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Il peut sembler saugrenu de juxtaposer les termes enfants et détenus, d’abord parce qu’il y a contradiction et puis parce qu’il y a contravention. L’enfant est né libre; plus libre que l’adulte dans le sens qu’il va au-devant de l’aventure. Certes il a toujours besoin de soins, d’encadrement, d’appui, mais généralement il ne s’en soucie guère. Son développement cérébral met le goût de l’aventure et de l’exploration au centre de sa démarche. Retenir, détenir, séquestrer un enfant c’est arrêter tout court son développement; c’est nier son élan vital, son essence. L’enfant emprisonné ne peut plus être enfant.

Et puis les neurosciences nous démontrent quotidiennement les séquelles désastreuses que peuvent avoir l’isolement, l’incarcération et la ségrégation sur le développement de l’enfant. Bien avant que l’on ait la preuve scientifique de ces impacts dévastateurs le droit avait déjà érigé toute une structure autonome pour la responsabilisation des enfants à l’égard de leurs comportements vraisemblablement criminels. Les enfants ne peuvent pas être tenus coupables comme des adultes car ils n’ont pas la capacité de comprendre clairement pourquoi ils devraient être punis pour tels ou tels actes. Même à partir de l’âge de la responsabilité criminelle, les enfants doivent bénéficier d’une justice pénale adaptée selon leur stade de développement psychologique, social et moral. C’est pourquoi la Convention internationale relative aux droits de l’enfant prohibe en général la détention des enfants en ne le permettant que comme mesure d’exception lorsque toutes les alternatives s’avèrent inadéquates.

C’est autour de ces thèmes bien connus que se sont réunis les intervenants et apprenants du 5ème Cours d’été international relatif aux droits de l’enfant à l’Université de Moncton du 3 au 8 juillet 2016 : Enfants privés de liberté et justice pénale pour adolescents. Les experts de trois continents ont échangé à travers les cinq jours d’ateliers des nombreuses facettes de l’application des droits des enfants proclamés aux articles 37 et 40 de la Convention. Au fil des cinq jours nous avons pu suivre le parcours d’un jeune à travers la procédure pénale, du moment de l’arrestation, à l’inculpation, la détention provisoire, les mesures extra-judiciaires et recours alternatifs, le procès, la sentence et la peine. Toute cette procédure est longue et bien plus longue encore dans la vie d’un enfant.

Le cours d’été de 2016 a permis de riches échanges entre experts africains, européens et canadiens. Nous avons pu assister au lancement de deux guides importants : 1) le Guide Pratique de l’OIF : Entendre et accompagner l’enfant victime de violences[1], avec la participation de ses principaux contributeurs, Claire Brisset, ancienne défenseur des enfants en France et Pascale Alisse, adjointe au Secrétaire-Général de Francopol, ainsi que 2) le Guide Pratique de DEI sur le Monitoring des lieux où des enfants sont privés de liberté[2], avec la particpation de Benoit Vankiersbilk, président de Défense des enfants international et directeur de la rédaction du guide. Le guide de l’OIF a été réalisé avec le concours du Bureau du Défenseur des enfants et de la jeunesse du Nouveau-Brunswick et le guide de DEI pourra désormais être adapté au monitoring des lieux privatifs de libertés du Nouveau-Brunswick et du Canada.

Le transfert et le partage des connaissances qui a lieu chaque année au cours d’été est d’importance primordial pour l’exécution du mandat du Défenseur des enfants et de la jeunesse et pour l’avancement des droits de l’enfant au Nouveau-Brunswick et au Canada. Lors des échanges entre experts des projets de collaboration sont nés, l’expertise sur l’application de tel ou tel droit est développé et les bonnes pratiques partagées peuvent être repris de part et d’autres. C’est ainsi que l’édition de 2016 du Cours d’été a permis l’établissement d’un partenariat menant à l’octroi d’un nouveau programme de clinique d’aide juridique en droit pénal adolescents à la Faculté de droit de l’University of New Brunswick, avec l’aide de la Fondation du droit de l’Ontario; elle a mené à l’élaboration d’un programme de formation pour les employés du centre hospitalier de Restigouche autour du Guide pratique de DEI; elle a permis au Bureau du Défenseur de creuser la réflexion autour de son rapport systémique, Plus de soins, moins de poursuites[3], sur l’application plus intentionné des dispositions de la Loi sur les service de Justice pénal aux adolescents à travers le Nouveau-Brunswick; ceci a informé de façon importante le thème central du rapport du 20 novembre 2017 sur l’état de l’enfance[4]. Les participants sont repartis aussi avec des connaissances nouvelles sur les méthodes canadiennes en justice pénal pour adolescents et ont pu encourager des projets de coopération nord-sud, à différents niveaux.

Cette formation est le résultat de la collaboration entre divers partenaires organisationnels et financiers. La contribution significative de la Province du Nouveau-Brunswick à cette formation lui permet de s’acquitter ainsi de son devoir étatique en vertu de la Convention en faveur de la coopération internationale et de la formation d’experts professionnels canadiens en matière de droits de l’enfant, comme l’a recommandé le comité des droits de l’enfant dans ses observations finales au Canada en 2012. Tout aussi important dans cet effort de formation et d’éducation aux droits de l’enfant est la publication d’un deuxième recueil des conférences et des expertises partagées autour des thèmes du cours d’été. Le premier recueil, reprenant les thèmes du cours d’été de 2015, Droits et santé mentale des enfants et des jeunes a d’ailleurs lui aussi été lancé en grande trombe lors de l’ouverture du cours de 2016.

Il me fait donc grand plaisir de pouvoir vous présenter ce deuxième recueil qui donne suite à la démarche initiée en 2015 et démontrant la volonté des organisateurs du cours d’été de contribuer avec méthode et rigueur à l’avancement du droit et de la recherche en matière des droits de l’enfant en offrant cette nouvelle débouchée publicatoire aux experts canadiens et internationaux en la matière. Le recueil du cours de 2016 est formulé à partir d’articles soumis à une révision par les pairs par les conférenciers présents lors de la formation. Ceux-ci ont largement enchainé sur le sens de leurs interventions et conférences durant le cours, mais en poussant la réflexion plus loin, nous permettant de contribuer à la doctrine plutôt que d’offrir de simples actes d’un colloque.

Le recueil du cours de 2016 comprend des articles par des experts africains, canadiens et européens, oeuvrant tous dans le milieu des droits de l’enfant, soit à titre de chercheurs, à titre d’acteurs institutionnels ou à titre d’experts d'organisations internationales onusiennes, régionales ou non-gouvernementales. Vous y trouverez avec intérêt des articles traitant de la détention des mineurs en milieu de garde protective, en milieu d’immigration ainsi qu’en milieu carcéral. Il sera aussi question de la participation et de la voix de l’enfant à travers toutes ces procédures privatives de liberté.

Il n’y a pas de devoir plus urgent que de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant parmi nous. Le progrès de l’humanité tient en bonne partie à notre capacité à travers des millénaires d’avoir pu organiser nos sociétés avec l’enfant constamment au coeur de nos efforts. Les chercheurs en droits de l’enfant ont un apport important à faire envers le maintien de cette règle fondamentale des sociétés humaines. Janusz Korczak le disait bien lorsqu’il présageait sur l’avenir de l’humanité, vers la fin de la deuxième grande guerre que les « enfant seront les premiers responsables de la renaissance spirituelle de l’humanité ».

Je tiens à remercier tous les collaborateurs et contributeurs à cet ouvrage. L’effort de construction de droit qu’il traduit est un hommage à tous ceux et celles qui luttent au quotidien dans leurs familles, dans leurs communautés et au sein de la société et de la grande famille humaine pour secourir l’enfant, pour l’apprivoiser, lui montrer avec compassion à bien gérer ses comportements, en l’éloignant des peines, des punitions et de toute contrainte qui pourrait brimer son autonomie, sa liberté, sa capacité de choisir le bien sur le mal. Enfin, un dernier mot pour souligner l’aide apportée par Mmes Justine Nau, stagiaire étudiante de l’Université de Poitiers et Sara Scaletta, étudiante à la Faculté de droit de l’Université de Moncton.