Corps de l’article

1. Introduction

Au Québec, la supervision pédagogique est une obligation légale de la direction d’établissement d’enseignement inscrite dans la Loi sur l’instruction publique. Les articles 96.12 et 110.9 de cette Loi codifient le devoir de la direction de s’assure[r] de la qualité des services éducatifs dispensés à son école [ou à son centre]. Ainsi, parallèlement à l’exercice d’une gestion pédagogique et administrative de l’établissement d’enseignement, il est du devoir de la direction de favoriser la réussite de tous les élèves (ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, 2008).

Cela étant, les pratiques de supervision pédagogique de la direction figurent parmi les composantes de la qualité de l'enseignement, puis globalement de celle de l’établissement d’enseignement (Lapointe, Brassard, Garon, Girard et Ramdé, 2011); elles permettent à la direction d’assurer une forme de développement professionnel aux enseignants, d’offrir une aide et de colliger des données sur l’enseignement dispensé pour formuler des rétroactions et proposer des ajustements (Bouchamma, 2005). Or, comme nous le verrons, la supervision pédagogique pour soutenir les enseignants dans l’ajustement de leur acte pédagogique engendre un nombre considérable d’enjeux pratiques.

À ce titre, le manque de temps pour effectuer de la supervision pédagogique individuelle (Lapointe et al., 2011) apparaît à l’instar du manque de différenciation des pratiques de la direction et de l’isolement des enseignants, comme la principale limite de la supervision individuelle (Bouchamma, 2005). Cela dit, les enseignants n’ont pas d’objection à vivre une supervision pédagogique individuelle, tant que les objectifs sont orientés vers le développement professionnel et non vers l’évaluation (Lapointe et Archambault, 2014).

Sous ce rapport, les recherches actuelles tendent à aborder la supervision des enseignants sous l’angle collaboratif. Les écrits révèlent à ce propos que les enseignants priorisent désormais les approches collaboratives orientées vers les échanges et le développement professionnel pour améliorer la réussite de leurs élèves (Bouchamma, 2005; Leclerc et Labelle, 2013; Savoie-Zajc, 2010). Toutefois, dans un contexte de supervision par les pairs, plusieurs recherches ont révélé que le travail collaboratif n’était ni une caractéristique inhérente aux pratiques des enseignants ni un attribut évident du fonctionnement des établissements d’enseignement. Les études notent des compétences limitées des directions pour l’instauration de techniques qui favorisent la collaboration (Tardif et Borgès, 2014). En outre, en supervision collective, la direction doit concilier une diversité de conceptions et d’intérêts des membres pour favoriser l’instauration d’un climat de collaboration et de confiance nécessaire au développement professionnel.

À ces enjeux s’ajoute l’hésitation des directions à exercer une supervision pédagogique, car ce type d'intervention touche directement la sphère d'autonomie professionnelle des enseignants (Lapointe et al., 2011, p. 207). Si l’article 19 de la Loi sur l’instruction publique pose que l’enseignant est libre de choisir ses modalités d’intervention pédagogique, l’article 22 ajoute que l’enseignant doit prendre des mesures appropriées qui lui permettent d'atteindre et de conserver un haut degré de compétence professionnelle et respecter le projet éducatif de l'école. La direction, à qui cette loi confie la gestion éducative de l’établissement, doit ainsi préserver le difficile équilibre entre les droits et devoirs de chacun.

Enfin, les directions font face à des ressources limitées, notamment en ce qui a trait à leur propre développement professionnel pour superviser le personnel enseignant (Bernatchez, 2011), ce qui a également pour conséquence de miner leur pouvoir-agir et de limiter leurs interventions pédagogiques. Devant pareille analyse, la pratique de perfectionnement des directions la plus largement mise de l’avant demeure la participation à des formations magistrales données par des experts externes (Marshall, 2013). Bien qu’il permette de transmettre rapidement des savoirs, ce type de formation ne se traduit que très peu par des changements durables dans les pratiques pédagogiques et propose rarement des suivis postformation (Bickmore, 2010). Par contre, les directions, elles-mêmes, seraient souvent les entraîneurs les plus efficaces pour leurs pairs lors de la construction et du transfert de nouvelles compétences (Bickmore, 2010).

Considérant cette complexification de la fonction pédagogique des directions d’établissement d’enseignement, le travail de collaboration entre les milieux de pratique et de recherche se révèle désormais comme une piste d’avenir pertinente dans le champ de l’administration de l’éducation (Brassard, Cloutier, De Saedeleer, Corriveau, Fortin, Gélinas et Savoie-Zajc, 2004). Dès lors, dans l’optique d’assurer le développement des pratiques des directions et l’avancement des connaissances de la communauté scientifique, nous proposons un devis de recherche collaborative. Ce devis trouve également sa pertinence lorsqu’on sait que les compétences tacites de ces praticiens s’articulent ordinairement dans la conscience pratique sans être formalisées, diffusées ou réinvesties dans une compétence dite discursive (Bourassa, Fournier et Goyer, 2013).

Dans cette visée de développement des pratiques des directions et d’avancement des connaissances scientifiques, cet article aborde la question suivante : Quelles sont les pratiques gagnantes expérimentées par les directions d'établissement d’enseignement pour surmonter les obstacles rencontrés en supervision pédagogique? Cette question de recherche trouve sa pertinence dans le contexte actuel marqué par le manque de données scientifiques sur les pratiques de leadership pédagogique des directions d’établissement et leurs effets (Branch, Hanushek et Rivkin, 2012; Collerette, Pelletier et Turcotte, 2013).

2. Contexte théorique

Le cadre de cette recherche s’appuie sur le concept de supervision pédagogique et sur la notion sous-jacente de pratique gagnante. Il est aussi articulé autour de la notion de capacité transversale, issue du profil de compétences professionnelles requises pour la gestion d’un établissement d’enseignement (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008).

2.1 Supervision pédagogique

L’objectif de la supervision pédagogique est de soutenir l’enseignant dans différentes composantes de sa tâche, notamment dans le développement de ses compétences et de son aptitude à réfléchir à sa pratique professionnelle, à prendre des décisions éclairées et à résoudre des problèmes (Sergiovanni et Starratt, 2006). Girard, Laurin et Pouliot (1985) définissent la supervision pédagogique comme

[] la fonction de gestion qui vise l’amélioration des apprentissages et de l’enseignement, qui s’exerce d’abord et avant tout dans le cadre d’une relation d’aide et de soutien direct à l’enseignant et qui est reconnue explicitement comme faisant partie des pratiques quotidiennes d’encadrement des personnels de l’école

p. 42

La supervision pédagogique doit se dérouler dans un climat de confiance et d’échanges avec le soutien nécessaire à sa réalisation (Sergiovanni et Starratt, 2006). Elle vise à la promotion du développement professionnel de l’enseignant, ce qui l’oppose à l’évaluation qui vise la promotion, la rétention et la prise de décisions personnelles (Nolan et Hoover, 2008). Les pratiques de supervision pédagogique de la direction portent généralement sur les objets qui relèvent de l'autonomie de l'enseignant, notamment les méthodes pédagogiques, les activités d'apprentissage, la gestion de la classe et l’évaluation des apprentissages (Lapointe et al., 2011).

2.2 Pratique gagnante

On entend par pratique gagnante de supervision pédagogique une action, approche ou manière visant à activer le processus d’amélioration de la qualité des services éducatifs offerts. Une pratique gagnante s’inscrit dans une démarche intégrée d’optimisation et ne peut ainsi agir seule. Elle est conforme aux encadrements nationaux. Le Mouvement québécois de la qualité (2016) définit la pratique gagnante en ces termes :

[] technique ou méthode non encore normalisée, mais appliquée avec succès par une ou plusieurs organisations. Elle se caractérise par [...] les résultats positifs qu'elle produit et qui ont un impact mesurable sur la performance de l'organisation. Elle doit pouvoir être répétée, même à l'extérieur du contexte où elle a pris forme et être reconnue comme telle par un nombre suffisant d'experts et d'organisations. [...] Elle n'a pas nécessairement fait l'objet d'une normalisation explicite ou implicite.

À notre connaissance, aucune étude n’a entrepris de faire correspondre, de façon opérationnelle, des pratiques gagnantes expérimentées et reconnues par des directions à des obstacles rencontrés dans l’exercice de la supervision pédagogique. Bien que non directement axé sur la supervision pédagogique, le recueil de Collerette et al. (2013) propose toutefois une recension de pratiques de directions d’écoles secondaires favorisant la réussite des élèves. Ce recueil vise à fournir aux directions d’établissement des éléments éprouvés pour alimenter l’analyse de leur approche de gestion en vue de favoriser la réussite et à la persévérance des élèves (p. 5). Dans ce contexte et à la lumière de cette publication, l’objectif précité poursuivi par cet article apparaît à la fois comme original et complémentaire.

2.3 Capacités transversales

Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport s’est doté, en 2008, d’un profil de compétences, qui établit les orientations en matière de formation à la gestion d’un établissement d’enseignement. Dans ce référentiel, la supervision pédagogique par les directions est opérationnalisée comme un dispositif collaboratif. En effet, la direction est notamment amenée à instaurer un processus de supervision visant l’amélioration collective des pratiques professionnelles (p. 41) et à soutenir l’analyse et le partage des pratiques professionnelles (p. 43). Ce référentiel a fait l’objet de plusieurs travaux de validation et de consultation auprès des différents partenaires du monde de l’éducation. Il constitue un cadre de référence commun et un document officiel du ministère en matière d’orientations et de développement des compétences non seulement pour la formation initiale et continue, mais aussi pour le soutien et l’accompagnement des directions d’établissement.

Nous retenons les capacités transversales, aptitudes sur lesquelles se structurent et se développent les compétences requises pour la gestion pertinente d’un établissement (p. 30), comme mode de classement des obstacles rencontrés et des pratiques gagnantes expérimentées par les directions, car ces dernières sont imbriquées dans l’ensemble des situations professionnelles auxquelles le gestionnaire est confronté. De plus ce cadre est familier aux directions qui collaborent à cette étude. Les capacités transversales sont de l’ordre de :

  • La méthode et la démarche : la direction d’établissement guide les orientations et les priorités de l’établissement en s’appuyant sur une démarche cognitive rigoureuse (identification du problème, analyse de la situation, exploration, mise en oeuvre et évaluation) lui permettant d’assurer le transfert des savoirs formalisés et expérientiels dans la conduite de l’ensemble des situations qu’elle rencontre.

  • La communication, l’interaction et la coopération : la communication vise à : mobiliser les acteurs éducatifs autour des choix, des objectifs et des résultats visés; construire un sens commun, [...]; légitimer, [...] faire évoluer la pertinence des pratiques éducatives individuelles et collectives (p. 30). Par l’interaction et la communication, la direction participe et encourage la participation à des réseaux de coopération pour prendre part à des échanges favorables à l’enrichissement professionnel.

  • Le leadership et le sens politique : la direction mobilise les membres de l’équipe autour d’un projet commun par l’innovation, la créativité et l’adaptation. Elle encadre et dirige les processus de décision pour assurer la centration sur la réussite des élèves.

  • L’évaluation et la régulation favorisent une orientation judicieuse de la formation et la mise en place de mécanismes d’analyse et de suivi qui permettent de prendre des mesures pour réduire l’écart entre les résultats souhaités et atteints.

  • L’éthique : l’implantation d’une culture de gestion empreinte de responsabilité, de transparence, d’impartialité et d’imputabilité (p. 31). La direction assure le bien-vivre ensemble et adopte un comportement qui respecte des normes morales élevées.

Le développement des capacités transversales n’est pas l’unique responsabilité des directions elles-mêmes et du ministère; cela concerne également les universités, les commissions scolaires et les associations professionnelles. Les capacités professionnelles étant évolutives, elles continuent à se développer durant la carrière par l’expérience et par diverses activités de formation continue (Bernatchez, 2011).

Cet article, structuré en fonction des capacités transversales précitées, vise à cibler les obstacles en supervision pédagogique individuelle et collective rencontrés par les directions d’établissement d’enseignement et les pratiques gagnantes expérimentées par ces dernières pour les surmonter. D’un point de vue pratique, l’étude proposée permet de faire partager, entre les directions, des pratiques pédagogiques, d’y réfléchir et de les expérimenter. Cette recherche favorise ainsi une concertation entre chercheurs et praticiens, la mise en place d’un réseau de communication et de suivi et une coordination des efforts des directions. La construction collective d’un même répertoire de pratiques gagnantes sert aussi à la formation initiale et continue d’autres directions d’école. D’un point de vue scientifique, l’article permet de formaliser des compétences tacites en compétences discursives (Bourassa et al. 2013).

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Cette recherche est menée en collaboration avec deux groupes de directions (n = 15) et de directions adjointes (n = 6) de la Commission scolaire des Découvreurs, formés sur la base de l’ordre d’enseignement. Le premier groupe est composé de 13 participants du primaire et le second groupe de huit participants du secondaire, de la formation professionnelle et de la formation aux adultes. Les participants du premier groupe, quatre hommes et neuf femmes, sont âgés de 35 à 52 ans (x̄ = 46,62), ont de cinq à 26 ans d’expérience en enseignement (x̄ = 15,08) et de un à douze ans d’expérience en direction d’établissement (x̄ = 8). Les participants du second groupe, cinq hommes et trois femmes, sont âgés de 37 à 52 ans (x̄ = 46,87), ont de six à 15 ans d’expérience en enseignement (x̄ = 10,62) et de cinq à 21 ans d’expérience en direction d’établissement (x̄ = 10). Au moment de joindre le projet, 70 % des participants n’avaient jamais suivi de formation sur la supervision pédagogique.

La supervision pédagogique est au coeur du Plan stratégique 2013-2018 de la Commission scolaire des Découvreurs qui vise, par l’objectif 1.2, à instaurer des pratiques structurées et adaptées de supervision et d’accompagnement du personnel qui favorisent l’engagement et la mobilisation. Ce faisant, même si la recherche collaborative a été initiée par un groupe de chercheurs, cette étude est née de préoccupations convergentes. L’implication des directions au projet a nécessité leur présence aux rencontres et leur participation aux échanges, en plus de leurs efforts à déployer entre les rencontres pour modifier et consolider leur acte pédagogique.

3.2 Instrumentation

Cette recherche adopte un devis collaboratif qui mise sur la dynamique de groupe pour favoriser l'expression des perceptions, attitudes, croyances, sentiments, aspirations, résistances et intérêts présents dans les groupes ciblés (Leclerc, Bourassa, Picard et Courcy, 2011, p. 146). Des échanges en groupe focalisé, axés sur les projets personnels de supervision pédagogique expérimentés par chaque direction, ont permis de cerner les obstacles et les pratiques gagnantes des participants. Les chercheurs ont également utilisé une grille d’entrevue semi-dirigée pour recentrer les discussions sur l’objet d’étude ou autour de thèmes préalablement définis (tels que l’instauration d’un système de supervision pédagogique, les facteurs organisationnels, culturels, curriculaires et politiques à considérer lors de la supervision, les techniques de mobilisation du personnel à adopter), ce qui a permis de recueillir des informations approfondies et axées sur les pratiques des participants ainsi que sur les obstacles rencontrés.

3.3 Déroulement

Chacun des deux groupes a réfléchi collectivement au processus de supervision pédagogique lors de cinq rencontres, pour un total cumulatif de dix rencontres, tenues durant l’année scolaire 2014-2015. Ces rencontres ont été structurées selon le modèle de fonctionnement suivant : réflexion et partage sur les pratiques de supervision pédagogique, présentation de notions théoriques pour guider la pratique à venir, planification des activités de supervision à venir et réflexion écrite sur un questionnaire-bilan. Les participants ont eu à expérimenter des pratiques entre les rencontres.

3.4 Méthode d’analyse des données

Les rencontres ont été enregistrées et transcrites intégralement, et les interventions des participants ont été fractionnées en segments, puis codées et regroupées de sorte à illustrer les obstacles à surmonter et les pratiques gagnantes expérimentées en supervision pédagogique. Les obstacles ont ensuite été classés en fonction des cinq capacités transversales. Les données analysées ont été présentées périodiquement aux praticiens au moyen de la technique du retour aux acteurs, qui postule que les personnes interviewées constituent une des sources les plus logiques de corroboration (Huberman et Miles, 1991, p. 442). Dans le cadre de cette étude, les participants ont révisé, au début de chaque rencontre, l’évolution de la classification des pratiques gagnantes et des obstacles ainsi que leurs interrelations, jusqu’à l’obtention d’un consensus et d’une saturation.

3.5 Considérations éthiques

Nous avons effectué toutes les démarches nécessaires auprès du Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval. Nous nous sommes engagés auprès des participants à assurer leur anonymat quant aux informations recueillies.

4. Résultats

Les résultats sont présentés de façon à répondre à notre objectif de recherche, qui est de cibler les obstacles en supervision pédagogique rencontrés par les directions d’établissement d’enseignement et les pratiques gagnantes expérimentées pour les surmonter. Les obstacles sont d’abord discutés au regard des capacités transversales du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (2008), soit : 4.1) Méthode et démarche;4.2) Communication, interaction et coopération; 4.3) Leadership et sens politique; 4.4) Évaluation et régulation, ainsi que parallèlement, les pratiques gagnantes expérimentées pour surmonter les obstacles qui en découlent.

4.1 Méthode et démarche

4.1.1 Obstacle 1 : Conception de la supervision pédagogique en termes d’évaluation du personnel

On observe chez des supervisés une conception erronée de la supervision en termes d’évaluation du personnel.

Une enseignante est venue me voir et m’a dit : Tu n’as pas le temps de faire ça, de la supervision pédagogique! [...] Dis-moi, quand on s’est assis ensemble avec l’équipe et qu’on a travaillé sur la procédure d’accueil gagnante d’un enfant immigrant, est-ce que tu penses que je faisais de la supervision pédagogique? Mais, tu ne m’évaluais pas! Non, mais je travaillais à la réussite des élèves. Un superviseur pédagogique, c’est ce qu’il fait!

[DP9]

La problématique liée au passage d’une intention de supervision à une intention d’évaluation a aussi été soulevée :

Tu commences avec un enseignant [pour l’accompagner] [...] et là, tu es obligé de changer de la supervision à l’évaluation parce que ça n’a pas de bon sens ce que tu as vu. Ça vient entacher le processus, parce qu’on se fait dire : On sait bien, tu nous dis que tu viens faire de la supervision, mais finalement, ce n’est pas ça que tu viens faire, tu viens nous checker si on fait bien! 

[DS3]
Pratique gagnante : Adopter un langage commun

Des directions avancent l’importance de clarifier le concept de supervision : Il y a des concepts à démêler; [...] il faut mettre des mots et se donner un cadre de référence pour se légitimer. [DRH]. Une direction ajoute :

Il sera capital d’utiliser un langage commun et de définir la supervision en termes d’accompagnement et d’échanges [...]. Quand on arrive à faire comprendre à notre équipe que la supervision ça ne mord pas, [...] que ça fait partie de nos rôles comme direction, à ce moment-là, ils adhèrent à ça [...]. Je rappelle aussi constamment : Ensemble, on s’est donné comme institution cet objectif-là...

[DP9]

La démystification du concept de supervision permettra en somme de mieux faire comprendre les responsabilités de la fonction de direction d’établissement aux supervisés. L’adoption d’un langage commun et la communication des attentes permettra en outre de mieux positionner les concepts distincts de supervision et d’évaluation; au Québec, l’évaluation n’est effectuée que pour les enseignants à statut précaire et pour ceux en situation problématique.

4.1.2 Obstacle 2 : Gestion du temps

Des directions ont soulevé la difficile conciliation entre gestion pédagogique et gestion administrative :

Je suis convaincu que la supervision pédagogique est importante et très valorisée, mais dans le quotidien, c’est un domaine où on ne s’implique seulement que lorsqu’il nous reste du temps. On s’aperçoit, à la fin de l’année, qu’on n’a pas eu le temps de rencontrer l’ensemble de notre personnel. 

[DP3]

Il est aussi question des conflits d’horaire : Un prof est en congé le lundi, je ne suis pas là le mardi; je suis à l’autre école. Parfois, je ne le vois pas de la semaine [DP5]. Une autre direction renchérit : Ils ont des horaires complètement différents; la salle du personnel est dans un des [deux] pavillons... C’est difficile d’amener le monde ensemble [DPI1]. Sur ce point, des directions du primaire ont souligné leur difficulté à superviser les enseignants spécialistes qui ne sont pas toujours présents. Elles ont aussi fait mention de la nécessité de libérer les enseignants pour favoriser leur développement professionnel collaboratif : De prévoir du temps dans les horaires des enseignants pour travailler en équipe. Il faut favoriser le partage des différentes pratiques et des bons coups pédagogiques. [DS4]. Enfin, des directions ont évoqué les changements du personnel et la problématique sous-tendue liée au temps.

Combien de temps ça prend [...] à créer cette chimie-là dans une équipe? [...], 4-5 ans? Moi je questionne [le] fait que justement, quand on a réussi à créer cet équilibre, cette chimie-là... Pouf! Comme direction d’école, on est souvent sorti de notre milieu, pis on repart! Pis on repart à zéro [ailleurs]!

[DP10]
Pratique gagnante : Cibler des priorités

Dans une optique de gestion du temps, les directions sont amenées à cibler leurs priorités :

Les [enseignants] précaires et les problèmes difficiles [sont prioritaires]. [...] Avant de travailler sur l’implantation d’autres projets, je dois travailler sur les priorités, c’est là-dessus que je vais être jugée. 

[DS2]
Pratique gagnante : Utiliser le procès-verbal comme suivi

Des directions qui ont instauré une supervision par les pairs demandent un suivi écrit des rencontres : C’est une façon aussi de me poser des questions [le procès-verbal] [...]. Je les suis dans leurs discussions, même si je ne suis pas toujours présente. [...] J’ai [ainsi] l’impression de sauver du temps. [DPI1]

4.2 Communication, interaction, coopération

4.2.1 Obstacle 3 : Culture de supervision à construire

Des directions ont relevé leur désir de transformer, voire d’instaurer une culture de supervision pédagogique dans leur établissement et à l’échelle nationale :

La supervision est bien ancrée [...] dans [d’autres] provinces [que le Québec]. J’ai vraiment envie de croire que nous, on a du pouvoir pour changer la mentalité [réfractaire] au regard de la supervision. Cette mentalité persiste avec le temps; je pense qu’il y a un préjugé défavorable, en éducation, à l’égard de la supervision.

[DS2]
Pratique gagnante : Instaurer un climat de confiance

Des directions en sont arrivées à la conviction que toute initiative d’instauration d’une telle culture est vouée à l’échec si l’aspect relationnel et le climat de confiance sont déficients : Je pars du principe qu’il faut créer de petits liens, et après, c’est plus facile de demander, sinon ils nous perçoivent comme le fameux boss. [DP5]. Pour instaurer progressivement un tel climat, des directions ont souligné l’importance d’exercer un leadership éthique, d’agir en transparence et de partager une vision d’entraide plutôt que de contrôle.

4.2.2 Obstacle 4 : Exigence légale d’une supervision à l’ensemble du personnel enseignant

Des directions soulèvent leur ambivalence quant à leur responsabilité légale de supervision :

Lorsqu’on parle de supervision, je n’ai aucun problème à tordre les bras, car ça fait partie de ma tâche et que je dois le faire. En même temps, j’ai peur de créer un levier de boucliers et de brake-à-bras chez mes enseignants. 

[DFP1]

Sous ce rapport, les directions conçoivent en grande partie qu’il faille mettre de côté le caractère volontaire de la supervision et l’appliquer à l’ensemble du personnel, étant donné que les supervisés n’entrevoient pas d’emblée leurs difficultés : Ceux qui ne sont pas volontaires sont souvent ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés [DP3]. À ce titre, des directions notent que l’autonomie professionnelle des enseignants est souvent plaidée par ces derniers pour éviter d’être supervisés. Enfin, des directions notent un repli des enseignants : À partir du moment où nos enseignants sont évalués, quand ils étaient précaires, c’est beau, mais après ça, leur porte de classe se ferme plus facilement [DS1].

Pratique gagnante : Mobiliser les éléments positifs

Pour amorcer leur supervision, des directions disent focaliser sur les éléments moins réfractaires : J’y vais de façon stratégique, je vais chercher en coulisses les gens qui vont appuyer, les gens qui sont positifs. [DP8]. Une autre direction a mis sur pied un comité pédagogique formé d’un représentant par cycle qui consulte : Quand on termine une rencontre, ils retournent dans leur équipe, ils vont consulter. Selon les mandats qu’on se donne, c’est une excellente façon de voir ce qui se passe, ou de diffuser ou de développer. [DP12]. Ce réseautage est présent dans plusieurs milieux, notamment pour les relances : Une enseignante a envoyé un courriel qui disait : Je me suis inscrit à X formation, et vous? La date limite est... [DS2].

Pour mobiliser l’équipe, la direction va chercher des expertises externes, invite, consulte et crée des agents multiplicateurs.

4.2.3 Obstacle 5 : Difficulté à différencier ses pratiques de supervision selon les profils de supervisés et la maturité de l’équipe

Des directions ont rapporté la difficulté de différencier leur supervision :

Dans une équipe, il y a différentes vitesses d’engagement. Les rapides [...] qui viennent nous voir pour qu’on les accompagne et qui ont besoin d’être challengés [...]; les moins rapides, les démotivés, [...] les low-profiles vers qui on doit aller, mais qui ont aussi besoin qu’on les accompagne [...] Pour d’autres, ils vont dire : Je ne sais pas de quoi tu veux parler, je n’ai pas de problème. 

[DP6]

Cette grande différenciation du personnel est principalement observée en formation professionnelle : Les gens de décoration intérieure et les gens de soutien informatique ne partagent pas grand-chose. Comment concilier les intérêts? [DFP1].

En outre, la maturité de l’équipe demeure une dimension contextuelle importante :

Il faut avoir fait une lecture [...] de la maturité de ton équipe [avant de mettre en place une supervision par les pairs]. Si ton équipe n’est pas rendue à ce point, ne t’essaye pas, tu vas te casser les dents là-dessus; tu vas mettre beaucoup d’énergie pour rien!

[DP9]

De plus, des directions ont à composer avec des équipes dysfonctionnelles et des conflits lors du travail en équipe : C’est une chose quand les gens sont indifférents, mais quand à l’inverse les gens travaillent à briser... Le temps que je mets là, j’ai l’impression de ne pas le mettre suffisamment ailleurs. [DP11].

Pratique gagnante : S’adapter aux besoins des supervisés

Pour s’adapter aux enseignants supervisés, des directions proposent de les questionner sur leurs besoins : Je suis partie des besoins de mon personnel [...] En assemblée, j’ai [réalisé] que c’[était] ce qu’[ils] souhait[aient] : parler des devoirs [comme objet de supervision pédagogique]. Ils n’ont pas vu ça menaçant. [DP12]. L’idée de flexibilité des interventions et de la mise en place de structures facilitantes a aussi été soulevée, pour que la supervision colle aux besoins des supervisés et des milieux : Il faut appliquer un leadership situationnel au besoin. On ne fait pas tous la supervision pédagogique à travers le leadership participatif [et le collectif]; il y a des enseignants qui ont besoin d’une aide plus ponctuelle individuelle [DPI1]. D’autres proposent enfin une entente lors de supervision individuelle :

Les supervisés vont cibler les critères et les soumettre à leur superviseur pour en convenir et en discuter. Trois à cinq critères, dont trois à choisir par le supervisé. Ça laisse de la place au superviseur pour en cibler d’autres si le supervisé n’a pas conscience [des points à travailler]. 

[DP1]

4.2.4 Obstacle 6 : Méfiance et crainte des supervisés

Deux craintes des supervisés sont ressorties : 1) D’entrée de jeu, il y a eu de la méfiance [du syndicat des enseignants] [...] [qui] a relié [la supervision] à la supervision-évaluation, [...] même si on l’a amenée dans un contexte de développement de compétences. 2) Les enseignants craignent d’être obligés de bâtir de nouvelles stratégies d’enseignement, de renouveler certaines pratiques éducatives ou d’évaluation. [DS2].

Pratique gagnante : Reconnaître les bons coups

Pour réduire la méfiance des supervisés, les marques de reconnaissance doivent être quotidiennes, à la fois formelles ou informelles, partagées ou individualisées : Dans nos activités de concertation, [...] à chaque rencontre, les gens remercient et soulignent la collaboration des autres par rapport au travail d’équipe. [DP1]. Une autre directrice préconise le partage entre collègues :

Je vais voir des gens pour leur [dire] : C’est l’fun ce que tu fais, aurais-tu le goût de le montrer à tes pairs? [...] Je me rends compte [...] que ça a changé la nature du discours dans l’école. Si on veut un jour qu’ils deviennent une communauté d’apprentissage professionnelle, je pense qu’il faut jeter des bases quelque part, où chacun reconnaît une expertise à son collègue qui a un effet sur l’élève.

[DP9]
Pratique gagnante : Partir des besoins de l’élève

Des directions proposent de partir des besoins de l’élève, ce qui rend le processus de supervision moins menaçant pour l’enseignant : On discute des objectifs des élèves. [...] On s’assure que l’enseignant a lu les plans d’intervention. [...] D’une façon détournée, on les accompagne, on les supervise. [DP12]. Une seconde directrice est présente aux plans d’intervention :

Quand on met quelque chose en place au niveau pédagogique dans une classe, est-ce que l’enseignant suit les recommandations et comprend ce qu’on veut dire quand on fait des recommandations? [...] Ça nous permet de suivre le cheminement de l’enseignant et de voir s’il a des difficultés [pour] assurer un soutien. 

[DP10]

Enfin, une directrice propose de bâtir l’horaire des orthopédagogues en tout premier lieu : Leur horaire n’était pas toujours fait en fonction des besoins des élèves, [...]; il rentrait en conflit avec l’horaire des enseignants. [DPI1].

4.2.5 Obstacle 7 : Reconnaissance d’une expertise à la direction

Des directions ont exprimé que certains enseignants ne leur attribuaient pas d’emblée des rôles pédagogiques définis, mais principalement des rôles liés aux processus et aux démarches administratives. Cette conception a fait en sorte de rendre illégitimes, pour certains enseignants, des questions d’ordre pédagogique adressées par leur direction. Aussi, la variable niveau d’enseignement a été soulevée lors des échanges sur la non−reconnaissance de l’expertise de la direction :

Le prof du secondaire est un expert de contenu. Au primaire, [...] ce sont des généralistes. Donc, la façon dont ils abordent ton incursion dans leur environnement professionnel n’est pas la même. [...]

[DP9]

Il a ainsi été rappelé qu’en formation de base de la direction, les universités ne mettent pas l’accent sur les disciplines enseignées, mais plutôt sur la gestion des ressources humaines, sur le leadership pédagogique... [DP1]. À ce sujet, les directions reconnaissent leurs propres limites :

Ça fait 12 ans que je suis sortie d’une classe, et même si je me considère comme une leader pédagogique parce que je mets la pédagogie en priorité, je ne suis pas la personne qui en connait le plus dans le domaine. [...] C’est là que les gens nous disent [que] les collègues sont la source première du partage d’expertise

[DP1]
Pratique gagnante : Partager son leadership... pour une responsabilité partagée

La nécessité du leadership partagé a été discutée :

Je laisse [le soin de prendre des décisions liées à la réussite des élèves] entre les mains des enseignants qui reçoivent des formations régulières sur la pédagogie [...]. Quand ils sentent qu’ils font partie de la solution, quand c’est eux qui ont mis en place les stratégies, qu’en tant que professionnels ils pensent être les meilleurs pour augmenter la réussite des jeunes, ça leur donne des ailes.

[DPI1]

Enfin, des directions nomment un membre responsable de l’imputabilité, par exemple l’orthopédagogue, ainsi que des enseignants-leaders par cycle, pour agir comme personne-ressource ou mentor. Ainsi, la direction met à profit les différentes expertises de son équipe-école, ce qui responsabilise celle-ci.

Pratique gagnante : Mobiliser les ressources externes

Des directions mobilisent les services éducatifs externes pour tirer profit de leur expertise complémentaire :

Les orthopédagogues, les éducateurs spécialisés, les psychologues ont souvent un accès plus réel en classe que quand c’est nous qui y allons. Moi, ça m’apporte beaucoup d’informations pour, après ça, diriger mes interventions en équipe-cycle, par niveaux ou en situation individuelle 

[DP1]

4.2.6 Obstacle 8 : Développement professionnel des supervisés et superviseurs

D’abord, certaines directions ont questionné le choix des activités de développement professionnel : Il y en a qui sont imposées par la commission scolaire; on les prend. Parfois, elles n’arrivent pas au bon moment [...]. Quand on a le choix, on s’arrange pour que ce soit aligné avec notre plan d’action. [DPI1]. Ensuite, certaines directions ont discuté de l’intérêt variable des enseignants pour le perfectionnement : Les enseignants concernés me disent : On a déjà parlé de ça! [et] ne veulent pas y aller. [...] Tu sens que c’est comme pousser la machine. Ils sentent la pression de ma part de s’inscrire au perfectionnement. [DS2].

Pratique gagnante : Instaurer des moments de travail collaboratif entre les enseignants

Pour assurer un développement professionnel aux enseignants, plusieurs directions introduisent des rencontres-cycles à l’horaire des enseignants.

À partir du moment où les équipes deviennent autonomes, elles voient des résultats positifs de se rencontrer, de briser [leur] isolement, de partager [ses] pratiques, de prendre certains éléments des pratiques des autres et de les mettre en route. [...] Ça fait 7-8 personnes qui peuvent être plus créatives à développer les meilleures pratiques. 

[DPI1]

Une directrice ajoute : Les enseignants trouvent ça très structurant. Ils ne sentent pas ça menaçant. [DS2]. Lors de ces rencontres, les enseignants sont invités à dresser un suivi de leur développement professionnel, notamment en revenant sur des formations passées et en discutant des obstacles rencontrés et des pratiques gagnantes expérimentées pour les contrer.

Pratique gagnante : Assurer son développement professionnel

Des directions qui ont participé à ce projet de recherche ont décidé de le faire pour assurer leur développement professionnel : Je le vois différemment avec les échanges qu’on a. J’ai l’impression d’être dans un contexte où je vais être un meilleur superviseur... parce que je suis amené à réfléchir. [DS1]. Il ressort que le développement professionnel en communauté qui assure un suivi entre les rencontres est davantage lié aux besoins des directions que des formations données par des experts, qui favorisent peu le réinvestissement. Enfin, d’autres modes de développement individuels ont été recensés : J’ai eu la chance d’assister à des congrès [...]. J’ai étudié à la maîtrise [...], ce qui m’a permis d’aller faire beaucoup, beaucoup, de lectures et d’essayer de lier la théorie à la pratique [DPI1].

4.3 Leadership et sens politique

Obstacle 9 : Les politiques de reddition de comptes comme frein

Les politiques de reddition de comptes ont tendance à être perçues comme des outils de gestion pour contrôler le rendement :

Depuis nombre d’années, [...] ce qu’on donnait comme compte rendu aux enseignants en assemblée générale, c’était toujours le taux d’abandon, le taux de diplomation. [...] Nos moyens et actions étaient en arrière-plan. [...] Le plan de réussite était vu uniquement comme un moyen de reddition de comptes

[DFP2]
Pratique gagnante : Utiliser les politiques de reddition de comptes comme levier

Des directions ont fait connaître leurs attentes, liées aux obligations légales :

J’ai décidé que je voulais que mon plan de réussite ne soit pas juste un outil de reddition de comptes, mais un outil mobilisateur. [...] J’ai dit à mes enseignants : Si vous êtes ici autour de la table, c’est que vous croyez à notre plan de réussite [...]. On va travailler ensemble pour en faire la promotion 

[DFP2]

Une seconde direction ajoute :

J’ai appelé [l’outil] : NOTRE convention de gestion, c’est ça le titre. [...] Je parle de NOS élèves, de NOTRE école. [...] La cohérence des actions, des gestes, des moyens et SURTOUT l’implication du personnel dès le début du processus d'élaboration de la convention de gestion et de réussite éducative [est la clé]

[DP9]

Les directions observent enfin que les politiques de reddition de comptes permettent la fixation d’objectifs clairs, ambitieux et partagés, en plus de fournir une forme de rétroaction par l’évaluation et la régulation.

4.4 Évaluation et régulation

Obstacle 10 : Besoin d’outils

Une directrice affirme au sujet des outils à sa disposition :

Pas tant de grilles d’observations de comportements, de compétences; je ne crois pas que c’est cela qui nous fait le plus défaut. [...] Des instruments pour faire le bon diagnostic. Comment faire la bonne lecture pour choisir la stratégie qui va être gagnante? [...] Comment lire les besoins de mon équipe? [...] Ça permet de planifier la supervision plutôt que de la faire de façon intuitive.

[DP9]

Le besoin d’outils apparaît intimement lié au besoin de structurer sa supervision pédagogique :

Je pense qu’on fait beaucoup de supervision intuitive [...]. Peut-être que la richesse d’une communauté d’apprentissage professionnelle [...] c’est d’aller vers une supervision qui est structurée. Comment je me structure pour faire une supervision?

[DP9]

Enfin, comme la supervision pédagogique doit s’ajuster au contexte, un flou persiste quant au type d’outil recherché :

Il n’existe pas de formule ou d’outils parfaits [et] on a tous des situations différentes. [...] Moi [ma] grille d’observation de mes employés précaires, [...] c’est moi-même qui l’ai faite. Je l’ai bâtie par mon expérience et selon mes milieux

[DP3]
Pratique gagnante : Poser des diagnostics et s’évaluer

Des directions ont relevé l’importance d’évaluer fréquemment l’avancement du groupe :

En fin d’étape, je vais demander à mes équipes-cycle de se pencher : Où est-ce qu’on en est rendu? A-t-on mis en place les stratégies qu’on voulait mettre en place? Quels résultats [avons-nous obtenus]? Est-ce qu’on devrait se réorienter? [...] Ils s’évaluent de façon continue

[DPI1]

Enfin, des directions ont discuté de l’importance de se comparer, entre elles, notamment en partageant des outils d’évaluation commun.

Le tableau 1 propose une synthèse des obstacles et des pratiques gagnantes que nous venons de présenter.

Tableau 1

Obstacles et pratiques gagnantes

Obstacles et pratiques gagnantes

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5. Discussion

Avant tout développement, précisons que cet article ne prétend pas couvrir l’ensemble des obstacles et des pratiques gagnantes des directions en supervision pédagogique; il décline plutôt des repères qui ont fait leurs preuves dans le cadre de projets personnels de supervision pédagogique de directions. Ainsi, ces pratiques gagnantes ne sont pas une panacée et aucune pratique, aussi gagnante soit-elle, ne peut, à elle seule, s’autosuffire. Les directions valorisent plutôt leur intégration, en prenant en compte l’ensemble des variables contextuelles, leurs besoins et ceux des supervisés.

5.1 Capacité d’éthique

Outre l’instauration d’un climat de confiance comme pratique gagnante, aucun obstacle n’a été lié à la capacité transversale de l’éthique. Cette capacité n’apparaît pas problématique dans le discours des directions. Peut-être certaines directions ont-elles voulu se présenter sous un jour plus favorable et ne pas discuter de problématiques liées à la déontologie? Or, des études rendent bien compte de la difficulté de la direction à instaurer et à maintenir une relation de confiance avec ses supervisés, ce qui est lié à la capacité d’éthique (Lapointe et al., 2011). Prud’homme et Leclerc (2014) observent à cet effet que les échanges professionnels et les visions de l’équipe-école ne sont pas toujours unanimes ou convergents. Ainsi, pour instaurer un climat de confiance, il convient de clarifier les idées de chacun pour en arriver à un consensus, ce qui permet l’émergence d’une démarche d’accompagnement sécurisante.

5.2 Pratiques gagnantes de supervision

Si le milieu de la recherche semble avoir exprimé une insatisfaction marquée à l’égard des modèles traditionnels de supervision pédagogique individuelle, les participants de cette étude ont surtout relevé des structures collaboratives en termes de pratiques gagnantes. Dès lors, les directions ont principalement soulevé les implications des modes d’accompagnement individuel comme obstacles à surmonter. Ainsi, deux pratiques gagnantes liées à la différenciation et à l’accompagnement collectif s’affrontent : si une direction tâche de prendre en compte les différences individuelles des supervisés, qu’advient-il de l’approche plus collective du développement professionnel? La clé d’une véritable réussite se trouve dans la recherche d’un juste équilibre entre ces deux dimensions.

5.3 Obstacles rencontrés

Les directions ont discuté des conceptions erronées et partagées de la supervision en termes d’évaluation du personnel. Au Québec, il semble que le concept d’accompagnement soit abondamment utilisé tant en recherche que dans le milieu scolaire, alors que dans d’autres provinces canadiennes qui ont adopté un programme d’évaluation des enseignants, le concept de supervision est souvent mis de l’avant, ce qui a pour effet d’entrainer un flou sémantique (Bouchamma et Michaud, 2014). Notons que l’accompagnement, composante de la supervision pédagogique, consiste à rassembler des gens qui se font confiance et qui ont la volonté de travailler ensemble afin d’opérer le transfert d’expertises d’une personne à l’autre (Prud’homme et Leclerc, 2014). Devant ce dilemme sémantique, plusieurs directions se demandent si elles devraient utiliser le terme accompagnement lorsqu’elles s’adressent à leur équipe-école. Cela reste du domaine de la stratégie, mais l’utilisation de ce terme pourrait représenter un moyen d’engager les enseignants plus résistants à la supervision. Chose certaine, les pratiques des directions vont au-delà de l’accompagnement lorsqu’elles mettent en oeuvre des opérations critiques d’observation, d’analyse, de jugement et d’intervention dans le but d’améliorer la qualité de l’acte professionnel des enseignants dont elles sont responsables. Cela étant, bien que les directions fassent de la supervision pédagogique, nos résultats convergent avec ceux de Brassard et al. (2004) et de Lapointe et al. (2011) qui ont aussi observé un temps limité accordé à la supervision pédagogique en raison d’exigences administratives.

5.4 À la fois obstacle et pratique gagnante

Devant l’obstacle de la gestion du temps, des directions ont prôné le recours à un procès-verbal comme outil de suivi. Si cet outil est une voie de communication viable lorsque l’équipe à superviser a atteint un haut niveau de maturité, cette pratique n’est pas conseillée lorsque l’équipe supervisée en est à un niveau d’initiation ou d’instauration. Dans ce contexte, la direction doit être présente aux rencontres pour recentrer les discussions pédagogiques autour d’objectifs axés sur l’apprentissage des élèves (Leclerc, 2012). Mais comment s’apprécie la maturité des équipes? Pour Leclerc (2012), le stade ultime d’intégration, qui ne peut être atteint qu’après plusieurs années de persévérance, sous-tend une autogestion, des préoccupations partagées, des apprentissages individuels transformés en apprentissages collectifs et un leadership de la direction laissant de l’autonomie aux enseignants.

De plus, à l’instar de Brassard, Lusignan et Pelletier (2013), nos résultats laissent croire que deux lectures possibles s’opposent quant aux politiques de reddition de comptes : les percevoir comme des outils de gestion pour contrôler le rendement et la performance des supervisés, ce qui apparaît démobilisateur pour instaurer un sentiment de confiance, ou entrevoir ces politiques comme un levier à la mobilisation vers la réussite des élèves. Au Québec, rares sont les recherches qui ont porté sur le modèle de gestion axée sur les résultats (Brassard et al. 2013). Les principaux écrits sur le sujet ont surtout porté sur les enjeux qui y sont associés. Dans le contexte où les politiques de reddition de comptes ont permis une activité de gestion pédagogique plus systématique et plus directive (Maroy, 2013), il convient désormais de réfléchir aux questions suivantes : Comment les directions peuvent-elles arrimer les cibles ministérielles aux besoins de leur équipe-école? Comment atténuer la tension entre l’autonomie, la professionnalisation et le contrôle?

6. Conclusion

Cet article visait à soulever, à partir d’obstacles, la question des pratiques gagnantes de directions en supervision pédagogique. Les participants de cette étude ont surtout ciblé les structures collaboratives en termes de pratiques gagnantes et les implications des modes d’accompagnement individuel comme obstacles à surmonter.

Il est important de nuancer que les pratiques professionnelles des directions impliquées dans ce projet de recherche collaborative sont influencées par leur formation initiale, leur expérience et des contraintes institutionnelles. Les savoirs produits par cette recherche sont ainsi contextualisés, et s’ils sont transférés, ils pourront contribuer à mieux saisir des phénomènes dans des scénarios pédagogiques similaires. Précisons aussi que la différence entre la pratique en usage et la pratique déclarée des directions n’a pu être étudiée dans cet article. Dès lors, bien que les directions soient les premières responsables de la supervision pédagogique, il serait éclairant, dans une recherche qualitative de type descriptive, exploratoire ou collaborative, de faire contraster les perceptions des directions avec celles des supervisés de mêmes établissements. Une telle démarche permettrait de cerner les biais cognitifs dans l’évaluation des obstacles et des pratiques gagnantes de supervision pédagogique et d’étudier les rapports des enseignants à l’autonomie professionnelle et à la responsabilité. D’un point de vue quantitatif, il serait pertinent d’évaluer la fréquence d’utilisation des pratiques gagnantes chez les directions et d’en évaluer l’impact auprès des supervisés.

Tout compte fait, bien que la supervision demeure une obligation légale de la direction d’établissement, cette dernière note plusieurs entraves à l’acquittement de cette responsabilité, notamment les conceptions erronées qui circulent à propos de la définition de la supervision, l’absence d’une culture de supervision et le manque d’ancrages légaux. Le besoin de voir leurs pratiques de supervision pédagogique articulées dans une démarche plus uniforme et régie par leur organisation est ainsi apparu dans leur discours. À ce stade, il nous paraît ainsi de bon aloi de recommander l’adoption d’une politique-type de supervision pédagogique aux commissions scolaires qui n’en auraient pas. Cette politique devrait notamment cibler les objectifs de la supervision pédagogique et ses principes directeurs en plus de proposer une démarche souple pour un accompagnement individuel et collectif des enseignants. Cette politique viendrait clarifier les rôles, les droits et les responsabilités des directions et des enseignants, mais également ceux des agents de soutien à la supervision pédagogique, soit les conseillers pédagogiques, la direction générale, les services éducatifs et les ressources humaines. Un tel document viendrait en quelque sorte soutenir les directions, légitimer leurs pratiques et assurer une cohérence des interventions. Enfin, une telle politique assurerait à la direction d’établissement que les orientations générales du projet éducatif se traduisent dans les pratiques pédagogiques des enseignants qu’elle accompagne, épaule et soutient.