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Chercheur postdoctorant à l’Institute of Peace Research and Security Policy de l’Université de Hambourg, Delf Rothe nous offre avec son ouvrage un condensé de sa recherche doctorale consacrée aux questions de sécurité qu’implique le changement climatique. Securitizing Global Warming : A Climate of Complexity apporte sa pierre à l’édifice des études relatives aux questions de sécurité en abordant le thème éminemment actuel de l’environnement.

Rothe entreprend d’expliquer les fondements des implications sécuritaires du réchauffement climatique. Pour ce faire, il adopte une approche poststructuraliste en vue de remédier à ce qu’il considère comme une fausse dichotomie entre le discours et la pratique. Sur le plan méthodologique, l’auteur entreprend la tâche difficile de présenter les résultats de ses recherches obtenus par méthode rétroductive. Il s’agit d’une méthode dans laquelle l’étude approfondie d’un sujet se construit sur des aller-retours constants entre les éléments de comparaison et le développement théorique qui forment un processus de recherche circulaire.

L’introduction et la conclusion de l’ouvrage, denses mais néanmoins complètes, permettent au lecteur de saisir l’essentiel du contenu de manière claire et précise. Par ailleurs, dans le corps de l’ouvrage, Rothe analyse minutieusement les théories de la sécurité et du processus de sécurisation. Après avoir défini le cadre théorique de sa démarche, il compare les différents niveaux politiques – international, régional et national – dans lesquels le processus de sécurisation s’applique au cas complexe du changement climatique.

Dans un premier chapitre, l’auteur met en évidence le double paradoxe auquel la théorie de la sécurité traditionnelle se trouve confrontée lorsqu’elle est appliquée au cas du changement climatique. Premièrement, pour quelle raison le changement climatique est-il considéré comme une question de sécurité alors que ses implications sécuritaires n’ont pas de réels fondements scientifiques ? Deuxièmement, pourquoi ce changement de discours n’a-t-il pas donné lieu à la mise en place de mesures exceptionnelles ? Bien que la définition utilisée par l’École de Copenhague, voulant que la sécurité soit comprise comme la construction sociale d’une réalité particulière à l’aide d’un acte de langage, puisse expliquer le premier paradoxe, elle peine à répondre au deuxième. Rothe tente donc d’élucider celui-ci dans les chapitres suivants.

En quête d’un cadre théorique, l’auteur reprend dans le deuxième chapitre les critiques adressées à l’École de Copenhague, qui trouvent écho dans le cas des questions de sécurité relatives au changement climatique. En cherchant dans un premier temps une alternative, l’auteur se tourne vers l’École de Paris et son approche sociologique. Il revient finalement vers l’École de Copenhague en proposant d’adapter son approche aux critiques émises à son encontre. Enfin, puisant dans les théories de Foucault, Rothe consacre le chapitre trois à l’élaboration d’une théorie poststructuraliste exhaustive des questions de sécurité.

Le quatrième chapitre propose une analyse historique des liens entre le changement climatique et le discours sécuritaire. L’auteur y aborde d’abord l’élargissement de la notion de sécurité et ensuite les conséquences de cette évolution dans le cas du discours sur la sécurité environnementale. De manière à donner aux lecteurs les outils d’analyse indispensables pour comprendre l’application de son cadre théorique à sa recherche empirique, Rothe analyse également en détail les métaphores à caractère belliqueux (the warming war) ou topologique (the tipping point en parlant du réchauffement de 2 °C par an), par exemple, qui constituent le point de départ d’une spécification plus approfondie de la menace du changement climatique par les acteurs du discours de la sécurité.

Les chapitres suivants abordent trois études de cas qui se caractérisent par des niveaux d’analyse différents. En commençant par la scène internationale, Rothe révèle la structuration discursive de la sécurité climatique. Il retrace l’émergence de coalitions discursives, faisant référence à des groupes d’acteurs ayant des positions différentes sur le sujet et qui partagent pourtant des scénarios et des récits semblables, tels que les représentants d’instances officielles. L’auteur insiste également sur l’importance des acteurs non étatiques dans ce processus : organisations intergouvernementales, think tanks, ong ou encore chercheurs universitaires. Dans la deuxième étude de cas, l’auteur se penche sur la dissémination de ces coalitions de discours relatives à la sécurité climatique dans le cas de l’Union européenne (ue) et de la Méditerranée. Rothe y analyse l’impact des questions de sécurité relatives au changement climatique sur les politiques de développement de l’ue. Il attire aussi l’attention sur les notions d’exportation et de traduction des questions de sécurité à travers lesquelles l’ue exporte sa logique de sécurisation du climat chez ses partenaires méditerranéens, et met en place dans la région des processus qui réarticulent les autres discours politiques autour de la question du changement climatique et des enjeux de sécurité en lien avec cette dernière. Enfin, dans une dernière étude de cas, Rothe analyse les différentes formes d’institutionnalisation et d’implications politiques des questions de sécurité relatives au changement climatique au Royaume-Uni. Ces trois études de cas permettent à l’auteur de répondre au double paradoxe initial et de mettre en évidence l’existence de différentes logiques non exclusives portant sur la sécurité.

En conclusion, Securitizing Global Warming : A climate of complexity permet de déconstruire deux problématiques. Premièrement, celle de l’antagonisme entre l’École de Copenhague, focalisée sur le discours, et l’École de Paris, caractérisée par son approche sociologique ; et deuxièmement, celle de l’antagonisme entre sécurité et risque, ce qui alimente le débat théorique entre sécurité, risque et résilience. L’ouvrage permet également de rendre accessible une série de notions indispensables à l’étude revisitée du processus de sécurisation.

En combinant une minutieuse analyse du discours synchronique et une perspective d’analyse théorique moins restreinte, Rothe propose une approche novatrice parce que plus exhaustive de la question du changement climatique et du discours sécuritaire qui l’accompagne. Cet ouvrage s’adressera à tout étudiant ou chercheur en Relations internationales s’intéressant aux études critiques de la sécurité.