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Ohwe ka atisokataman, neki ka mikwerimikak nitcanicak, nosimak, nit anoskwi nosimak acit kaskina ka matcikockakak e kicteritakok atikamekw pimatisiwin. Ni acowerimon ohwe masinihikan, kata nasotitamekw kiapatc e tatamokw e ici kicteritamok pimatisiwinik misawatc e nikickamokw pitoc e wi ita aispirik. Nte ke aitotamekw, ke aitotiskeiekw e ici kicteritamokw pimatisiwinik kinec ki ka wapatenawaw e ici kicteritak nahirowisiw.

Je dédie ce témoignage à mes enfants, à mes petits-enfants, à mes arrière-petits-enfants ainsi qu'à tous les héritiers de la culture et des savoirs atikamekw. J'espère que ce texte pourra leur être utile pour comprendre que la culture atikamekw est une culture vivante qui s'est toujours adaptée au changement. Elle continuera de vivre à travers vos gestes et vos actions.

La fin d’une vie, chez les Atikamekw

Chaque individu a reçu l’enseignement venant de sa propre famille. Comme vous le savez, le christianisme a fait beaucoup de ravages et certains ont vécu beaucoup dans la peur, la peur de suivre ses propres croyances. Peur de parler des rites traditionnels, parce que tout ce qui venait de notre peuple était mauvais. Pratiquer ces rites, c’était comme acheter un billet pour aller en enfer.

Ce que je vais me remémorer dans ce texte, ce sont les évènements que j’ai vécus, mais aussi les enseignements que j’ai reçus. Je vais gratter dans les cicatrices du passé pour vous partager nos rites funéraires. C’est l’évolution de notre environnement qui modifie nos rites et, en même temps, il y a adaptation au changement.

Conception de la mort

Une mortalité dans la communauté, c’est un évènement déclencheur pour que les discussions sur la mort refassent surface dans les familles. Pour ma part, j’ai eu des discussions avec mon défunt père et ma grand-mère sur ces sujets.

Et je me souviens, quand j’étais plus jeune, quand un aîné partait pour ce grand voyage qu’est la mort, aucune musique ne devait se faire entendre. On devait le plus possible baisser la voix pour parler, pour ne pas déranger l’esprit qui entamait son grand voyage dans le monde des esprits. Dans nos croyances dépendamment comment tu entames cette porte de l’Ouest, si on part sereinement, le passage vers cette étape de la vie sera plus facile et l’esprit aura moins de difficulté à quitter le corps charnel.

Et quand il y a un décès d’une façon tragique, l’esprit sera dans un état de choc et de désarroi. Il sera perdu de se retrouver ainsi dans l’autre vie, sans préparation pour ce grand voyage.

Voilà pourquoi nous devons vivre chaque jour de notre vie en prônant les valeurs humaines pour ne pas souiller notre corps avec des mauvaises actions. Vivre avec amour avec tout ce qui nous entoure car on peut revenir dans ce monde pour se parfaire comme citoyen de la terre.

Et quand vient la fin d’une vie, nous préparons le grand voyageur pour son entrée par la porte de l’Ouest. Cette préparation se fait avec douceur et plénitude afin que celui-ci bénéficie de tout l’amour de ses proches jusqu’à la fin et jusqu’au dernier moment du grand départ.

Pendant toute la durée des derniers jours de la personne, les gens apportent des gibiers ou des plats préparés pour que celui qui se prépare puisse se nourrir une dernière fois de ces mets tant chéris dans sa vie durant. C’est une nourriture tant pour le corps que pour l’esprit. Ce sont des moments de remerciements aux animaux de la forêt d’avoir donné leur vie afin que nous puissions nourrir notre famille. Il est aussi important que la famille se rassemble autour de ce grand voyageur pour donner l’opportunité de s’exprimer sur ses sentiments, ses visions ou ses conseils face à la vie. On profite de ce temps des derniers moments de lucidité pour donner à celui qui va voyager chaleur humaine et joie. Ces moments sont aussi importants pour ceux qui deviendront orphelins de cette relation, afin de leur éviter le plus possible les sentiments de regrets après le grand départ du voyageur éternel.

Et quand le moment approche, les gens se rassemblent pour chanter des chants funèbres. Une amie que j’avais visitée en phase terminale de son cancer me disait : « Entendre ces chants me donne une paix intérieure ». Et vu de l’extérieur, je la voyais moins agitée, plus détendue. Certes, ces chants étaient de nature catholique, venant et composés par les colonisateurs. Mais j’imagine qu’on a dû étudier la langue et les rites des « Sauvages » et pris quelques paroles pour toucher l’âme de ces voyageurs éternels.

Quand est venu le grand départ de mon père, ceux qui étaient là étaient des Kokoms (grands-mamans) de la communauté et quelques membres de la famille. Nous étions tous debout en cercle autour de son lit et, à tour de rôle, nous allions lui faire nos adieux. Ce qui m’avait surpris, c’était le Matcaci (au revoir) de nos Kokoms, toutes très aimantes, respectueuses. Elles faisaient des bises sur la main de mon père et chacune d’elles lui parlait en douceur près de l’oreille, comme si elles lui donnaient comme message que maintenant nous le laissions partir dans la paix vers le monde des esprits. C’est un accompagnement jusqu’au dernier soupir du défunt.

Accompagnement du défunt avant la mise en terre

Aujourd’hui, il est difficile de garder le corps le nombre de jours qu’il était convenu de le garder autrefois. Les lois ne sont pas compatibles avec nos pratiques et nos traditions quand il y a un décès. Si la personne décède dans la communauté, même si c’est un décès naturel, nous devons quand même envoyer le corps en ville. Ensuite, la famille magasine pour un service funèbre. Les familles n’ont pas toujours l’argent nécessaire pour payer les services funèbres des villes. C’est ce qui complique et retarde la pratique de nos rites coutumiers destinés aux défunts.

Quand le corps arrive dans la communauté, il est escorté en auto par plusieurs familles et amis du défunt. Les gens attendent à la maison où il sera exposé et accueilli par la communauté. Le lieu de l’exposition a été préparé minutieusement par des bénévoles. Le coeur nous déchire quand vient le moment d’ouvrir le cercueil. Certains ne peuvent retenir leurs émotions quand nous voyons pour la première fois le corps de l’être cher couché dans son lit de son dernier repos.

Parfois, certains se sentent insultés lorsqu’ils voient leur grand-maman toute maquillée, avec du fard à joues et un baume de rouge à lèvres, alors que dans sa vie celle-ci ne s’était jamais maquillée.

Sur la place, on expose des photos du défunt, de ses activités, de sa famille. On allume des chandelles; on installe un pot d’eau bénite. Très récemment, j’ai vu l’ajout de la sauge et d’une plume d’aigle.

Depuis quelques années, les gens allument aussi un feu à l’extérieur destiné à ceux qui veulent se recueillir ou qui veulent faire des offrandes de tabac. Certaines familles demandent des chants d’honneur avec tambour pour leur défunt. Tranquillement, les coutumes qui n’étaient pas permises par l’Église catholique reviennent à petits pas, du moins là où les robes noires n’ont plus leur place comme dans le temps. Il y a longtemps, le prêtre visitait chaque jour les lieux où les familles se rassemblaient pour la veillée d’un défunt.

Pendant les derniers jours de présence du corps dans la famille, ceux qui sont proches du défunt se mettent un ruban noir autour de leur poignet gauche. Avec la venue de la religion catholique, on a dit que cette coutume était faite pour se protéger des esprits maléfiques. Mais ma défunte grand-mère disait que c’était pour dire Matcaci (au revoir) au défunt. Elle disait : « À chaque fois que le ruban vole au vent, c’est notre façon de dire au défunt Matcaci ». Cette pratique était un moyen de dire continuellement à l’esprit du défunt Matcaci. Ainsi, on accroche des rubans noirs partout, même sur les Tikinakan (porte bébé), les portes, les tentes, etc.

Et lorsqu’un conjoint ou une conjointe mourait, on s’habillait de noir pour un certain temps. Le but était que les gens puissent reconnaître le deuil que portait la personne laissée seule, qu’elle était dans une période difficile. Dans la roue médicinale, l’Ouest est associé à la couleur noire. L’Ouest est la direction où le soleil se couche. C’est aussi dans cette direction que notre soleil, notre compagnon ou notre compagne de vie, dormira éternellement. Alors, en portant ce signe distinctif sur nous, les gens étaient plus réceptifs aux besoins de l’être humain laissé seul, tant au niveau spirituel que matériel.

Aujourd’hui, les travailleurs communautaires (intervenants sociaux) reprennent ce travail lié au deuil et à la mort, et offrent des services qui répondent aux besoins immédiats des familles et des personnes endeuillées.

La dernière veillée

Lors de la dernière veillée auprès du défunt, un mokocan (dîner communautaire) est organisé pour le souper. C’est le dernier repas que nous faisons en l’honneur du défunt. Nous voulons ainsi souligner que sa présence charnelle nous manquera. Nous lui attribuons une place d’honneur. Dans son assiette, il y a un petit morceau de chaque plat cuisiné. Les plats ont été préparés par la famille et les amis dans la communauté. Certains mettront un peu de tabac pour envoyer une prière. D’autres réciteront une prière catholique pour le défunt.

Le corps exposé est gardé 24 heures sur 24. Aujourd’hui, de plus en plus, nous mettons des cassettes de chants funèbres, en raison du manque de chanteurs ou de chanteuses pouvant participer à cet évènement malheureux.

Le dernier jour

Comme je l’écrivais plus haut, certaines familles suivent les rites catholiques, c’est-à-dire une messe avec un enterrement en présence de l’officiant de cette église. Un jour, celui-ci a demandé à une Kokom s’il pouvait intégrer nos façons de faire dans son église, dans ses cérémonies funéraires. En guide de réponse, elle lui a demandé s’il serait prêt à intégrer le bouddhisme dans son église. Le serviteur de l’Église catholique lui a répondu que non, qu’il y avait bien trop de différences. « Alors c’est la même chose pour nous, il y a bien trop de différences », lui répondit-elle.

Mais les temps changent. Certains sont dans d’autres Églises et suivent les rites propres à cette Église. D’autres suivent les souhaits du défunt pour l’enterrement. Par exemple, certains défunts ont choisi l’incinération.

Mon expérience en tant que femme atikamekw et la responsabilité qu’on m’a attribuée en tant qu’aînée des filles de la famille a été une lourde tâche, non pas au niveau physique, mais au niveau des émotions.

Quand vint le moment de fermer le cercueil de mon père, j’accompagnais ma maman. Nous étions debout près du cercueil. J’observais ma mère, dans ses faits et gestes. Elle a répété des gestes, ceux qu’elle faisait quand elle s’occupait de mon père. Elle s’est assurée de la position de sa tête, comme pour vérifier s’il était confortable. Elle a arrangé son collet correctement. Ensuite, elle l’a abrié sous une couverture, jusqu’au cou. J’observais ces gestes d’affection, regardant comment elle avait tant pris soin et aimé papa, jusqu’au dernier moment de sa présence charnelle.

Ensuite, j’ai pris soin de mettre dans le cercueil toutes les choses sacrées que nous considérions importantes pour que papa puisse accomplir son grand voyage. Nous avons aussi gardé certaines choses, comme des parties de lui-même, pour les déposer sur le territoire familial. Il aurait tant souhaité être enterré sur son territoire.

Le moment de la mise en terre

La préparation de la fosse est généralement faite par les hommes. Comme je suis l’aînée des filles, je devais faire les derniers rites de préparation pour la mise en terre. Je ne me suis pas objectée à cette demande de ma famille. Je suis allée au cimetière, accompagnée de quelques membres de ma famille. Je suis descendue dans la fosse, pour faire la purification avec de la sauge. J’ai ensuite tapissé la fosse avec des branches de sapin.

Être dans une fosse et préparer le dernier endroit où son père sera enterré m’a fait prendre conscience d’une chose : c’est à cet instant même que je me suis vraiment retrouvée au seuil de la porte de l’Ouest. Mais jamais, de notre vivant sur terre, nous ne pourrons franchir cette porte.

C’est ce que nous enseigne la porte de l’Ouest, que nous appelons dans notre langue Nakapehonok. Nakapehonok veut dire une direction d’arrêt. C’est là que la lumière du soleil arrête. C’est là, aussi, que notre lumière arrêtera de briller quand nous partirons pour le monde des esprits.

Où allons-nous après avoir quitté cette terre? Que nous disent les enseignements de nos aînées? Nous allons là d’où nous venons, c’est-à-dire dans la forêt et l’univers qui l’entoure, notcimik.

Certaines Kokoms préparent leurs petits-enfants à leur départ prochain en leur disant de regarder les étoiles (atcikoc) quand l’ennui se fera sentir car, leur disent-elles, « c’est à cet endroit que je suis ». C’est une manière de préparer les petits-enfants à vivre leur deuil.

Et c’est vraiment là que notre deuil commence, quand on a réalisé toutes les cérémonies, les rituels et l’enterrement du défunt.

La mort fait partie de la vie. « Même les animaux, les plantes ressentiront ton absence si tu as donné l’amour et le respect », disait mon père. Et vivre le plus humainement avec toutes nos relations, car tout est lié.