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On a beaucoup commenté à l’été 2017 le « Vive le Québec libre ! » lancé par le Général de Gaulle du haut du balcon de l’Hôtel de ville de Montréal cinquante ans plus tôt, le 24 juillet 1967. On sait que le cri du général était prémédité, son geste mûrement réfléchi. En acceptant l’invitation à visiter l’Exposition universelle de Montréal, de Gaulle se promettait en effet de réparer l’erreur historique de l’abandon de la Nouvelle-France par Louis XVI. Le livre de Dufresne se veut le récit documenté de ce voyage au Québec du président français en juillet 1967. Composé d’une trentaine de courts chapitres, l’ouvrage s’appuie sur des fonds d’archives en France, au Québec et à Ottawa, des articles de journaux de l’époque, des mémoires et des entrevues avec des acteurs clés, qui étaient aux premières loges à l’époque.

Venir en bateau, à bord du croiseur Le Colbert, plutôt qu’en avion présentait l’avantage de contourner la règle protocolaire obligeant les chefs d’État à passer par Ottawa avant de se rendre ailleurs au pays. De Gaulle avait très peu de considération pour l’État canadien qu’il considérait artificiel, i.e. non fondé sur une culture et une histoire communes, et promis plus tôt que tard à l’éclatement. Son court séjour au Québec est précisément prétexte à de nombreuses tensions entre Québec et Ottawa. Les deux paliers de gouvernement rivalisent d’ingéniosité et de mesquinerie pour s’imposer comme celui qui accueille l’illustre personnage. Deux conférences de presse sont par exemple organisées le soir de l’arrivée du général, l’une au manège militaire, par le gouvernement fédéral, peu suivie par les médias, l’autre au Château Frontenac, par le gouvernement du Québec, où sont rassemblés la plupart des journalistes et de nombreuses personnalités publiques. Au grand dîner officiel du gouvernement du Québec, c’est en catastrophe et à la dernière minute, car cela n’avait pas été prévu, qu’on aménage une place au bout de la table d’honneur à Paul Martin, secrétaire d’État (fédéral) aux Affaires étrangères. Autre exemple, l’avion qui amène le ministre français des Affaires étrangères Maurice Couve de Murville de Montréal à Québec, au lieu de s’arrêter, une fois atterri, à la hauteur du comité d’accueil fédéral patiemment aligné sur le tarmac, roule un peu plus loin, jusqu’à la piste du ministère québécois des Transports et des Communications, où attend la délégation québécoise. D’autres exemples sont détaillés qui illustrent cette rivalité de clocher.

Afin de s’assurer le contrôle des commentaires sur la visite gaullienne, Québec crée un réseau radiophonique temporaire, l’Office d’information et de publicité du Québec (OIPQ), au grand dam des journalistes de Radio-Canada et d’autres médias, qui y voient un danger de dérive totalitaire. Ce même organe finance le court-métrage documentaire de Jean-Claude Labrecque, La visite du général de Gaulle au Québec.

Au fil des chapitres, Duchesne essaie d’entretenir un suspense, qui n’existe pas. Ayant peu d’éléments inconnus à faire connaître, il étire la sauce. Un exemple : la voiture dans laquelle prend place le général de Gaulle entre sur l’île de Montréal à 18h45 le 24 juillet – à la fin du chapitre 18, mais ce n’est qu’au chapitre 21 que la célèbre exclamation est enfin lancée, pourtant seulement quelques minutes plus tard.

Le ton familier et les nombreux détails anecdotiques font de La traversée du Colbert un ouvrage grand public, d’intérêt mineur pour les spécialistes.