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C’est un beau livre, un très beau livre que William Feindel et Richard Leblanc ont fait paraître l’année dernière chez McGill-Queen’s University Press. Un de ces livres d’hommage où la qualité du papier égale le nombre d’images en couleur reproduites. Celui-ci est massif : plus de six cents pages pour retracer les cinquante premières années du Montreal Neurological Institute (MNI). Écrit par des acteurs à part entière de l’aventure qu’il narre – William Feindel (1918-2014), aujourd’hui décédé, fut le troisième directeur de l’institution tandis que Richard Leblanc, professeur au département de neurologie et de neurochirurgie de l’université McGill, est toujours neurochirurgien entre ses murs –, cet ouvrage est à ranger au rayon de cette histoire médicale de la médecine produite par des praticiens nostalgiques ou curieux. Le propos y est principalement hagiographique, célébrant les grands hommes et femmes de l’institution ainsi que leurs découvertes scientifiques d’envergure. C’est bien là tout l’objet de ce volume que de raconter l’histoire de cet important institut scientifique montréalais, de rendre hommage à ses principaux acteurs et de faire le récit de leurs contributions à la science internationale, en s’appuyant pour ce faire sur des archives rares, des photographies inédites, une importante littérature secondaire et de nombreuses entrevues.

Entouré d’un rapide avant-propos et d’un épilogue revenant sur la vie et la carrière de William Feindel, l’ouvrage se divise en trente-cinq courts chapitres, répartis en un prologue et trois grandes parties suivant, selon un ordre chronologique, la succession des trois directeurs de l’institution entre 1934 et 1984. En complément, quatre textes écrits ou coécrits par des spécialistes abordent des sujets singuliers (la construction de l’édifice, le développement de la neurochimie en son sein, les travaux sur la sclérose multiple qui s’y déroulèrent et le travail de Feindel pour développer la neurochirurgie en Saskatchewan), puis trois annexes listent les collaborateurs japonais de l’Institut, les conférenciers des Fellows Days entre 1957 et 1984, et enfin ceux des Hughlings Jackson Lectures entre 1935 et 1984.

C’est à Wilder Penfield (1891-1976), dont le parcours est retracé dans le prologue, que l’on doit la création du MNI inauguré en 1934. À l’étroit dans le département de neurologie et de neurochirurgie qu’il avait rejoint en 1928, il souhaitait pouvoir développer ses études sur le cerveau et en particulier ses recherches sur l’épilepsie, et fit pour cela appel à la générosité de la fondation Rockfeller et de donateurs privés. Puis il s’entoura des meilleurs neurologues et neurochirurgiens de l’époque de William Cone (1897-1959) à Herbert Jasper (1906-1999) en passant par Arthur Elvidge (1899-1985), Francis McNaughton (1906-1986), Jean Saucier (1899-1968) ou Roma Amyot (1899-1980), afin de rapidement faire de l’Institut, dont il souhaitait qu’il soit aussi bilingue que possible, un centre de recherche et de soin d’avant-garde. En invitant régulièrement les spécialistes mondiaux les plus importants à y intervenir et en développant une formation de pointe pour les nombreux résidents et étudiants qui se succédèrent dans les bâtiments de la rue de l’Université, Penfield parvint rapidement à hisser le MNI au rang des plus importants centres de recherche neurologique du monde. Les directeurs qui lui succédèrent, Théodore Rasmussen (1910-2002) d’abord, puis William Feindel ensuite, poursuivirent ses efforts tout en imprimant leur marque dans le devenir de l’institution qui ne manqua pas de voir se diversifier ses champs d’expertise à mesure de l’arrivée de nouveaux chercheurs et de l’édification de nouveaux bâtiments. Sa collaboration avec le NIH (chapitre 19) ou le développement de la neuropsychologie en son sein (chapitre 22) furent parmi les événements particulièrement notables de l’évolution du MNI. Devenu un temple mondial de la neurologie et de la neurochirurgie, où l’on expérimentait des procédures avant-gardistes et contribuait activement à l’avancée des connaissances du fonctionnement normal et pathologique du cerveau, le MNI contribua à placer Montréal sur la carte de la science médicale internationale.

Au fil des pages, les biographies des chercheurs qui s’y succédèrent ainsi que la nature de leurs accomplissements sont décrites avec précision, tandis que les événements rythmant la vie de l’institution sont tous mentionnés, du départ ou du décès de collaborateurs à la venue de sommités mondiales en passant par la création de nouveaux départements ou l’ouverture de nouvelles ailes. Au final, c’est un portrait des plus complets de la vie des cinquante premières années du MNI qui est ici dressé dans ses moindres détails institutionnels. Certes, les premières années de l’institution sont plus passionnantes à découvrir que celles qui suivent, notamment parce qu’à mesure que l’on avance dans l’ouvrage la description ressemble davantage à un rapport administratif annuel. Mais force est néanmoins de constater que le travail réalisé par les deux auteurs est aussi important qu’il est ample et que l’ensemble du volume constitue un apport non négligeable à l’histoire médicale et scientifique de Montréal et plus largement du Québec et du Canada.

À la suite des travaux fondateurs de Denis Goulet sur l’histoire de la neurologie, puis de la neurochirurgie québécoise, et en parallèle des recherches passionnantes de Delia Gavrus ou Katja Guenther sur Penfield, ce volume s’impose comme un ouvrage de référence sur l’histoire du MNI et de la science du cerveau au Québec. Il fournit à tous les chercheurs intéressés par l’histoire médicale de la province une source riche d’informations (l’index final est ici bienvenu) aussi fiables que précises, tout en présentant au grand public un aperçu, certes parfois un peu technique, des activités de l’un des principaux centres médicaux de Montréal. Enfin, il valorise magnifiquement, en en présentant de nombreux extraits notamment iconographiques, les très belles archives du MNI et de Penfield conservées à l’Université McGill, dont une grande partie reste à ce jour encore à explorer.