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Dans son ouvrage Les gauches radicales en Europe, XIXe-XXIe siècles, le politicologue Pascal Delwit, professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles et chercheur au Centre d’étude de la vie politique (CEVIPOL), vise à exposer l’histoire et le comportement des partis de la gauche radicale depuis les débuts de l’industrialisation jusqu’à nos jours. Il propose un cadre interprétatif de l’évolution de cette famille politique qui se répartit aujourd’hui en trois courants principaux : premièrement, des partis de gauche radicale qui soutiennent les partis sociaux-démocrates et jouent le rôle de levier auprès de ceux-ci ; deuxièmement, les partis rassemblés dans le parti de la gauche européenne qui représentent une forme moderne de réformisme radical ; troisièmement, les partis de gauche qui attendent le grand soir révolutionnaire et l’avènement d’une société socialiste (p. 514). 

Du point de vue méthodologique, Delwit présente sa réflexion en utilisant des dizaines de tableaux statistiques qui montrent à la fois les dynamiques politiques nationales et la radicalisation sociale, mesurées soit par l’évolution du nombre de membres des partis de gauche radicale soit par les résultats électoraux, soit par l’évolution du nombre de chômeurs soit par l’évolution de l’inflation par pays et par période de temps. Pour soutenir ses thèses, il utilise des résultats de recueils de textes, scientifiques ou pas. Ainsi, le livre est le résultat d’une triangulation de techniques quantitatives et qualitatives.

L’ouvrage, outre l’introduction et la bibliographie, comprend trois parties. La première, la plus courte, intitulée « Naissance et développement du socialisme au XIXe siècle », comprend deux chapitres. Elle suit chronologiquement l’institutionnalisation des partis de gauche radicale en Europe et se termine avec la rupture au sein du mouvement socialiste au début de la Première Guerre mondiale.

La deuxième et la plus longue partie, environ trois quarts du livre, « Le défi communiste », compte dix-neuf chapitres. Elle couvre le période de la Première Guerre jusqu’à la chute du mur de Berlin et la fin de l’Union soviétique. Dans cette partie, Delwit se penche chronologiquement sur la révolution soviétique et les insurrections en Europe, la naissance de l’Internationale communiste, la formation du trotskisme et l’avènement des fronts populaires, le pacte germano-soviétique de 1939 et la lutte contre le nazisme, le contexte de la guerre froide et les ondes de choc après le rapport de Khrouchtchev de 1956, les schismes dans le monde communiste et l’évolution de la gauche radicale dans le cadre européen des années 1950, l’évolution de la gauche radicale après 1968 et la dégringolade des partis communistes pendant les années 1970 et 1980.

La troisième partie, « Les gauches radicales après la disparition de l’Union soviétique », comprend sept chapitres. Les trois premiers couvrent trois types de réponses idéologiques par rapport à la fin du système communiste : le soutien des partis sociaux-démocrates dans des pays comme la Suède ou le Danemark, le réformisme radical comme Syriza en Grèce, et le chemin révolutionnaire, illustré par des communistes en Grèce, au Portugal ou en Belgique. Les chapitres quatre et cinq abordent des cas spécifiques : l’inclassable Parti socialiste aux Pays-Bas et Podemos en Espagne (qui nie appartenir à la famille de la gauche radicale). Les deux derniers chapitres se concentrent sur le groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne – Gauche verte nordique et concluent l’ouvrage en présentant les perspectives des gauches radicales contemporaines. Un accent est mis sur l’évolution de la gauche dans le contexte de l’intégration européenne.

La force principale de Les gauches radicales en Europe de Pascal Delwit est l’abondance des données, statistiques ou autres, sur les partis de gauche radicale en Europe. Même si la majorité de cette information, surtout dans les deux premières parties, est déjà bien présente dans les manuels d’histoire, le fait qu’elle soit rassemblée dans un seul ouvrage augmente la valeur de ce dernier après des chercheurs et des étudiants en science politique, notamment ceux qui se penchent sur les problèmes de l’évolution idéologique et institutionnelle contemporaine de la gauche radicale d’un point de vue comparatif. Un accent plus intense sur l’évolution de cette famille des partis après la chute du mur de Berlin, un période qui est moins couverte dans la littérature historique mais qui anime toujours des discussions au sein des chercheurs, aurait augmenté encore davantage la valeur de l’ouvrage. Il est évident que l’auteur a adopté une approche épistémologique basée sur la suffisance des données quantifiables. Dans le cadre d’une telle approche, les données parlent d’elles-mêmes et l’interprétation ne fait que suivre les tendances statistiques. Pour cette raison l’auteur ne s’intéresse pas à vérifier des hypothèses émises dans des théories générales ou à moyenne portée de la politique comparée. Ce type d’approche alternative hypothético-déductive aurait permis d’élaborer sur le lien entre la gauche radicale en Europe et le clivage social ou sur le cadre institutionnel, entre autres. Le matériel amassé par Delwit, cependant, est suffisant pour permettre à d’autres chercheurs de prendre un chemin plus théorique et ainsi enrichir la politique comparée. Je recommande cet ouvrage aux chercheurs et aux étudiants qui s’intéressent à l’évolution de la gauche radicale européenne du point de vue historique.