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La Journée mondiale de la jeunesse (JMJ dans la suite du texte) est un événement annuel institué par Jean-Paul II en décembre 1985. Organisé par l’Église catholique, il est dédié aux jeunes et se déroule alternativement de manière décentralisée dans chaque diocèse catholique et, tous les deux ou trois ans, sous forme d’un grand rassemblement international qui se tient dans une ville à chaque fois différente. La première JMJ internationale a lieu en 1987 à Buenos Aires. Ont suivi Saint-Jacques-de-Compostelle en 1989, Czestochowa en 1991, Denver en 1993, Manille en 1995, Paris en 1997, Rome en 2000 et Toronto en 2002, l’édition qui nous intéresse ici. Depuis Toronto, il y a eu six autres JMJ internationales dont la dernière en date a eu lieu à Cracovie au cours de l’été 2016.

Le schéma de la JMJ évolue au fil des ans. Pour l’édition de Toronto, l’événement dure une semaine, du lundi 22 au dimanche 28 juillet 2002. Il est précédé par quatre à cinq journées dans les différents diocèses du Canada, au cours desquelles des jeunes catholiques du monde entier rencontrent des jeunes et des familles du pays d’accueil. La semaine à Toronto est scandée par trois grands événements célébrés en présence du pape : la cérémonie d’accueil, le jeudi 25 juillet; la veillée, le samedi soir du 27; et la messe finale du dimanche 28.

Les JMJ sont des événements extrêmement riches, à la fois révélateurs d’un contexte religieux et social (Lefebvre, 2008, p. 231) et initiateurs de nouvelles dynamiques. Pour pouvoir les interpréter, il faut les replacer dans un avant et un après. En tant que faits historiques, elles peuvent être observées à partir de nombreuses perspectives – culturelle, économique, logistique, médiatique, politique. Elles ont suscité des études dans plusieurs pays les ayant accueillies, principalement la France (Hervieu-Léger, 1999; Laloux 2002 et 2014; Mercier, 2017), l’Italie (Garelli et FerreroCamoletto, 2003; Brunori, 2001), le Canada (Warren, 2006; Perreault, 2005 et 2006), l’Australie (Mason, 2010; Rymarz, 2007) et l’Espagne (Abad et LaCierva, 2013). Pour l’édition de Toronto, comme d’ailleurs pour les autres éditions, c’est principalement le point de vue des participants (Warren, 2006; Perreault, 2006) et des médias (Perreault, 2005) qui a retenu l’attention des chercheurs.

Pour ma part, je m’intéresse, dans cet article, à l’expérience des organisateurs de la JMJ de 2002 et plus particulièrement à celle des évêques du Canada. En focalisant l’enquête sur ses cadres dirigeants, je reprends une approche développée par Jacques Palard (Palard, 2011) mais le but poursuivi est différent. Il s’agit moins de saisir les stratégies de l’Église catholique quant à son rapport à la société et aux pouvoirs publics que d’éclairer son fonctionnement interne. Plus précisément, je cherche ici à comprendre comment les évêques se sont approprié le « concept » de la Journée mondiale de la jeunesse. Dans une perspective d’histoire transnationale du catholicisme (Michel, 2016), il s’agit de s’intéresser à la circulation et à la réception d’un dispositif religieux. Du point de vue d’une histoire politique du religieux, il s’agit par ailleurs de comprendre les dynamiques du pouvoir et de la régulation dans l’Église catholique, aux échelles nationale et internationale. Pour mener l’enquête, j’ai consulté les archives de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC dans la suite du texte) ainsi que celles du diocèse de Québec, dépouillé la presse et recueilli une quinzaine de témoignages oraux, à la fois au Canada, en France et à Rome.

Trois moments clés de l’histoire de la JMJ de 2002 seront successivement abordés : la prise de décision, la préparation et le bilan.

La prise de décision

Un choix collégial

L’idée d’une candidature du Canada pour accueillir la Journée mondiale de la jeunesse émerge après les JMJ de Paris, qui se tiennent au mois d’août 1997. Quelques évêques canadiens reviennent d’Europe avec cette proposition qu’ils soumettent à l’assemblée plénière de la CECC en octobre 1997. Une commission d’étude est alors chargée d’examiner le projet, notamment sa dimension pastorale et ses implications financières et logistiques, d’identifier des lieux d’accueil et de formuler un projet fédérateur pour l’Église catholique au Canada autour de l’événement JMJ[1]. Composée du secrétaire général de la CECC[2] et de son adjoint, Gérald Baril, d’un représentant du diocèse de Toronto, Mgr Anthony Meagher, et d’un représentant du diocèse de Montréal, Denis Bérubé, directeur du service de pastorale jeunesse, elle entame sa mission au début de l’année 1998.

Le travail d’enquête passe par la rencontre de plusieurs acteurs. Les autorités politiques, dont l’assentiment est considéré comme indispensable étant donné les répercussions symboliques et organisationnelles de la JMJ, sont approchées au niveau fédéral, provincial ou municipal. Les archives de la CECC attestent que les organisateurs des précédentes JMJ ont été interrogés : on y trouve notamment des notes de conversations avec le père Paul Destables et Mgr Michel Dubost, respectivement délégué adjoint et président délégué des JMJ de Paris, des reproductions de budgets et d’organigrammes ainsi que des notes de synthèse sur les principales caractéristiques des éditions passées[3]. L’enquête est également menée auprès des évêques[4] et des responsables de la pastorale des jeunes de chaque diocèse canadien[5] ainsi qu’auprès des entreprises privées, afin d’évaluer si des actions de mécénat seraient envisageables.

Cette investigation aboutit à la rédaction d’un rapport qui expose les implications d’un accueil de la JMJ par le Canada. Appelés à se prononcer lors de leur assemblée générale d’octobre 1998, les évêques donnent leur accord de principe à l’unanimité moins une abstention[6]. Le président de la CECC, le cardinal Turcotte, archevêque de Montréal, et les deux secrétaires généraux, se rendent alors à Rome pour rencontrer Mgr James Stafford et Mgr Renato Boccardo, respectivement président et responsable de la section jeune du Conseil pontifical pour les laïcs (CPL dans la suite du texte), en charge des JMJ[7]. Peu après, fin novembre, le conseil permanent de la CECC décide que Toronto sera la ville hôte et met en place une commission ad hoc, composée de quatre évêques représentant les quatre grandes régions pastorales du Canada[8]. Celle-ci est chargée de superviser l’examen complémentaire du projet avant que les évêques ne soient appelés à prendre la décision de manière ferme et définitive.

Cette commission épiscopale adresse un document à l’ensemble des évêques le 7 janvier 1999. Y figurent des informations sur le financement de l’événement, un calendrier prévisionnel, ainsi qu’un encouragement à dire oui :

Nous pensons qu’il s’agit d’un des votes les plus importants que vous aurez à prendre comme évêque. En effet, les JMJ constituent une occasion unique de rallier toute l’Église catholique au Canada dans une vaste entreprise de réconciliation et de renouveau. Après avoir pris connaissance du présent document, nous espérons que vous partagerez notre enthousiasme et notre détermination à l’endroit des JMJ[9].

Le vote s’effectue par correspondance le 25 février 1999[10]. L’acceptation est quasi unanime : sur 61 votants, on compte 58 pour, 2 pour sous condition et 1 seul contre. Le cardinal Turcotte écrit dès le lendemain à Mgr Stafford pour poser officiellement la candidature du Canada. Celui-ci lui répond que le pape a retenu Toronto comme prochaine destination de la JMJ quatre semaines plus tard (le 20 mars 1999), même si l’annonce officielle n’intervient qu’en août 2000, à la fin des JMJ de Rome.

Le processus de décision dure donc presque une année et demie (octobre 1997- février 1999). Il passe par de nombreuses consultations, non seulement de l’ensemble des évêques mais aussi des différents acteurs porteurs d’expérience ou jugés indispensables à la réussite de l’événement. Ce qui est frappant, c’est que ce processus est collégial et mûrement pesé. Pour la JMJ de Paris, le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, ami proche de Jean-Paul II, avait, suivant une intuition qu’il portait en lui, influé personnellement à Rome pour que la France soit choisie, mettant ses confrères évêques, pour la plupart réticents[11], devant le fait accompli[12]. Pour la JMJ de Toronto, la décision apparaît au contraire comme le fruit d’une décision collective précédée par de nombreuses consultations.

La différence avec le processus français de décision, où un évêque, intérieurement convaincu, prend tout seul le risque d’engager son pays dans un projet qui suscite peu d’enthousiasme chez ses confrères, s’explique sans doute pour partie par les profils des personnalités influentes des deux conférences épiscopales. En France, le cardinal Lustiger était un homme passionné, entier, visionnaire pour les uns, autoritaire pour les autres. À l’échelle de son diocèse comme à celle de la France, il a mis en oeuvre ses intuitions contre vents et marées, quitte à court-circuiter les processus de délibération et à affaiblir la collégialité. Il pouvait se le permettre en raison de sa proximité avec Jean-Paul II (Tincq, 2012). Il n’y avait pas de profil équivalent d’évêque (à la fois puissant et se situant sur un registre prophétique) au Canada, même si l’homme fort de la CECC à la fin des années 1990, le cardinal Turcotte, ne manquait ni de charisme ni de popularité (Leblanc, 2002, p. 1094).

Le contraste entre les deux processus décisionnels est aussi, sans doute, affaire de culture politique. Comme l’a montré Nive Voisine, les évêques canadiens ont une longue tradition de concertation à l’échelle provinciale, qui s’appuie sur le travail préalable des experts et des cadres permanents, chargés de fournir des éléments d’évaluation[13]. La délibération résulte aussi d’une approche prudente de la dualité canadienne : dans un contexte où les tensions entre évêques francophones et anglophones peuvent être parfois vives et où le travail collectif à l’échelle fédérale ne va pas de soi, la consultation apparaît comme un préalable indispensable à l’adhésion et la participation de tous au projet (Voisine, 1983). Dans une France culturellement davantage homogène et politiquement centralisée, l’idée qu’un leader peut convaincre après coup du bienfondé d’une décision prise solitairement semble davantage partagée. Dans une certaine mesure, les deux conférences épiscopales sont des microcosmes révélateurs des cultures politiques de deux pays structurellement différents.

Au-delà des spécificités nationales, le caractère délibératif plus affirmé au Canada qu’en France s’explique aussi par une conscience plus vive des risques encourus en accueillant la JMJ, notamment sur le plan financier. En raison peut-être du souvenir de l’important déficit généré par la visite de Jean-Paul II en 1984 (Palard, 2010, p. 81), les évêques canadiens semblent plus inquiets que leurs homologues français. Dans ce contexte, le processus décisionnel choisi permet de lier tous les évêques à la décision pour éviter les désolidarisations en cas de problème.

Un choix informé

Le choix d’accueillir la JMJ repose sur une procédure collégiale d’assentiment, formellement exprimé par deux votes successifs, qui permet d’envisager la réussite de l’événement comme une responsabilité partagée entre les diocèses. Les évêques ont effectué leur choix sur la base d’informations précises, recueillies par les deux commissions successives, et qui permettent de répondre aux questions qu’ils se posent.

Dans la documentation produite au cours de la phase consultative[14], on saisit que beaucoup d’évêques s’interrogent sur les ressources financières que leur diocèse va devoir mobiliser pour l’événement. Les questions d’argent reviennent en effet à de multiples reprises dans les courriers que les prélats adressent à la commission d’étude. Deux exemples parmi beaucoup d’autres : « Au plan financier : en cas de déficit qui paie? En cas de surplus, où va l’argent? » (Mgr Marchand, évêque auxiliaire d’Ottawa); « Il faudrait pousser plus loin l’étude au plan du financement pour s’assurer que la CECC ne se retrouve pas dans la situation d’avoir à éponger un déficit » (Mgr Morissette, évêque de Baie-Comeau). Cet aspect paraît particulièrement sensible, comme en témoignent ces mots de Gérald Baril à Paul Destables : « Étant donné que l’aspect financier semble préoccuper beaucoup nos évêques, il me faut donner toutes les informations disponibles à ce propos[15]. » Sur le plan des ressources humaines, les évêques se demandent également ce que cela va impliquer pour leur diocèse : « Quel sera l’engagement demandé aux services de pastorale jeunesse de chaque diocèse? Total? Partiel? » demande Mgr Saint-Gelais (diocèse de Nicolet). De manière connexe à ces interrogations, les évêques se demandent s’ils pourront compter sur un soutien des organisations gouvernementales et privées : « S’assurer au point de départ de la participation financière des différents gouvernements et des organismes privés » (Mgr Saint-Antoine, évêque auxiliaire de Montréal); « Identifier davantage ce qui serait du ressort de l’Église, du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et de la ville d’accueil » (Mgr Vallée, diocèse d’Hearst).

Les questions de moyens ne sont pas les seules sur lesquelles les évêques canadiens ont besoin d’être rassurés. Ils expriment également des inquiétudes sur le niveau de participation. Mgr Durocher, évêque auxiliaire de Sault-Ste-Marie, remarquant que la densité de population du milieu d’accueil est plus faible qu’en région parisienne (« Paris a quand même une population de 10 000 000 vs 2 000 000 à Toronto ou Montréal »), semble appréhender les problèmes causés par l’arrivée de pèlerins proportionnellement trop nombreux par rapport à la population canadienne. À l’inverse, Mgr Saint-Antoine, évêque auxiliaire de Montréal, se demande s’il y aura suffisamment de participants étant donné la faible densité du territoire canadien, et peut-être la moindre attractivité de ses villes, par rapport à Paris : « Bien évaluer le nombre des participants, compte tenu […] de la population beaucoup plus élevée aux États-Unis et en Europe qu’au Canada. La ville de Paris est par elle-même une attraction particulière pour les jeunes qui y sont venus en grand nombre. »

La pertinence du concept JMJ dans le contexte canadien, non pas du point de vue démographique mais du point de vue sociologique et culturel, fait aussi partie des éléments d’interrogation chez des évêques, notamment québécois, qui ont intégré la « sortie de la religion » de la société (Palard, 2011, p. 731-732) : « Avons-nous vraiment identifié toutes les raisons qui motivent à recevoir les JMJ? Comprenons-nous la réalité socio-religieuse des jeunes québécois et canadiens de la post-modernité? » se demande Mgr Saint-Gelais, évêque de Nicolet. Son confrère de Rouyn-Noranda (Mgr Hamelin) attire également l’attention sur l’effet de l’événement sur la population dans son ensemble : « Il faudra être sensible à l’opinion publique, non seulement celle des catholiques convaincus et militants mais aussi des autres qui auront à apprécier l’événement. »

D’autres craintes apparaissent plus isolées mais n’en sont pas moins significatives. Mgr Gaumond de Sherbrooke pose la question du décès de Jean-Paul II, dont l’état de santé, en 1998, s’était déjà dégradé : « Qu’advient-il alors du projet des JMJ? » Mgr Vallée s’interroge quant à lui sur la sécurité et des protocoles possibles avec les corps policiers.

Les enquêtes menées par la commission d’études et la commission ad hoc permettent d’apporter un certain nombre d’éléments de réponse aux évêques.

Concernant la question de l’impact financier pour les diocèses, les documents distribués aux évêques mettent en avant le fait que, contrairement à l’édition américaine de 1993 qui a laissé un déficit de 4,5 millions de dollars (pour un budget total de 30 millions de dollars[16]), l’édition parisienne de 1997 a terminé avec un surplus de 900 000 dollars (pour un budget total de 60 millions de dollars), grâce à un appel réussi aux dons à l’issue de l’événement qui a permis de récolter plus que le déficit initial[17]. Cela rassérène Mgr Jean-Guy Hamelin, qui écrit : « L’aspect financier reste toujours névralgique et le rapport de l’Église de France montre la possibilité d’une organisation qui ne grèverait pas le budget de la conférence. » D’autres restent malgré tout circonspects, comme Mgr Veillette, évêque de Trois-Rivières, qui se demande si, indirectement, ce ne sont pas les diocèses qui ont épongé le déficit de Paris, ou encore Mgr Couture, de Québec, qui trouve que les coûts de la JMJ de Paris sont « démesurés » et se demande si l’on peut identifier ce qui les a fait gonfler.

Concernant la question du soutien des autorités politiques, le bureau du Premier ministre canadien, Jean Chrétien, accepte d’inviter le pape à effectuer une visite d’État si la CECC candidate. Aux niveaux provincial et municipal, si l’accueil est relativement prudent au Québec et à Montréal où les autorités refusent tout engagement ferme, l’Ontario et Toronto réagissent très positivement : « c’est avec enthousiasme que toutes deux se disent prêtes à fournir des garanties financières importantes », peut-on lire dans le rapport final qui contient un tableau comparatif mettant clairement en évidence les avantages d’un scénario ontarien[18]. La photocopie de la lettre adressée par le maire de Toronto aux responsables de la CECC permet d’étayer l’affirmation. Mel Lastman y déclare son enthousiasme pour le projet et propose de l’appuyer de toutes ses forces tout en évitant de donner l’impression de vouloir y interférer[19]. Selon Bede Hubbard, qui travaillait à la CECC à l’époque, les promesses de l’édile, ancien marchand ambulant qui avait mis ses talents de vendeur au service de la promotion de sa ville, étaient destinées à « emporter le morceau » face à Montréal[20]. Peut-être que, paradoxalement, Lastman, qui était juif et anglophone, avait moins de réserves à accueillir un événement catholique que les autorités municipales de Montréal[21].

Pour ce qui concerne les grandes entreprises, le rapport final est moins précis quant au résultat des contacts mais ses rédacteurs se veulent confiants, considérant que la coopération des milieux d’affaire de Toronto est presque assurée. Ils écrivent : « Au niveau de l’entreprise privée, comme pour les États-Unis et la France, il serait sûrement facile d’obtenir des commandites de toute sortes, que ce soit du domaine des télécommunications, de l’informatique ou des produits alimentaires. Des contacts ont été établis avec les grandes lignes aériennes canadiennes et Via Rail[22]. »

L’on ne trouve pas, dans les rapports, d’arguments permettant de répondre aux inquiétudes concernant le nombre de participants, mais il y a en revanche des éléments visant à convaincre ceux des évêques qui doutent de la pertinence pastorale de la JMJ. Les « fruits » de la JMJ parisienne, tels qu’ils ont été présentés par les organisateurs français, sont mis en avant[23] : dynamique de coopération plus grande entre les différents acteurs de la pastorale des jeunes, intensification de l’engagement des jeunes catholiques, augmentation du nombre de conversions et de baptêmes, amélioration de l’image de l’Église catholique dans les médias, ouverture internationale renforcée… Face à ces perspectives enthousiasmantes, certains évêques restent circonspects, comme Mgr Saint-Gelais, évêque de Nicolet : « Les retombées des JMJ sont nombreuses. Elles ne sont pas toujours visibles et vérifiables. Attention de ne pas rechercher que ce qui paraît. » Mais d’autres, et sans doute la plupart, sont séduits. Mgr Morissette écrit : « L’intérêt pastoral, surtout après la rencontre de Paris, semble évident. » De même, l’évêque de Moncton, Mgr Léger remarque : « Les statistiques sont intéressantes et interpellantes. On y décèle un intérêt grandissant chez les jeunes du monde et un impact pastoral encourageant. »

Ce sont ces informations, relayées par les membres de la commission, qui ont poussé les évêques, qui pour certains avaient été personnellement très impressionnés par la JMJ parisienne de 1997, à voter quasi unanimement, dans un certain enthousiasme, pour une candidature aux JMJ[24].

La phase de préparation

Après le temps du discernement vient celui de la préparation de l’événement, qui s’ouvre en mars 1999, après acceptation par le Saint-Siège de la candidature canadienne.

Structurer l’organisation

Concernant la manière dont les responsabilités devaient être partagées, les Français ont donné un certain nombre de conseils durant la phase consultative. Sans doute marqués par la présence forte de l’archevêque de Paris lors de la préparation, ils ont suggéré aux Canadiens que l’évêque de la ville hôte n’ait pas trop de pouvoirs : « Important que le comité d’organisation ait carte blanche et que l’évêque du lieu ne puisse influer sur les décisions »; « Lustiger allait voir directement le pape; Lustiger disait que le pape avait dit alors que celui-ci disait ‘‘mmmm’’ (grommelait); il aurait fallu un comité épiscopal plutôt qu’un seul évêque en charge, prendre quelqu’un de fiable pour faire le lien avec Rome. » Les organisateurs de la JMJ de Paris ont également recommandé la création d’une structure ad hoc, juridiquement indépendante de la conférence épiscopale[25], afin que celle-ci soit juridiquement protégée. Ils ont par ailleurs insisté sur l’enjeu qu’il y avait à rendre les jeunes pleinement acteurs de l’événement, en leur confiant des responsabilités[26].

Les évêques canadiens suivent ces préconisations, notamment la première, qui correspond à la culture de la collégialité du catholicisme canadien. Ainsi, l’archevêque de Toronto n’apparaît pas spécifiquement dans l’organigramme, dans lequel la CECC est placée, seule, juste en dessous du CPL (alors que, dans l’organigramme de la JMJ de 1997, l’archevêque de Paris était placé au même niveau que la conférence épiscopale, surplombant le comité d’organisation). En dessous de la CECC, on trouve un comité d’organisation également collégial. Tandis que le comité français était composé d’un seul évêque, assisté par deux prêtres et trois laïcs, le comité canadien est composé de quatre évêques (représentant les quatre régions pastorales) et du secrétaire général de la CECC. Même s’il est présidé par Mgr Meagher, l’évêque auxiliaire de Toronto, il est moins hiérarchisé que le comité français. Il apparaît comme une instance représentative de la diversité des territoires canadiens. Concernant la seconde recommandation, une corporation juridiquement autonome est créée. Elle est dirigée par les membres du comité d’organisation et chargée de gérer concrètement le projet.

Aux niveaux inférieurs de l’organigramme, la présence d’un directeur national (alors qu’il n’y a qu’un secrétaire général dans l’organigramme français) semble indiquer que la mise en oeuvre opérationnelle ne sera pas directement du ressort du comité d’organisation, ce que confirme la fiche de poste très détaillée[27]. Celle-ci précise que le directeur national « assure l’entière coordination des activités, services et contacts avec les organismes ecclésiaux, gouvernementaux et privés associés à l’organisation de la JMJ au Canada ». Il représente les évêques au comité-joint permettant à l’Église catholique et aux différents gouvernements (national, provincial et municipal) de se concerter dans la préparation de la JMJ[28]. Il est chargé de mettre en place la corporation autonome, de l’organiser, d’embaucher, de trouver un local. Il doit élaborer les activités et le déroulement des JMJ et superviser la recherche de fonds. Le comité d’organisation lui laisse donc une large marge de manoeuvre pour mettre en oeuvre le projet. Le directeur doit néanmoins saisir ce dernier pour « toutes les questions urgentes ou problèmes majeurs qui nécessitent une attention particulière ».

Un appel à candidature est lancé pour pourvoir à ce poste stratégique de directeur national. Dans les archives de la CECC, trois lettres de candidatures sont conservées, dont celle du père Thomas Rosica[29], que le comité d’organisation décide d’embaucher le 24 juin 1999[30]. L’heureux élu a un profil qui correspond au poste[31] : né en 1959, ordonné en 1986, c’est un prêtre relativement jeune puisqu’il fête ses quarante ans. Son parcours de vie l’a orienté vers les relations internationales et le dialogue interculturel. Né aux États-Unis, il a la double citoyenneté américaine et canadienne. Ses études à Rome et à Jérusalem lui permettent de parler couramment – outre l’anglais – le français, l’italien et l’allemand, et d’avoir des notions d’espagnol, d’hébreu et d’arabe. Elles l’ont par ailleurs amené à s’engager dans le dialogue judéo-chrétien. Rosica a une bonne expérience de pastorale des jeunes en tant qu’aumônier et directeur du Newman Center Catholic Mission de Toronto. La Congrégation de Saint-Basile à laquelle il appartient est orientée principalement vers l’éducation. Ses nombreuses participations à des émissions de télévision et de radio ont forgé sa connaissance des réseaux et des logiques médiatiques. Il apparaît aux évêques comme un homme entreprenant et inventif. Mgr Couture résume ainsi le sentiment général : « En bon québécois, des gens de ce genre-là, on les appelle des bulldozers, c’était un homme d’une énergie et d’une créativité fabuleuses[32]. »

Rosica embauche progressivement, après accord du comité de direction, le personnel de la corporation. En juin 2000, les derniers postes sont en train d’être pourvus. Le recrutement semble parfois se faire suite à l’intervention d’évêques, qui placent tel ou tel sans que le directeur national ne semble avoir son mot à dire[33]. Les personnes recrutées ont des profils variés. Certaines sont déjà employées par l’Église catholique. C’est le cas de René Laprise, qui quitte temporairement le diocèse de Gatineau pour devenir l’assistant francophone au directeur de la communication[34]. D’autres viennent d’univers professionnels très différents, comme Jasmin Lemieux-Lefebvre, qui quitte un emploi prestigieux lié au festival « Juste pour rire » de Montréal pour devenir le coordinateur de la promotion des JMJ[35]. Il y a un certain nombre de jeunes cadres qui mettent leur carrière entre parenthèses[36].

Se concerter avec « Rome »

La structure d’organisation mise en place, les organisateurs canadiens de la JMJ peuvent s’atteler à la préparation de l’événement, en étroite concertation avec le CPL, qui supervise, au nom du pape, les différentes éditions des JMJ.

Sur la question des relations avec la curie romaine, les organisateurs de la JMJ de Paris avaient donné des conseils aux Canadiens, leur indiquant les acteurs susceptibles de provoquer des blocages ou des difficultés. Ils avaient pointé les sujets sensibles qu’il valait mieux mettre au clair dès le départ, notamment la possibilité de percevoir des frais d’inscription de la part des pèlerins ou le fait d’organiser des journées d’accueil dans les différents diocèses avant la semaine à Toronto. Ils avaient en outre conseillé de demander aux responsables du CPL d’exprimer clairement les domaines sur lesquels ils voulaient garder la main, afin de favoriser un clair partage des tâches[37]

Tenant compte de ces conseils, les Canadiens conditionnent leur candidature à la possibilité de percevoir des frais d’inscription des participants[38] et annoncent dès le départ qu’ils souhaitent organiser, comme à Paris, des pré-JMJ dans toutes les régions du Canada[39], ce qui est accepté sans difficulté par le CPL. L’aide des Français ne leur permet pas pour autant d’être en position de force pour façonner l’événement. Lors de l’édition parisienne, le cardinal Lustiger, extrêmement déterminé à défendre son projet et très proche du pape, avait réussi à obtenir gain de cause sur plusieurs dossiers, contre l’avis initial de différents membres de la curie : le déroulement de la grande veillée du samedi soir, la structuration des catéchèses, le thème, la terminologie (remplacement de « Journée mondiale de la jeunesse » par « Journées mondiales de la jeunesse ») et la liturgie (notamment son adaptation aux contraintes de la télévision et l’utilisation de chasubles arc-en-ciel non conformes aux normes édictées dans le missel romain). La situation apparaît différente lors de la préparation de l’édition canadienne. Dans ses échanges avec les Canadiens, le cardinal Stafford rappelle la nécessité d’initier le processus de préparation à Rome[40], et positionne le CPL comme instance décisionnelle suprême : [traduction] « Il est souligné que le Conseil pontifical pour les laïcs est l’interprète officiel de la pensée du Saint Père sur les Journées mondiales de la jeunesse. Par conséquence, toutes les questions fondamentales doivent lui être référées[41] ». Concrètement, Rome prend la main sur l’organisation des cérémonies impliquant le pape[42], et précise qu’il est hors de question d’ajuster, comme cela avait été le cas en France, la veillée du samedi soir au format télévisuel[43]. Le CPL tient aussi à avoir le contrôle sur les catéchèses que doivent donner les évêques, en sollicitant directement les conférences épiscopales, en choisissant les thèmes, et en rédigeant les instructions[44] (alors qu’elles étaient, pour Paris, de la responsabilité du comité français d’organisation). Comme l’écrit Mgr Meagher à Mgr Ambrozic : [traduction] « Cette affaire n’est pas sous notre contrôle[45]. » Rome souhaite par ailleurs être décisionnaire quant à l’usage du fonds de solidarité (alimenté par les pèlerins du Nord, il doit permettre la venue des pèlerins du Sud) en choisissant les bénéficiaires. Concernant la terminologie, bien que les Canadiens aient argumenté pour que l’événement soit appelé, comme à Paris, « Les Journées mondiales de la jeunesse »[46], la version finale du logo reprend la formule au singulier, telle qu’utilisée par les membres du CPL. La section jeune du CPL s’intéresse également à des détails pratiques, comme les points de distribution de nourriture après les catéchèses[47].

Ces initiatives peuvent être interprétées comme des symptômes d’une recentralisation de l’Église catholique sous le pontificat de Jean-Paul II, mise en évidence par plusieurs chercheurs (Palard, 2004; Palard, 2011, p. 13; Miccoli, 2012, p. 152-169), mais il me semble qu’elles relèvent également de dynamiques plus contingentes qui ne procèdent pas forcément d’une impulsion venue du haut : le cardinal Stafford, qui avait connu, en tant qu’archevêque de Denver, la préparation de la JMJ de 1993 du côté du pays hôte, était convaincu que les organisateurs locaux étaient plus à même que le CPL de saisir les enjeux pastoraux. Tout en affirmant, en tant que président du CPL, son point de vue sur plusieurs sujets, il était favorable à ce que le pays d’accueil bénéficie d’une large autonomie[48]. L’élargissement des prérogatives du CPL semble plutôt résulter de facteurs contingents. Côté canadien, les organisateurs y ont vu une conséquence du fait que la JMJ de Toronto venait juste après celle de Rome, au cours de laquelle la section jeune du CPL s’était retrouvée au coeur de la machine organisationnelle et avait donc pris l’habitude d’élargir son périmètre d’action[49]. Côté romain, on insiste sur le fait que le CPL, du fait de sa connaissance du déroulement des précédentes éditions, possédait une expertise qui permettait de percevoir les impasses de certaines solutions prévues par les organisateurs canadiens. Cela a pu pousser à prendre la main par souci d’efficacité[50]. Paradoxalement, la mise en retrait du cardinal de la ville hôte, et le choix d’une organisation collégiale ont peut-être également affaibli les Canadiens à Rome.

Quoi qu’il en soit, ce pilotage romain semble relativement bien accepté par les Canadiens, même si, au fur et à mesure que l’événement approche, on sent que les tensions grandissent du fait que le CPL semble s’acquitter des missions qu’il s’est arrogées sans prendre en compte les contraintes du pays d’accueil. Ainsi, concernant le fonds de solidarité, le père Rosica remarque en mars 2002 que le CPL a déjà dépensé le double de ce que prévoyait l’accord initial[51]. En juin, c’est au sujet des catéchèses que surgissent des crispations. D’une part, les organisateurs canadiens estiment que le nombre d’évêques-catéchètes invités par le CPL, dont les frais de déplacement sont à la charge du Canada, est trop élevé par rapport aux besoins[52]. D’autre part, il semble être avéré que malgré ce nombre important, les besoins de catéchètes anglophones ne sont pas couverts, ce qui suppose des organisateurs canadiens qu’ils trouvent en urgence de nouveaux évêques disponibles[53].

Construire un projet pastoral

Concernant le message de la JMJ et son positionnement religieux et social, le CPL défend l’idée d’un événement catholique par et pour les catholiques, mais il serait exagéré de dire qu’il l’impose, dans la mesure où les organisateurs canadiens semblent adhérer à cette option. Initialement, une partie d’entre eux souhaitait donner une dimension oecuménique voire interreligieuse à la JMJ de 2002, compte tenu du caractère pluriconfessionnel et multiculturel du Canada, en se situant dans le sillage de l’encyclique Ut unum sint publiée par Jean-Paul II en 1995[54]. L’idée est soumise à l’appréciation des responsables diocésains de la pastorale des jeunes à l’été 1998. Ceux-ci adhérent à cette idée, tout en soulevant ses implications si l’on voulait la prendre au sérieux. Une responsable anglophone suggère ainsi que des non catholiques soient pleinement associés à l’événement dès sa phase préparatoire[55]. Dans leur rapport final de 1998, les évêques membres de la commission ad hoc notent que, majoritairement, les responsables de la pastorale des jeunes demandent à ce que la dimension oecuménique soit privilégiée, dans l’esprit du grand jubilé de l’an 2000[56]. Une fois le comité d’organisation constitué, cette dimension semble néanmoins mise en second plan. Mgr Meagher, son président, se prononce clairement, au printemps 2000, pour un événement clairement identifié comme catholique[57], reprenant la position traditionnelle de Rome sur les JMJ, déjà exprimée lors de la préparation de la JMJ de 1997 quand certains des organisateurs français plaidaient en faveur d’une approche oecuménique (Mercier, 2017).

Même s’il est dorénavant clair que l’événement sera structurellement catholique, des tentatives sont faites pour y intégrer des éléments permettant aux autres confessions chrétiennes de s’y sentir invitées. En janvier 2001, le président de la commission oecuménisme de la CECC, Mgr Jean-Louis Plouffe, suggère de donner une dimension oecuménique aux temps forts n’ayant pas d’implication eucharistique : le chemin de croix du vendredi, la vigile du samedi ainsi que les différentes catéchèses des évêques[58]. Ces propositions sont pour partie reprises à son compte par le comité exécutif[59] mais se heurtent pour la plupart à l’opposition de Rome. En avril 2001, Mgr Stafford insiste sur l’identité catholique de la JMJ qu’il qualifie « d’enjeu fondamental qui ne doit faire l’objet d’aucune ambiguïté et qui doit être présente tant dans la préparation que dans le déroulement »[60]. En mai 2001, il déclare qu’il est opposé à toute cérémonie oecuménique durant les journées de Toronto. Il ne voit pas en revanche d’inconvénients à ce que la place importante de l’oecuménisme dans la vie de l’Église canadienne soit évoquée durant les catéchèses et qu’il puisse y avoir une place pour cet aspect au cours des journées en diocèse[61]. Au retour de cette réunion, Mgr Meagher exprime ainsi la ligne qui a été définie par Rome : [traduction] « L’événement de la Journée mondiale de la jeunesse à Toronto présentera notre foi catholique dans toute sa richesse sans que l’on ne cherche à développer une composante oecuménique ou interconfessionnelle[62]. »

Le positionnement de Rome est motivé, selon Mgr Meagher, par plusieurs éléments. Le premier, c’est une inquiétude vis-à-vis de l’attrait exercé par les autres Églises chrétiennes du Canada et d’Amérique du Sud sur les jeunes catholiques : [traduction] « Un nombre significatif de nos jeunes ont quitté l’Église catholique parce qu’ils se sentent mieux acceptés ailleurs[63]. » Pour le Saint-Siège, la JMJ doit permettre, sur le marché concurrentiel du religieux[64], d’enraciner les jeunes dans le catholicisme. Elle ne doit pas, en incluant les Églises protestantes, constituer un sas de sortie pour ses participants. Le refus de l’ouverture oecuménique repose également sur une intuition : dans une société multiculturelle, l’identité forte (et non pas affaiblie ou diluée dans une perspective oecuménique, interreligieuse ou humanitaire[65]) est la posture adéquate pour attirer des gens de l’extérieur[66], et aussi pour permettre aux jeunes catholiques d’être à l’aise avec la diversité ethnique, culturelle et religieuse. Dans les brochures de préparation à l’événement, les organisateurs insistent sur l’idée que l’enracinement dans une foi constitue un préalable à l’ouverture multiculturelle. Ainsi le père Francis Kohn, qui a remplacé Mgr Boccardo à la tête de la section jeune du CPL, écrit : « Des cultures et religions de tous les coins du monde cohabitent à Toronto, condition d’une grande richesse humaine et d’un fort élan innovateur, mais qui soulève des défis de tolérance, de cohabitation pacifique, de respect réciproque et, en même temps, de solide enracinement dans les valeurs traditionnelles de chacun[67]. » Cet enracinement passe, dans le livret, par une présentation des grandes figures du catholicisme canadien : les martyrs jésuites et les fondateurs – comme François de Laval, ou Kateri Tekakwitha, première autochtone d’Amérique du Nord à avoir été canonisée. Les jeunes pèlerins sont invités à s’inscrire dans une lignée croyante (Hervieu-Léger, 2000) et à découvrir la tradition qui fonde le catholicisme au Canada. Il me semble qu’ici, la volonté d’une identité catholique forte n’est pas à interpréter comme un refus du pluralisme religieux et culturel de la société globale, valorisé au contraire dans les mots de Francis Kohn comme dans ceux du cardinal Stafford[68], mais comme une des conditions de son acceptation par les jeunes catholiques, une fois leur formation achevée. On est dans un modèle qui combine identité personnelle intégrale et reconnaissance positive du pluralisme social, modèle qui caractérise, selon Giovanni Miccoli, le pontificat de Jean-Paul II (Miccoli, 2012, p. 349). Sur cette question, une comparaison avec les milieux juifs qui sont engagés dans le dialogue interreligieux tout en travaillant fortement à la transmission individuelle de l’identité juive aux jeunes (Cohen, 2016) serait intéressante.

L’abandon de la dimension oecuménique, tout du moins pour les événements structurants, semble bien acceptée par les organisateurs canadiens qui ont le sentiment que cela simplifie leur tâche : « Dans un certain sens, la décision de Rome nous a enlevé des maux de tête » considère Mgr Schonenbach[69]. De même, Mgr Berthelet déclare : « C’est déjà un défi énorme que de rassembler les jeunes, que d’intéresser tous les évêques à cet événement-là et puis les prêtres et les agents de pastorale dans les diocèses. […] Inviter comme participants des jeunes d’autres Églises ou d’autres religions, là ça élargit les objectifs, et c’est plus lourd à porter[70]. »

Mobiliser

L’un des enjeux les plus importants de la phase de préparation consiste à mobiliser pour parvenir à créer un événement religieux de masse. Les objectifs sont ambitieux : début 2001, le comité d’organisation compte sur l’inscription payante de 750 000 pèlerins, dont 200 000 Canadiens, avec un budget de 340 millions de dollars[71]. L’atteinte de ces objectifs suppose la mobilisation des jeunes mais aussi des entreprises, dont la contribution est essentielle. Concernant celles-ci, un plan de parrainage est mis en place pour convaincre de l’opportunité extraordinaire des JMJ pour faire connaître une marque à l’international et l’associer à des valeurs positives, telles que la célébration de la foi, le dialogue des cultures et l’engagement social[72]. Concernant les jeunes Canadiens, la stratégie repose principalement sur la mobilisation des mouvements et des diocèses, via les animateurs de la pastorale des jeunes.

Les résultats apparaissent géographiquement très variables et semblent dépendre de plusieurs paramètres. La proportion d’anglophones et de francophones constitue un premier facteur de différenciation entre diocèses, dans la mesure où les anglophones apparaissent plus motivés par la JMJ que les francophones. Mgr Berthelet le remarque dans son diocèse de Saint-Jean Longueuil, pour lequel il note, a posteriori, que les 10 % d’anglophones se sont davantage impliqués. Il attribue cet écart à la sécularisation plus poussée des francophones[73]. Quand je lui ai demandé si le choix de Toronto, et non de Montréal, comme ville hôte avait pu décourager des francophones, il m’a répondu qu’effectivement, certains avaient pu se sentir humiliés. On peut faire l’hypothèse que le régime de religion culturelle de la majorité des Québécois (Meunier et Wilkins-Laflamme, 2011), imbriquant étroitement identité nationale et catholicisme, ne favorisait pas la mobilisation pour un événement « déterritorialisé » en Ontario. Des jeunes ont pu ressentir des sentiments analogues à ceux de Jean-Marc Léger, qui déplorait dans Le Devoir que le Québec soit ignoré :

La deuxième édition de ce rassemblement en terre nord-américaine se tient de nouveau dans une grande ville anglo-saxonne [après Denver en 1993] alors que Québec ou Montréal, la première de ces deux villes surtout, offrait l’éminent, le précieux avantage d’un témoignage historique et culturel singulier. Cela aurait représenté l’occasion de proposer aux jeunes catholiques du monde entier et à bien d’autres jeunes un message original au lieu du tout uniforme anglo-américain.

Léger, 2002

Le développement d’une « pastorale des jeunes » apparaît comme le deuxième soubassement des fortes mobilisations régionales. Ceux des grands diocèses qui, comme Toronto, avaient un solide réseau d’aumôneries scolaires et universitaires, ont généralement fourni un nombre important d’inscriptions, ce qui n’était pas le cas dans des petits diocèses avec moins de moyens[74]. L’existence de dispositifs ciblant les jeunes apparaît comme une condition nécessaire mais pas suffisante. L’adhésion des responsables, ou d’un groupe motivé de jeunes, au projet de la JMJ est un autre prérequis. Or, celui-ci est loin d’être partout présent. Dans le diocèse de Saskatoon, la responsable de la pastorale des jeunes n’est guère enthousiasmée par la JMJ qui, selon elle, mobilise un temps et une énergie considérables alors que les ressources sont limitées. Elle reconnaît néanmoins que c’est ce qui intéresse les gens, même si c’est pour du court terme[75].

À l’échelle nationale, les inscriptions peinent à décoller. Loin des 200 000 initialement prévues, au 12 juillet 2002, soit deux semaines avant le début de l’événement, il n’y a que 36 000 inscrits canadiens, dont un tiers pour le seul week-end[76]. Toutes générations confondues, la population canadienne semble peu intéressée par la JMJ et la visite du pape. Un sondage effectué par Léger Marketing fin mai 2002 montre que 50 % des personnes interrogées sont au courant de la visite de Jean-Paul II, mais que seules 37 % se disent intéressées par ce qui se passera pendant son séjour[77]. Du côté des pèlerins étrangers, la mobilisation est tout autant à la peine. Au 12 juillet, avec 107 000 inscrits, on est loin des 550 000 attendus. De multiples facteurs semblent jouer en défaveur de la JMJ : le 11 septembre 2001 et la crainte de nouveaux attentats, notamment chez les jeunes États-Uniens, la crise financière qui frappe les Sud-Américains… Le fait que le Vatican adjoigne au voyage du pape au Canada des visites au Guatemala et au Mexique aurait dissuadé un certain nombre de jeunes Latinos de venir au Canada[78]. Face à ces difficultés, qui risquent non seulement de réduire l’impact de l’événement, mais aussi de grever son budget de par la diminution des recettes liées aux frais d’inscription, les évêques organisateurs sonnent la mobilisation générale. Ils cherchent à diminuer les dépenses (qui passent, par étapes, de 340 millions à 80 millions en avril 2002)[79]. Ils frappent également à la porte des gouvernements pour obtenir des aides financières supplémentaires[80], avec succès pour ce qui concerne le niveau fédéral[81].

Les JMJ à l’heure du bilan : feu de paille ou étincelle?

Les faits majeurs de l’édition 2002 des JMJ

Si seule une partie des évêques a été fortement mobilisée par la préparation, tous, sauf ceux qui ont des ennuis de santé, comme Mgr Couture, empêché d’aller à Toronto à cause de problèmes cardiaques[82], participent aux JMJ, d’abord pour l’accueil des pèlerins lors des journées en diocèse, ensuite pour donner des catéchèses, participer aux différentes cérémonies et confesser les pèlerins lors de la semaine à Toronto.

Contrairement à ce que pouvait laisser craindre les basses eaux des chiffres d’inscription, la participation se révèle finalement bonne et en croissance au fur et à mesure de l’événement. 375 000 personnes pour la cérémonie d’accueil avec le pape, 500 000 pour le chemin de Croix, 600 000 pour la veillée du samedi soir et 800 000 pour la messe finale (Zenit, 2002), malgré une météo capricieuse. Les chiffres, très supérieurs au nombre final d’inscrits (187 000 dont 49 000 Canadiens et 138 000 étrangers) semblent véridiques[83]. Ils ont été obtenus à partir de survols d’hélicoptère effectués en coopération avec une radio québécoise[84]. Beaucoup de participants se sont décidés au dernier moment.

À la télévision, la JMJ obtient des bons succès d’audience. Selon The Catholic Register, elle aurait fourni à CBC ses meilleurs chiffres de l’été, avec notamment 1,68 millions de téléspectateurs pour le chemin de croix, conçu de manière très spectaculaire (Catholic Register, 2002). Dans la presse écrite, le traitement médiatique semble différencié entre la presse anglophone et la presse francophone. La première, y compris la presse catholique comme le Catholic Register, après avoir été critique durant la phrase préparatoire[85], évolue vers un regard positif, voire enthousiaste durant l’événement. Certains quotidiens choisissent l’angle émotionnel pour couvrir la JMJ : ils mettent en avant le courage et la force du pape malgré la maladie ou encore des figures de pèlerins touchés par la présence de Jean-Paul II. Ainsi, dans le numéro du National Post du 27 juillet, on peut lire un article sur une personne en situation de handicap qui éclate en sanglots au contact du souverain pontife, ainsi qu’un billet d’une chroniqueuse qui écrit qu’elle a été émue par le pape alors qu’elle n’est pas croyante. La presse francophone occupe un créneau plus critique, voire sarcastique, même après l’arrivée du pape qui a marqué le retournement de la presse anglo-saxonne[86]. Par rapport à la visite de 1984 du pape au Canada, au cours de laquelle les critiques de la phase préparatoire avaient « été submergées par la force de l’événement » (Lemieux, 1987, p. 13), les journalistes québécois campent sur une position distante. Au cours de la semaine, les articles du Devoir sont focalisés sur les catholiques contestataires ou victimes de la pédophilie. Le contenu « réactionnaire » des catéchèses, l’« hypocrisie » des confessions, le caractère « désuet » du message papal sont dénoncés. La JMJ semble interprétée comme une tentative de l’Église catholique pour reconquérir son pouvoir social[87]. Son déroulement est l’occasion de régler des comptes avec l’institution. Aux lendemains de la messe finale, le journaliste Jean-Claude Leclerc estime que les Québécois n’ont aucun regret à avoir concernant le choix de Toronto :

La JMJ de Toronto aura-t-elle été une manifestation de foi que l’Église du Québec aurait dû vouloir tenir chez elle? Sans vouloir contredire le pape et ses jeunes admirateurs, plusieurs pasteurs et croyants québécois estiment que non. La plupart ont déjà rompu avec un triomphalisme romain qui laissera probablement aussi peu de traces que le spectaculaire Congrès eucharistique de 1910[88].

Leclerc, 2002

C’est sur le plan financier que le bilan est le plus décevant : malgré le nombre élevé de ceux qui se sont décidés à participer au dernier moment, le déficit final est colossal : 38 millions de dollars. L’affluence des participants non inscrits a débordé l’organisation qui n’a pas réussi à faire payer les droits d’entrée. La quête du dimanche ne rapporte pas autant que prévu[89].

Des sentiments contrastés

Même si nous n’avons pas de documentation sur la question, on peut supposer qu’à l’issue de la JMJ, les évêques ont dû être heureux. Cependant, au fur et à mesure que l’ampleur du déficit commence à apparaître, leur perception semble évoluer.

En septembre 2002, des lettres individuelles sont envoyées à chaque évêque pour expliquer que le déficit sera de 38 millions de dollars, qu’il n’est pas question de déclarer la corporation en faillite et qu’il faut payer les fournisseurs. Un appel aux dons est lancé, mais la collecte (400 000 $) se révèle décevante. Contrairement à la France, les dons a posteriori ne permettent pas d’éponger le déficit, peut-être parce que les fidèles ne souhaitent pas contribuer à un événement qui n’a duré que quelques jours[90]. Peut-être aussi que, comme en 1984 (Palard, 2010, p. 82), une partie du clergé paroissial n’a pas franchement encouragé les paroissiens à résorber un déficit généré par des dépenses vues comme somptuaires. Les diocèses doivent donc mettre la main à la poche. Dans celui de Longueuil, c’est 500 000 $ qu’il faut sortir[91]. Dans le diocèse de Gatineau, il faut contribuer à hauteur de 650 000 $ alors que le budget annuel est d’un million de dollars. Le diocèse doit vendre des actifs, qui rapportaient des intérêts, pour honorer sa dette[92]. À Québec, Mgr Couture parle de près d’un million de dollars, ce qui a été, dit-il « assez dur pour [les] finances »[93].

Le coup est rude pour certains évêques, d’autant que, quatre ans auparavant, on les avait rassurés sur l’aspect financier. René Laprise, dont la première action, quand il a réintégré le diocèse de Gatineau, a consisté à expliquer qu’il faudrait assumer une portion du déficit, en témoigne : « C’est certain que ce serait jouer à l’autruche de penser qu’il n’y a pas des évêques qui ont été déçus de cette retombée-là du déficit […]. Il y en a pour qui ça a laissé un goût amer[94]. » Pour le père Pierre-Olivier Tremblay, cette gêne financière a pu être d’autant plus douloureusement ressentie qu’elle a parfois conduit à sacrifier des programmes pastoraux à destination de la jeunesse l’année même, 2002, où la sécularisation des écoles primaires au Québec aurait supposé que les paroisses prennent le relais sur l’éducation religieuse[95]. La facture a été plus mal reçue au Québec, de par la façon dont le déficit a été réparti. La contribution était en effet proportionnelle aux moyens et au nombre de catholiques des diocèses. Or, ceux du Québec regroupaient en 2002 à peu près la moitié des catholiques canadiens, mais comptaient très peu de jeunes inscrits à la JMJ comme l’a souligné Jean-Philippe Perreault : 6500, soit 0,4 % des jeunes québécois se disant catholiques et en âge d’assister à l’événement (Perreault, 2005, p. 314). Sachant qu’il y a eu 49 000 Canadiens inscrits, les Québécois ont représenté moins de 15 % des effectifs nationaux (la proportion est sans doute encore moindre si on considère la participation) alors qu’ils doivent assumer la moitié du déficit.

Cette déconvenue amène certains évêques à regretter a posteriori leur choix. « Les bilans ont beaucoup varié », explique Mgr Berthelet : « Certains évêques disent que c’est de l’argent qu’ils auraient dépensé pour les jeunes qui disparaît dans le déficit de la JMJ. Je pense que c’est triste, c’est certain que cela a porté un coup dur à certains diocèses. » D’autres évêques, sans regretter le choix d’avoir candidaté à la JMJ, se demandent si le budget de 80 millions de dollars, vingt millions de plus que celui de la JMJ de Paris, n’aurait pas pu être abaissé, en limitant le nombre d’écrans géants et de podiums ou en organisant, par exemple, toutes les cérémonies comportant la présence du pape en un même lieu[96]. Mgr Couture, qui considère que la JMJ a été un succès pastoral, regrette néanmoins que « l’ampleur donnée à certaines activités ait peut-être été un peu excessive » et que, malgré les inquiétudes exprimées à de nombreuses reprises par les évêques, les organisateurs n’aient pas été plus prudents[97].

Face à ces incompréhensions, l’archevêque de Toronto et les évêques du comité d’organisation, notamment Mgr Meagher et Mgr Schonenbach, tentent de mettre en perspective le déficit en soulignant la grandeur et la beauté de ce qui s’est passé. L’argent qui manque n’est pas présenté comme un passif mais comme un investissement pour l’avenir :

Nous avons été témoins d’un miracle de la foi durant la JMJ, déclare Mgr Meagher le 9 août. […] La Journée mondiale de la jeunesse organisée par l’Église catholique du Canada se voulait un investissement dans la jeunesse du monde. Nous nous attendions à un manque à gagner et aujourd’hui nous croyons que cette perte serait de 30 millions de dollars. Nous sollicitons l’aide de quiconque désire contribuer à cet investissement.

Zenit, 2002

En interne, Mgr Schonenbach écrit un mémo qui montre que le déficit ne peut être imputé à une mauvaise gestion des organisateurs dans la mesure où la baisse des inscriptions était difficilement prévisible et qu’une partie des dépenses engagées auprès des fournisseurs ne pouvait plus être récupérée après révision des objectifs[98]. Il souligne que le budget a été validé et accompagné par un cabinet d’audit. Dans un autre document, un argumentaire est construit pour rendre compte de la différence des coûts avec Paris et Rome : si l’événement canadien coûte plus cher, c’est notamment parce qu’à Paris, un certain nombre de dépenses liées aux ressources humaines ou à la sécurité avaient été prises en charge directement par les services de l’État, en particulier l’armée, sans être intégrées dans les états financiers. À Rome, l’insertion de la JMJ au sein du dispositif de célébration du grand jubilé de l’an 2000 avait limité les coûts[99].

Ce ne sont pas là que des éléments de langage. Les organisateurs sont intimement convaincus que la JMJ a été un événement d’une grande importance et qu’il ne s’agit pas d’une belle fête trop chère payée. Reçus à Rome par Mgr Stafford, qui leur dit sa grande satisfaction et les félicite pour cette JMJ qu’il qualifie de « réussie » et « innovante », les organisateurs semblent enthousiasmés par ce qu’ils ont vécu[100].

Ces évêques impliqués dans l’organisation ne convainquent pas pleinement leurs pairs, qui semblent avoir voulu tourner rapidement la page des JMJ, tout du moins à l’échelon de la CECC. C’est le sentiment du père Thomas Rosica qui écrit ces mots amers au nouveau secrétaire général de l’épiscopat, Mgr Mario Paquette, alors qu’il vient de découvrir que, faute de renouvellement de l’abonnement, le nom de domaine du site Internet des JMJ a été racheté par des sites pro avortement :

[traduction] Depuis la fin de la Journée mondiale de la jeunesse de 2002, il a été éminemment clair pour moi que beaucoup de tes collègues se lavaient les mains de la Journée mondiale de la Jeunesse de 2002 et la considéraient comme un mauvais rêve qui s’en irait au loin […] La CCEC n’a pas été en « contact étroit » avec moi depuis la JMJ. En fait, il n’y a eu presque aucun contact, ce qui me laisse l’impression que nous avons fait quelque chose de terriblement mal avec cet événement[101].

René Laprise, qui travaille aujourd’hui comme directeur des relations avec les médias à la CECC et connaît bien Thomas Rosica, considère que la réaction de ce dernier a pu reposer sur une forme de difficulté de la CECC à tirer profit de l’événement. Aucune initiative pastorale n’est prise pour prolonger la dynamique pancanadienne qu’avait fait naître la préparation de la JMJ, notamment lors du passage de la Croix des JMJ dans les différentes parties du territoire[102].

Au terme de cette étude, il me semble que l’on peut apporter quelques éléments de réponse à la question posée en introduction : comment les évêques canadiens s’approprient-ils le concept de la JMJ? Durant la phase du discernement, ils se l’approprient de manière collégiale et pragmatique, en évaluant son potentiel et ses implications. Plus qu’à Rome, c’est à Paris que sont cherchés les informations et les conseils, ce qui montre que, dans le monde catholique, les connexions se font aussi de manière transversale sans passer nécessairement par le Vatican.

Durant la préparation, les évêques canadiens, au contact des membres du CPL, découvrent et intègrent la manière foncièrement catholique dont Rome conçoit la JMJ. Peut-être qu’ils parviennent moins que les évêques français à modifier le concept et à lui imprimer une marque : le contexte était moins favorable, d’une part à cause d’une certaine extension du périmètre d’intervention du CPL et de sa section jeune, et d’autre part en raison de l’absence d’un évêque déterminé à défendre sa propre vision de la JMJ et influent à Rome. Les tensions, quand elles surgissent, ne portent pas sur les orientations fondamentales mais sur les aspects concrets de l’organisation.

Après l’événement, les évêques canadiens, à l’exception de ceux qui ont été impliqués dans l’organisation, semblent se désapproprier le concept et vouloir tourner la page au plus vite. Autant ils avaient pris leur temps pour entrer dans l’aventure, autant ils en sortent rapidement, en raison notamment du déficit financier qui, dans une culture nord-américaine qui favorise la bonne gestion des ressources, était sans doute particulièrement pesant. Cette sortie rapide empêche peut-être d’analyser quels étaient les potentiels et les limites de l’expérience, d’en tirer le bilan par rapport aux attendus pastoraux notamment. Les quelques entretiens que j’ai pu mener avec d’anciens participants, simples pèlerins ou organisateurs, laissent à penser qu’il y a matière à réflexion, qu’il s’agisse de la gestion des identités culturelles plurielles, de la dialectique entre l’altérité et la mêmeté, de la dynamique pancanadienne en interaction avec les dynamiques provinciales, ou encore de l’expérience croyante des jeunes participants et des effets produits sur leur affiliation. C’est l’intérêt de la démarche historique que de pouvoir contribuer, après coup, à ce travail.