origine d’un fort ruissellement des eaux de pluie au détriment de la recharge, mais des études de ce type n’ont pas été menées. Néanmoins, les tendances à la baisse observées sur ces crues et étiages paraissent liées à une dynamique purement « naturelle ».

En outre, on peut déduire de la forte vulnérabilité des Qmin à l’impact de cet assèchement climatique, comparé aux Qmax qu’à terme, la persistance ou l’exacerbation de ces tendances (à la baisse des crues et étiages, et hausse de la sévérité d’étiage) engendrerait des problèmes de société du fait que des activités humaines sont aussi liées aux occurrences de crue et d’étiage. Mais également que l’exacerbation de ces Q extrêmes peut entraîner des inondations catastrophiques et des étiages sévères, pouvant causer des difficultés à l’alimentation en eau potable (AEP), au déficit de production électrique ou à une pénurie d’eau importante à Bangui ou le long de cette artère fluviale. Dans ce sens, avec la persistance du réchauffement planétaire d'ici 2100 (IPCC, 2013) qui alimentera évidemment des variabilités hydrologiques, les débits extrêmes de l’Oubangui pourraient jouir de « trop ou peu d’eau » en crue et de « pas assez d’eau » à l’étiage. Ceci accentuerait les phénomènes déjà notables aujourd’hui à Bangui, à savoir sur les Qmax : la faible réduction des pics ou de la puissance des crues engendrant l’ensablement du lit fluvial; une probabilité élevée d’occurrence des orages/averses de fortes intensités produisant d’écoulement rapide de crue à l’exutoire de Bangui, etc., et sur les Qmin : une sévérité accrue des étiages, des difficultés de pompage d’eau pour l’AEP de l’agglomération de Bangui (Bangui, Bimbo et Bégoua), des difficultés et une réduction de la durée de la navigation entre Brazzaville et Bangui, une réduction du volume des aquifères et de faibles soutiens à l’étiage, une probabilité de fort pouvoir évaporant dû au réchauffement global (hausse de température), etc. Toute cette panoplie de contraintes sociales ou physiques montre l’enjeu de mieux connaître le régime hydrologique de l’Oubangui et de contrôler ses étiages pour une bonne gestion quantitative de ses ressources en eau, voire de son bassin versant.