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Introduction

Le militantisme socio-sanitaire désigne l’effet de militer pour la santé, l’engagement (social, politique, économique, culturel ou environnemental) et l’agir volontaire (individuel et/ou collectif) au sens de Fillieule (2001), Fillieule et Mayer (2001), Collovald (2002) et Nicourd (2009), dans le but de promouvoir la santé aux échelles individuelle, familiale et/ou communautaire. Il s’agit, entre autres, d’un nouveau paradigme du militantisme en général et du militantisme social en particulier, prédisposant à plus de lisibilité scientifique, de compréhensibilité et d’efficacité pratique du volontariat dans un secteur spécifique du social : la santé, un secteur sensible et à enjeux pluriels à la suite du basculement de l’humanité d’une société de risque à une société de vulnérabilité sanitaire. L’urgence d’un autre regard et d’une autre attitude plus responsable face à ce basculement passe d’une simple nécessité à une indispensabilité autant pour les politiques, la société civile et les populations locales que pour les hommes de science.

En tant que fait scientifique, le militantisme socio-sanitaire est le produit de l’articulation théorique et pratique, dans le secteur de la santé, entre les cinq composantes structurelles de l’univers du militantisme[1] à savoir : les acteurs sociaux, l’objet-militant, l’enjeu-militant, l’activisme et la temporalité. Les acteurs sociaux ici sont les intervenants dans le secteur de la santé, structurables en plusieurs catégories de personnes physiques (individus, population locale) ou morales, d’ordre institutionnel (public ou parapublic) ou non institutionnel (privé et société civile). Les militants qui constituent une catégorie d’acteurs non institutionnels ne sont donc pas les seuls acteurs de l’univers militant. Le fait « militantisme » résulte de la dialectique perpétuelle entre cette catégorie non institutionnelle (les militants) et les autres acteurs autant institutionnels que non institutionnels. L’objet-militant se rapporte à toute réalité socio-sanitaire à problème, toute situation socio-sanitaire à risque, à défendre, à restaurer, à promouvoir, etc. L’enjeu-militant ici est « la santé » en tant que finalité à quêter, à conquérir et à maintenir dans toutes ses dimensions et formes; un enjeu de plus en plus préoccupant dans les espaces urbains à cause de l’inadéquation de plus en plus croissante entre la demande et l’offre en santé à l’échelle mondiale. L’activisme se construit, se déconstruit et se reconstruit perpétuellement à partir de la dialectique objet-militant/enjeu-militant. Cette construction recherche l’adéquation objet-enjeu militant en termes de transformations ou mutations de l’objet-militant afin qu’il s’identifie et concoure à l’enjeu-militant. L’activisme est donc au coeur de tout militantisme; il se fonde sur l’articulation entre les trois savoirs militants : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être. La formation du militant passe dès lors d’une nécessité à une indispensabilité, au sens de Ethuin (2006), Popelard (2015) et Nicourd (2009). Ces actions ont un début et une fin, elles sont matérialisées et existent dans le temps; par conséquent, elles revêtent un caractère temporel. Cette existence dans le temps rend compte de la temporalité du fait « militantisme » qui, en principe, résulte de la synchronisation des temporalités individuelles des différentes composantes de l’univers lors de leur articulation fonctionnelle.

Dans les dynamiques d’activisme, chaque acteur social développe des logiques, des stratégies et des pratiques socio-sanitaires traduisant leur agir, leur interagir et/ou leur réagir suivant une temporalité spécifique. Il en résulte une reconfiguration perpétuelle de l’objet et de la dialectique objet-enjeu militant (positivement ou négativement). Un remodelage implicite et progressif des autres composantes de l’univers ainsi que des termes et attributs de leur articulation est mécaniquement enregistré. En principe, les dynamiques d’activisme ne sont autres que l’expression tangible et matérialisée de l’articulation structurelle et fonctionnelle entre les composantes de l’univers, une articulation qui est régie par des itinéraires d’interactions. Ces interactions et les itinéraires associés sont dynamiques, produits et producteurs de la mutabilité des termes et attributs de l’articulation. Cette mutabilité reconfigure perpétuellement l’univers du militantisme socio-sanitaire qui, somme toute, est non figé, évolutif et se réinvente indéfiniment. Au-delà d’un simple concept porteur et au regard de la complexité des enjeux de la santé mondiale, le militantisme socio-sanitaire se positionne comme un nouveau champ de recherche-action innovateur, dense et fécond à explorer.

La santé communautaire, une variable privilégiée de la santé suivant les trois échelles individuelle, familiale et/ou communautaire, est un pertinent cadre empirique d’expression et de matérialisation du militantisme socio-sanitaire. Cette matérialisation repose sur un activisme multiscalaire, un précurseur incontestable de changement social dans un cadre spatial dynamique et interactif précis. L’influence plurielle que ce cadre exerce sur ledit activisme en fait un levier, non plus de changement social, mais de changement socio-spatial (Fauveaud, 2012; Commerçon, 1986). Ce changement se veut relatif et, en cas d’effectivité, reste très différemment perçu d’un espace à un autre, puis d’une période à une autre. Une meilleure connaissance scientifique du changement socio-spatial impulsé par le militantisme socio-sanitaire, s’il y a lieu, passe donc nécessairement par des observations localisées, mieux disposées à rendre compte des dynamiques propres à chaque espace.

Contexte de l’étude

La présente étude pose le problème spécifique de l’influence du militantisme socio-sanitaire, suivant sa variable « santé communautaire », sur le changement socio-spatial dans les espaces urbains du Cameroun, un pays où les villes connaissent une faillite de la santé urbaine au sens de Meva’a Abomo (2015a), au regard des fortes répercussions épidémiologiques et socioéconomiques des endémo-épidémies urbaines comme le paludisme, la typhoïde et le choléra (Pomboura, 2017; Meva’a Abomo, et collab., 2017; Meva’a Abomo, 2016; 2015b; Assako Assako, Meva’a Abomo et Tchuikoua, 2006). Cette faillite est aussi liée aux dysfonctionnements du système de soins qui ont favorisé l’émergence d’un puissant et insaisissable système parallèle d’offre informelle des soins modernes, traditionnels et même prophétiques (Meva’a Abomo, et collab., 2017; Meva’a Abomo, 2016; 2015c; Socpa, 2011; Socpa et Djouda Feudjio, 2011; Bekolo Engoudou, 2008; Hebga, 1982). Si la causalité de cette faillite de la santé urbaine est plurielle, il faut cependant reconnaître le rôle prépondérant des dysfonctionnements de la santé communautaire dans son émergence et sa perpétuation depuis l’époque coloniale (Nkohgue Balog, 2015a; 2015b).

Les dysfonctionnements de la santé communautaire ont une responsabilité indéniable dans la très faible sensibilisation et conscientisation des populations urbaines face au danger que représentent le système de soins informel (Djouda Feudjio, 2015), les médicaments de la rue (Njengoué Ngamaleu, 2015; Socpa, 2011), le phénomène de détournement des patients des hôpitaux publics (Meva’a Abomo, 2015c), par exemple. L’insalubrité ambiante est révélatrice d’une profonde crise de gestion de l’environnement urbain dénoncée par Tchuikoua (2010). Cet état de fait explique, par exemple, la diffusion de l’épidémie de choléra qui est partie d’un quartier insalubre de la ville de Douala et s’est propagée dans sept régions sur les dix que compte le pays en 2004, faisant plus de 7 000 cas et 130 décès (Assako Assako, Meva’a Abomo et Tchuikoua, 2006). Toutes ces réalités amènent, en toile de fond, à requestionner la fameuse santé communautaire qui, pourtant, est effective et dynamique, ainsi que le militantisme socio-sanitaire qu’elle promeut depuis l’époque coloniale. Le Cameroun se présente, dès lors, comme un pertinent laboratoire d’observation et d’analyse du militantisme socio-sanitaire associé à la santé communautaire, et de la contribution de celui-ci dans l’intense dynamique de changements socio-spatiaux observés dans les villes.

L’hypothèse de départ de cette étude soutient que le militantisme socio-sanitaire est un acteur passif du changement socio-spatial dans les villes camerounaises. L’objectif de cette étude est donc d’analyser et de caractériser l’influence du militantisme socio-sanitaire sur les processus de changement socio-spatial, afin d’établir son statut entre acteur « passif » ou « actif » desdits changements. Le travail consiste, dans la pratique, à reconstituer la genèse et l’évolution du militantisme socio-sanitaire au Cameroun, en mettant en perspective l’influence de chaque phase d’évolution sur les transformations socio-spatiales; à faire une analyse critique de synthèse démontrant clairement le statut final du militantisme socio-sanitaire par rapport aux changements socio-spatiaux dans les villes camerounaises. Le but ici est de contribuer à une meilleure connaissance scientifique des schèmes structuraux et fonctionnels du militantisme socio-sanitaire, puis à sa ré-objectivation pour un développement urbain durable au Cameroun par généralisation.

Méthodologie

La présente analyse se fonde sur deux types de données : les données de terrain et celles issues de la recherche documentaire. Les données de terrain portant sur la santé publique, en général, et sur la santé communautaire, en particulier, ont été collectées dans le cadre de plusieurs études menées globalement dans cinq villes du pays : Douala, Yaoundé, Maroua, Ebolowa et Kribi (Meva’a Abomo, et collab., 2017; Meva’a Abomo, 2016; 2015a; 2015b; 2013; 2011; Meva’a Abomo, et collab., 2013). Ces données ont été obtenues à partir des observations in situ effectuées dans les agglomérations susévoquées. Les entretiens semidirectifs interpersonnels et de groupes, menés pendant ces descentes sur le terrain, ont également été exploités. Si ces données, ainsi que la riche expérience d’une quinzaine d’années de travail de terrain sur des questions d’environnement et de santé urbaine à l’échelle nationale, sont d’une utilité incontestable dans la présente étude, il faut cependant noter qu’elles ne renseignent pas à suffisance sur le militantisme socio-sanitaire, en tant que fait scientifique, objet de la présente étude.

D’autres descentes sur le terrain ont ainsi été organisées à titre complémentaire à Douala, la capitale économique du Cameroun, qui est aussi la ville la plus peuplée avec 1 907 479 habitants (BUCREP, 2010), et le Cameroun en miniature, en matière de crise urbaine du militantisme socio-sanitaire. Deux campagnes d’observations in situ ont été menées auprès de cinq groupes organisés lors de leurs activités d’hygiène et de salubrité. La première a eu lieu en saison sèche, et la seconde, en saison pluvieuse. Les activités de cinq comités de gestion de la santé communautaire ont fait l’objet d’observations participantes, soit deux comités de gestion de districts de santé (les districts de santé de Deido et de Nylon) et trois comités de gestion des aires de santé appartenant à autant de districts de santé différents (l’aire de santé de Mabanda dans le district de santé de Bonassama, l’aire de santé de Nyalla dans le district de santé de la Cité des palmiers, et l’aire de santé de Ngangué dans le district de santé de New-Bell). Un ensemble de cent entretiens semi-directifs ont été réalisés à partir de guides d’entretien semi-directifs non évolutifs, auprès de plusieurs catégories d’acteurs urbains : les décideurs publics et municipaux, les acteurs du secteur de la santé publique en général et de la santé communautaire en particulier, les acteurs des organismes d’appui au développement, les groupes organisés ou acteurs de la société civile, les leaders d’opinions et les populations locales. Chaque catégorie d’acteurs avait donc un guide d’entretien spécifique.

Les données collectées à partir de la recherche documentaire et des descentes sur le terrain ont fait l’objet d’une analyse qualitative de contenu en fonction de leurs types et catégories. La méthode systémique d’analyse a permis de conjecturer les résultats de l’analyse de contenu suivant une approche pluridisciplinaire. La restitution de l’étude porte sur cinq articulations : 1) la présentation de la santé communautaire comme cadre d’expression et de matérialisation du militantisme socio-sanitaire; 2) la reconstitution de l’évolution historique de ce militantisme au Cameroun; 3) l’analyse de son organisation et son fonctionnement; 4) l’analyse des formes alternatives émergentes; 5) l’analyse des répercussions de la pluralité de militantismes socio-sanitaires sur le changement socio-spatial dans les villes camerounaises.

Résultats

1 — La santé communautaire : un cadre d’expression et de matérialisation du militantisme socio-sanitaire

La communauté est un ensemble d’individus qui vivent sur une aire géographique bien définie; qui partagent le sentiment d’appartenir à ce lieu avec lequel des liens se cristallisent dans le temps; qui partagent des intérêts communs et façonnent consciemment ou inconsciemment un dessein communautaire (Guérin, 2004; Busino, 1993; Tönnies, 1977). La communauté se fonde sur deux principales variables : le groupe humain et l’espace occupé et pratiqué (Gouëset et Hoffmann, 2006; Hillery, 1955). Il n’y a donc point de communauté sans espace fonctionnel support, ni conscience spatio-collective. La fonctionnalité de l’espace est génératrice de faits et de phénomènes tant sociétaux qu’environnementaux qui ne garantissent toujours pas l’épanouissement de la communauté. La santé, qui est un déterminant de cet épanouissement, se trouve soumise au crible de la fonctionnalité de l’espace pratiqué. Si l’individu est à la base du dysfonctionnement de l’espace, les répercussions sanitaires qui en résultent ne se limitent pas à son échelle. Elles sont diffusables à l’échelle de toute la communauté, et même à d’autres communautés, par des mécanismes de diffusion socio-spatiale. La santé d’un individu, fort tributaire de celle du cadre de vie, peut ainsi affecter toute une communauté. La santé a donc un enjeu communautaire qui appelle à la participation de toute la collectivité dans sa promotion (Frehner, et collab., 2005). La participation de l’individu dans cette promotion est institutionnalisée par l’un des principes fondamentaux énoncés à la Conférence internationale sur les soins de santé primaires, tenue à Alma-Ata en URSS en 1978. Ce principe stipule que « tout être humain a non seulement le droit de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en oeuvre des soins qui lui sont destinés, mais aussi qu’il en a le devoir » (Organisation mondiale de la santé, 1986). L’individu a dorénavant le droit d’être impliqué dans les processus décisionnels sur les questions de santé publique et le devoir moral de participer au développement sanitaire de sa communauté d’appartenance dans son intérêt personnel, puis celui de toute la collectivité. Le concept de santé communautaire qui émerge au terme de cette concertation internationale va fondamentalement réorienter et reconfigurer les stratégies de production sociétale de la santé humaine.

La santé communautaire est un processus de promotion de la santé individuelle et collective impliquant la participation de tous les acteurs de la communauté (Levasseur, 2005; Tessier, Andreys et Ribeiro, 2004). Elle renvoie à un ensemble d’actions relatives à l’identification des problèmes de santé de la communauté, à l’analyse de la situation sanitaire, à la hiérarchisation des priorités sanitaires, à la définition des objectifs et des activités à entreprendre, à la mobilisation des ressources pour améliorer la situation, à l’organisation et à la conduite des actions, à l’évaluation des actions (Nishtar et Ridde, 2007; Soutrenon, 2001). Ces actions se fondent sur les trois piliers curatif, préventif et promotionnel des soins de santé primaires et priorisent la démarche Information, Éducation et Communication (IEC) pour la santé. Elles sont mises en oeuvre à partir des méthodes, des techniques et des pratiques scientifiquement approuvées et universalisées, socialement acceptables et contextualisées, communautairement accessibles et intégrées (Caroll, 2006). Dans la pratique, la santé communautaire veille et assure l’hygiène et la salubrité, la prévention et le contrôle des endémies et potentielles épidémies locales, la prise en charge des maladies et lésions courantes, la vaccination contre les maladies infectieuses, la fourniture des médicaments essentiels, la promotion de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, l’approvisionnement à suffisance en eau potable, la protection maternelle et infantile, la planification familiale, le suivi sanitaire des personnes vulnérables de la communauté (enfants, femmes et personnes âgées) (Lamoureux, et collab., 2008; Bantuelle, Morel et Dargent, 2000). La santé communautaire est un pertinent facteur de transformation spatio-sanitaire perçu comme l’ensemble des mutations ou des changements de l’état, du statut ou du profil sanitaire d’un espace fonctionnel; le passage dudit espace d’un niveau de santé à un autre qui est plus acceptable, sous l’impulsion de la santé communautaire. Cette dernière se hisse même en un précurseur de transformations socio-spatiales considérées comme l’ensemble des mutations ou des changements politiques, économiques, sociaux, culturels et écologiques concourant à l’amélioration durable de la qualité de vie, par généralisation, dans un espace fonctionnel. La santé communautaire est, en définitive, un moteur incontestable de développement humain aux échelles de l’individu et de la communauté (Langlois et Prevost, 2009).

Par ailleurs, la santé communautaire qui émerge au terme de la conférence internationale d’Alma-Ata institutionnalise le militantisme socio-sanitaire, non pas sous cette désignation, certes, mais en termes de participation volontaire ou de processus d’engagement et d’actions d’un individu et/ou d’un groupe d’individus dans le but de défendre une cause sanitaire ou de promouvoir la santé individuelle et collective. Cette institutionnalisation confère à la participation volontaire, fondement du militantisme socio-sanitaire, un caractère moralement obligatoire. Elle confère entre autres à la santé communautaire le statut de cadre d’expression et de matérialisation de la conscientisation, de la motivation, de l’engagement à l’action et de l’action proprement dite en matière de promotion de la santé autant individuelle que collective ou communautaire. Il se dégage une consubstantialité entre le concept de « militantisme socio-sanitaire » et le concept de « santé communautaire ». Cette consubstantialité va fondamentalement réorienter et reconfigurer les stratégies de production sociétale de la santé.

2 — Les quatre phases d’évolution du militantisme socio-sanitaire associé au système de santé communautaire au Cameroun de l’époque coloniale à nos jours

Le militantisme socio-sanitaire dans le cadre du système de santé communautaire est effectif au Cameroun depuis l’époque coloniale. Il a subi une évolution progressive en s’adaptant continuellement à différents registres politico-institutionnels, socioéconomiques et socioculturels. Quatre phases d’évolution du militantisme socio-sanitaire, associées à l’évolution du système de santé communautaire lui-même, peuvent être identifiées depuis la période coloniale.

La première phase est celle du militantisme socio-sanitaire colonial associé à la période du système de santé communautaire coloniale. Elle est donc l’oeuvre du système de santé coloniale qui reposait sur la médecine itinérante promue dans la stratégie d’Eugène Jamot (MINSANTE, 2001). Les équipes médicales itinérantes, qui étaient les principaux acteurs, avaient pour mission de soigner gratuitement les malades[2], d’organiser et d’éduquer les populations sur les règles d’hygiène et de salubrité afin de contribuer elles-mêmes à l’amélioration de leur santé individuelle et collective. Cette mission laisse transparaître les trois piliers de la santé communautaire (curatif, préventif et promotionnel). La nuance ici réside dans le fait que les espaces urbains, en proie à de sévères endémo-épidémies, sont les principaux centres de promotion du militantisme socio-sanitaire associé à la santé communautaire coloniale. Nkohgue Balog (2015a, p. 222) souligne à cet effet que :

Ce n’est que tardivement, à partir de 1913, que les autorités coloniales allemandes ont pris la pleine mesure du danger que représentent les endémo-épidémies dans les centres urbains du protectorat Kamerun[3], et ont mis sur pied le programme général de prophylaxie, à Ayos. Il faut attendre la période de mandat français et plus particulièrement la restructuration du service de santé en 1932, pour voir émerger au Cameroun une véritable politique d’hygiène publique[4].

De manière concrète, cette émergence est la conséquence directe des fortes répercussions endémo-épidémiologiques enregistrées dans les villes telles que certifiées par les tableaux 1 et 2, qui restituent les résultats d’examens médico-cliniques des populations urbaines.

Tableau 1

Bilan des examens médico-cliniques microscopiques réalisés en 1929 dans les villes de Douala et Yaoundé

Bilan des examens médico-cliniques microscopiques réalisés en 1929 dans les villes de Douala et Yaoundé
Source : Rapport S.D.N., 1929, p. 40

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Tableau 2

Bilan des examens médico-cliniques microscopiques réalisés en 1931 sur 223 Occidentaux résidant dans la ville de Yaoundé

Bilan des examens médico-cliniques microscopiques réalisés en 1931 sur 223 Occidentaux résidant dans la ville de Yaoundé
Source : Rapport S.D.N., 1931, p. 82

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Le militantisme socio-sanitaire revêt un caractère d’obligation dans le système colonial. Il est régi par un cadre juridique solide marqué par l’arrêté du gouverneur Marchand[5], datant du 2 janvier 1928. Cet arrêté crée une police sanitaire afin de lutter contre les endémo-épidémies urbaines; cette police repose sur trois régimes spécifiques : le régime de danger imminent pour la santé publique, le régime de surveillance sanitaire et le régime d’observation sanitaire. L’Arrêté N° 371 d’octobre 1937 fixant les règles générales d’hygiène et de salubrité à appliquer dans le territoire Cameroun sous mandat français peut également être évoqué dans le cadre juridique promouvant le militantisme socio-sanitaire. L’article 27 de cet arrêté clarifie, par exemple, les mesures d’hygiène et de salubrité à prendre aux échelles individuelle et collective :

Art. 27 : Les cours et jardins devront être désherbés, débarrassés de toute broussaille, de tous détritus et de tous récipients pouvant favoriser l’éclosion de larves de moustique […] La culture de l’intérieur des agglomérations urbaines et plus particulièrement à proximité des maisons d’habitation, de plantes à feuilles imbriquées susceptibles de conserver l’eau au niveau de leurs insertions, tel que bananiers, canas, arbre du voyageur, etc. […] est interdite.[6]

Le système de surveillance et de contrôle sanitaire mis sur pied a largement contribué à l’observation des dispositions sanitaires coloniales. Il était marqué par des descentes sur le terrain à caractère coercitif et même répressif (tableau 3), afin de réduire le risque maladie aux populations conformément à ce témoignage : « Par la destruction des moustiques, par le drainage des zones marécageuses, par la réalisation complète du plan de ségrégation, un Européen pourra vivre à Douala avec un minimum de chances d’infection. »[7]

Tableau 3

Visites médicales effectuées à Douala, de 1927 à 1929

Visites médicales effectuées à Douala, de 1927 à 1929
Source : Rapports S.D.N. (1927, p. 26; 1928, p. 21; 1929, p. 20)

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Des actions militantes en matière d’approvisionnement des populations en eau potable ont permis de comptabiliser 107 bornes-fontaines gratuites dans la seule ville de Douala en 1938[8]. Le traitement des puits, bien qu’épisodique, a permis de réguler le risque hydrique et de neutraliser la propagation des germes dans les eaux de surface. En guise d’illustration, un taux d’infection bactériologique de puits évalué à 84,12 % a été enregistré sur les 189 puits soumis aux tests dans la ville de Yaoundé en 1944[9]. Si l’effectivité du militantisme sociosanitaire est indéniable dans les villes du Cameroun colonial, celui-ci reste cependant non structuré et mal organisé (Nkohgue Balog, 2015b). L’activisme socio-sanitaire était géré par ce que l’administration coloniale a appelé « équipe d’hygiène ». Ces équipes étaient composées de gardes d’hygiène, de manoeuvres, d’une aide de santé et de quelques infirmières[10]. Elles avaient, cependant, du mal à s’approprier, à leur propre compte d’abord, l’articulation entre les trois savoirs (le savoir, le savoir-faire et le savoir-être sanitaire) du militantisme socio-sanitaire associé à la santé communautaire, d’une part, et la transmission aux populations de cette articulation en toute intégration des signatures et sensibilités socioculturelles locales qui varient d’une aire socioculturelle à une autre, d’autre part. Si un ou deux des trois savoirs pouvait être théoriquement enseigné, la dimension pratique de la formation militante se heurtait à des contraintes techniques (mauvaise connaissance et rejet systématique des invariants socioculturels et traditionnels), matérielles et équipementières, financières et humaines (insuffisance de la ressource humaine, faible adhésion des bénéficiaires, etc.). En définitive, la santé communautaire coloniale n’a pas pu enclencher un véritable militantisme socio-sanitaire en termes de participation communautaire à la promotion de la santé dans les villes camerounaises. Cette incapacité a substantiellement hypothéqué les transformations socio-spatiales que ce militantisme socio-sanitaire aurait dû impulser autant dans les grandes villes comme Yaoundé et Douala, où les équipes d’hygiène étaient malhabilement actives, que dans l’ensemble des petites villes, où ces équipes n’existaient même pas.

La deuxième phase d’évolution est celle du militantisme socio-sanitaire postcolonial associé au système de santé communautaire postcoloniale. Elle est promue par la jeune administration du Cameroun post-indépendant, qui s’inscrit dans la continuité de la gouvernance coloniale de la santé publique. Elle adopte une approche de régionalisation de la santé publique. Quatre Zones de Démonstration des Actions de Santé Publique ou ZDASP sont définies en fonction des nuances écologiques et sociétales. La sédentarisation des équipes chargées de la santé publique dans les ZDASP renforce le traitement des maladies et l’éducation sanitaire de proximité dans les zones rurales. Une amélioration considérable de la santé individuelle et collective est enregistrée par rapport à l’époque coloniale. Cette amélioration est une réponse à l’expérimentation d’une nouvelle démarche régionalisée de promotion de la santé communautaire marquée par l’endogénisation, autant que possible, du militantisme socio-sanitaire associé en fonction des réalités territoriales spécifiques de la région. Néanmoins, une véritable dynamique populaire pouvant s’inscrire dans la durabilité n’est pas enclenchée.

Cette insuffisance, qui est également liée à la désarticulation entre les trois savoirs militants susévoqués et à la crise de leur transmission en toute simultanéité, rend compte du déficit d’appropriation territoriale de la santé communautaire postcoloniale qui est toujours non structurée, ni institutionnalisée comme mécanisme de promotion de la santé. Le déficit d’appropriation territoriale de la santé communautaire est un indicateur incontestable autant de l’échec du militantisme socio-sanitaire postcolonial que de l’absence de transformations socio-spatiales escomptées.

La conférence internationale de la santé d’Alma-Ata susévoquée marque un tournant décisif dans l’évolution du militantisme socio-sanitaire au Cameroun et dans le monde entier (bien que ce concept n’ait pas été avancé pendant cette conférence) avec l’institutionnalisation de la santé communautaire. L’émergence du concept de soins de santé primaires lors de cette conférence est porteuse d’une nouvelle vision beaucoup plus localisée, collectivisée et territorialisée de la santé et du militantisme socio-sanitaire alors institutionnalisé. Les soins de santé primaires renvoient non seulement à la prise en charge des malades, mais aussi à la prévention, par exemple : éducation sanitaire, vaccination, consultation prénatale, consultation préscolaire, hygiène de l’habitat, approvisionnement en eau potable. Au lendemain de la conférence, le Cameroun accède à l’ère du système de santé communautaire post-Alma-Ata, basé sur la politique des villages-santé et correspondant au militantisme socio-sanitaire rénové. Cette troisième phase d’évolution se distingue par l’institutionnalisation, la structuration et l’organisation de l’activisme socio-sanitaire dans les villages-santé, des cadres socio-spatiaux d’expérimentation, d’engagement et d’action de promotion de la santé.

La mobilisation des moyens humains, financiers, techniques, infrastructurels et matériels est effective bien qu’insuffisante. Le militantisme socio-sanitaire rénové produit des résultats probants en termes d’adhésion populaire notamment aux campagnes de vaccination, au traitement moderne des maladies, à l’hygiène et salubrité, à l’hygiène alimentaire. Les agglomérations urbaines, mieux prises en charge en matière de santé communautaire, constituent les lieux par excellence où ces résultats sont le plus enregistrés. La superficialité des études d’écologie humaine préalables, pourtant utiles et nécessaires à une meilleure adaptation et à une meilleure appropriation populaire du militantisme socio-sanitaire rénové, a favorisé l’enlisement de cette troisième phase d’évolution. L’augmentation de la population n’est pas suivie par une amélioration quantitative et qualitative des ressources humaines, des moyens financiers, infrastructurels et matériels. La situation d’insuffisance des capacités d’encadrement ainsi que la crise de management d’un secteur détenu en captivité par des cliniciens en exclusivité, malgré la transversalité des questions de santé, sont autant de facteurs ayant contribué à la démotivation, aux défections et à l’échec des villages-santé et du militantisme socio-sanitaire rénové par généralisation.

Des modifications de comportements et des pratiques socio-sanitaires ont, cependant, été enregistrées, avec des répercussions considérables sur le profil sanitaire des espaces urbains. Malgré son échec, le militantisme socio-sanitaire rénové a le mérite d’avoir enclenché une dynamique de changements socio-spatiaux, suivant la composante « santé » de la dimension sociale de ces changements, dans les villes camerounaises, et ce, grâce à un effort de remise en cause et de résilience des responsables de la santé communautaire, puis, grâce à un effort de transmission véritable des trois savoirs militants aux populations locales, ainsi qu’à un effort d’appropriation desdits savoirs par ces dernières. Cette dynamique est, cependant, restée à la traîne à cause de l’immobilité des autres composantes de la dimension sociale, tout comme les dimensions politique, économique, culturelle et écologique du changement sociospatial.

La déclaration de la réorientation des soins de santé primaires au Cameroun intervient en 1992 à la suite des recommandations conjointes de plusieurs conférences internationales sur la santé : la conférence de Lusaka (1985), la conférence interrégionale de l’OMS à Hararé (1987), le sommet des chefs d’État de l’OUA (1987) et la conférence de Bamako (1987). Le décret présidentiel N° 95/013 du 7 février 1995, portant organisation des services de santé de base en district de santé, consacre l’ouverture d’une nouvelle ère du militantisme sociosanitaire et de la santé communautaire connue sous le slogan « santé pour tous » à l’horizon 2000 (MINSANTE, 2001). Cette quatrième phase d’évolution, en vigueur jusqu’à aujourd’hui, est celle du militantisme socio-sanitaire reformé associé au système de santé communautaire reformée. Elle se caractérise par un renforcement institutionnel, structurel et fonctionnel de la santé communautaire avec pour objectif de promouvoir le développement local.

Son opérationnalisation est, cependant, nécessiteuse d’une mobilisation substantielle de ressources humaines et financières, de moyens techniques, infrastructurels et matériels, puis d’une dynamique managériale efficace (Duperré, 2004). Le rapport entre les résultats escomptés et les résultats obtenus dans sa mise en oeuvre est fonction de cette mobilisation et de l’activisme militant. Malheureusement, les résultats jusqu’ici obtenus restent très mitigés par rapport aux attentes. Car, la santé communautaire reformée souffre notamment d’une crise de rationalité et d’équité territoriale, d’une crise de management, d’une instrumentalisation des communautés de base orchestrée par les interférences politiques, d’une insuffisance des moyens financiers et matériels pour le soutien des activités sanitaires, d’une multitude de conflits d’intérêts divergents, d’une restriction des soins de santé primaires au pilier curatif et d’un manque de collaboration et de partage d’expérience entre les aires, les districts et les régions de santé.

Dans ce contexte, le militantisme socio-sanitaire reformé peine toujours à impulser les changements socio-spatiaux escomptés. La composante « santé » de la dimension sociale de ces changements, qui s’était considérablement améliorée avec le militantisme socio-sanitaire rénové, connaît une dégénérescence dans les espaces urbains, comme le témoignent les profils épidémiologiques de certaines maladies insalubres telles que le paludisme, le choléra et la typhoïde (Ndzana, 2017; Pomboura, 2017; Meva’a Abomo, 2016). Le problème n’est plus seulement au niveau de l’articulation des trois savoirs militants et de leur transmission communautaire; il est bien plus complexifié avec l’interférence de plusieurs autres facteurs.

3 — Organisation et dysfonctionnement du militantisme socio-sanitaire associé à la santé communautaire reformée

Le militantisme socio-sanitaire reformé associé au système de santé communautaire reformée s’organise dans une unité du territoire sanitaire appropriée : le district de santé. Le district de santé est une zone géographique bien définie comprenant une communauté (population), un hôpital de district et des centres de santé intégrés couvrant chacun une aire géographique bien déterminée, les services de santé de district : le chef de service de santé de district, le médecin-chef de l’hôpital de district, d’autres personnels de santé (MINSANTE, 2001). Sur le plan structurel, le district de santé est composé d’une communauté humaine de 100 000 à 300 000 habitants en milieu urbain contre 50 000 à 100 000 habitants en milieu rural, d’un hôpital de district et des aires de santé. L’aire de santé est une subdivision territoriale du district de santé, une zone géographique bien délimitée regroupant une population d’au plus 12 000 habitants en milieu urbain et d’au plus 2 000 habitants en campagne. Cette population est placée sous la responsabilité d’un centre de santé intégré (CSI) ou d’un centre médicalisé d’arrondissement (CMA). Il est composé d’au moins deux quartiers en milieu urbain et d’au moins deux villages en milieu rural. Le rayon à partir du centre de santé intégré ne doit pas dépasser 15 km. Et aucun habitant ne doit parcourir cette distance à plus d’une heure à bicyclette pour arriver au centre de santé intégré. Le tableau 4 rend compte d’une distribution sensiblement équitable des nombres de districts de santé et d’aires de santé par région en 2012. Si les densités régionales moyennes d’habitants par district de santé respectent les normes, elles sont cependant biaisées au niveau des aires de santé des régions du Centre, de l’Extrême Nord, du Littoral et du Nord.

Tableau 4

Couverture nationale des structures de la santé communautaire reformée

Couverture nationale des structures de la santé communautaire reformée
Source : I.N.S. (2011), Annuaire Statistiques du Cameroun, Chapitre 4 : Caractéristiques de la population; Atangana Maze R., 2013, L’organisation du district de santé, Délégation Régionale de la Santé Publique du Centre

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Sur le plan fonctionnel, le district de santé comprend une structure de dialogue : le comité de santé du district de santé (COSADI) et un organe de gestion : le comité de gestion du district de santé (COGEDI). Ces structures sont considérées comme le cadre d’organisation de l’activisme socio-sanitaire et de planification de la santé communautaire à l’échelle du district. Le district de santé est subdivisé en aires de santé. L’aire de santé comprend également une structure de dialogue : le comité de santé (COSA) et un organe de gestion : le comité de gestion (COGE). Ces structures sont considérées comme le cadre d’implémentation de l’activisme socio-sanitaire et de promotion de proximité de la santé communautaire à l’échelle de l’aire. Elles assurent donc l’implémentation de la politique et des activités entreprises au niveau du district de santé. Elles se chargent de la mobilisation, de l’organisation et de la gestion des communautés de base. Les comités locaux d’hygiène et de salubrité, les comités de lutte contre le VIH/SIDA, les groupes associatifs locaux, entre autres, sont des cadres d’actions pratiques promus par ces structures de proximité.

Le dispositif de gestion ainsi mis sur pied fonctionne sur la base de la réglementation de la santé communautaire définie par l’instance ministérielle concernée. Ce fonctionnement repose sur la participation de tous les acteurs locaux dans un contexte. Il s’agit des communautés de base, des personnels médico-sanitaires, des acteurs institutionnels de divers départements ministériels responsables notamment de la santé publique, l’environnement, l’eau, l’énergie, l’administration territoriale, l’habitat, le développement urbain, l’agriculture et l’élevage, des acteurs municipaux et confessionnels et des acteurs privés. Il en résulte une gestion partagée ou une cogestion de la santé communautaire reformée. Cette gestion est régie par les principes de démocratie où la communauté est prépondérante. Le financement de la santé communautaire reformée obéit à ce même principe de participation collective. Trois principales sources de financement peuvent être singularisées. L’État est la première source. Il fournit, à travers le plan et le budget d’investissement public, les infrastructures, les équipements et matériels médico-sanitaires, les personnels techniques, les formations et recyclages, le premier stock de médicaments essentiels. La communauté représente la deuxième source de financement à travers le paiement des frais d’inscription et des services souhaités dans les formations sanitaires, diverses cotisations et dons communautaires, l’achat des médicaments dans les pharmacies communautaires, la fourniture de la main-d’oeuvre pour les investissements humains. Les organisations d’appui au développement sont aujourd’hui considérées comme une source incontestable de soutien multiforme de la santé communautaire en milieu urbain comme rural.

La présentation ci-dessus du système de santé communautaire reformée rend compte d’une bonne organisation structurelle et fonctionnelle. Sur le terrain, plusieurs incongruités hypothèquent les résultats escomptés. Les espaces urbains camerounais sont des lieux de cristallisation des dysfonctionnements majeurs de ce système pourtant bien ficelé en théorie. Ils constituent donc d’excellents laboratoires d’observation, de décryptage et d’analyse de la crise du militantisme socio-sanitaire dans un contexte de santé communautaire reformée pourtant bien structuré et prédisposé à une efficacité remarquable.

Le découpage territorial des districts de santé, par exemple, est un indicateur tangible des incongruités territoriales de la santé communautaire reformée qui impactent l’activisme socio-sanitaire en milieu urbain. En guise d’illustration, le district de santé de Deido dans la ville de Douala couvre, à lui seul, tout l’arrondissement de Douala 5ème (538 449 habitants, BUCREP, 2010) et l’arrondissement de Douala 1er (223 214 habitants, BUCREP, 2010). Il compte actuellement plus de 850 000 habitants répartis dans 12 aires de santé, soit une densité moyenne de 70 833 habitants par aire de santé au lieu d’un maximum de 12 000 habitants.

L’interférence des politiques, le népotisme, les détournements de fonds, les trafics de médicaments dans les pharmacies communautaires, etc. sont autant d’aléas qui paralysent le fonctionnement des comités de gestion des districts et des aires de santé. Une artificialisation de la santé communautaire s’est cristallisée dans le temps avec un système de bureaucratie et d’administration agissant en toute distanciation par rapport à la base, les populations locales. Si les gestionnaires des structures de dialogue et de gestion tiennent des séances de concertation entre eux au niveau des districts de santé, cette dynamique de concertation n’est pas observée au niveau des aires de santé où les populations locales doivent intervenir. Chaque quartier de l’aire de santé délègue officiellement deux représentants délibérément choisis par le chef de quartier au comité de santé de l’aire de santé, certes. Mais, les violations des dispositions régissant l’implication de ces délégués suscitent leur absentéisme motivé aux sessions de travail qui ne sont déjà pas régulières. Les structures de dialogue et de gestion sont victimes d’un désintéressement et d’une désertification de la part des populations. Cette réalité se matérialise par la faible adhésion des populations aux activités militantes pour la santé. Elle rend ainsi compte de la mitigation du militantisme sociosanitaire imputable à la déconnexion territoriale et à la crise d’appropriation locale de la santé communautaire reformée.

Par ailleurs, en cas de participation aux sessions, la subjectivité du choix des représentants et le manque de formation préalable et de capacité pédagogique des représentants des quartiers, par exemple, limitent considérablement la transmission ou la diffusion des informations reçues aux populations. Déjà, les concertations dans les structures de dialogue à caractère formatif sont inexistantes, sinon rares; les réunions sont majoritairement administratives. Meva’a Abomo (2011) signale l’ignorance de l’existence de ces structures de dialogue, la méconnaissance des activités de celles-ci par les ménages urbains de la ville de Douala et, encore moins, la nécessité de leur implication dans ces activités. La crise d’appropriation populaire de la santé communautaire empêche l’identification des problèmes de santé réels de la communauté et l’émergence d’une véritable dynamique militante pour la santé chez les populations. Aucun dispositif permanent d’analyse de la situation sanitaire et de hiérarchisation des priorités sanitaires n’est fonctionnel à la base (aire de santé) avec transmission au niveau du district de santé à des fins de définition des stratégies d’intervention et des actions à entreprendre et de mobilisation des ressources pour améliorer la situation, l’organisation et la conduite proprement dite des interventions. Le suivi sanitaire permanent est donc mitigé et réduit aux activités de soins du centre de santé intégré, de la pharmacie communautaire et des campagnes de vaccination. Ce suivi est d’ailleurs mené dans le cadre des charges de travail ordinaire des personnels médicaux de la fonction publique et des personnels privés employés occasionnellement à cet effet, et non dans le cadre d’une action militante, et donc volontaire et bénévole.

4 — La pluralisation de militantismes socio-sanitaires, une réponse sociale face à l’insalubrité triomphante et aux catastrophes sanitaires associées à l’échec de la santé communautaire reformée

La récurrence des catastrophes sanitaires tributaires de la crise d’hygiène et de salubrité, par exemple, et les multiples dysfonctionnements du système de santé communautaire reformée dans les villes ont permis de constater les insuffisances et les limites du militantisme sociosanitaire reformé à vocation institutionnelle. Deux autres formes de militantisme sociosanitaire vont émerger en guise de réponses sociales : le premier est impulsé par l’administration territoriale et le second, par les populations victimes elles-mêmes. Ces deux initiatives vont stimuler une dynamique nouvelle en termes de participation populaire accrue à la promotion de la santé au début des années 2000. Déjà, la participation populaire est une forme de militantisme communautaire en tant que processus dans lequel les individus contribuent à la promotion de leur propre bien-être et à celui de toute la communauté. Ils conjuguent leurs capacités et leurs potentialités individuelles pour transformer leurs conditions de vie tant individuelles que collectives.

Pour plus d’efficacité, la participation populaire nécessite un minimum d’organisation et de structuration, une prise en compte des sensibilités et un effort de communication. Elle nécessite également des activités de formation des communautés afin de développer un savoir en termes de connaissances fondamentales, un savoir-faire en termes d’aptitudes et de compétences techniques et d’aptitudes pratiques, et un savoir-être en termes d’attitudes intégratrices, sociales et communautaires. Ce triptyque de savoirs s’inscrit dans la durabilité lorsqu’il prend en compte les acquis et connaissances empiriques des populations. Il est le support d’une meilleure contribution de la participation populaire dans des domaines aussi complexes que celui de la santé. La participation populaire nécessite la mobilisation militante de personnes physiques, de moyens financiers et matériels, de capacités techniques, pédagogiques et communicationnelles et, surtout, la volonté. Elle peut être reconsidérée comme un processus d’organisation et de dynamisation durable d’une communauté pour une meilleure contribution à son propre développement au moyen de la sensibilisation, de la conscientisation, de l’éducation formative, de l’auto-responsabilisation, de la motivation, de l’incitation à l’action et de l’encadrement des actions menées. La participation populaire se veut donc processuelle. Ce processus est continu et ne se déroule pas sous forme de réactions ponctuelles et spontanées. Il matérialise l’engagement délibéré et responsable de la population à s’auto-manager dans la durée. Dans la pratique, la participation populaire va rester très peu féconde au regard des fortes répercussions épidémiologiques et socioéconomiques des maladies insalubres toujours croissantes dans les villes camerounaises. Trois variables permettent de mettre en évidence la crise de la participation populaire dans les villes camerounaises : l’absence de politiques innovatrices; l’instrumentalisation et l’exploitation de la participation populaire à des fins non communautaires; les dysfonctionnements des comités locaux d’hygiène et de salubrité.

De l’absence de politiques innovatrices à l’auto-dynamisation des populations locales dans le cadre de la participation populaire

L’inefficacité de la participation populaire est liée à une multitude de facteurs, dont le premier est l’insuffisance cognitive en matière de connaissance des articulations théoriques de la notion de participation populaire dans les communautés urbaines. L’absence d’une véritable politique d’incitation des populations ponctuée de moyens conséquents est un autre facteur prépondérant. Le manque ou l’insuffisance de subventions, d’équipements et de techniciens pour le monitoring des activités communautaires peut être cité à titre d’exemple. Si cette réalité est généralisable à tous les espaces urbains, certaines villes se démarquent sous l’impulsion des autorités de tutelle (Fogwe et Nzonkwo Tetchaa, 2015). Il s’agit, par exemple, des villes d’Ebolowa, Kribi, Sangmélima et Douala, où un jour de la semaine est baptisé « jour d’hygiène et de salubrité ». La matinée du jour en question est réservée à l’investissement humain obligatoire. Les boutiques, les services publics et privés, les espaces marchands ouvrent en mi-journée. Les résultats de ces initiatives sont prometteurs certes, mais ils restent relatifs, compte tenu du contexte anarchique ou de non-organisation du travail. L’absence d’émergence de groupes organisés à cet effet limite substantiellement la mobilisation populaire. Chaque citadin est tenu de faire l’entretien de son cadre de vie sans un système de contrôle ni de coercition autre que la fermeture des services. Au final, les répercussions épidémiologiques du paludisme et bien d’autres maladies insalubres dans ces villes, où une journée d’hygiène et de salubrité est observée, attestent du faible rendement éco-sanitaire de cette initiative dont l’importance n’est plus à démontrer.

Des regroupements des populations elles-mêmes en comité d’hygiène et de salubrité vont parallèlement émerger en tant que cadre de matérialisation du militantisme socio-sanitaire. Les jeunes constituent la tranche de la population la plus dynamique dans cette participation populaire. Malgré les multiples manquements, les jeunes urbains ont développé des méthodes alternatives pour entretenir leur motivation. L’une de ces méthodes alternatives consiste à déposer une assiette de collecte des contributions financières à l’intention des habitants et usagers du quartier pour compenser leur absence physique. Cette contribution financière est non seulement un acte d’encouragement, mais aussi une matérialisation de leur présence ne serait-ce qu’intentionnellement. Car, les contraintes professionnelles ou physiques empêchent les uns et les autres d’assurer leur présence physique. Aussitôt qu’une promesse de prise en charge d’une manière ou d’une autre est exprimée par une élite ou une personne aisée du quartier, il est observé une augmentation rapide de l’effectif du groupe et du matériel. Il en résulte un rendement plus efficient. En substance, cette promesse, qui est déjà une action militante, a incité les jeunes à plus d’action; elle se décline en un réel facteur de mobilisation et de dynamisation de la participation communautaire. La visite d’une autorité ou d’un artiste bien connu dans le milieu a le même effet mobilisateur. Celui-ci est enrôlé par une vague d’ovations et ne saurait rester indifférent à l’action militante pour la santé communautaire.

Ces déterminants de la mobilisation et de la dynamisation forgés à la base ont un effet secondaire très important. Cet effet s’articule autour de la minimisation des différends qui existent entre les personnes de la communauté. Surtout que ces différends influencent le rendement des activités d’hygiène et de salubrité. De même, ces stratégies d’acteurs conscientisent tous les membres de la communauté dans la mesure où nul ne peut se passer de la salubrité. À titre d’exemple, ces jeunes s’abstiennent généralement d’assainir, de curer les rigoles bouchées ou de défricher les touffes d’herbes qui serpentent les environs de la concession d’un membre de la communauté indifférent à l’initiative populaire. Néanmoins, l’intervention d’un leader d’opinion ou d’une élite locale, à travers une participation matérielle ou financière ou une autre action militante, déclenche un enthousiasme utile et nécessaire pour que tout espace marginalisé soit assaini. Il s’agit d’un enthousiasme stratégiquement développé pour entretenir la bonne volonté de cette personne ressource. Car, cette personnalité de passage dans le secteur doit être persuadée de la sérénité du groupe de jeunes, au cas contraire, il lui sera difficile de contribuer pareillement à la prochaine occasion. Il a même été noté que, dans la plupart des cas, c’est surtout le geste qui importe le plus, et très peu son contenu. Dans les quartiers dont la population dominante est autochtone, l’entretien verbal des jeunes en langue natale est porteur d’enthousiasme et de détermination. Dès lors, les jeunes s’attèlent à témoigner et à prouver leur attachement ou leur affinité et affection envers le grand frère ou le père de la communauté qui s’est intéressé à eux. Le tout se résume en un jeu de manipulation psychologique des jeunes. Les contributions matérielles et financières catalysent tout simplement cette auto-motivation, qui s’affirme davantage lorsque les populations perçoivent directement leur intérêt dans la participation communautaire.

En définitive, les communautés locales sont abandonnées à elles-mêmes en matière de participation populaire en lien avec l’hygiène et la salubrité en milieu urbain camerounais. La crise d’organisation, d’encadrement et de soutien des communautés dans la recherche de solutions aux problèmes d’eau potable et d’inondations, et dans la lutte anti-vectorielle, par exemple, rend compte d’une espèce de démission des pouvoirs publics et municipaux dans les villes. Le phénomène d’auto-dynamisation des populations produit des effets non négligeables, certes. Mais, ces effets restent très limités dans l’espace et dans le temps. La participation populaire se résume au paiement des prestations de soins au centre de santé intégré ou à l’hôpital de district, ou à l’achat de médicaments génériques à la pharmacie communautaire. Cette participation s’inscrit dans le pilier curatif en exclusivité. L’urgence est donc de repenser les politiques d’incitation et de redynamisation d’une participation volontariste par rapport aux piliers préventif et promotionnel de la santé communautaire qui se veulent indispensables dans le contexte camerounais d’urbanisation à dominance insalubre et spontanée.

Instrumentalisation et exploitation de la participation populaire à des fins non communautaires

Pour lutter contre la pauvreté, les citadins développent des stratégies et mécanismes d’enrichissement de tout ordre. Ces stratégies s’articulent parfois autour de l’exploitation des regroupements communautaires. Deux principales logiques d’acteurs ont été identifiées et font l’objet de la présente analyse. La première est l’instrumentalisation et l’exploitation de la participation communautaire dans les partenariats avec l’État et les organismes d’appui et d’aide financière. Sur ce plan, des projets sont montés au nom de la communauté suivant deux approches : au sein du groupe ou en dehors du groupe, c’est-à-dire par une tierce personne qui agit au nom de la collectivité. Quelle que soit l’approche, la population peut être tenue informée ou non, selon son niveau d’implication et selon la procédure du suivi ou de l’évaluation des pourvoyeurs financiers. Dans certains cas, une infime partie du budget alloué est utilisée pour infléchir les évaluateurs. Dans d’autres cas, l’intégralité du budget est détournée, et ce sont tout simplement des rapports de justification de l’utilisation fictive du budget qui sont ficelés. La population, quant à elle, est purement et simplement marginalisée. Une fois la supercherie découverte, il s’en suit une dislocation du groupe, marquée par l’anéantissement de la solidarité agissante de départ.

La deuxième logique s’articule autour de l’instrumentalisation et de l’exploitation de la communauté à des fins politiques. En principe, l’entretien des groupes est un moyen de cooptation massive de ses membres et sympathisants dans des idéologies politiques, ou encore, pour promouvoir la popularité d’une élite. Des projets de développement sont aussitôt mis sur pied, et une quête de financement est entreprise par cette élite. En cas d’obtention du financement par l’élite, la réalisation du projet est victime de détournement partiel ou total des fonds. Ces interférences menacent et précarisent la cohésion dans les communautés urbaines. La solidarité communautaire, fort indispensable dans la gestion des problèmes socio-spatiaux, est ainsi fragilisée au profit de l’émergence du risque sanitaire. L’hygiène de l’habitat s’est transformée en un slogan auprès de la population meurtrie par la crise économique, la surexploitation et la fragilité du lien homme-milieu. En définitive, il se pose un problème de gestion des groupes organisés en matière d’hygiène et de salubrité, des structures qui existent pourtant. Les stratégies managériales expérimentées jusqu’ici satisfont très peu l’intérêt de la collectivité. Il se dégage une inefficacité généralisée de la participation populaire.

Diagnostic de la crise du système national de comités locaux d’hygiène et de salubrité dans le cadre de la participation populaire en milieu urbain

Le Cameroun se particularise par l’existence des réseaux urbains de groupes organisés pour la santé tels que les comités locaux d’hygiène et de salubrité. Ces comités sont le produit d’une initiative des autorités publiques d’envergure nationale. Ces structures sont démocratiquement dirigées par des leaders d’opinion comme les chefs de quartiers, les personnes dont le dynamisme est reconnu de tous. Elles regroupent théoriquement tous les habitants de ces quartiers. L’organisation et la structuration spatiale des comités épousent la structuration administrative du territoire urbain, c’est-à-dire la délimitation des quartiers. Le suivi systématique des activités de certains comités d’hygiène et de salubrité à Douala, Yaoundé, Kribi, Maroua et Ebolowa (Meva’a Abomo, 2011; Meva’a Abomo, et collab., 2013) a permis de constater une déconnexion ou un parallélisme entre ces comités et les structures de dialogue du système de santé communautaire des aires et districts de santé.

Dans la pratique, cette bonne organisation structurelle se heurte au manque de dynamique fonctionnelle qui varie selon les comités. Il est observé un manque de motivation substantielle chez les populations. La mobilisation des populations se fait généralement la veille de la visite d’une autorité. Un entretien général (p. ex. désherbage, sarclage, curetage des rigoles) du quartier est fait à ces occasions sous le haut patronage du chef du quartier. Déjà, aucun matériel appartenant au comité n’est disponible. Les populations utilisent leurs outils personnels à l’exemple des machettes, des pelles, des râteaux et des pioches. Il est donc fréquent de voir quatre ou cinq personnes qui se passent une machette ou une pioche. Lors des séances de travail manuel, cette contrainte est transformée en un atout, au regard de l’attitude d’animateurs qu’affichent ceux qui sont en attente. La durée de travail est plus longue. Sa qualité est peu fiable, et l’étendue de l’espace assaini pour le cas d’espèce reste très limitée.

Des mobilisations spontanées des populations pour les travaux d’assainissement populaire sont observées face à la forte probabilité d’occurrence d’une catastrophe très dommageable comme les inondations (Essapo, 2015). D’autres mobilisations toujours spontanées sont organisées face au développement des haies vives dangereuses servant de lieux de refuge des bandits, à l’obstruction d’une route ou de caniveaux, etc. Ces situations particulières suscitent uniquement le regroupement des habitants victimes. Le véritable problème de ces actions spontanées réside dans leur non-durabilité. Cette réalité est d’autant plus pertinente au regard de la qualité du travail effectué avec des équipements inadaptés. Le mode de défrichage, par exemple, est favorable à la création d’un tapis épais constitué d’herbes tondues à mi-volée, sur lesquelles s’étalent les détritus d’herbes coupées. En dessous de ce tapis se trouvent des eaux stagnantes. Il en résulte un dispositif favorable à la création des gîtes à moustiques, vecteurs d’une kyrielle de maladies insalubres.

Par ailleurs, il est observé un curetage des rigoles, animé par un souci d’aplanissement de la topographie. Pourtant, il faut plutôt créer une dénivellation ou un pendage favorable au processus d’écoulement. Ainsi, bien que curées, les rigoles deviennent tout simplement favorables à la stagnation des eaux et à la résurgence des moustiques quelques jours après la séance de travail communautaire. La participation populaire contribue de ce fait à la mise en place de gîtes à moustiques dans les villes camerounaises. En définitive, la dotation des moyens, comme les équipements et surtout un moniteur qualifié, à chaque comité d’hygiène et de salubrité et à chaque association chargée de l’entretien de l’habitat, objectiverait davantage leurs activités tout en renforçant leur efficacité.

5 — Répercussions mitigées de la pluralité de militantismes socio-sanitaires sur le changement socio-spatial dans les villes camerounaises

Activisme et changement socio-spatial

Le changement socio-spatial désigne la conjugaison articulée et harmonisée des mutations sociales et spatiales en un lieu. Il renvoie à l’ensemble des modifications des caractéristiques morphologiques, sociales, économiques, politiques, écologiques, culturelles, etc. d’un espace socialisé, pratiqué et dynamique; elles traduisent le passage ou la transition de l’espace approprié et mis en valeur par l’homme d’un état donné à un autre, sous l’impulsion des pratiques d’acteurs de cet espace (Denis, 1998; Commerçon, 1986). Le changement sociospatial se présente donc comme le produit de la conjugaison des pratiques d’acteurs entreprises dans le cadre des stratégies d’acteurs, des stratégies qui, à leur tour, sont développées dans le cadre des logiques d’acteurs dans un espace support.

Le changement socio-spatial s’opère suivant deux dynamiques. La première est positive. Il s’agit de la dynamique progressive ou évolutive, qui est marquée par l’amélioration des caractéristiques (morphologiques, sociales, économiques, politiques, écologiques, culturelles, etc.) de l’espace pratiqué soumis à la transition ou à la modification. Elle se fonde généralement sur l’émancipation politique et les mutations économiques ayant des répercussions sur le tissu social de l’espace support. Elle se matérialise par la viabilisation du cadre de vie, l’amélioration des conditions sociales et l’accession des populations au mieuxêtre par généralisation. La seconde est négative. Il s’agit de la dynamique régressive ou involutive, qui est marquée par l’altération et la dégénérescence des acquis de l’espace pratiqué soumis à la transition ou à la modification. Cette dynamique se matérialise par un niveau de précarité et de vulnérabilité économique, sociale et écologique que l’espace pratiqué ne présentait pas avant l’enclenchement du processus de changement.

Toutes ces dynamiques sont en réalité des produits de l’activisme socio-spatial fondé sur le désir de changer l’existant social et spatial, sur l’engagement des acteurs et sur la conduite des activités génératrices du changement de ce double existant aux échelles individuelle et/ou collective. Ces activités s’inscrivent dans deux principales catégories donnant lieu à deux ordres d’activisme. La première catégorie regroupe les activités à but lucratif, où les acteurs sont des opérateurs économiques et des travailleurs des secteurs primaire (activités agraires), secondaire (activités industrielles) et tertiaire (activités de services). Le lucratif doit être perçu sous un angle obtus qui intègre aussi toute forme de dividende en termes de pouvoir, de réputation, d’avantage, etc. concédé par l’activité. Les activités économiques et politiques qui participent au changement socio-spatial, par exemple, relèvent de l’ordre de l’activisme socio-spatial lucratif.

La seconde catégorie regroupe les activités à but non lucratif entreprises dans le cadre de la défense et/ou de la promotion d’une cause politique (p. ex. activités de défense ou de revendication de la démocratie, activités de promotion de la démocratie), d’une cause économique (p. ex. activités de dénonciation d’une exploitation minière abusive ou de la hausse des impôts), d’une cause sociale (p. ex. activités de revendication des droits des travailleurs et des droits de la femme, activités de promotion de la santé, de dénonciation de la vie chère), d’une cause culturelle (p. ex. activités de dénonciation de l’exploitation des pygmées ou de promotion de la culture pygmée) ou d’une cause écologique (p. ex. activités de dénonciation de la pollution, de la déforestation). Ces activités de défense et/ou de promotion d’une cause politique, économique, sociale, culturelle ou écologique participent également au changement socio-spatial et relèvent de l’ordre de l’activisme socio-spatial non lucratif. Ce second ordre, plus en vue sous le label « activisme », donne lieu au militantisme politique, économique, social, culturel ou écologique. Et enfin, ses acteurs sont des militants politiques, économiques, sociaux, culturels ou écologiques respectivement.

Répercussions de la pluralité de militantismes socio-sanitaires sur le changement sociospatial

Les précisions théoriques relatives au changement socio-spatial fournies ci-dessus amènent à s’interroger sur la nature de la dynamique progressive ou régressive, évolutive ou involutive impulsée, s’il y a lieu, par les formes de militantisme socio-sanitaire dans les villes camerounaises. D’une manière générale, la première forme, impulsée par le système urbain de santé communautaire, est réduite à l’implication dans le fonctionnement du pôle d’offre de soins. Si des comités de lutte contre le SIDA et contre le paludisme ont officiellement été créés dans les quartiers et publicisés par les programmes nationaux de lutte contre ces maladies, leur existence n’est qu’administrative et théorique. L’activisme qui devait caractériser ces comités est mis à mal notamment par l’instrumentalisation, la politisation et l’opacité de la gestion des fonds alloués dont ils sont victimes.

La seconde forme, qui s’articule sur la création par l’administration territoriale des comités d’hygiène et de salubrité dirigés par les chefs de blocs et de quartiers, est victime d’une quasi-absence de soutien technique, matériel et financier, qui constitue un déterminant majeur de l’échec de cette initiative. Il faut aussi souligner la démotivation des populations locales entretenue par la pauvreté, les inégalités, injustices et frustrations sociales, la crise de gouvernance urbaine constatée et dénoncée par une population de plus en plus éclairée et attachée à la transparence, etc. L’activisme qui devait également caractériser ces comités est en définitive mis à mal par une grille de déterminants complexes.

Les multiples dysfonctionnements qui caractérisent les deux premières formes d’implication des acteurs urbains, impulsées par le système de santé communautaire et l’administration territoriale, amènent à conclure qu’il est difficile de parler, dans ces cas de figure, d’un véritable militantisme socio-sanitaire en tant qu’engagement volontaire et désintéressé au niveau individuel ou collectif pour promouvoir la santé dans les villes. Il s’agit plutôt d’une adhésion partielle et superficielle, puis d’une relative participation populaire à des initiatives des autorités publiques (implication dans le fonctionnement du pôle d’offre de soins, p. ex. achat de médicaments, soins cliniques, examens médicaux; adhésion fictive aux comités sous l’influence des autorités territoriales). Il se dégage une crise du militantisme socio-sanitaire dans ces formes d’implication régies par des dynamiques d’activisme du haut vers le bas.

La troisième forme d’implication, impulsée par les populations elles-mêmes et portant notamment sur l’organisation des travaux communautaires d’hygiène et de salubrité et des comités de vigilance, souffre du manque d’encadrement technique, d’équipement, de soutien d’organisation, de planification et de permanence de l’activisme dans la durée par généralisation. Son efficacité reste donc très limitée. Cependant, elle se fonde sur la volonté, la détermination et l’engagement populaires. Elle est donc régie par une dynamique d’activisme du bas vers le haut et rend ainsi compte d’un véritable militantisme socio-sanitaire.

La contribution du militantisme socio-sanitaire au changement socio-spatial est, d’une manière générale, mitigée dans les villes camerounaises. Les trois formes d’implication identifiées contribuent relativement au maintien de l’état de santé médico-clinique, à la prévention sanitaire (vaccination) et à une réduction très peu signifiante des problèmes d’hygiène de l’habitat. La récurrence saisonnière des inondations meurtrières, des épidémies de maladies insalubres, etc. dans les mêmes quartiers, les mêmes zones urbaines, atteste la relativité et la mitigation de la contribution du militantisme socio-sanitaire aux transformations socio-spatiales en milieu urbain camerounais. En définitive, le militantisme socio-sanitaire associé à la santé communautaire dans les villes camerounaises, bien que relatif et mitigé, s’inscrit tout de même dans une dynamique progressive ou évolutive en toute passivité.

De la mobilité du militantisme chez les militants socio-sanitaires

La conjugaison articulée des trois formes de militantisme socio-sanitaire en vigueur dans les villes camerounaises prédispose logiquement à de profonds changements socio-spatiaux. Cette prédisposition se heurte malheureusement à des contingences multidimensionnelles génératrices de ce qui peut être appelé « le malheur du militant socio-sanitaire urbain ». Ces contingences hypothèquent l’implémentation à succès des actions militantes pourtant bien planifiées en théorie et créent des discontinuités du militantisme socio-spatial, au sens de Contamin, Duriez et Sawicki (2013). Les pratiques managériales empiriques dans ce contexte camerounais atypique ne peuvent que générer et renforcer les conditions d’érodabilité de l’engagement socio-spatial pourtant considéré comme le processus à la base de tout changement socio-spatial, indépendamment de la trajectoire de changement à laquelle la communauté s’est inscrite. Ici, l’incitation du militant, au sens d’Olson (1978) et de Fillieule (2005), cède la place à la démotivation et à la déception; la rétribution du militant, au sens de Gaxie (2005; 1977), qui devrait être perceptible en termes d’améliorations de l’état de santé, se transforme en dégradation et en pertes des acquis socio-sanitaires; le bonheur du militant, au sens de Mer (1977) et de Lagroye et Siméant (2003), qui devrait être perceptible en termes de changement socio-spatial tangible, devient un mirage, une illusion; la foi ardente du militant, au sens de Berlivet et Sawicki (1994), cède la place au désespoir, à la défection et, en cas extrême, au revirement radical contre l’action de départ pourtant soutenue par l’exmilitant; une véritable fin du militantisme, au sens de Ion (1997).

La désarticulation de l’univers du militantisme socio-sanitaire : un déterminant majeur de sa passivité en matière de changements socio-spatiaux dans la ville camerounaise

D’une manière générale, la crise du militantisme socio-sanitaire et ses effets induits, comme l’incapacité à impulser des changements socio-spatiaux durables, le malheur du militant socio-sanitaire, la précarité sanitaire associée et bien d’autres encore, sont globalement des réponses à la désarticulation structurelle et fonctionnelle entre les composantes de l’univers du militantisme socio-sanitaire : les acteurs ou intervenants sociaux, l’objet-militant, l’enjeu-militant, l’activisme et la temporalité. Cette désarticulation, qui ne change que de forme, se reconfigure, s’adapte et annihile perpétuellement les efforts de résilience portés par chaque phase d’évolution du militantisme socio-sanitaire dans les villes camerounaises depuis l’époque coloniale. Elle s’opère à deux niveaux d’échelle : intra-composante et inter-composante. Suivant l’échelle intra-composante, les acteurs, par exemple, se caractérisent par des divergences d’enjeux et d’intérêts. Il en résulte une divergence de logiques, de stratégies et de pratiques d’acteurs, sur fond d’antagonisme, d’égocentrisme, de dualisme et de conflictualité. La crise de transmission et d’appropriation des trois savoirs militants (le savoir, le savoir-faire, le savoir-être), de mobilisation des moyens, etc. est révélatrice des dysfonctionnements et de la désarticulation internes de cette composante de l’univers du militantisme. Un univers où le militant socio-sanitaire n’est pas l’unique acteur; il n’en est qu’une catégorie dont le profil est, cependant, non établi, tout comme son statut, son itinéraire de carrière, sa formation, sa professionnalisation, etc. La perception du militant socio-sanitaire comme un adversaire, un subversiste, voire un ennemi de l’ordre établi, par les autres acteurs conformistes de l’univers est un pertinent indicateur de la difficulté à négocier parfois, puis à parvenir à une articulation féconde des acteurs entre eux, d’abord, et avec les autres composantes de l’univers du militantisme socio-sanitaire, par la suite.

L’objet et l’enjeu-militant, à savoir « la santé », restent peu et mal connus, voire méconnus, par les acteurs de l’univers du militantisme socio-sanitaire dans les villes camerounaises. La restriction de leur perception à leur dimension médico-clinique, par exemple, explique la négligence des dimensions politique, économique, sociale, culturelle et écologique. Ces dimensions sont pourtant déterminantes dans la production des changements socio-spatiaux qui, en principe, résultent de l’articulation entre les mutations ou les transformations, autant politiques, économiques et sociales que culturelles et écologiques, en toute simultanéité, dans un espace fonctionnel support. Cet enjeu-militant se veut donc complexe. Cette complexité est davantage renforcée avec l’interférence continue et les interdépendances, en milieu urbain, de divers paradigmes de la santé, à savoir : la santé humaine, la santé animale, la santé environnementale, la santé publique, etc. Ces paradigmes, pris individuellement, ont également une multitude de composantes. La santé publique intègre, par exemple, l’offre des soins médicaux, l’hygiène de l’habitat faisant partie de la santé communautaire, la santé de la mère et de l’enfant, la santé de l’adolescent, la santé des personnes âgées et l’hygiène alimentaire. Tous ces paradigmes et leurs composantes, par leur dysfonctionnement articulé dans les villes camerounaises, sont favorables à la construction d’une multitude de couples objets-enjeux militants, et constituent donc autant de champs d’action du militantisme sociosanitaire. La santé, qui constitue l’enjeu principal du militantisme socio-sanitaire, se révèle, en définitive, hétérogène, étendue, évolutive et changeante de configuration dans l’espace et dans le temps.

La complexité de la santé, en tant qu’enjeu-militant pluriel et latent, rend compte de l’importance de la formation spécialisée au militantisme socio-sanitaire non seulement du militant, mais aussi de tous les acteurs de l’univers du militantisme socio-sanitaire ainsi constitué. La spécialisation de la formation ici est fonction du paradigme ou de la composante du paradigme retenu comme enjeu-militant. Cette formation est le moment par excellence d’acquisition des trois savoirs militants (le savoir, le savoir-faire et le savoir-être) et de compréhension et d’appropriation de leur articulation, en fonction de chaque objet-militant et des spécificités de l’enjeu-militant associé. La nature, la conduite et le rendu de l’activisme socio-sanitaire en dépendent fondamentalement; ils dépendent aussi du processus d’incubation au militantisme socio-sanitaire, précédant tout activisme. Ce processus, qui se veut graduel, va de la sensibilisation à la conscientisation, de la conscientisation à la motivation et de la motivation à l’action. L’activisme proprement dit, ou le passage à l’action, est la phase terminale d’un processus latent qui aguerrit le militant face aux multiples épreuves du militantisme et prépare ce dernier à résister aux contingences qui interfèrent en continu. L’absence de formations autant générales que spécialisées pour les militants sociosanitaires est donc un facteur d’échec présumé de la dynamique d’activisme sociosanitaire sur fond d’empirisme, d’amateurisme, de superficialité et d’éphémérité dans les villes camerounaises. Le problème se situe plus en amont avec la crise des formateurs. Les cliniciens de formation et de carrière sont les formateurs en santé communautaire, cadre empirique de la présente étude. L’absence de personnels formateurs spécialisés en santé communautaire en général, et en militantisme socio-sanitaire en particulier, prédispose donc à des actions militantes à efficacité très relative dans un contexte où les moyens d’action sont très limités. Le problème de formateurs est révélateur de la crise du management du militantisme socio-sanitaire en général, un autre indicateur de sa passivité en matière d’impulsion d’une dynamique de changements socio-spatiaux dans les villes camerounaises. Les cliniciens (médecins-chefs) sont, dans la matérialité, les gestionnaires de la santé communautaire. Les représentants de la population locale et membres des différents comités de gestion sont sans formation au management de la santé communautaire; ils sont généralement instrumentalisés et constituent des figurants dans les pratiques managériales.

La crise de synchronicité des temporalités d’action des différents acteurs est un indicateur certain du problème managérial du militantisme socio-sanitaire au Cameroun. La ponctualité de la motivation des populations et des aspirants militants prêts à passer à l’action, face à la survenance d’un événement sanitairement dommageable, est généralement déconstruite et désamorcée par plusieurs facteurs parmi lesquels les lenteurs de l’appui des autres acteurs à l’exemple de l’État. En guise d’illustration, la ponctuelle motivation des comités d’hygiène et de salubrité, de lutte contre le paludisme, etc. est soumise à l’usure de la très lente réaction contributive de l’acteur étatique ou municipal. La promptitude des secours apportés aux sinistrés de l’accident de train, survenu le 21 octobre 2016 dans la ville d’Eséka, par les populations locales et plusieurs associations, assimilables à des militants socio-sanitaires occasionnels, a été atrophiée par les lenteurs de l’intervention des pouvoirs publics; une intervention largement en deçà des attentes et entamée en guise de réponse à l’action militante à vocation dénonciatrice des médias, à la promptitude de l’action militante des acteurs privés et des réactions de la communauté internationale. Il en a résulté plus de 70 morts et 500 blessés[11]. La synchronisation des temporalités d’agir aurait inéluctablement sauvé davantage de vies et aurait réduit la sinistralité par généralisation.

La désarticulation fonctionnelle entre les cinq composantes structurelles de l’univers du militantisme socio-sanitaire est, en définitive, le principal verrou du militantisme sociosanitaire dans les villes camerounaises depuis l’époque coloniale. Elle est un déterminant du basculement de la ville camerounaise, d’une société de risque sanitaire à une société de vulnérabilité sanitaire. Elle rend compte de la faible participation du militantisme socio-sanitaire dans l’impulsion des changements socio-spatiaux dans les espaces urbains.

Conclusion

Le militantisme socio-sanitaire associé au système de santé communautaire est effectif au Cameroun depuis l’époque coloniale. Cette forme d’activisme socio-sanitaire associé au système de santé communautaire a connu quatre principales phases d’évolution, toutes marquées par une mitigation des changements socio-spatiaux escomptés : le militantisme socio-sanitaire colonial associé au système de santé communautaire coloniale; le militantisme socio-sanitaire postcolonial associé au système de santé communautaire postcoloniale; le militantisme socio-sanitaire rénové associé au système de santé communautaire post-Alma-Ata; le militantisme socio-sanitaire reformé associé au système de santé communautaire reformée. Ces phases d’évolution sont associables à des formes de réponses institutionnelles face aux échecs successifs et/ou cumulatifs enregistrés; des réponses formulées sur fond de revirement géostratégique en matière de remobilisation du capital participatif, de revitalisation de son enracinement socio-spatial et de redéploiement de ses capacités de participation. Les ruptures narcissiques s’opèrent avec le renouvellement continuel de paradigmes managériaux du militantisme socio-sanitaire alors repensé et rénové. Il s’agit, à chaque phase, d’une véritable réinvention socio-institutionnelle aux effets imprévisibles et incertains, tels que la mutabilité des fondements doctrinaux, la rénovation des dispositifs structurels, fonctionnels et réglementaires, l’émergence de nouveaux acteurs-militants aux pratiques pas toujours encadrées, territorialement déconnectées, à portée incertaine et peu prédictible à long terme, vu leur non-appropriation communautaire.

Les multiples dysfonctionnements et insuffisances de cette forme institutionnelle du militantisme ont eu pour réponse sociale l’émergence de deux autres formes de militantisme socio-sanitaire. La première, qui se veut aussi institutionnelle, est une initiative de l’administration territoriale. La seconde, qui est non institutionnelle, est une initiative des populations locales elles-mêmes. D’une manière globale, cette pluralité de militantismes socio-sanitaires peine toujours à réduire la vulnérabilité sanitaire et à impulser des changements socio-spatiaux dans les villes camerounaises. La présente étude dresse un bilan non exhaustif des schèmes structuraux et fonctionnels de la pluralité de militantismes socio-sanitaires en milieu urbain camerounais; des schèmes au changement socio-spatial escompté et perceptible en termes de contribution passive et insuffisante au changement socio-spatial dans les villes.

En guise de synthèse explicative de cette réalité, l’étude reconsidère d’abord, sur le plan théorique, le militantisme socio-sanitaire comme un fait scientifique résultant de l’articulation structurelle et fonctionnelle entre acteurs sociaux (toutes les catégories d’intervenants institutionnels et non institutionnels; les militants ne représentent donc qu’une de ces catégories), objet-militant (réalité ou situation socio-sanitaire précurseure des mobilisations militantes), enjeu-militant (il s’agit, ici, de la finalité recherchée : « la santé » sous toutes ses formes et dimensions), activisme (reposant sur des actions concrètes qui doivent se fonder sur l’articulation entre les trois savoirs militants : le savoir, le savoir-faire et le savoir-être; la formation du militant passe dès lors d’une nécessité à une indispensabilité) et temporalité, c’est-à-dire les cinq composantes structurelles et fonctionnelles de ce qui est qualifié de modèle de l’univers du militantisme. Ensuite, sur le plan pratique, l’étude attribue globalement la causalité de la crise du militantisme socio-sanitaire à la désarticulation structurelle et fonctionnelle interne à chacune des cinq composantes, puis entre les composantes de l’univers du militantisme socio-sanitaire dans les villes camerounaises depuis l’époque coloniale. Il s’agit là d’un argument d’autorité expliquant la faible participation ou la passivité du militantisme socio-sanitaire dans l’impulsion des changements socio-spatiaux dans les agglomérations urbaines camerounaises.

À l’étude de conclure qu’il faut faire de la ville camerounaise une priorité du militantisme socio-sanitaire, et du militantisme socio-sanitaire une priorité dans la ville camerounaise. Cette double priorisation appelle au repositionnement de l’articulation structurelle et fonctionnelle interne, puis entre les cinq composantes de l’univers du militantisme sociosanitaire au coeur de tout cadre programmatique du développement sanitaire en milieu urbain. Elle impose la formation au militantisme socio-sanitaire, la spécification des itinéraires de militantisme socio-sanitaire, la clarification du statut de militant socio-sanitaire, la professionnalisation du militantisme socio-sanitaire et la définition d’un profil de carrière du militant socio-sanitaire. Enfin, cette double priorisation invite au développement des compétences et des capacités managériales du militantisme socio-sanitaire, qui doit impérativement être territorialement réintégré et affranchi des serres de l’inertie politique.