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Introduction : la dÉpendance

La culture dominante dans le réseau de la santé mentale, particulièrement dans les unités de psychiatrie, tend à maintenir les personnes utilisatrices de service dans un état de dépendance.

Dépendance face à des équipes soignantes qui privent les personnes de l’information qui leur permettrait de consentir de façon libre et éclairée aux traitements qu’on leur fait subir.

Dépendance face à une approche biomédicale présentée comme l’unique voie à suivre pour permettre une forme de rétablissement.

Dépendance face à des diagnostics, souvent contestables, qui affectent la crédibilité des personnes dans l’ensemble de leurs interactions avec le milieu hospitalier et leur font porter pour de nombreuses années le stigmate de la folie.

Dépendance face à des médicaments dont les effets secondaires détériorent souvent davantage la qualité de vie des personnes que leurs effets primaires ne contribuent à l’améliorer.

Dépendance devant des ressources d’hébergement souvent mal adaptées à l’évolution des besoins des personnes et qui encadrent étroitement tous les aspects de leur vie.

Dépendances face à des tribunaux qui accordent plus de crédibilité aux hôpitaux qu’aux personnes.

C’est contre l’ensemble de ces dépendances qu’Action Autonomie lutte depuis plus de 25 ans, en solidarité avec les personnes qui les vivent au quotidien.

Qui sommes-nous ?

Action Autonomie est le collectif en défense des droits en santé mentale de Montréal. Fondé en 1991, notre organisme se consacre à la défense des droits individuels et collectifs des personnes vivant ou ayant vécu avec un problème de santé mentale. Nos interventions se déclinent en quatre volets principaux :

  • l’information sur les droits et recours des personnes ;

  • l’aide et l’accompagnement afin que les personnes et les groupes de personnes puissent défendre leurs droits par eux-mêmes ;

  • la sensibilisation et la formation dans divers milieux ;

  • les représentations et actions politiques pour modifier certaines pratiques peu respectueuses des droits dans le but ultime de provoquer des changements systémiques.

Notre action, notre autonomie

Comme notre nom l’indique, la notion d’autonomie est au coeur de nos valeurs et oriente la portée de nos interventions. Notre approche s’appuie sur le principe de primauté de la personne. Nos démarches s’effectuent dans un rapport d’aide et non d’autorité. Nous favorisons la prise en charge de la personne par elle-même et nous mettons de l’avant l’expression de sa volonté.

Action Autonomie se définit comme un organisme communautaire autonome en défense collective de droits, au sens ou l’entend le Cadre de référence en matière d’action communautaire, publié en 2004 par le ministère de l’Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille et le Secrétariat à l’action communautaire autonome. Organisme à but non lucratif ouvert sur la communauté montréalaise et doté d’une vie associative et démocratique dynamique, Action Autonomie définit librement sa mission, ses orientations et ses priorités par des interactions soutenues entre son équipe de travail, son conseil d’administration indépendant du réseau public et l’ensemble de ses membres réuniEs en assemblée générale.

Notre action est orientée vers des éléments de transformation majeure de la société québécoise :

  • le respect des droits fondamentaux des personnes utilisatrices de services en santé mentale ;

  • le respect du cadre légal et réglementaire qui régit la prestation de services en santé mentale ;

  • la valorisation d’approches et de méthodes alternatives à l’utilisation de médication et autres actes médicaux pour l’amélioration de la qualité de vie des personnes vivant avec un problème de santé mentale.

De par son approche de self advocacy[1] pour ses interventions en défense de droits individuels et de par ses efforts constants en vue de mobiliser ses membres et l’ensemble de la population aux grands enjeux de la défense de droits en santé mentale, Action Autonomie place la pratique citoyenne au coeur de son action.

Notre organisme a élaboré, dans une optique d’éducation populaire autonome, une grande quantité de contenus de formation et d’information destinés aux groupes communautaires, à l’ensemble de la collectivité. Nous avons aussi créé des liens avec des institutions d’enseignement collégial et universitaire pour sensibiliser les prochaines générations d’intervenantEs du réseau de la santé et des services sociaux à l’importance du respect des droits et aux changements qui doivent être apportés aux pratiques du réseau sous ce rapport. Nous privilégions par ailleurs la pratique de la co-formation par laquelle la matière est transmise simultanément par unE membre de l’équipe de travail et par unE membre de l’organisme intéresséE ou ayant vécu des expériences en lien avec le sujet traité.

Action Autonomie organise et participe aussi à plusieurs activités liées à l’action politique non partisane et à la mobilisation sociale : signature de pétition, organisation d’événements publics de sensibilisation (notamment sur la question des électrochocs) manifestations, etc. Certaines de ces activités peuvent avoir une portée plus large que la seule question de la défense de droits en santé mentale, tout en ayant un impact direct sur la qualité de vie de nos membres. Elles peuvent notamment concerner la consolidation du réseau communautaire, la lutte à la pauvreté ou la promotion d’alternatives à la médication ou la médicalisation des soins de santé.

N’étant pas financé par le Secrétariat à l’action communautaire autonome et à l’initiative sociale (SACAIS), Action Autonomie n’est pas lié par les dispositions de son cadre de référence. Cependant, notre mode de fonctionnement s’inscrit en cohérence avec les grandes orientations de ce cadre, ce qui fait en sorte que l’autonomie d’action de notre organisme face au gouvernement est généralement préservée.

Par ailleurs, en 2006, le ministère de la Santé et des Services sociaux a élaboré, en collaboration avec l’Association des groupes d’intervention en défense de droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) un autre cadre de référence, portant sur la promotion, le respect et la défense de droits en santé mentale.

Action Autonomie n’est pas membre de l’AGIDD-SMQ. Le contenu de ce cadre de référence est cependant compatible avec sa mission. Au cours des 25 dernières années, l’organisme a contribué à développer des approches et des moyens d’action que le cadre de référence a par la suite reconnus comme légitimes et conformes aux bonnes pratiques en matière de défense de droits en santé mentale.

Parmi les principes énoncés par le cadre de référence et quotidiennement mis en pratique par Action Autonomie depuis sa fondation, mentionnons l’autonomie et la spécificité de chaque personne, le préjugé favorable envers son point de vue et ses aspirations de même que le respect de la confidentialité et de la vie privée.

À titre de collectif de défense des droits en santé mentale, Action Autonomie met de l’avant des approches telles l’aide et l’accompagnement individuel, l’action collective et systémique de même que la promotion, la formation et la sensibilisation du grand public à ses revendications en faveur du respect des droits. Ces approches se retrouvent également dans le cadre de référence.

Action Autonomie a choisi de préserver son indépendance face aux grandes orientations mises en place par le gouvernement du Québec dans son champ d’activité. Globalement, cette indépendance est respectée par ses bailleurs de fonds et ses autres interlocuteurs gouvernementaux.

Valoriser l’autonomie des personnes dans le rÉseau de la santÉ et des services sociaux : tout reste À faire

Dans son Plan d’action en santé mentale 2015-2020, le ministère de la Santé et des Services sociaux (2015) insiste sur sa volonté de promouvoir la primauté de la personne et le plein exercice de sa citoyenneté. À l’aube de la troisième année de mise en oeuvre de ce plan d’action, il faut reconnaître que tout reste encore à faire pour progresser significativement vers l’atteinte de ce noble objectif. L’équipe de travail d’Action Autonomie observe plus que jamais, au quotidien, les conséquences de la culture dominante du réseau de la santé qui entrave l’autonomie des personnes et l’exercice de leur citoyenneté. Parmi les nombreuses manifestations de cette culture dominante, nous nous attarderons ici à une pratique de la psychiatrie de plus en plus centrée sur le recours systématique aux médicaments pharmacologiques, à des interventions toujours aussi stigmatisantes pour les personnes vivant avec un diagnostic de trouble mental, particulièrement dans les ressources d’hébergement, ainsi qu’à des recours de plus en plus fréquents et routiniers à des procédures légales d’exception qui entravent les droits fondamentaux.

Approche biomédicale : la voie unique de la psychiatrie

L’approche biomédicale est en progression dans le réseau québécois de la santé et des services sociaux depuis de nombreuses années. Elle est particulièrement présente dans le domaine de la psychiatrie. Cette approche consiste à considérer la santé mentale en privilégiant l’angle du diagnostic, de la maladie, et du médicament pharmaceutique qui parviendra à la guérir. La cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5) publiée en 2013 par l’Association américaine de psychiatrie recense (American Psychatric Association, 2015) près de 400 troubles mentaux et constitue la référence privilégiée des psychiatres québécois.

Deux critiques majeures sont formulées à l’égard du DSM 5. D’abord, une tendance certaine à psychologiser les problèmes sociaux selon l’expression du sociologue Marcelo Otero (cité dans Gauvreau, 2014). On cherche peu, par exemple à connaître les antécédents personnels et sociaux d’une personne présentant des signes de dépression. On lui diagnostiquera plutôt un trouble dépressif qu’on tentera d’atténuer avec des antidépresseurs pharmaceutiques.

C’est ainsi que le réseau de la psychiatrie ne considérera l’état de la personne que sous l’angle de la biologie et de la médecine curative. Les causes sociales de ses difficultés seront occultées et rien ne sera fait pour tenter d’améliorer des conditions de vie qui ont pourtant souvent un impact évident sur son état de santé mentale : mauvaises conditions de logement, isolement social, précarité économique, relations interpersonnelles difficiles, violence psychologique et physique, intimidation, etc.

La seconde critique, qui découle de la première, concerne l’influence majeure qu’exerce l’industrie pharmaceutique sur l’orientation du DSM 5. Selon le philosophe Jean-Claude St-Onge, les deux tiers des psychiatres ayant constitué l’équipe de rédaction du manuel étaient rattachés à des compagnies pharmaceutiques (cité dans Dalpé, 2013). Il en résulte une nette tendance au surdiagnostic et à la surmédication, qui laissent peu de place à la liberté et à l’autonomie des personnes happées souvent malgré elles dans une spirale pharmacologique dont elles auront le plus grand mal à se libérer.

Stigmatisation : une étiquette dont on ne peut plus se défaire

Une fois le diagnostic posé, les personnes auront bien peu de possibilités de se défaire de l’étiquette de trouble mental que le réseau leur impose. Cette étiquette les suivra, souvent leur vie durant, en leur faisant perdre leur crédibilité dans l’ensemble de leurs démarches visant à obtenir des soins de santé. Des personnes venues consulter pour un problème de santé physique pourront être référées malgré elles en psychiatrie. À terme, plusieurs éviteront de fréquenter les médecins et les hôpitaux, et renonceront à demander les soins de santé dont elles ont besoin et auxquels elles ont droit.

L’étiquette les suivra aussi dans leur vie de travail. Plusieurs employeurs interrogent, de façon plus ou moins légale, leurs postulantEs sur leurs antécédents en santé mentale. Ne pas dévoiler le fait équivaut à une fausse déclaration alors que le faire connaître contribuera au rejet de la candidature.

Les relations familiales seront aussi souvent affectées. Inquiets de l’état de la personne, ses proches sont souvent ceux qui, faute d’alternative, feront appel aux policiers pour l’hospitaliser contre son gré. Il en résulte des tensions familiales difficiles à vivre pour tous et qui contribuent à renforcer l’isolement social vécu par la personne.

C’est donc dans plusieurs, sinon dans tous les aspects de sa vie qu’une personne pourra subir la stigmatisation liée à son état de santé mentale. Ce ne sera souvent pas le seul niveau de stigmatisation qu’elle devra subir. Il s’ajoute à ceux liés au statut de personne pauvre, de personne peu scolarisée, de femme, de jeune ou de personne vieillissante, etc.

Hébergement : stigmatisation à perpétuité

Suite au mouvement de désinstitutionnalisation des patientEs des hôpitaux psychiatriques dans les années 1970, le Québec s’est doté d’un vaste réseau d’hébergement pour des personnes présentant des problèmes de santé mentale ou une légère déficience intellectuelle. Ces ressources d’hébergement sont regroupées en deux grandes catégories.

Les ressources de type familial (RTF) comprennent les familles d’accueil, qui hébergent des personnes mineures et les résidences d’accueil, qui s’adressent aux adultes. Ces dernières sont constituées :

[d’]une ou deux personnes qui accueillent à leur lieu principal de résidence au maximum neuf adultes ou personnes âgées qui leur sont confiés par un établissement public afin de répondre à leurs besoins et leur offrir des conditions de vie se rapprochant le plus possible de celles d’un milieu naturel.

Loi sur les services de santé et les services sociaux, 2017b

Les ressources intermédiaires (RI) quant à elles, sont :

exploitées par une personne physique comme travailleur autonome ou par une personne morale ou une société de personnes et qui est reconnue par une agence pour participer au maintien ou à l’intégration dans la communauté d’usagers par ailleurs inscrits aux services d’un établissement public en leur procurant un milieu de vie adapté à leurs besoins et en leur dispensant des services de soutien ou d’assistance requis par leur condition.

Loi sur les services de santé et les services sociaux, 2017a

L’exploitation d’une RI peut donc relever d’intérêts privés ou d’organismes à but non lucratif.

Différents problèmes affectent les RTF et les RI. La pénurie de places disponibles fait en sorte que les délais requis pour obtenir l’hébergement sont de plus en plus longs. Il en résulte que de nombreuses personnes qui éprouvent un besoin d’hébergement doivent vivre durant une période prolongée dans des conditions de logement plus ou moins précaires et mal adaptées à leur état de santé.

Les formalités requises pour intégrer une RTF-RI peuvent être assez complexes, ce qui fait en sorte que les personnes qui ne peuvent compter que sur peu d’aide extérieure éprouvent des difficultés à constituer un dossier d’admission recevable. Certaines ressources d’hébergement présentent aussi des problèmes importants au niveau de la salubrité et de la qualité des conditions de logement qu’elles offrent.

Placés sous la responsabilité des grandes institutions psychiatriques montréalaises, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, les RTF-RI ont hérité de la culture dominante qui affecte l’ensemble du réseau public de soins en santé mentale. Cette culture est marquée par le paternalisme, l’autoritarisme, l’infantilisation, et la non-reconnaissance des personnes au-delà de leur diagnostic.

Il nous est très difficile d’obtenir des informations précises sur les conditions de vie des personnes hébergées en RTF-RI. Celles-ci hésitent souvent à aborder ce sujet, de peur de subir des représailles de la part des responsables de leur ressource d’hébergement. Nous sommes malgré tout arrivés à tracer les grandes lignes de cette réalité.

Les personnes sont souvent maintenues dans une relation de dépendance pour tout ce qui concerne leurs besoins matériels. La plus grande partie des revenus des personnes est consacrée à leur hébergement. Les montants réservés aux dépenses personnelles sont la plupart du temps gérés par les responsables des ressources et les résidentEs doivent constamment justifier l’utilisation des fonds. Peu d’efforts semblent être faits dans le but de faire acquérir aux personnes les rudiments d’une gestion responsable de leurs ressources financières et de bonnes habitudes de consommation.

Les allées et venues des personnes sont également étroitement contrôlées. Les heures de départ et de retour sont fixées par les responsables des ressources et il est difficile pour les personnes d’y déroger, même pour des motifs raisonnables.

Certaines ressources n’acceptent pas que leurs résidentEs possèdent certains biens et services tels un animal de compagnie, un climatiseur, un réfrigérateur, une ligne téléphonique personnelle ou un accès à internet.

L’une des principales difficultés concerne les relations intimes. Dans plusieurs ressources, il est interdit à une personne non résidente de passer la nuit dans les lieux. Ce qui fait que les personnes ne sont pas en mesure d’entretenir une relation affective avec la personne de leur choix, dans le lieu qui leur sert de résidence principale. Elles en sont réduites à rencontrer leur partenaire dans d’autres lieux pour lesquels elles doivent payer les frais d’occupation, et uniquement durant les périodes où elles sont autorisées à sortir de leurs habitations.

Toutes ces contraintes génèrent des frustrations qui diminuent la qualité de vie des personnes, détériorent leur état de santé mentale et altèrent la relation qu’elles entretiennent avec les responsables de leurs ressources d’hébergement.

Globalement, le réseau des RTF-RI n’est pas conçu pour faire cheminer les personnes vers une plus grande autonomie. Chaque ressource s’adresse à une « clientèle » présentant des caractéristiques spécifiques. On ne valorise pas une forme de parcours des personnes à travers différentes ressources à mesure qu’augmenterait leur niveau d’autonomie. Pour des raisons administratives, on tend à limiter le roulement des admissions. Chaque personne demeurera, parfois pour des décennies, dans un modèle d’encadrement qui lui garantit une forme de subsistance, mais favorise peu son épanouissement.

La psychiatrie institutionnelle : un frein à l’autonomie des personnes

Il faut le reconnaître, le respect des droits et de l’autonomie des personnes n’est toujours pas une valeur prédominante dans le milieu de la psychiatrie institutionnelle. Sous prétexte de vouloir protéger des personnes vulnérables, on adoptera souvent envers elles une attitude paternaliste, condescendante ou autoritaire. Cette tendance s’observe notamment à travers la garde en établissement et l’autorisation judiciaire de soins, deux pratiques de plus en plus courantes dans le réseau de la psychiatrie.

Garde en établissement : des dérives illégales

Certaines données, compilées par Action Autonomie sur les procédures de garde en établissement, encadrées par la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui (2017, RLRQ c  P-38.001), sont particulièrement révélatrices à cet égard. Une requête pour garde en établissement est un litige civil au cours duquel la partie demanderesse (l’établissement de santé) doit faire la preuve que la partie défenderesse (la personne) représente un danger pour elle-même ou pour autrui et que pour cette raison, elle doit être détenue contre sa volonté dans une unité de soins psychiatrique, pour une période pouvant atteindre 30 jours.

Dans la majorité des quelque 3000 requêtes de garde en établissement présentées en 2014 sur le territoire de l’île de Montréal, la personne concernée par la requête n’était pas présente lors de l’audience et n’était pas représentéE par unE avocatE. L’établissement était seul à faire ses représentations au juge. Dans 75 % des cas, la requête a été accueillie par le juge au cours d’une audience expédiée en moins de 10 minutes. Dans près de 250 cas, on a procédé sans même informer la personne concernée, par voie de signification, qu’une requête de garde en établissement était déposée contre elle. Comment peut-on prétendre que de telles procédures constituent des procès justes et équitables ?

Par ailleurs, la preuve spécifique de la dangerosité de la personne n’est pas toujours faite. L’argumentaire des établissements porte souvent sur d’autres sujets : inconstance dans le comportement, refus de prendre une médication, problèmes sociaux (sans domicile fixe, conflit avec l’entourage, toxicomanie, etc.). Ces considérations, bien qu’elles puissent identifier des problématiques réelles, ne sont souvent pas directement liées à la présence d’un danger pour la personne ou pour autrui. Un jugement favorable à l’établissement n’est pas, dans ces circonstances, conforme aux dispositions de la loi P-38.001.

Les conditions de vie des personnes au cours de leur séjour en garde forcée ne sont pas propices à l’amélioration de leur état psychique et émotionnel et encore moins au maintien ou à l’acquisition d’une plus grande autonomie. Des personnes sont fréquemment privées de leur liberté de mouvement, à des fins punitives, par la mise en place de contentions physiques ou chimiques ou par une mise en isolement dans une pièce fermée.

Le personnel adopte généralement une attitude autoritaire qui génère des tensions et instaure une dynamique de domination qui s’apparente à celle d’un milieu carcéral.

– Est-ce que je peux avoir mes vêtements au lieu de la jaquette ?

L’infirmière répondait :

– C’est votre psychiatre qui va décider.

Il y avait une activité de volley-ball. Je voulais y aller pour me défouler.

L’infirmière a dit :

– Tant que vous n’avez pas vu votre psychiatre, vous n’avez pas droit à ça.

Je tourne en rond, je tourne en rond… je dis :

– Madame, y’a-tu moyen que j’aie un peu de liberté, pour aller fumer une cigarette dehors ?

– Y’en est pas question.

Un monsieur m’a donné une cigarette et je l’ai fumée à l’intérieur. Ils m’ont engueulé. Ils m’ont pris, m’ont mis dans la civière, m’ont attaché et m’ont donné une injection.

Témoignage d’une personne ayant vécu une garde en établissement (2016)

Alors que la procédure de garde en établissement a été mise en place par le gouvernement dans le but de protéger des personnes présentant un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, la généralisation et la banalisation de cette pratique font en sorte qu’elle sert maintenant davantage à contrôler les personnes qui dérangent autrui. Non seulement la garde en établissement ne protège souvent pas des personnes vulnérables, mais elle leur fait vivre des traumatismes qui aggravent leur état de santé mentale et contribuent à les éloigner de l’offre de services dont elles ont besoin, ce qui contribue à augmenter leur isolement social et leur stigmatisation.

Les autorisations judiciaires de soins : médication forcée

Une autre pratique de plus en plus utilisée dans le milieu de la psychiatrie concerne l’autorisation judiciaire de soins (AJS). Cette pratique consiste, pour un établissement de santé, à obtenir de la Cour supérieure l’autorisation de forcer une personne à subir un traitement médical (le plus souvent la prise d’un médicament) après avoir fait la preuve que cette personne n’est pas en mesure de donner un consentement libre et éclairé et qu’elle s’oppose catégoriquement au traitement. L’AJS peut aussi forcer une personne à intégrer une ressource d’hébergement, avec toutes les contraintes que cela implique sur sa liberté et son autonomie.

Les problèmes identifiés pour les audiences de requêtes en garde en établissement s’appliquent également aux procédures liées à l’AJS : non-signification, non-représentation par avocatE, absence de la partie défenderesse, argumentaire non conforme aux dispositions légales.

Les conséquences d’une AJS auront un impact majeur et prolongé sur la vie des personnes qui y sont soumises. Une autorisation judiciaire de soins force la personne qui en fait l’objet à subir, pour une période moyenne de trois ans, la prise de médicaments qui produisent des effets secondaires qui entravent significativement son autonomie et sa qualité de vie. Il peut notamment s’agir de somnolence, de perte de mémoire, d’apathie, d’état dépressif, ou de difficulté de concentration. Les effets secondaires peuvent également générer des états physiques indésirables : prise de poids, tremblement, palpitations cardiaques, etc.

Le nombre grandissant de recours à l’AJS témoigne, de la part des intervenants du milieu de la psychiatrie, d’une absence d’écoute à l’égard des personnes et d’un non-respect de leur individualité, par rapport aux effets spécifiques et différenciés d’un même médicament sur chacune d’entre elles.

Il existe pourtant des alternatives à la prise forcée de médicaments. La démarche de gestion autonome de la médication, mise de l’avant notamment par le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (s. d.) vise à :

permettre que la personne qui prend des médicaments se rapproche d’une médication qui lui convient et qui s’intègre dans une démarche plus large d’amélioration, de mieux-être et de reprise de pouvoir sur sa vie. Elle implique l’accès à toute l’information nécessaire concernant la médication et les alternatives. […] La GAM représente une façon inédite et globale d’aborder l’apport et l’impact des médicaments en santé mentale dans la vie des personnes qui les consomment. La GAM permet non seulement de prendre en compte à la fois les effets bénéfiques et les effets indésirables des médicaments en santé mentale, mais aussi, de manière unique, de travailler avec les significations qu’on attribue à la médication, un aspect qui s’avère tout aussi important pour les personnes que les effets plus concrets des médicaments.

CONCLUSION

Il reste donc beaucoup à faire pour Action Autonomie et les autres groupes de défense de droits en santé mentale actifs partout au Québec. S’il faut se réjouir du fait que, pour Action Autonomie tout au moins, la reconnaissance de l’autonomie de fonctionnement de l’organisme lui donne une marge de manoeuvre généralement suffisante pour remplir l’intégralité de sa mission, le traitement que subissent un grand nombre de personnes utilisatrices de services en santé mentale devrait par contre susciter l’inquiétude et la désapprobation de toute la population du Québec. Nous entendons continuer de dénoncer ces abus sur toutes les tribunes auxquelles nous aurons accès.