Corps de l’article

Introduction

Le champ de l’éducation et des ressources humaines exprime clairement sa volonté d’extraire la notion d’accompagnement du marquage social déterminant la formation en la caractérisant par la forme symétrique de la relation entre l’accompagnateur et l’accompagné. L’accompagnateur ne possède pas de statut qui lui confère « le savoir » et le rapport d’influence ou de pouvoir qui lui est corrélé. Dès lors, même s’il est question de « se mettre au service » de l’accompagné ou encore d’engager une relation partenariale, peut-on cependant affirmer que l’entretien d’accompagnement est une situation qui convie à un rapport symétrique entre les protagonistes ? Comment caractériser la symétrie ou l’asymétrie ? Est-ce le produit d’un statut exogène (ou social) ? Est-ce le produit des contenus de l’interaction ? Ou est-ce le produit des caractéristiques des personnes engagées dans l’entretien ?

La recherche présentée dans cette communication (menée dans le contexte éducatifs et universitaire belge francophone) a mobilisé un protocole qui s’inscrit dans une approche par l’activité. En effet, deux séquences d’entretiens d’accompagnement ont été filmées, suivies de quatre entretiens d’autoconfrontation simple (Theureau, 1992) dont deux menés avec les accompagnés (une formatrice à l’entretien d’explicitation et un directeur) et deux menés avec les accompagnateurs (une formatrice/enseignante universitaire et un conseiller pédagogique). L’objectif de ces entretiens visait à accéder à la partie non visible de l’activité des sujets, à savoir leur activité de penser durant les entretiens. Nous avons volontairement invité les sujets à s’exprimer sur les mêmes épisodes de manière à confronter les vécus de l’accompagnateur et de l’accompagné dans ce qu’ils vivent et perçoivent de la nature de leur relation à l’autre.

Quelles formes prend « cette mise au service » du développement professionnel ? Quels sont les éléments perçus par l’accompagnateur dans la nature de ses interactions qui l’amènent à se définir comment étant « au service du projet d’apprentissage de l’accompagné » ? Comment l’accompagné perçoit-il cette « mise au service » de son projet d’apprentissage par l’accompagnateur ? Comment les protagonistes impliqués dans ce type d’interactions qualifient-ils la nature de ce qui se joue pour eux ? Qu’est-ce qui est pris en compte par chacun ? Nous souhaitons, en traitant ces différentes dimensions, analyser la nature des relations et des interactions caractérisant deux entretiens d’accompagnement menés dans deux contextes différents.

1. Repères conceptuels

1.1 L’accompagnement : une mise au service d’autrui

L’accompagnement est un terme qui désigne un processus qui concerne des acteurs évoluant dans les sphères les plus variées et recouvre des réalités multiples (Paul, 2004, Vial et Caparros-Mencacci, 2007). En effet, on parlera d’accompagner, par exemple, des chômeurs, des patients, des élèves, des chercheurs ou encore des enseignants. Les accompagnateurs occuperont des postes de travailleur social, de médecin ou d’infirmière, d’enseignant, de technicien informatique, d’inspecteur ou de conseiller pédagogique. On peut dès lors être surpris par le foisonnement de l’usage de ce terme, réservé aux seuls contextes des soins palliatifs et de la musique jusqu’à ces vingt dernières années. Il semble par conséquent difficile de convoquer « la » démarche d’accompagnement comme une notion générique et facile à définir, dans la mesure où cette dernière est tributaire du contexte et des enjeux propres à la situation particulière d’accompagnement.

Dans le secteur éducatif, l’accompagnement est conçu comme une démarche qui produit des effets formatifs, participant au « développement personnel et professionnel » des accompagnés (Charlier et Biémar, 2012, p. 154). L’accompagnement suppose dès lors une adhésion partenariale et engage un rapport de nécessité réciproque (Charlier et Biémar, 2012) entre l’accompagnateur et l’accompagné. Udave (2002) définit l’accompagnement comme un espace où l’accompagnateur doit renoncer à la tentation du pouvoir et à celle de la toute-puissance et Berger (2002) va affirmer le caractère partenarial de la relation d’accompagnement où se construit un rapport hiérarchique entre les partenaires dans lequel il n’y a pas de rapport d’égalité ou de soumission, mais où celui qui est accompagné donne le rythme et la mélodie (Berger, 2002).

1.2 La relation asymétrique

Utiliser la notion d’accompagnement, c’est convoquer une terminologie qui évoque « l’aide à autrui », ou encore « la mise au service d’autrui ». Cet autre, vivant une situation d’injonction au changement (si ce dernier lui est imposé) ou de désir de transformations (si celles-ci relèvent de la volonté du sujet lui-même), accueille cette « aide » dans le processus dans lequel il s’engage. Dans la mesure où il y a un aidant et un aidé, la relation peut être définie comme asymétrique. Cependant, accompagner est souvent défini comme le fait de s’inscrire dans le projet d’autrui. Dès lors, contrairement à la relation de formation, l’asymétrie tendrait à disparaitre car il n’y aurait pas un sujet détenteur du savoir ou de la compétence et un sujet qui serait en voie d’acquisition. Comme l’écrivent Charlier et Biémar (2012), il s’agirait d’une relation partenariale qui engage un rapport de nécessité réciproque. Peut-on en conclure qu’il y a symétrie dans la relation d’accompagnement ?

Mais qu’entend-t-on par symétrie ou asymétrie ? C’est dans la réflexion d’Agata Zielinski, menée dans le contexte des soins palliatifs sur la vulnérabilité du soignant exposé à la souffrance du patient et aux diverses dimensions de sa vie jusqu’à sa mort, que nous avons puisé un modèle conceptuel pour définir la dimension asymétrique/symétrique dans la relation d’accompagnement.

Zielinski distingue l’asymétrie produite dans une relation alors que le sujet accompagnateur opère une comparaison à partir de soi ou à partir d’autrui et l’asymétrie produite par une prise en compte de la relation. Si son travail est produit dans le cadre du soin, nous l’adaptons au champ de la formation et de l’accompagnement des adultes, car il nous semble pertinent pour l’analyse de la relation d’asymétrie. En effet, nous mesurons que l’accompagnement de personnes en fin de vie ou atteintes de lourdes pathologies engage des processus émotionnels intenses ; cependant nous formulons l’hypothèse que la formation d’adultes et l’accompagnement dans ce contexte soulève des processus similaires dans la mesure où la personne en situation d’apprentissage est vulnérable aussi. Elle peut se percevoir en « incapacité » de dire, de faire ou de décider de par les enjeux identitaires puissants qui peuvent se jouer lors de processus de changement (d’apprentissage) ; l’apprenant peut se sentir inhibé par les émotions qui le submergent et ne pas se percevoir en maîtrise de son vécu.

1.2.1 L’asymétrie : une logique de la comparaison à partir de soi (Zielinski, 2011)

Lorsque l’accompagnateur évalue l’activité de l’accompagné ou évalue ses compétences, il produit un exercice de comparaison à partir de lui-même, il évalue alors une absence. Il peut s’agir d’une:

  • absence d’équivalence - l’accompagnateur ne peut se substituer à l’accompagné de même que l’accompagné ne dispose pas de l’expérience et des compétences que pense posséder l’accompagnateur pour devenir une copie conforme.

  • absence de réciprocité – le travail réalisé par l’accompagnateur n’est pas censé être assumé par l’accompagné dans un renversement de rôles. L’un n’est pas supposé rendre à l’autre quelque chose de semblable.

  • et/ou absence de proportion - l’accompagné poursuit une démarche de développement professionnel pour laquelle il attend de l’accompagnateur de l’aide. L’accompagnateur peut évaluer la qualité des échanges et arriver à la conclusion qu’il dispose de plus de compétences que l’accompagné pour réaliser le travail de ce dernier (l’un a plus ou moins que l’autre) ou que l’accompagné ne dispose pas des compétences nécessaires pour assumer son activité ; le référentiel de compétences étant soi-même.

Pour Zielinski le phénomène de comparaison introduit une relation asymétrique colorée par une certaine violence symbolique provoquée par la prétention qu’aurait l’accompagnateur de savoir ou de sentir « à la place » de l’autre. Pour parer à cette asymétrie, Zielinski prône la séparation, qui invite à ne pas comparer l’incomparable et à ne pas comparer autrui à soi. « Le régime de la « séparation » nous rappelle que la relation est toujours relation entre incomparables, ou montre plus exactement les limites de la comparaison » (Zielinski, 2011, p. 102). La séparation, écrit-elle par ailleurs, « est une manière radicale de poser une limite au fantasme de toute-puissance qui peut accompagner la compassion : à strictement parler, nul ne peut être « à la place » de l’autre. La distance demeure, et c’est en tenant compte de cette différence que je peux m’approcher d’autrui, au pas de loup de la sollicitude » (Zielinski, 2011, p. 102).

1.2.2 L’asymétrie : une logique de comparaison à partir de l’autre

En convoquant Lévinas (1990), Zielinski introduit la notion de vulnérabilité qui introduit un rapport de pouvoir entre les protagonistes de la relation d’accompagnement. Cette dernière ne caractérise pas uniquement l’accompagné mais aussi l’accompagnateur car celui-ci, confronté à la souffrance (dans le contexte de la santé) où à la difficulté (dans le cas de l’enseignement ou de la formation), offre son soutien sans attendre de retour et se tient en dehors de toute comparaison à soi ; c’est donner la priorité à autrui. L’accompagnateur est affecté par la confrontation à la souffrance de l’autre qui génère une souffrance « pour l’autre ». L’asymétrie pensée à partir de l’autre c’est donner l’initiative à l’autre. « Il ne s’agit pas pour Levinas de faire disparaître, ni même de réduire l’asymétrie. Mais il la conduit à un renversement radical : dans la relation entre autrui et le sujet dit responsable, celui qui a « pouvoir », c’est autrui, « autorité désarmée mais impérative », autorité qui ne vient pas d’une puissance, mais précisément de l’impuissance ou de la vulnérabilité » (Zielinski, 2011, p. 101). La vulnérabilité de l’accompagnateur réside dans la souffrance ou le malaise créé par la confrontation à la souffrance ou au malaise d’autrui.

Donc, l’asymétrie apparait aussi dans une relation marquée par une comparaison à partir de l’autre. L’accompagnateur va travailler à redonner à l’accompagné un sentiment de capacité ; ce dernier se sent à nouveau dans un pouvoir agir où il peut dire ce qu’il pense et ce qu’il se perçoit vivre (sans perceptions de menaces liées à cette communication), il peut faire, il peut raconter ou se raconter et il peut porter un regard positif sur lui-même. Dans ce cas de figure, l’accompagné se perçoit en capacité d’initiative, en maitrise du flux de l’information et en acteur ou co-auteur des décisions qui le concernent.

1.2.3 Prendre en compte la relation : un renversement de perspectives de l’asymétrie

L’absence de réciprocité, qu’elle soit produite par une comparaison à partir de soi ou à partir d’autrui, configure la relation asymétrique entre l’accompagnateur et l’accompagné dans une logique où les vulnérabilités de chacun des protagonistes de la relation sont vécues comme des fragilités qui « diminuent », qui amènent chacun à se percevoir dans une dynamique du manque ou l’absence. Lorsque l’accompagnateur renonce à la comparaison, qu’elle soit à partir de soi ou à partir d’autrui, il s’inscrit dans une logique de la relation. « En prenant l’option de mettre au centre la relation, nous sommes conduits à sortir de la logique du savoir, du savoir-faire et du pouvoir visant un résultat. L’asymétrie n’est plus alors comprise négativement comme absence d’équivalence (l’un ne peut pas se substituer à l’autre), de réciprocité (l’un n’est pas supposé rendre à l’autre quelque chose de semblable) et de proportion (l’un a plus ou moins que l’autre). L’asymétrie considérée à partir de la relation consiste à adopter une position autre que la comparaison. » (Zielinski, 2011, p. 101)

La relation permet à chaque membre de la relation d’accompagnement d’identifier ses propres vulnérabilités et à être accepté avec elles sans engendrer un processus de comparaison chez l’autre mais plutôt un processus d’accueil bienveillant : « la reconnaissance de la commune vulnérabilité rend possible une plus grande réciprocité, sans pour autant tomber dans l’illusoire prétention d’être « à la place » de l’autre. L’asymétrie ne caractérise pas seulement la relation, mais – comme la vulnérabilité – elle est intérieure au sujet et caractérise le rapport du sujet à lui-même et à autrui. La dissymétrie initiale entre « le faire et le subir » traverse intimement chacun, avant de se donner à voir dans la relation entre les personnes. C’est à partir de cette « brisure » intérieure, où le soi est à lui-même comme un autre, qu’un nouveau retournement peut s’opérer : celui d’une certaine réciprocité » (Zielinski, 2011, p. 103). Dès lors, la sollicitude, déployée par l’accompagnateur (dans le champ du soin) à partir de la vulnérabilité reconnue en lui-même, vise à créer un espace de réciprocité, où il reçoit autant qu’il donne, ce qui reconfigure le rapport entre les partenaires de la relation et compense la dissymétrie initiale.

2. Précisions méthodologiques : entretien de rétrospection et catégorisation conceptualisante

2.1 Le recueil du matériau

La recherche présentée dans cet article a mobilisé un protocole méthodologique qui s’inscrit dans une approche par l’activité (Barabanchtchikov, 2007; Barbier & Durand, 2003; Nosulenko & Rabardel, 2007; Perez, 2012; Rubinstein, 2007). En effet, deux séquences d’entretiens d’accompagnement ont été filmées, suivies de quatre entretiens d’autoconfrontation (Theureau, 1992). Deux entretiens sont menés avec les accompagnés (une formatrice à l’entretien d’explicitation et un directeur) et deux sont menés avec les accompagnateurs (une formatrice/enseignante universitaire et un conseiller pédagogique). Ces entretiens visent à accéder à la partie non visible de l’activité des sujets, à savoir leur activité de penser durant les entretiens. Nous avons volontairement invité les sujets à s’exprimer sur les mêmes épisodes, de manière à confronter les vécus de l’accompagnateur et de l’accompagné dans ce qu’ils vivent et perçoivent de la nature de leur relation à l’autre.

2.2 L’analyse du matériau

Le matériau recueilli a été organisé de telle manière à ce que les échanges verbaux retranscrits des traces d’activité (entretiens d’accompagnement) soient mis en perspective avec le contenu des entretiens de rétrospection menés avec les accompagnateurs d’une part, et les accompagnés d’autre part. Cette structure a permis de traiter simultanément les trois matériaux et de les relier entre eux. En effet, le principe des entretiens de rétrospection permettant d’accéder à la partie invisible de l’activité, il nous a semblé pertinent de la croiser avec la dimension visible de l’activité et plus particulièrement les interactions verbales de l’entretien d’accompagnement. Le tableau qui suit propose une illustration de nos propos.

Tableau 1

Illustration du traitement simultané des trois matériaux

Illustration du traitement simultané des trois matériaux

-> Voir la liste des tableaux

Le traitement conjoint des traces d’activité de l’entretien d’accompagnement avec le contenu de chaque entretien de rétrospection nous a permis d’identifier des actes posés par chacun des acteurs. Ces actes, nous les avons analysés comme mentaux et interactionnels selon que les sujets décrivaient une activité de penser (ex. je me dis que) et/ou une activité de communication (ex. je vais lui dire / je lui dis) avec l’autre sujet impliqué dans l’entretien d’accompagnement.

Nous avons ensuite analysé les données en inférant d’abord l’intention dominante portant l’acte mental ou communicationnel et ensuite l’implication en terme de symétrie ou d’asymétrie pour chacun des acteurs lorsque ces derniers s’exprimaient sur le même épisode de l’entretien d’accompagnement. Nous avons enfin tenté de repérer des enchainements entre l’activité de l’accompagnateur et celle de l’accompagné. Nous présentons ci-dessous un extrait du tableau de traitement des données.

Tableau 2

Extrait du tableau d’analyse des matériaux

Extrait du tableau d’analyse des matériaux

-> Voir la liste des tableaux

Nous avons procédé par catégorisation conceptualisante (Glaser & Strauss, 2010) pour le traitement des actes mentaux et communicationnels, au sens où nous avons généré « une théorie à partir des données d’une manière inductive » (Paillé & Mucchielli, 2003, p. 148). Nous avons procédé de la même manière pour ce qui est des intentions que nous avons inférées à partir du traitement du matériau.

Précisons que nous présentons dans cet article le résultat de l’analyse relative à une partie du matériau recueilli. Notre projet n’est pas tant d’être exhaustive que de proposer une grille de lecture de l’activité de l’accompagnateur et de celle de l’accompagné dans leurs interactions qui se construisent dans l’espace d’activité de l’entretien d’accompagnement. Pour retenir ces parties du matériau, nous avons identifié des épisodes sur la base de trois critères : 1) les deux sujets impliqués explicitent leur activité de penser sur les mêmes parties de l’entretien d’accompagnement, 2) les trois matériaux mis en perspective offrent une unité d’objet. Ainsi nous disposons du film de l’entretien d’accompagnement (traces d’activité), puis des films des entretiens de rétrospection pour chacun des protagonistes de l’entretien d’accompagnement. Le troisième critère, 3) est relatif au caractère présent d’indicateurs traduisant une relation symétrique ou asymétrique.

3. Produits de la recherche - l’accompagnement : la symétrie dans les asymétries

Notre recherche nous a amenée à nous intéresser à différents contextes d’accompagnement. Dans cet article, nous présentons l’analyse de deux entretiens : l’accompagnement d’une formatrice par son accompagnatrice (pour laquelle l’accompagnement des formateurs constitue l’activité principale) et l’accompagnement d’un directeur d’un établissement du fondamental (enseignement maternel et primaire) par un conseiller pédagogique dans l’enseignement fondamental francophone Belge.

Pour chacun de ces deux entretiens, nous apportons quelques éléments contextuels permettant de comprendre le contenu des entretiens d’accompagnement et des entretiens de rétrospection des protagonistes. Puis nous présentons l’analyse en nous appuyant sur des éléments issus des traces d’activité (les séquences filmées des entretiens d’accompagnement), le contenu de l’entretien de rétrospection de l’accompagnateur et de l’accompagné. Avec cette mise en perspective des données, nous identifions les mouvements identitaires des acteurs engagés dans la séquence d’accompagnement. Le choix des séquences est réalisé en fonction de la présence de contenus d’entretiens de rétrospection pour l’accompagnateur comme l’accompagné. En effet, lorsque les deux protagonistes se sont exprimés sur une même séquence, nous disposions des informations nécessaires pour produire l’analyse. Nous présentons l’analyse de l’entretien d’Annabelle et de Sophie dans un premier temps, puis celle de l’entretien d’André et Justin dans un deuxième temps, sans suivre pour autant un ordre logique spécifique.

3.1 Annabelle et Sophie

3.1.1 Présentation des acteurs et éléments contextuels

Annabelle (l’accompagnée) est formatrice depuis cinq ans. Elle évolue plus particulièrement en formation continue. Elle est spécialiste de méthodologies d’analyse des pratiques et forme divers publics (professions de santé, enseignants, éducateurs, musiciens ou danseurs) à l’utilisation de ces méthodologies. Elle exerce principalement en France mais se déplace aussi dans d’autres pays. Elle organise des sessions de formation d’une semaine ou deux.

La situation convoquée dans le cadre de l’accompagnement analysé se passe lors du 3ème jour d’une session de 5 jours où Annabelle est formatrice. Une des participantes commente négativement les choix de la formatrice tout au long de la formation. La formatrice sent la moutarde lui monter au nez et finit par exprimer sa colère et son incapacité à poursuivre la session dans ces conditions. Cette expression se fait devant le groupe de participants.

Sophie (l’accompagnatrice) est formatrice, enseignante et chercheure à l’université. Elle accompagne depuis une dizaine d’années des enseignants dans le cadre de projets de recherche financés par les autorités publiques belges. Elle est formée à l’analyse des pratiques et forme, tout comme Annabelle, à la pratique de ce type de démarches. Elle accompagne Annabelle, à la demande de cette dernière, dans une relation d’intervision que les deux formatrices entretiennent depuis quelques années. L’entretien d’accompagnement est contractualisé dans sa forme par les partenaires mais pas dans son contenu ni dans ses objets.

3.1.2 Présentation des matériaux et analyse

La séquence analysée dans les lignes qui suivent se situe dans le dernier quart de l’entretien d’accompagnement. Avant cela Annabelle fait le récit de la situation qui l’interroge, à savoir la situation de « pétage de plomb » (selon ses propres mots), dans laquelle elle s’est fâchée devant tout le groupe de participants à la formation sur une des participantes. La situation traitée lors de l’entretien d’accompagnement a été définie par Annabelle. Par contre, ce qui va constituer l’objet de l’accompagnement, c’est-à-dire ce sur quoi elles vont mener l’investigation, n’est pas encore précisé au moment où la séquence analysée débute.

Sophie synthétise les propos d’Annabelle (la formatrice accompagnée) et formule, tout en la vérifiant, une hypothèse de travail, à savoir que l’élément qui interroge Annabelle et qu’elle souhaiterait traiter dans l’entretien d’accompagnement est relatif à sa colère devant les participants. Voici ce que dit Sophie à Annabelle lors du début de l’entretien d’accompagnement : « C’est la première fois quelque part que tu as une personne qui pendant trois jours a une attitude qui semble te solliciter dans quelque chose de confrontant et qui après trois jours génère chez toi une situation de ras le bol qui va faire que tu vas t’exprimer devant tout le groupe et quelque part le groupe, on pourrait dire qu’il y est pour rien, il n’est pas concerné par cette affaire mais au moment où tu t’exprimes, tout le monde… ». Son hypothèse met en saillance le caractère incontrôlé de l’action de l’accompagnée et dans lequel Sophie n’est pas en maitrise du processus de formation. L’accompagnatrice pose un diagnostic sur ce qui met Annabelle en difficulté. Elle formule l’hypothèse que c’est la présence du groupe lors d’un épisode d’expression de la colère par la formatrice qui met cette dernière en difficulté et dès lors en questionnement. Voici ce que dit la formatrice accompagnée : « Là quand elle réagit, je suis surprise parce que j’avais cru qu’elle avait compris ça, tu vois ? Et là, ce qui me vient à ce moment-là c’est que le groupe est un appui. Mais qu’effectivement, je le prends à témoin. D’ailleurs je réagis au moment où je l’entends dire ça. Je réajuste en tous cas. » Annabelle retient des propos de l’accompagnatrice que cette dernière n’a pas compris ses attentes et qu’elle vient avec une hypothèse qui peut la mettre à mal. Elle n’avait pas envisagé que de prendre le groupe à témoin alors qu’on est formatrice et qu’on réprimande un participant pouvait constituer un objet de malaise et de questionnement. Ce n’est qu’avec l’intervention de Sophie qu’elle mesure la différence des représentations entre elles deux. Elle a même un mouvement d’humeur vis-à-vis de l’accompagnatrice lors de l’entretien de rétrospection. Elle dit en effet qu’elle pensait que l’accompagnatrice l’avait comprise.

L’accompagnatrice poursuit le projet d’identifier ce qui pose question à l’accompagnée et quel sera par là même l’objet de l’entretien d’accompagnement. Elle opère un mouvement où elle tente d’identifier ce qui se joue pour l’accompagnée car elle veut l’aider dans cet exercice d’analyse de ce qui a posé problème. Cette investigation consiste à gérer l’incertitude née d’un objet d’accompagnement pas encore identifié par elle. Elle s’engage donc dans un exercice d’enquête au sens de Dewey (2006) sur l’objet même de l’accompagnement. Ce qui la place dans une position vulnérable à partir d’une comparaison à autrui. Elle souhaite rencontrer les cadres et les enjeux de l’accompagné et se sent en défaut lorsqu’elle mesure qu’elle a apporté un élément qui met en difficulté la formatrice accompagnée : « il me semblait qu’elle soulevait une question éthique. Je suis un peu gênée parce que je sens que j’ai induit quelque chose qui pourrait ressembler à du jugement. »

Lors de l’entretien d’accompagnement, Sophie va proposer une nouvelle hypothèse : « Est-ce que dans ce que tu dis, on pourrait dire quelque part que c’est un pétage de plomb, que tu le désignes comme tel mais qu’il y a cette dimension sociale finalement qui est relativement voulue. Tu dis : « le groupe il l’a supporté quelque part et quand je remets les choses à plat et que j’exprime mon ras le bol, y a un côté pédagogique qui est qu’il n’y a pas de raisons qu’il soit mis à l’écart ? » Sophie explique la formulation de cette hypothèse expliquant qu’elle poursuivait l’intention d’amener l’accompagnée à se confronter à ses structures sémantiques (ou structures d’accueil). Elle est toujours convaincue que sa première piste n’est pas inopportune mais que l’accompagnée l’a pilotée vers cette hypothèse sans même en avoir conscience : « J’étais toujours convaincue qu’elle m’avait aguillée volontairement vers ma première hypothèse. »

A cette seconde hypothèse de Sophie visant la confrontation d’Annabelle avec sa manière de comprendre la situation et d’en identifier les enjeux, Annabelle explique l’effet de cette hypothèse sur elle lors de l’entretien de rétrospection : « Mon intention n’était pas claire, elle n’était pas aussi claire que ça en tous cas. Je ne l’ai pas pris comme une intention pédagogique, j’aurai été à un niveau de formatrice auquel je ne suis pas ». L’accompagnatrice, convaincue de savoir « mieux que l’accompagnée » ce que cette dernière pense, inscrit la relation dans un mouvement asymétrique généré par une comparaison à partir de soi. Ce qui se traduit par la sentence de l’accompagnée où elle affirme qu’elle n’a pas un niveau si élevé de compétence qu’elle serait en mesure de justifier pédagogiquement ses choix.

Annabelle poursuit l’échange dans l’entretien d’accompagnement en développant le contenu de l’échange problématique lors de la formation entre la participante et elle-même. En écoutant Annabelle, l’accompagnatrice arrive à la conclusion que la formatrice accompagnée ne va pas entrer dans une démarche de compréhension de sa propre pratique mais qu’elle s’engage dans un argumentaire où elle souhaiterait que Sophie valide ses choix. Voici ce qu’elle nous explique lors de l’entretien de rétrospection : « A ce moment-là, je vois qu’elle s’adresse à moi, qu’elle cherche à me convaincre de quelque chose et puis surtout elle est repartie dans son argumentaire sur ce qu’elle se souvient avoir vécu. (…) J’ai comme l’impression qu’elle attend de moi que je valide son attitude et que l’objet de l’accompagnement consiste à décoder ce qui se passait dans la tête de la participante perturbatrice. »

3.1.3 Incertitude et asymétrie

L’accompagnatrice apprend à gérer l’incertitude liée au déroulé de l’activité d’accompagnement. Sophie accepte que l’objet de l’accompagnement ne soit pas immédiatement explicite, voire contractualisé. Il va se construire tout au long de l’entretien et le travail de l’accompagnement consiste justement à faire émerger ce qui est porteur d’interrogation. Mais le fait d’investiguer sur l’objet de l’accompagnement introduit une certaine vulnérabilité de la part de l’accompagnateur. L’accompagné sait que l’accompagnateur ne sait pas. L’accompagnateur accepte non seulement de ne pas savoir, voire il compose avec cette incertitude. Par contre, il apparait que l’accompagné percoit l’incertitude de l’accompagnateur comme menaçante ou comme une source d’anxiété. Cette dernière est elle aussi source de vulnérabilité. Par ailleurs, si l’accompagnateur peut vivre sa propre incertitude comme une méthodologie de l’accompagnement, il est mis en difficulté de composer avec l’incertitude de l’accompagné, avec l’impatience de ce dernier de quitter le plus rapidement cet état ? Comment résister à déterminer en amont de l’enquête le chemin qui sera pris par l’autre pour dépasser l’incertitude ou pour composer avec elle. Comme le soignant dans sa relation au malade, l’accompagnateur est exposé à la « souffrance » de l’accompagné. Zielinski (2011, p. 90) écrit : « Le propre de la vulnérabilité du soignant est en effet d’être exposé à la souffrance de l’autre ». Nous pensons que le propre de la vulnérabilité de l’accompagnatrice est d’être exposée à l’anxiété de l’accompagnée lorsqu’elle vit un épisode d’incertitude. L’accompagnatrice est tenté de venir en aide à l’autre qui vit l’incertitude en identifiant des moyens pratiques pour l’aider à dépasser cette incertitude et le malaise qui lui est associée. En lien avec nos questions de recherche nous relevons que, se mettre au service de l’accompagnée se traduit dans ce cas-ci par deux mouvements différents qui se succèdent. Le premier consiste à accepter de vivre un épisode d’incertitude quant à l’objet « réel » de l’accompagnement et d’initier une investigation conjointe qui permet de définir cet objet. Cette première mise au service de l’accompagnée génère une anxiété chez cette dernière pour qui la mise au service de l’autre doit se traduire par une compréhension immédiate de ce qu’elle pense souhaiter traiter. Il n’est pas question pour l’accompagnée d’investir un espace d’investigation sur ce qui est à investiguer. Dès lors, l’accompagnatrice ressent cette anxiété et pour aider l’accompagnée à la dépasser propose des pistes d’action en fonction de ce qu’elle croit percevoir de ce qui se joue pour l’accompagnée dans la situation convoquée par elle.

L’asymétrie dans la relation d’accompagnement présentée ci-dessus vient, par ailleurs, de la conviction de l’accompagnatrice de savoir mieux que l’accompagnée ce qui la meut et ses propres enjeux. C’est parce que l’accompagnée « résiste » selon elle à s’engager dans la voie qui lui est proposée qu’elle va renoncer à enquêter sur l’objet de l’accompagnement. L’accompagnatrice propose son aide en donnant des pistes d’action mais l’accompagnée n’adhère pas à l’objet d’accompagnement qui a été défini. L’accompagné n’a pas entendue l’accompagnatrice qui attendait une définition conjointe de l’objet. Elle était à ce moment-là en situation de vulnérabilité. L’impatience et la sensation d’inconfort perçues chez l’accompagnée a précipité l’accompagnatrice dans une définition solitaire de l’objet et a donc comparé les actes de l’accompagné à ses propres actes à elles, introduisant une comparaison à partir de soi portant sur absence d’équivalence puis une absence de proportion.

3.2 André et Justin

3.2.1 Présentation des acteurs et éléments de contexte

André est un directeur qui a essuyé des difficultés de pilotage de son établissement. En effet, l’équipe éducative s’est plainte auprès du pouvoir organisateur (autorité hiérarchique dans la structure scolaire belge francophone) et le directeur a quitté son établissement pendant 6 mois pour surmenage. Son retour en tant que directeur est conditionné par un engagement à proposer et à opérationnaliser un plan managérial pour instaurer un climat de travail et de confiance et à se faire accompagner dans cette démarche par un conseiller pédagogique. Au moment de l’entretien filmé, cela fait une année qu’André est accompagné par Justin.

Justin est un conseiller pédagogique qui a assumé pendant plusieurs années la fonction de directeur pour ensuite devenir conseiller pédagogique dans le réseau libre en Belgique francophone. Il accompagne André dans l’opérationnalisation de différentes actions permettant aux enseignants de se constituer en équipe. L’opérationnalisation de la charte constitue un des objets d’accompagnement. Dans la séquence analysée il s’agit du point relatif au respect des horaires. Les enseignants prennent de grosses libertés avec la ponctualité ; ils arrivent en retard, prennent de trop longues pauses et ne sont pas suffisamment présents lors des charges de cours de récréation.

3.2.2 Présentation des matériaux et analyse

La séquence analysée de l’entretien d’accompagnement mené par Justin avec André se situe dans le 1er quart d’une séance de 90 minutes. Justin (l’accompagnateur) a invité André (le directeur accompagné) à lui faire le point sur le travail du comité de pilotage (mis en place par ses soins depuis sa nouvelle législature) portant sur la charte produite par l’équipe éducative. André a présenté l’état d’avancement et précise que le comité de pilotage a décidé de travailler sur le point de la charte qui traite de la ponctualité de l’équipe éducative. Ce comité de pilotage a décidé de lancer une « quinzaine » autour de cette question et où chacun sera attentif et s’observera dans ses comportements de ponctualité. André et Justin travaillent les questions qui seront communiquées aux enseignants.

Lors de l’entretien d’accompagnement, Justin attire l’attention autour de la formulation d’une des questions envisagées par le directeur et destinées à être proposées à l’équipe éducative : « Moi je serai attentif à cette question : «concrètement, ce que je vois, ce que j›entends», on a déjà beaucoup travaillé ça avec eux. ». L’accompagnateur veut s’assurer selon ses propres termes que le directeur est bien conscient qu’une question de cette nature est dangereuse et « c’est bien là-dessus qu’il ne faut pas aller ». L’accompagnateur sait « plus » que l’accompagné la nature des questions à poser à l’équipe. Dès cet épisode, l’asymétrie est introduite par une comparaison que produit l’accompagnateur à partir de soi.

A la suite de l’échange précédent, Justin propose des actions supplémentaires à celles envisagées par le directeur. Voici comment il explique lors de l’entretien de rétrospection son attitude lors de l’entretien d’accompagnement : « Lui s’accroche à une espèce de procédure et je vois que parfois il a du mal à sentir les choses et donc il faut lui donner l’occasion de se dire quoi, est-ce que c’est bien ça, où est-ce que je vais aller avec ça ? (…) Il appelait ça premier timing, dans la charte il y a tout un chapitre qui traite de ça, c’est ça que je lui dis repart de la charte, du travail qui a déjà été réalisé, sinon ça n’a pas trop de sens quoi ! » L’accompagnateur propose des pistes d’action au directeur parce qu’il trouve que ce dernier n’exploite pas au mieux les ressources dont il dispose. Son idée est qu’André n’est pas très sûr de lui et qu’il doit être à nouveau outillé. Mais face à certaines propositions, le directeur accompagné ne renchérit pas : « Là je me positionne en disant non. Ça ne me semble pas indispensable. Je pense à la réalité de terrain qui ne le permet pas. Moi je suis dans le contexte. Lui, il n’y est pas, il est extérieur et je respecte Justin mais je n’ai pas envie de mettre encore un truc en plus sur le dos des enseignants. »

A la fin de la séquence : « Là il est résigné dans le fait qu’il sait que je ne ferai pas noter. Donc il tourne d’une autre manière. Il sait que je ne changerai pas d’avis. (…) Je suis rassuré, je ne suis pas dans le mauvais, sinon il continuerait à argumenter. »

Justin est inquiet de la procédure que devrait opérationnaliser André pour que le travail de vigilance et d’auto-observation mené par l’équipe pendant une quinzaine de jours puisse porter ses fruits. Par ailleurs, il est inquiet des stratégies envisagées par le directeur : « Alors quand il me dit qu’il va, lui aussi, observer ce que font les enseignants, je prends conscience du danger de ce qu’il m‘amène ». Il souhaite amener le directeur à envisager un protocole plus élaboré que celui initialement envisagé pour éviter à celui-ci des écueils déjà rencontrés. L’accompagnateur souhaite que le directeur puisse anticiper et opérationnaliser un dispositif pour performer les prises de conscience du travail autour des questions de ponctualité. Il ne reconnait pas au directeur une compétence suffisante pour faire confiance à son jugement. Il reste dans une volonté de « bien faire faire, » de plier quelque part André à ses propres représentations de ce que doit faire un directeur pour bien faire. Dès lors la relation d’accompagnement est une relation asymétrique, car le conseiller pédagogique sait alors que le directeur ne sait pas selon son point de vue.

André maintient sa position de ne pas modifier le protocole envisagé. Il ne partage pas les positions de Justin et il ne lui reconnait pas à ce moment-là la compétence liée à son expérience du contexte spécifique de son établissement. Il vérifie cependant que le conseiller pédagogique valide sa décision qu’il infère à partir de « l’abdication » de Justin. C’est un rapport de force qui se joue. Le directeur perçoit que le conseiller pédagogique ne lui fait pas confiance et qu’il lui propose d’autres actions que celles que lui-même a envisagées. Dès lors il se ferme aux propositions de l’accompagnateur en lui reprochant à son tour de ne pas posséder la connaissance du terrain. Le mouvement de comparaison de l’accompagnateur rencontre le mouvement de comparaison du directeur – il manque à chacun quelque chose.

3.2.3 La comparaison à partir de soi – l’institution d’une dépendance à l’accompagnateur

Cet entretien d’accompagnement se caractérise par une relation asymétrique que nous inférons de la perception du conseiller pédagogique des compétences du directeur. Il vérifie avec lui le produit d’un travail que ce dernier a déjà pensé et réalisé. Cette « supervision » ne renforce pas le directeur à se percevoir comme compétent. Cela l’amène à demander au conseiller pédagogique de valider ses actions, dans une forme de dépendance. Pourtant, lorsque ce dernier ne le fait pas et qu’il propose de nouvelles actions, le directeur ne se les approprie pas. Notre hypothèse est que la dépendance du directeur aux verdicts du conseiller pédagogique ne l’amène pas à un échange et à un partage mais le convie à se mesurer dans un rapport de force. Comme dans l’entretien d’accompagnement entre Annabelle et Sophie, la relation qui caractérise cette interaction se caractérise par une comparaison à soi produite par l’accompagnateur à partir de soi portant sur absence d’équivalence et proportion. Se mettre au service de l’accompagné, c’est lui fournir des outils qu’il devrait lui-même mobiliser mais pour lesquels il n’est pas évalué comme compétent. Pour l’accompagné, le travail de l’accompagnateur est de valider ses propositions qu’il évalue comme performantes eu au regard de son contexte. La demande de validation ne génère-t-elle pas le mécanisme d’asymétrie à partir de soi qui caractérise leur relation ?

Conclusions

L’analyse de ces deux entretiens définis par les acteurs comme de l’accompagnement nous amène à relever que la relation asymétrique est dominante et que le rapport de nécessité réciproque n’est pas très prégnant. Nous n’avons pas assisté à une relation basée sur la reconnaissance mutuelle des asymétries qui s’inscrirait dans une perspective de la relation et non de la comparaison. Nous relevons aussi que les deux accompagnements aboutissent à des impasses. En effet, dans les deux cas l’accompagnateur finit par se retirer de l’échange, il écoute et n’intervient plus convaincu que ses interventions n’agiront pas sur l’autre. Non seulement l’accompagnateur ne rencontre pas l’accompagné dans ses enjeux propres mais il n’arrive plus à le suivre car il ne cautionne pas ses choix.

Ces deux accompagnements nous amènent à relever :

  • qu’il n’y a pas eu d’espace d’échange pour identifier et nommer les enjeux respectifs ;

  • qu’il n’y a pas eu de négociation explicite et de construction collégiale de l’objet de l’accompagnement, chacun étant persuadé que l’objet était prédéfini de par le contexte même de l’accompagnement ;

  • que ce sont des produits (la déontologie du formateur dans le premier cas et le dispositif d’élaboration de la charte dans le second) plus que des personnes qui étaient visés par l’accompagnement.

Ces diverses caractéristiques nous amènent à formuler l’hypothèse que leur présence introduit l’asymétrie dans la relation d’accompagnement car elles induisent des processus de comparaison, qu’ils soient produits à partir de soi ou d’autrui, qui à leur tour produisent des relations de domination et/ou de soumission. Ainsi, c’est la nature de l’interaction et ses contenus qui induirait de l’asymétrie dans la relation d’accompagnement dans des contextes de formation des cadres scolaires et des formateurs d’adultes ?