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Dans l’écriture de son quatrième livre, la journaliste canadienne Naomi Klein oriente son analyse de la problématique des changements climatiques vers l’impact du système économique capitaliste sur l’environnement à l’échelle mondiale. S’étant bâti une solide réputation avec son premier livre No Logo, sorti en 2000, Klein a écrit Tout peut changer : capitalisme et changement climatique, un ouvrage attendu tant par le mouvement écologiste que par celles et ceux qui s’intéressent aux changements sociaux qui émergent des mouvements militants populaires. Dans ce livre, cette auteure engagée démontre en quoi le système économique néolibéral est directement coupable du réchauffement climatique par son exploitation excessive des ressources naturelles. Elle présente également l’impact du réchauffement climatique sur les injustices sociales et économiques qui, associé à la faible intervention des États, contribue à creuser le fossé entre les populations privilégiées et les autres.

Face aux initiatives infructueuses entreprises jusqu’à maintenant pour ralentir les changements climatiques, l’auteure de cet ouvrage met de l’avant que la solution ne réside pas dans des initiatives sporadiques, mais plutôt dans des changements radicaux au sein de notre économie. Tout au long du livre, elle explique que l’éloignement du système capitaliste créerait des retombées positives tant pour combattre les injustices sociales et économiques que pour s’attaquer aux changements climatiques. L’auteure présente ainsi des alternatives au système économique actuel, inspirées par les stratégies de différents mouvements sociaux et groupes qui luttent aux quatre coins de la planète pour renverser ces inégalités. Pour ce faire, l’ouvrage se décline en seize chapitres, divisés en trois parties intitulées « Deux solitudes », « La pensée magique » et « Parce qu’il faut bien commencer quelque part ».

Première partie

Dans la première partie « Deux solitudes », qui comprend cinq chapitres, l’auteure présente les moyens par lesquels le système capitaliste s’oppose à la lutte aux changements climatiques. Elle y dévoile d’abord les stratégies employées par des individus associés au mouvement climatosceptique, financés en grande partie par l’industrie du pétrole, du charbon et du gaz naturel. Si ces individus emploient différentes stratégies pour s’opposer aux mesures mises de l’avant par celles et ceux qui luttent contre les changements climatiques, ils utilisent une tactique commune qui consiste à lier cette lutte à une idéologie de gauche dans l’objectif d’attaquer leur crédibilité. L’auteure pense que les efforts entrepris par ces individus pour que la question des changements climatiques soit moins abordée dans les médias les aident à demeurer en position de pouvoir, leur permettant alors de poursuivre leur « quête infinie du profit » (p. 55) avec l’aide des industries polluantes, comme celles du pétrole et du gaz naturel.

Klein présente ensuite l’impact néfaste sur l’environnement qu’ont eu différents accords commerciaux tels que l’ALENA ou les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Ces derniers empêchent la mise en place d’initiatives décentralisées pour encourager l’utilisation d’énergies renouvelables et locales, car ils jugent que ces initiatives posent un frein à la concurrence. Le libre-échange et la consommation excessive de biens dans les pays plus riches mènent à d’importantes émissions de gaz à effet de serre tout en perpétuant les inégalités environnementales et économiques envers les pays en développement et les populations marginalisées. Afin de contrer ces inégalités, Klein aborde la nécessité de permettre une plus grande intervention des États afin d’offrir des services universels en réponse aux conséquences du réchauffement planétaire et de réussir à atteindre les objectifs de réduction des gaz à effet de serre. L’auteure aborde également l’importance d’en finir avec la privatisation de l’énergie afin de mener à une meilleure accessibilité pour tous. Selon elle, la responsabilité de financer une grande partie de ces initiatives devrait revenir aux grandes entreprises qui se sont enrichies en polluant.

Pour arriver à contrer certaines de ces inégalités, l’auteure estime que c’est par l’entremise de mobilisations citoyennes visant à mettre de la pression sur les gouvernements qu’on arrivera à l’élaboration de meilleures politiques écologiques et économiques. Lorsque suffisamment de citoyennes et citoyens s’unissent, les gouvernements n’ont d’autre choix que d’entendre les opinions de celles et ceux qui s’opposent aux décisions qui causent des dommages à l’environnement et à l’économie locale. Klein présente d’ailleurs des exemples où la population n’a pas été écoutée et où les gouvernements ont été à la merci des grandes entreprises lorsqu’elles ont vécu des difficultés financières. Par exemple, en 2009, le gouvernement américain a subventionné la relance des banques et des constructeurs automobiles qui vivaient des difficultés financières, sans imposer de conditions pour aider les populations les plus touchées par la crise économique ou pour exiger des projets soucieux de l’environnement. Seule l’alliance de plusieurs groupes de citoyennes et citoyens concernés par la menace des changements climatiques et des effets pervers d’une économie néolibérale permettra de contrer les effets des lobbys pollueurs sur les décideurs.

Dans le dernier chapitre de cette première partie, l’auteure démontre les multiples ravages de l’extractivisme des matières premières sur la planète et sur les populations qui dépendent de l’agriculture pour leur survie. Si elle concède que l’exploitation des ressources premières apporte parfois des bénéfices à certains groupes, comme c’est le cas de certains pays d’Amérique du Sud et d’Afrique qui financent leurs programmes sociaux grâce à cette exploitation, elle estime que le prix écologique à payer ne vaut pas la peine puisqu’il détruit complètement les écosystèmes. C’est pourquoi elle mise sur l’importance des « liens entre action pour le climat et lutte pour la justice économique » (p. 184), lesquelles sont étroitement liées dans plusieurs mouvements sociaux, dont ceux menés par les militantes et militants autochtones. En effet, Klein nous encourage à voir la planète et ses ressources autrement que comme une commodité que nous souhaitons contrôler et exploiter pour un profit rapide, en nous inspirant des militantes et militants autochtones qui ont plutôt espoir de voir les prochaines générations en profiter.

Deuxième partie

Dans la deuxième partie intitulée « La pensée magique », l’auteure tente d’expliquer pourquoi si peu de progrès a été effectué dans les trente dernières années au sujet des changements climatiques. Elle présente également des pistes de solutions qui pourraient mener à de réels changements.

L’auteure présente d’abord les tentatives de rapprochements entreprises par des organisations écologiques afin de créer des alliances avec des compagnies qui font usage de pratiques polluantes. Klein émet un constat sombre de ces tentatives de rapprochements, puisque, dans le cadre de leurs négociations, les organisations écologiques en viennent à accepter certaines pratiques nocives pour l’environnement. En effet, en acceptant du financement de la part d’industries polluantes, ces organisations doivent repenser leurs objectifs et réexaminer les moyens de parvenir à de réels changements pour l’environnement afin de plaire à celles et ceux qui leur permettent de poursuivre leurs activités, et elles deviennent ainsi soumises aux conditions du marché capitaliste. Les organisations proposent alors des solutions minimales, comme le fait de changer ses ampoules électriques pour des modèles moins énergivores, alors que les solutions radicales pourtant nécessaires en viennent à être évacuées de leurs revendications. Devant ces initiatives insignifiantes, il est difficile de convaincre la population de l’état d’urgence de la situation.

Klein déplore également les stratégies de certaines personnes bien nanties financièrement qui s’associent au mouvement écologique dans une logique de « sauveurs ». À titre d’exemple, l’auteure présente l’histoire de quelques milliardaires, dont Richard Branson ou Warren Buffet, qui sont connus pour avoir tenu des discours en faveur de la préservation de l’environnement, mais qui, en fin de compte, ont eu bien peu d’impact réel dans la lutte contre les changements climatiques. Si ces élans philanthropiques dans la cause environnementale attirent l’attention et permettent à ces milliardaires d’obtenir un certain capital économique et social, leurs activités financières mettent plutôt en lumière le fait qu’ils investissent bien peu dans la cause. Étant donné qu’ils profitent eux aussi des revenus des compagnies polluantes, ces hommes n’ont pas de réelles motivations à voir un changement au niveau des politiques en faveur de l’environnement.

Dans la lignée des solutions miracles pour ralentir les changements climatiques, Klein présente plus en profondeur une solution teintée d’une vision néolibérale envisagée par plusieurs scientifiques : la « gestion du rayonnement solaire » (p. 295), qui est une stratégie controversée visant à modifier la trajectoire des rayons du soleil afin de limiter le réchauffement climatique dans certaines régions du monde. L’auteure aborde les enjeux éthiques d’une telle technologie, qui pourrait créer des conséquences non négligeables pour des populations d’Afrique et d’Asie. Ce faisant, ce sont encore les personnes et les populations les plus démunies qui subiraient les conséquences les plus marquées des dérèglements climatiques attendus. Klein présente le manque de leadership face à la réduction des émissions de gaz à effet de serre par les pays industrialisés, ce que certains représentants des régions les plus pauvres du globe nomment une « violence lente » ou un « génocide » (p. 315). S’appuyant sur cet exemple, elle réitère que tant que les efforts de lutte contre les changements climatiques ne se dissocieront pas d’un idéal capitaliste, les stratégies mises en place perpétueront les injustices sans jamais s’attaquer à la cause sous-jacente aux réchauffements climatiques : le système capitaliste.

Troisième partie

Intitulée « Parce qu’il faut bien commencer quelque part », la troisième partie de ce livre englobe les cinq derniers chapitres qui s’intéressent aux divers mouvements sociaux qui déploient diverses stratégies afin de susciter de réels changements pour l’ensemble des citoyennes et citoyens du monde.

La Blocadie est le terme utilisé par l’auteure afin de nommer les endroits où s’élève la résistance populaire afin de s’opposer aux « projets de mines à ciel ouvert, de puits de gaz de schiste et d’oléoducs destinés à acheminer le pétrole des sables bitumineux » (p. 337). Ces mouvements dynamiques, situés partout autour du globe, s’organisent de manière spontanée, là où le besoin est, et communiquent entre eux afin de partager leurs stratégies. Les militantes et militants ont des profils variés. Par exemple en Australie, en plus des écologistes, ce sont les fermiers locaux, mais aussi les guides touristiques et les populations autochtones qui s’unissent pour empêcher la présence de mine de charbon à ciel ouvert et ainsi protéger les ressources naturelles. Klein souligne notamment « le rôle de premier plan joué par les femmes. Souvent majoritaires sur la ligne de front, elles offrent aux mouvements une puissante autorité morale » (p. 345). Avec leurs résistances et leur occupation, les militantes arrivent à ralentir ou à bloquer les projets polluants autorisés par le gouvernement, plus efficacement que tous les autres moyens employés jusqu’à maintenant. Les valeurs portées par ces nouveaux mouvements écologistes s’éloignent des motivations économiques des organisations écologiques présentées dans la deuxième partie du livre. Ces mouvements sont souvent menés par ou en collaboration avec les communautés autochtones, alarmées par les industries polluantes qui mettent en danger l’équilibre de la terre. Klein présente comment ces militantes et militants expriment leur amour pour leur terre et ses ressources, ainsi que leur désir de la laisser en héritage aux générations futures. Les communautés militent d’ailleurs pour que soient respectés les territoires ancestraux autochtones, ce qui limiterait grandement les possibilités d’extraction et de transport de matières dangereuses à proximité de ces territoires.

Or, malgré les accords, il est parfois difficile de faire respecter les droits des populations autochtones devant des industries fortunées. Klein décrit comment les conditions de vie difficiles et les positions précaires dans lesquelles se trouvent plusieurs communautés autochtones les poussent parfois à accepter certaines ententes alléchantes avec les compagnies minières et pétrolières, afin d’améliorer leurs conditions de vie. Klein présente ensuite d’autres dilemmes complexes que vivent les communautés qui s’opposent aux projets polluants. Dans plusieurs régions du monde, le marché de l’emploi est au ralenti, et refuser l’installation d’entreprises ne peut se faire sans la création de nouvelles formes d’économies alternatives. Les investissements dans le domaine de l’énergie verte permettent d’atteindre cet objectif de réduire la dépendance à l’égard du système économique actuel, en plus d’offrir une « transformation fondamentale des rapports de pouvoir entre l’humanité et le monde naturel qui maintient celle-ci en vie » (p. 446). L’auteure présente l’exemple des jeunes habitants d’une réserve cheyenne du Montana qui, après avoir suivi une formation pour installer des panneaux solaires dans leur milieu, ont ainsi pu s’opposer aux travaux d’extraction dans une mine de charbon à ciel ouvert sans craindre les conséquences économiques sur leur communauté.

Quant au démarrage de nouveaux projets écologiques, l’auteure souligne l’importance que le financement nécessaire pour faciliter la transition à un système économique plus juste dans les communautés provienne des acteurs responsables du renforcement de ces inégalités. Ce sont en effet les compagnies s’étant enrichies grâce à l’exploitation et les pays ayant profité de cette exploitation qui doivent se responsabiliser et coopérer afin de financer les nouvelles initiatives.

C’est au coeur du dernier chapitre que l’auteure nous fait part de ses réflexions personnelles relativement à l’écriture de l’ouvrage, en parallèle avec les épreuves qu’elle a vécues. Elle y partage ses découvertes quant aux conséquences de la pollution sur la reproduction de l’espèce humaine et d’autres espèces naturelles, ainsi que le besoin de revoir les techniques d’agriculture ancestrales, qui amènent un mode de vie plus sain. Elle estime que la terre a besoin d’un moment pour se régénérer à la suite de l’exploitation intensive des dernières décennies. Klein nous rappelle que le seul moyen qui nous permettra de voir un réel changement dans l’avenir de notre planète est un changement radical dans notre économie et, pour y parvenir, une mobilisation planétaire pour s’imposer aux intérêts économiques des industries polluantes.

Réflexions

Tout peut changer : capitalisme et changement climatique est le fruit d’un travail acharné, documenté avec précision par l’auteure. Comme différents aspects de la problématique y sont abordés avec profondeur, la lecture peut toutefois être ralentie par la présence de concepts plus complexes des domaines écologique et économique, ou d’éléments liés à la politique américaine et internationale. Par contre, il n’est pas nécessaire de lire cet ouvrage d’une couverture à l’autre, les chapitres étant généralement indépendants les uns des autres. Les lectrices et lecteurs peuvent ainsi se concentrer sur les thématiques qui les intéressent.

Il est possible d’émettre l’hypothèse que l’ouvrage de Klein ne jouit pas d’une popularité unanime. Les changements radicaux proposés par l’auteure risquent de déranger celles et ceux qui tirent avantage du système économique actuel. La lecture de ce livre est toutefois intéressante pour celles et ceux qui s’intéressent aux structures qui maintiennent les oppressions et aux multiples stratégies utilisées par celles et ceux qui sont prêts à tout pour garder leurs privilèges, incluant la destruction de la planète. Les injustices créées par le système capitaliste, mises en lumière dans cet ouvrage, permettent également d’alimenter la réflexion des individus qui militent pour la justice sociale. Les individus qui s’intéressent aux actions collectives ou aux mouvements sociaux qui parviennent à mobiliser les citoyennes et citoyens seront particulièrement intéressés par la troisième partie de l’ouvrage, qui dépeint des mobilisations ayant mené à des gains significatifs.

La lecture de Tout peut changer : capitalisme et changement climatique amène certainement les individus à réfléchir à leur propre consommation, ainsi qu’aux valeurs qu’ils encouragent par leurs choix et leurs actions. Cet ouvrage peut agir à titre de référence dans le milieu environnemental, mais il mérite aussi sa place au sein de tous les mouvements sociaux.